Valérie Niquet , Taïwan face à la Chine, Vers la guerre ? Préface de Bruno Racine, éd. Tallandier, 240 p. 19,90 euros 

                                                                                                                                          

Voici un petit livre où l’essentiel est dit de manière très pédagogique sur les origines de la population actuelle de Taïwan, sur son histoire, peu chinoise le plus souvent, sur la naissance et le développement de sa démocratie, sur les pressions qu’elle subit de la part de la Chine communiste. On se contentera ici de souligner quelques réflexions parmi les plus importantes, quelques passages parmi les plus surprenants et les plus neufs; mais la précision des données statistiques, la diversité des aspects examinés dans l’ensemble de l’ouvrage, font que même les éléments les plus connus du tableau de la République de Chine proposé par Valérie Niquet fournissent des précisions ou des nuances enrichissantes et offrent des perspectives géostratégiques nouvelles. Chacun connait par exemple la remarquable avancée de l’île dans le domaine technologique. On sait moins que Taïwan domine mondialement le secteur des semi-conducteurs au point que la Chine lui est redevable, grâce à ses importations,  d’une grande partie d’un développement technologique qui lui vaut pourtant, à elle, l’admiration du monde entier ! « C’est Taïwan et non la Chine qui occupe aujourd’hui la première place pour la fabrication des semi-conducteurs, l’or noir du XX e siècle », souligne l’auteur. Et malgré ses investissements, malgré ses débauchages d’ingénieurs, la Chine n’est pas encore parvenue à se libérer « de cette dépendance au petit Taïwan ». Et pour cause! « C’est tout un biotope fondé sur la transparence, la confiance, l’ouverture et la liberté de pensée que le régime chinois ne peut pas accepter ».                                                             

La démocratie, à Taïwan et ailleurs, génère les conditions de l’innovation technologique. Voilà qui explique la volonté de Xi de relever  le défi que représente Taïwan. Ce n’est pas qu’il soit sorti du giron de la mère patrie comme on le dit à Pékin et que son histoire soit pendant des siècles plus liée aux populations austronésiennes, aux commerçants hollandais et aux Japonais qu’à la Chine, tard venue au XIX e siècle puis entre 1947 et 1949, quand le Kuo Min Tang s’impose brutalement à la population autochtone (et pas seulement aborigène). 

Ce qui heurte les dirigeants communistes, quoi qu’ils en disent, c’est que Taïwan est la preuve vivante que le monde chinois peut pratiquer la démocratie et se référer aux droits de l’homme, confortant la foi de ses promoteurs en leur valeur universelle, et contredisant la doxa pékinoise actuelle selon laquelle la Chine et les Chinois « ne sont pas faits pour ça ».

Taïwan est aussi, aux yeux de la direction du PCC, un moyen artificiellement concocté de réparer les torts subis dans le passé et de retrouver le chemin de la puissance perdue en fusionnant le destin de la nation chinoise et celui du parti unique qui la dirige aujourd’hui sans partage.

Lourd statut prêté à l’île, placée ainsi au centre d’un objectif stratégique de revanche. On rapprochera ici sans peine le discours de Xi et celui de Vladimir Poutine

Pour laver l’affront du démantèlement fantasmé du grand corps national chinois, divers moyens ont été envisagés : l’unité des intérêts économiques, aujourd’hui abandonnée, la volonté de s’unir derrière la formule « un pays deux systèmes » – ce que le sort fait il y a peu à Hong-Kong pousse à prendre avec la plus grande méfiance. La conquête pure et simple est aussi envisagée, malgré la protection que semblent assurer les Etats-Unis.

Où l’on voit l’importance de ce bouclier américain. S’il était mal utilisé ou s’il ne l’était pas du tout, les conséquences seraient terribles, tant en Asie orientale que sur d’autres théâtres d’affrontement. Les Chinois, nous disent les gazettes, observent avec beaucoup d’attention la guerre en Ukraine. Mais la concrétisation des menaces de guerre faites à Taïwan et des réactions occidentales insuffisantes face à elles, changeraient aussi les perspectives et les espoirs mis dans la résistance à l’attaque russe contre l’Ukraine.

Pierre Rigoulot

crédit photo: Heeheemalu, 8 août 2018, https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Taipei_Taiwan_Skyline.png

4 Juin 2022


Chine, le drame ouïghour

Comme beaucoup d’autres personnes, j’ai regardé le  documentaire, remarquable et passionnant, proposé par Arte le mardi 8 février 2022 et intitulé « Chine, le drame ouïghour« .

Ce que j’y ai relevé de plus saillant, c’est que la Chine elle-même, en dépit de l’histoire officielle qu’impulse le Parti Communiste Chinois (PCC), avait pratiqué, comme beaucoup d’autres pays, le colonialisme sous le règne de ses empereurs et que, dans la période la plus récente, le Parti Communiste Chinois ne renonça pas à poursuivre cette politique de colonisation. On sait trop peu (et c’est un des multiples avantages de ce documentaire) que, dans les années 1930 et 1940, le Tibet et le Sinkiang, en dépit des convoitises de l’URSS et de la Chine, étaient des territoires qui étaient encore indépendants.

J’ai eu la bonne surprise de voir figurer dans le documentaire la manoeuvre entreprise par Mao juste après qu’il eut pris le pouvoir à Pékin en 1949. (Acte 1) Ouverture de pourparlers entre le Parti Communiste Chinois et le gouvernement du Turkménistan oriental (dénomination de ce qui est devenu le Sinkiang) ; ils se déroulent à Urumqi, sa capitale. (Acte2) Invitation de Mao au gouvernement du Turkménistan Oriental à venir poursuivre les négociations à Pékin. (Acte 3) Un avion chinois vient chercher le gouvernement ouighour pour l’emmener négocier à Pékin. (Acte 4) Le gouvernement ouighour ne réapparaîtra jamais. (Acte 5) Plusieurs semaines plus tard, Mao « révèlera » que l’avion s’est crashé au retour avec tout le gouvernement ouighour. (Acte 6) Une fois son gouvernement décapité, la population ouighoure devient une proie facile pour Mao et le PCC. La colonisation peut commencer. Et elle commence par une invasion soudaine du territoire du Turkménistan Oriental par l’Armée Populaire de Libération.

A vrai dire, quelqu’un de très bien informé m’avait, il y a plusieurs années, confié « ce détail ». Il m’avait alors paru incroyable qu’un tel détail ne soit ni connu ni reconnu. J’avais donc cherché à le vérifier en recourant à Internet, Wikipedia et autres supports. En vain. Il n’y en avait aucune trace. J’ai naturellement été très intéressé de constater que les personnes très sérieuses qui ont construit ce documentaire valident totalement « ce détail » qui en réalité constitue un élément majeur pour interpréter et comprendre ce qu’il se passe au Sinkiang.

On est donc bien en présence d’un processus de colonisation par Pékin d’un territoire, le Sinkiang, dont la population autochtone est le peuple ouighour. C’est en conséquence de cette colonisation qu’on en arrive maintenant à un génocide (contrairement à Pékin qui justifie sa politique de terreur comme une réaction qui serait légitime aux quelques actions armées entreprises par les ouighours). La poule, c’est la colonisation entreprise par Pékin. L’oeuf, c’est la réaction désordonnée de certains Ouighours. Et l’oeuf de l’oeuf, c’est le génocide entrepris par Pékin.

N’oublions pas que le premier génocide de l’histoire moderne fut commis en 1906-1908 ; ce fut celui des Herreros, la population autochtone de l’actuelle Namibie. Bismarck qui gouvernait l’Allemagne s’intéressait beaucoup aux territoires de l’actuelle Namibie parce qu’il avait remarqué, lui aussi, qu’ils étaient pourvus de ressources naturelles prometteuses. Et pour en disposer complètement, il avait « simplement » entrepris d’exterminer les Herreros.

Le PCC et Xi Jinping, pour se débarrasser des Ouighours (et pour s’approprier tranquillement les ressources naturelles abondantes au Sinkiang), entreprennent, eux, de les siniser, c’est-à-dire de les persécuter, de les incarcérer, de les torturer, de les terroriser et de leur laver le cerveau jusqu’à qu’ils soient tous convertis en Han. C’est une autre façon de faire disparaître tout un peuple.

Et le Parti Communiste Chinois (et avec lui quelques idiots utiles occidentaux) de nous expliquer que cela n’a rien à voir avec un génocide puisqu’il n’y a pas extermination. La sinisation du Sinkiang comme, avant elle, celle du Tibet est un génocide. Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas des millions de morts qu’il ne s’agit pas d’un génocide.

Antoine Brunet

Cher M. Brunet,

J’ai comme vous beaucoup apprécié le documentaire d’Arte sur les Ouighours. Le second documentaire, qui portait sur le contrôle social de la population chinoise ne manquait pas non plus d’intérêt. D’une certaine façon, l’entreprise de lavage de cerveau qui s’accentue en Chine continentale, entreprise due au Parti communiste chinois sur la population Han, dont on cherche à éradiquer les traditions, la mémoire historique, la lucidité, au profit d’une institution politique toute puissante qui mènerait le Peuple vers le bonheur, peut lui aussi, à retenir vos critères, être qualifié de « génocide ». Mais, que ce soit envers les Ouighours ou envers les Hans, j’ai quelque réticence à vous suivre sur ce terrain et à parler de « génocide ». Ce faisant, en effet, totalitarisme et génocide deviennent des termes interchangeables et vous me permettrez de ne pas être d’accord avec vous. Si l’on vous suit, pensez-y, il n’y aura plus de terme spécifique pour désigner la volonté d’effacer physiquement un groupe humain déterminé comme ce fut tacitement le cas (avec les Héréros) ou explicitement le cas ( avec la Shoah). Cette entreprise spécifique sera alors noyée dans les diverses entreprises de domination, de mise au pas, de censure  dont l’histoire abonde. Et je trouverais cela dommage. Notez que je partage votre opinion : ce n’est pas la quantité de victimes qui fait le génocide. Mais c’est, je pense, l’entreprise d’extermination physique d’un Peuple.

Vous vous contentez, d’un revers de main, de qualifier d ‘« idiots utiles », ceux de vos lecteurs qui ne partageraient pas vos vues et manifesteraient des réticences à parler de génocide dans le cas des Ouighours. Avouez qu’il y a là de quoi tuer toute velléité de dialogue. Celui-ci suppose une dose de bienveillance préalable avec vos interlocuteurs éventuels que vous ne manifestez guère.

Il n’est pas sûr cependant que mes remarques soient très utiles au sujet des Ouighours : génocide ou pas, il s’agit pour moi d’entraver une entreprise humainement condamnable et politiquement dangereuse, tant pour les Ouïgours que pour les défenseurs des démocraties libérales, puisqu’une nouvelle progression du système totalitaire chinois dans cette partie du monde, renforcerait sa puissance et ses ambitions. Je ne doute pas, cher M. Brunet, que nos efforts iront donc dans la même direction.

Un « idiot utile »

Cher Monsieur,

Vous proposez de réserver le terme de génocide aux seuls cas où on serait en présence « d’une volonté d’effacer physiquement un groupe humain déterminé comme ce fut tacitement le cas (avec les Héréros) ou explicitement le cas (avec la Shoah) ».

Laissez-moi d’abord remarquer le glissement sémantique que vous vous permettez d’opérer au sein d’une même phrase. Comme vous-même, je constate que le Parti Communiste Chinois a « la volonté d’effacer physiquement un groupe humain déterminé », en l’occurrence le peuple ouïghour (qui est le peuple autochtone du Sinkiang). Mais je me sépare immédiatement de vous quand vous vous empressez d’ajouter en une apposition faussement naturelle « comme ce fut tacitement le cas (avec les Héréros) ou explicitement le cas (avec la Shoah) ».

En présentant cette apposition comme une précision qui irait de soi, vous opérez un glissement sémantique qui est très spécieux et qui n’est pas acceptable : il vise à faire admettre « en contrebande » que l’accusation de génocide soit réservée aux seuls cas des meurtres à grande échelle (ceux que Bismarck commit contre les Héréros et ceux que Hitler et les nazis commirent contre les Juifs).

Dans l’optique qui semble être la vôtre, avant de conclure à un génocide, il serait indispensable de constater une accumulation de cadavres en centaines de milliers ou en millions, tandis que les victimes d’incarcérations injustifiées, de tortures physiques et mentales, de lavages de cerveaux, de viols, d’avortements forcés, de stérilisations forcées ou encore d’enlèvements d’enfants ne devraient pas du tout être prises en compte ; et ce, même si on les dénombre en centaines de milliers ou en millions, comme cela est le cas au Sinkiang actuellement.

Votre obsession de ne dénombrer que les seuls cadavres m’est absolument insupportable quand on sait dans quel état physique et mental ressortent ceux qui sont passés dans les camps d’internement du Sinkiang, ces camps que le Parti Communiste Chinois désigne hypocritement comme « camps de transformation par l’éducation ».

Votre proposition de définition du génocide est à mes yeux beaucoup trop restrictive. Elle a en tout cas été écartée en toute connaissance de cause par l’Assemblée Générale de l’ONU. En 1948 puis à nouveau en 1998, l’Assemblée Générale de l’ONU a en effet retenu pour définition du crime de génocide : « l’un quelconque des actes ci-après commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :

a) meurtre de membres du groupe ;

b) atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;

c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;

d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;

e) transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe. »

En quelque sorte, en application de cette définition très officielle, il ressort que l’on est bien en présence d’un génocide commis par les autorités de la Chine au Sinkiang : depuis 2014 et plus ostensiblement encore depuis 2017 ; elles y ont déjà commis à l’encontre de la population ouïghoure, intentionnellement et à grande échelle, les actes b), les actes c) les actes d) et les actes e).

C’est d’ailleurs sans doute aussi en référence à ce même texte de l’ONU que notre Assemblée Nationale a très récemment adopté, à une très large majorité, une résolution qui « reconnaît officiellement les violences perpétrées par les autorités de la République populaire de Chine à l’encontre des Ouïghours comme constitutives de crimes contre l’humanité et d’un génocide » « et qui les condamne ».

Votre proposition consistant à se séparer des critères de l’ONU est d’autant plus malvenue que l’opération que commet actuellement le Parti Communiste Chinois au Sinkiang intervient après qu’il eut antérieurement commis une opération du même type au Tibet et peut-être avant qu’il ne commette une opération du même type en Mongolie Intérieure.

N.B. C’est vous qui choisissez de vous qualifier d’idiot utile. Je ne me serais jamais permis de vous qualifier ainsi.

Antoine Brunet.

(crédit photo: Malcom Brown, Flickr)

15 Fév 2022


 «Pékin doit accepter une enquête internationale sur les origines du Covid!»

Vingt scientifiques de haut niveau œuvrant dans huit pays – dont Colin D. Butler, professeur émérite de santé publique à l’université de Canberra, Henri Cap, zoologue à Toulouse, Jean-Michel Claverie, virologue et professeur émérite à Aix-Marseille, et Virginie Courtier, généticienne de l’évolution et directrice de recherche au CNRS – appellent les chefs d’État et de gouvernement à unir leurs efforts pour que la Chine consente enfin à une enquête internationale sur les origines de la pandémie, alors que ce pays accueille les JO d’hiver.

La charte olympique stipule que «le but de l’olympisme est de mettre le sport au service du développement harmonieux de l’humanité en vue de promouvoir une société pacifique, soucieuse de préserver la dignité humaine». Alors que les athlètes du monde entier se rassemblent pour le début des JO d’hiver de 2022 à Pékin, cette noble aspiration est mise à mal par les efforts déployés par le gouvernement chinois pour bloquer toute enquête sérieuse sur les origines de la pandémie de Covid-19: destruction d’échantillons, dissimulation de dossiers, emprisonnement de journalistes et interdiction, pour les scientifiques chinois, de publier des études sur les origines de la pandémie sans l’aval du gouvernement.

Comprendre comment cette terrible crise a commencé est essentiel pour prévenir de futures pandémies. Aucune enquête internationale approfondie et crédible sur les origines de la pandémie n’a cependant encore été lancée. Le 9 février 2021 à Wuhan, la mission internationale organisée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) avait conclu qu’une «origine naturelle» de la pandémie était probable et un incident de laboratoire «extrêmement improbable». Le chef de la mission internationale, le D Peter Ben Embarek, avait toutefois admis par la suite qu’il pensait qu’un accident de laboratoire était «probable» et qu’il avait subi des pressions de la part de ses hôtes pour éviter le sujet.

Bien que l’OMS ait récemment créé un nouvel organe – le groupe consultatif scientifique sur les origines des nouveaux agents pathogènes (Sago) – chargé d’enquêter sur les origines des nouveaux agents pathogènes, dont le SARS-CoV-2, il semble que cet organisme n’ait pas accès à toutes les données brutes pertinentes ni à tous les sites d’échantillonnage en Chine et qu’il n’ait pas été autorisé à effectuer des audits des laboratoires de Wuhan, où des coronavirus de chauve-souris étaient stockés et manipulés avant le début de l’épidémie.

En l’absence de plan bien établi pour mener une enquête internationale complète et sans restriction sur l’origine du Covid-19, tous les habitants de la planète et les générations futures restent exposés à un risque accru de pandémies.

Nous appelons l’OMS à établir et promouvoir une ligne sécurisée permettant aux personnes du monde entier de partager de manière plus sûre les informations concernant l’origine de la pandémie

Scientifiques et experts du monde entier engagés dans la recherche des origines de cette pandémie, nous appelons donc toutes les nations à s’unir pour exiger une enquête complète et sans restriction sur l’origine du Covid-19 en Chine et, le cas échéant, au-delà, et le gouvernement chinois à affirmer son soutien à une enquête internationale complète. Nous appelons les États-Unis, l’Union européenne et d’autres organismes nationaux et internationaux à mettre en place des commissions Covid-19 pour étudier l’origine de la pandémie et proposer des solutions pour qu’une telle pandémie ne se reproduise pas.

Nous invitons toutes les nations à exiger des scientifiques de leur pays qui ont collaboré avec des laboratoires chinois de recherche sur les coronavirus qu’ils partagent toutes les données et communications pertinentes, et le gouvernement chinois à autoriser l’accès aux informations essentielles à l’évaluation correcte de toutes les origines plausibles: bases de données de séquences et d’échantillons de virus gérées par l’Institut de virologie de Wuhan, qui ne sont plus accessibles ; rapports des missions de collecte de virus réalisées en 2018-2019 impliquant le personnel de Wuhan ; liste des prélèvements effectués sur les six mineurs ayant développé des symptômes comparables à ceux du Covid-19 en 2012, et des institutions ayant reçu ces prélèvements ; accès à la mine de Mojiang et aux grottes de Shitou au Yunnan ; cahiers de laboratoire et dossiers de recherche des laboratoires concernés de Wuhan, et dossiers de biosécurité soumis depuis 2016 par ces institutions aux autorités chinoises.

Nous appelons l’OMS à établir et promouvoir une ligne sécurisée permettant aux personnes du monde entier de partager de manière plus sûre les informations concernant l’origine de la pandémie et la communauté internationale à reconnaître l’exemplarité des professionnels de santé chinois et des nombreux citoyens chinois ordinaires qui ont pris des risques personnels en documentant l’épidémie précoce à Wuhan et en alertant le monde, et trop souvent sévèrement punis pour l’avoir fait.

Ces réalisations contribueraient à construire un avenir plus sûr et correspondraient pleinement aux valeurs olympiques.

Liste complète des cosignataires:

Colin D Butler, Professeur honoraire, Université nationale australienne, Canberra, Australie

Henri Cap, PhD, Zoologiste, Toulouse, France

Jean-Michel Claverie, Professeur émérite de médecine, virologue, Université d’Aix-Marseille, France

Virginie Courtier, Généticienne de l’évolution, Directrice de recherche, Institut Jacques Monod, CNRS, France (Co-Organisatrice)

Gilles Demaneuf, Ingénieur, Data Scientist, Auckland, Nouvelle-Zélande (Co-Organisateur)

François Graner, Biophysicien, Directeur de recherche, CNRS, Université de Paris, France

Makoto Itoh, Professeur, systèmes d’ingénierie, Université de Tsukuba, Japon

Mai (Mike) He, Pathologiste, Professeur associé, Faculté de médecine de l’université Washington à Saint Louis, États-Unis

Hideki Kakeya, Scientifique de l’information, Professeur associé, Université de Tsukuba, Japon

Richard Kock, Professeur, Santé de la faune sauvage et maladies émergentes, Collège royal vétérinaire, Londres, Royaume-Uni

Jonathan Latham, PhD, Directeur exécutif, The Bioscience Resource Project, États-Unis

Milton Leitenberg, Chargé de recherche principal, Université du Maryland, États-Unis

Steven E Massey, Biologiste informaticien, professeur, Université de Porto Rico, Rio Piedras, San Juan, Porto Rico, États-Unis

Jamie Metzl, Chargé de mission, Conseil Atlantique, États-Unis (Co-organisateur)

Steven Quay, MD, PhD, anciennement professeur titulaire, Département de pathologie, École de médecine de l’Université de Stanford, États-Unis

Monali Rahalkar, Microbiologiste, Institut de recherche Agharkar, Pune, Inde

Bahulikar Rahul, Expert en génétique et taxonomie des plantes, Fondation de recherche sur le développement BAIF, Pune, Inde

Charles Rixey, MA, anciennement chef CBRN, Corps des Marines des États-Unis ; analyste, DRASTIC, Dallas TX, États-Unis

nter Theißen, Professeur, Généticien, Institut Matthias Schleiden, Université Friedrich Schiller d’Iéna, Allemagne

Roland Wiesendanger, Nanoscientifique, Professeur, Université de Hambourg, Allemagne

Allison Wilson, PhD, Directrice scientifique, The Bioscience Resource Project, États-Unis

(crédit photo: Adam Tusk, Flickr)

15 Fév 2022


Jusqu’au XVème siècle, le grand-duché de Lituanie s’étendait de la mer Baltique à la mer Noire et  recouvrait, outre son territoire actuel, la Biélorussie, une partie de la Pologne et de l’Ukraine. Elle en a gardé la conscience d’être un grand pays

Par ailleurs son histoire est marquée par le combat pour la Liberté. Ce sont les Baltes qui le 23 août 1989, avec une chaîne humaine entre Tallin et Vilnius marquent symboliquement le début de la fin de la dictature soviétique.

Les Lituaniens sont aujourd’hui de tous les combats pour la Liberté. Fin 2004 en Ukraine, en plein Maidan, le président lituanien Adamkus contribuait aux négociations qui amenèrent l’organisation d’un troisième tour des élections présidentielles.  En août 2008, il était en Géorgie avec les présidents polonais et estoniens. Depuis aout 2020, c’est en Lituanie que Svetlana Tikhanovskaia, la président élue de Belarus a trouvé refuge et de là qu’elle organise la résistance….

La Lituanie a pleinement conscience des risques encourus dans le monde actuel. Et elle les affronte sereinement. C’est donc tout naturellement que la Lituanie tient tête à la Chine.

En 2019, elle s’est opposée déjà à l’achat du port de Klaipeda par la Chine.

Le 29 janvier 2021, elle annonçait l’interdiction d’équipements destinés aux contrôle dans les aéroports, fabriqués par la compagnie chinoise Nutech, invoquant des inquiétudes pour sa sécurité nationale.

Le parlement lituanien (Seimas) a reconnu le génocide des Ouïgours dans le Xinjiang

Le 21 mai 2021, la Lituanie, comme l’Estonie, se sont retirés de l’initiative 17+1, organisme de coopération entre la Chine et 17 pays d’Europe Centrale, orientale et du Nord considérant qu’elle apportait plus de division au sein de l’Union européenne qu’elle ne créé d’investissements ou de bénéfices économiques.

Le 23 septembre 2021, le ministère lituanien de la Défense et le Centre national de cyber-sécurité recommandait de se séparer des téléphones chinois Huawei, Xiaomo et One Plus notamment en raison des risques de censure à distance et de fuite de données personnelles.

Cette dernière décision n’a fait qu’aggraver les relations entre la Chine et la Lituanie qui subit les foudres diplomatiques de Pékin depuis qu’elle a décidé mi-août d’accueillir sur son sol un bureau de représentation commerciale de Taiwan et qu’elle a ouvert une représentation diplomatique à Taipeh

Depuis, Pékin a rappelé son ambassadeur à  Vilnius et Le 15 décembre la Lituanie a évacué les diplomates de son ambassade à Pékin, la Chine cherchant à modifier le statut de l’ambassade lituanienne pour qu’elle devienne un  « bureau de chargé d’affaires ».

La Chine a cessé d’accorder des visas aux ressortissants lituaniens et elle organise un boycott économique

Si les exportations directes de la Lituanie vers la Chine ne représentent qu’1% du PIB de la Lituanie, le pays pourrait être cependant touché par les effets secondaires  de l’action disproportionnée qu’elle subit et cherche les moyens de minimiser les impacts indirects potentiels des mesures chinoises. En effet, la Chine a interrompu la circulation des transports de marchandises à destination de la Lituanie et a cessé de délivrer des permis d’exportation.

La Lituanie se réjouit de la position exprimée par la France le 25 novembre 2021 : « La solidarité entre Etats membres est un principe fondamental de l’Union européenne et toute atteinte contre un état membre porte atteinte à l’Union elle-même. Nous exprimons avec nos partenaires européens notre plein soutien à la Lituanie. L’Union européenne est pleinement mobilisée pour renforcer ses instruments de lutte contre les pratiques déloyales ou à visée coercitive »

La Chine veut faire un exemple. Ça tombe bien ! La Lituanie a toujours voulu être un exemple dans la défense de la Liberté et montrer sa capacité de résistance.

Anne-Marie Goussard, Consul honoraire de Lituanie

29 Déc 2021


Dans une tribune parue les 16 décembre 2021 sur le site du quotidien La Croix, Jean-Louis Rocca, sinologue et professeur à Sciences po, soutient que le régime politique de la Chine actuelle ne serait pas un régime totalitaire mais seulement une dictature.

Evoquant Hannah Arendt (qui, elle-même, en dépit de ses immenses mérites, n’avait malheureusement pas su reconnaitre que le régime chinois sous Mao, était totalitaire), il insiste sur le fait qu’« un régime totalitaire se distingue de la « banale » dictature et des « classiques » régimes autoritaires, autrement dit des sociétés non démocratiques mais « normales » ».

L’auteur développe ensuite l’idée que le Parti Communiste Chinois n’aurait pas d’idéologie, qu’il aurait pour seule motivation celle de maximiser le bien être de sa population : « Dans la dernière résolution du Parti, explique le professeur, on trouve, à peu près à toutes les pages, les notions de développement, de richesse, de prospérité (commune ou modérée), de renouveau et d’intérêt national, de progrès scientifique, de croissance des revenus, de lutte contre la pauvreté, de bien-être social. C’est même au nom de ces notions que le texte semble légitimer le PCC en tant que Parti unique et la « pensée Xi Jinping ».

Et l’auteur de remarquer alors : « On n’y trouve plus l’équivalent de l’idéologie de la « race » ou de la « lutte des classes » comme dogme central d’une explication universelle du monde : idéologie à laquelle tout doit être sacrifié. On n’est donc pas dans le totalitarisme ».

Conclusion du Pr Rocca : « La société chinoise n’est ni l’Allemagne de Hitler, ni l’URSS de Staline, ni même la Chine de Mao. … La Chine de Xi est une dictature « banale », si ce n’est par sa taille et sa puissance ; dictature qui reste dans les normes de l’ « utilitarisme » politique : elle doit assurer le bien-être de sa population. ».

Dominique Duel ne partage pas ces conclusions. Il nous dit pourquoi.

H&L

Au moment précis où les populations des pays démocratiques commencent enfin à se mobiliser après avoir pris conscience des exactions et des atrocités commises par le régime politique de Pékin (généralisation à la population chinoise de la reconnaissance faciale et du score social, invasion de la Mer de Chine du sud, coup de force à Hong Kong, génocide au Sinkiang, menaces militaires à l’égard de Taïwan), le Parti Communiste Chinois entreprend une grande offensive de propagande vers les populations des pays démocratiques pour faire apparaître son régime comme un régime qui serait convenable et qui serait « une vraie démocratie ».

Le texte de Mr Rocca, en concluant que le régime de Pékin ne serait pas du tout un régime totalitaire mais une simple dictature, semble s’inscrire en résonance avec cette propagande de Pékin. C’est pourquoi il m’est apparu indispensable d’y répondre sans délai. Et d’y répondre, non pas en sollicitant l’émotionnel, mais en lui opposant un contre-texte, le plus argumenté possible.

Je commence par exprimer un point de convergence avec Mr Rocca : Oui, un régime totalitaire n’est pas simplement une dictature de très grande intensité. Oui, il y a une véritable différence de nature entre une dictature et un régime totalitaire.

Il ne s’agit pas là d’une querelle qui serait sans enjeu : les dictatures peuvent être renversées (bien que difficilement) par leurs populations ; on observe que les vrais régimes totalitaires sont quasiment « indéracinables » de l’intérieur : les rares régimes totalitaires qui sont tombés (l’Allemagne nazie et le Japon en 1945, l’Argentine des généraux en 1983, le Cambodge des Khmers rouges en 1983, l’URSS en 1991) sont tombés en très bonne part grâce à des facteurs extérieurs au pays considéré.

Quest-ce quun régime totalitaire? dans les années 50 et 60, des grands penseurs, Hannah Arendt mais aussi George Orwell, Arthur Koestler, Raymond Aron, Albert Camus, Jean-François Revel, Carl Friederich, Zbigniew Brzezinski ont étudié en profondeur l’expérience soviétique et l’expérience nazie pour les comparer ensuite l’une à l‘autre. Chacun séparément, ils en arrivèrent à une même conclusion : au-delà de leurs différences évidentes, le régime soviétique et le régime nazi partageaient beaucoup de caractères communs : dans les deux cas, un Parti très radical, inspiré par une idéologie très extrême, s’était emparé du pouvoir (par la force ou par la ruse), s’était instauré Parti Unique et s’était ensuite donné les moyens de contrôler complètement tout un pays en recourant à des méthodes de répression sans limites.

Ils convinrent, très normalement alors, de qualifier ces deux régimes de régimes totalitaires ; il devenait alors assez normal que les caractères communs au régime soviétique et au régime nazi deviennent aussi les caractéristiques d’un régime totalitaire.

Plus précisément, le schéma général du totalitarisme se résume ainsi :

A l’origine, dans un pays déterminé, une idéologie explicite et un projet global fédèrent et mobilisent un groupe politique, qui est numériquement important mais qui serait voué à rester minoritaire ; ce groupe politique minoritaire se radicalise et se mobilise jusqu’à s’emparer durablement du pouvoir politique afin de faire triompher son idéologie.

Une fois parvenu au pouvoir (par des élections ou plus souvent par un coup de force), ce groupe politique prend toutes sortes de dispositions d’exception pour pérenniser son pouvoir : il commence par s’instaurer comme le Parti Unique ; le Parti Unique abolit les scrutins démocratiques ; il concentre tous les pouvoirs entre ses mains (exécutif, législatif, judiciaire, médiatique, universitaire, militaire…) jusqu’à absorber complètement l’Etat et à s’instituer comme le Parti-Etat.

Le Parti Unique contrôle, directement ou indirectement, toute l’économie ; il interdit toute association en dehors de lui ; il supprime les droits d’expression, de réunion, de manifestation ainsi que la liberté religieuse ; il contrôle totalement l’information, la communication, l’instruction, l’histoire qui est enseignée (qu’elle soit nationale ou internationale).

Le Parti Unique met en place en sa faveur un formidable système répressif qui n’a aucune limite puisque la Justice est soumise au Parti, qu’il n’existe plus aucun contrepouvoir et que les associations humanitaires sont interdites d’existence

Le Parti Unique s’active par ailleurs à faire adhérer à son idéologie une partie importante de la société en recourant à la persuasion mais surtout à la terrorisation de la population ; une fois imposée, cette idéologie, devenue idéologie d’Etat, confère une apparence de « légitimité » au Parti Unique et donne une apparence de « justification » aux mesures de répression que le Parti Unique prend contre les opposants, contre les dissidents et même contre les personnes qu’il juge « non conformes ».

Au terme de tout ce processus, un régime totalitaire tend à devenir à la fois complètement inhumain et totalement « indéracinable ».

Venons-en maintenant au régime totalitaire que le Parti Communiste Chinois (PCC) dirigé par Mao instaura en Chine en 1949.

On ne peut que regretter que, du vivant de Mao, plusieurs des grands penseurs évoqués ci-dessus se soient abstenus de qualifier la Chine de Mao comme régime totalitaire. Une omission très fâcheuse. La Chine de Mao « avait coché absolument toutes les cases du totalitarisme » selon la définition générale présentée ci-dessus. Son idéologie était quasiment la même que celle du Parti Communiste d’Union Soviétique (PCUS). Une fois que le PCC fut parvenu au pouvoir, ses décisions et ses méthodes furent largement décalquées de celles du PCUS. On trouve même dans la Chine de Mao les mêmes initiatives atroces et inhumaines que celles menées dans l’URSS de Staline : dans l’un et l’autre pays, de grandes famines qui furent imposées aux ruraux et aux paysans, des camps de travail et/ou de rééducation où furent internés des millions de personnes (les goulags en URSS, les laogaï en Chine)

Tout politologue digne de ce nom (y compris Mr Rocca lui-même semble-t-il) reconnaît désormais que c’est bien un régime totalitaire que le PCC sous Mao (1949-1976) infligeait à la population chinoise.

M. Rocca nous délivre aujourdhui une thèse très spécifique selon laquelle, sans qu’on s’en soit rendu compte, le régime de Pékin aurait rétrogradé de totalitaire à dictatorial. Pour soutenir une thèse aussi singulière, il devrait nous apporter deux précisions : Quand le changement se serait-il produit ? A quel titre ne serait-il plus totalitaire ?

Dans son article, Mr Rocca n’apporte pas de réponse à la première interrogation.

A la deuxième interrogation, il répond en indiquant : « On n’y trouve plus l’équivalent de lidéologie de la «race» ou de la «lutte des classes» comme dogme central dune explication universelle du monde : idéologie à laquelle tout doit être sacrifié. On nest donc pas dans le totalitarisme ». Un raisonnement qui paraît ressortir d’une logique implacable : si le régime actuel ne peut être rapproché ni de l’URSS ni de la Chine de Mao ni non plus de l’Allemagne nazie, c’est qu’il n’est pas totalitaire. Cette logique est beaucoup trop simpliste car elle fait bon marché de deux observations essentielles.

Contrairement à ce que suggère M. Rocca, il n’y a pas seulement deux sortes de régimes totalitaires ; il y en a au moins trois : après les régimes totalitaires dont l’idéologie est marxiste-léniniste, après ceux dont l’idéologie fut la suprématie raciale, on a vu surgir dans les années 1980 une troisième sorte, ceux dont l’idéologie est islamo-théocratique (le régime des Ayatollahs en Iran, le régime de Omar El Béchir au Soudan, le régime des Talibans en Afghanistan, le régime, heureusement éphémère, de Daech…)

Ensuite, il a échappé à M. Rocca que, en Chine et pour la première fois dans un régime totalitaire, un Parti Unique à la tête dun régime totalitaire est parvenu, sans se faire déstabiliser, à remplacer totalement son idéologie initiale par une idéologie différente.

Cela s’est amorcé en 1978, deux ans après la mort de Mao, lorsque Deng fut assuré de prendre la Direction du PCC. L’idéologie lutte de classes en vigueur sous Mao avait obligé le PCC à s’en tenir au modèle économique du collectivisme, un modèle où la notion d’entreprise avait disparu et où la production s’exerçait dans des unités de production rattachées directement au pouvoir central.

Ce modèle économique était désastreux parce qu’il privait complètement le régime de Pékin, du dynamisme entrepreneurial. Deng fut le premier des dirigeants socialistes à se rendre compte que le collectivisme était une source majeure de faiblesse économique et d’impuissance géopolitique. Selon lui, et à juste titre, c’est ce collectivisme qui expliquait le déclin, économique et technologique, de l’URSS relativement aux Etats Unis et qui expliquait aussi que le taux de croissance de la Chine soit resté faible sous Mao.

Pour Deng, si le PCC commettait l’erreur de maintenir ce collectivisme, il s’exposait à être désavoué massivement par la population chinoise, il s’exposait même à ce que son régime, bien que totalitaire, finisse par être renversé. Deng n’eut apparemment pas grand mal à convaincre les autres dirigeants du PCC d’abandonner le collectivisme : il leur fit valoir que l’enjeu était vital : il s’agissait de pérenniser le maintien du PCC à la tête de la Chine.

Dès 1978 en tout cas, Deng et le PCC entreprennent de restaurer le capitalisme : dès lors, toute la vie économique prend place dans le cadre de véritables entreprises, qu’elles soient à capital étatique, à capital privé ou à capital mixte. Elles sont non seulement autorisées mais encouragées par le PCC à faire des profits et à développer leur capital. Elles ont toute autonomie en matière de gestion ou de stratégie d’investissement.

Mais, en abandonnant totalement le collectivisme, le Parti Communiste Chinois ne pouvait plus du tout se justifier, ni à ses propres yeux ni aux yeux de la population chinoise, comme étant « le Parti Révolutionnaire, auto-proclamé avant-garde de la classe ouvrière, à qui revient de diriger la dictature du prolétariat ».

En délaissant le collectivisme en1978, le PCC sobligeait en réalité à abandonner aussi lidéologie marxiste-léniniste, ce quil fit. Cela se fit sans trop de remous au sein du Parti car, comme l’a bien expliqué Claude Lefort dans les années 1990, ce qui au bout d’un temps motive les dirigeants d’un régime totalitaire, ce n’est plus tant de faire aboutir une idéologie précise que de maintenir les prérogatives et les privilèges qu’ont acquis les hiérarques et même les simples membres du Parti.

Si le PCC en était resté là, la thèse de Monsieur Rocca aurait eu une certaine crédibilité. Mais le PCC n’en resta pas là.

Le même Deng savait bien qu’abandonner toute idéologie serait dangereux aussi pour la pérennisation du régime. Un régime totalitaire a besoin d’une idéologie, en particulier pour souder tous les membres du Parti entre eux et pour légitimer le monopole du pouvoir du Parti aux yeux de la population.

C’est pourquoi très progressivement, dans les années 80, Deng et le PCC s’employèrent à passer d’une idéologie à une autre, de l’idéologie marxiste-léniniste à l’idéologie impérialiste-particratiste.

Idéologie impérialiste. Dans les années 80, l’internationalisme prolétarien fut délaissé au profit d’un nationalisme de plus en plus extrême et de plus en plus radical. C’est sous Deng que fut lancée la thématique du « siècle de l’humiliation » (1932-1949) et que fut suggérée l’idée que la Chine avait une revanche à prendre. C’est toute la thématique du « rêve chinois » : la Chine devait reprendre son statut hégémonique, celui que ses empereurs successifs avaient réussi à maintenir. Ce nationalisme conquérant ne cache plus aujourd’hui son objectif, celui de ravir l’hégémonie aux Etats-Unis pour la rendre à la Chine. Pour cela, le PCC ne doit plus hésiter à recourir à une stratégie impérialiste, ce à quoi il s’emploie franchement depuis les années 1990 et plus encore depuis qu’il a réussi en 2001 à forcer son entrée à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), et davantage encore depuis que le PCC se considère à parité géopolitique avec les Etats Unis.

Idéologie particratiste. Tous les régimes totalitaires sont amenés à piétiner de facto la démocratie et les libertés. Mais, le plus souvent, leurs dirigeants s’étaient estimés ou s’estiment obligés de dépenser beaucoup d’efforts pour occulter leur comportement antidémocratique.

Dans la Chine post-Mao, celle qui va de Deng à Xi, le régime totalitaire se différencie de tous les autres régimes totalitaires, présents et passés (y compris celui de la Chine de Mao), par le fait qu’est revendiquée, ouvertement et publiquement, une hostilité absolue à la démocratie et aux libertés et par le fait qu’est revendiquée une omnipuissance du Parti (elle-même justifiée par sa supposée omniscience). C’est cela que nous désignons comme le particratisme.

Le PCC revendique ainsi tout à la fois la concentration définitive de tous les pouvoirs entre ses mains, le rejet de toute forme (même embryonnaire) de contrepouvoir, le rejet non seulement de la démocratie parlementaire mais de toute vie démocratique et même de tout débat ; il revendique l’élimination de toute la société civile, la persécution de toute personnalité charismatique extérieure au Parti ; il revendique la persécution de toutes les religions, l’abolition de toutes les libertés individuelles et collectives ; il revendique son immixtion dans la vie quotidienne des familles et des individus, dans le mode de scolarisation des enfants et il ne cache pas qu’à travers la reconnaissance faciale et le score social, il entend rendre chaque personne chinoise conforme à l’homme nouveau qu’il a en tête.

Lidéologie impérialiste se rejoint et sarticule avec lidéologie particratiste puisque le Parti, après avoir expliqué à la population la nécessité impérieuse pour la Chine de s’emparer du monde, lui explique aussi que pour atteindre cet objectif, il lui faut renoncer totalement à la démocratie et déléguer définitivement tous les pouvoirs au Parti.

Au total, on est en présence en Chine depuis 1978 d’une quatrième sorte de régimes totalitaires, ceux dont l’idéologie est celle du nationalisme-particratisme. Et la Chine semble avoir déjà fait des émules puisque le régime de Poutine en Russie s’apparente de plus en plus à ce type de régime totalitaire.

On aura compris que, plus que jamais, il s’impose de caractériser la Chine post-Mao comme subissant un régime totalitaire tout en pointant que le PCC, depuis 1978, a initié une quatrième sorte de régimes totalitaires, ceux dont l’idéologie est impérialiste-particratiste.

Crédit photo : Flickr | David Chao

23 Déc 2021


Les mots qui manquent dans les livres récents relatifs à la Chine

La liste s’allonge de livres, francophones ou anglophones, qui traitent de la Chine actuelle. La plupart sont très intéressants parce qu’ils ont le mérite d’exposer de nombreuses réalités factuelles qui n’étaient jusque récemment pas disponibles pour le public. Regrettant de ne pas avoir l’énergie pour me livrer à une analyse comparée et approfondie de tous ces livres publiés récemment, je me permets de faire état ici du sentiment général que je retire de leur lecture.

S’il n’y a généralement pas d’omission importante dans la liste des forfaits commis par Pékin, il demeure que certains mots, qui sont très importants à mes yeux, apparaissent trop peu ou sont même absents dans ces divers livres. Je me permets d’en dresser ici une première énumération.

Le Parti Communiste Chinois (PCC). Les auteurs prononcent trop souvent « la Chine » quand il faudrait prononcer « le Parti Communiste Chinois ». En Chine, on est en présence d’un Etat qui n’est absolument pas un Etat ordinaire. Depuis 1949, le PCC a absorbé l’appareil d’Etat chinois en sorte qu’à chaque échelon de cet Etat fantôme, correspond un échelon du Parti qui lui dicte les orientations et les décisions à prendre. Le lieu du pouvoir n’est donc pas un Etat chinois assez fantomatique mais bel et bien le Parti Communiste Chinois lui-même. C’est ainsi le PCC qui est derrière les offensives de « normalisation » et de répression à Hong Kong, au Tibet ou au Sinkiang. C’est aussi le PCC qui officiellement commande directement l’Armée Populaire de Libération, cette armée qui a envahi la Mer de Chine du Sud et qui menace maintenant d’envahir Taïwan…C’est donc bien le PCC et non pas la Chine qui est l’auteur de tous ces forfaits. C’est de toute façon le PCC et non on ne sait quel Etat chinois (sans vraie substance autre que celle du PCC) qui dirige la Chine. Et c’est d’ailleurs en fonction de son intérêt propre que le PCC prend les orientations et les décisions de Pékin.

Le Totalitarisme. La Chine représente un cas historiquement extrême de totalitarisme. C’est pourtant ce mot tabou que la plupart des auteurs renoncent à prononcer sur la Chine. Certains s’autocensurent complètement et préfèrent renoncer à toute caractérisation du régime politique en vigueur à Pékin. D’autres pratiquent une autre autocensure et préfèrent prononcer « autoritarisme » ou « régime autoritaire ». Or, selon les Wikipedia (francophone ou anglophone), la seule définition qu’il serait possible de retenir pour « autoritarisme » en français ou pour « autoritarianism » en anglais ce serait un totalitarisme modéré.

Totalitarisme modéré ? Il s’agit là d’un bel oxymore. Un oxymore qui est en tout cas particulièrement non pertinent dans le cas de la Chine. En réalité, si « autoritarisme » ne se prête pas à une définition, c’est qu’il s’agit seulement d’un euphémisme, un euphémisme qui est pratiqué largement par ceux et celles qui savent très bien que le régime en Chine est totalitaire mais qui n’osent pas prononcer publiquement le mot pour ne pas déplaire à Pékin.

Ce qui est grave, c’est que cet euphémisme « régime autoritaire » évoque dans l’esprit du grand public, un régime qui est moins répressif qu’un « régime dictatorial ». (On dit d’un instituteur qui est jugé trop sévère qu’il est autoritaire ; on ne va pas jusqu’à dire de lui qu’il est dictatorial. « Dictatorial » est donc bien perçu comme plus lourd que « Autoritaire »). Quand on qualifie la Chine d’autoritaire, on laisse entendre, contre toute évidence, que le régime actuel de Pékin serait moins absolu et moins répressif que ne l’étaient le régime de Ben Ali en Tunisie ou le régime de Moubarak en Egypte.

Le Parti-Etat (et non lEtat-Parti). En Chine, encore une fois, l’Etat n’est que le paravent de cet acteur très puissant qu’est le Parti Communiste Chinois. Les deux réalités sont certes fusionnées. Mais la réalité qui préexiste, c’est celle du Parti, l’Etat chinois n’étant que son paravent extérieur.

La Torture. Une très mauvaise habitude a été prise par les analystes et les commentateurs, celle de comptabiliser « la répressivité » d’un régime totalitaire en en décomptant seulement le nombre de ses victimes, c’est-à-dire le nombre de personnes qu’il a tuées. Ce comportement trop habituel des commentateurs est inadéquat. Le PCC post-Mao juge globalement plus efficace de terroriser sa population par de longues périodes d’emprisonnement et de tortures physiques ou mentales plutôt que de procéder à de nombreuses exécutions. Si l’on néglige de prendre en compte toutes ces arrestations arbitraires ou tous ces enlèvements qui sont accompagnés de tortures, on sous-estime gravement l’intensité de la répression qui prévaut en Chine.

La réalité et l’ampleur du phénomène Mingongs. Ils sont pourtant 288 millions d’adultes, hommes et femmes (chiffre officiel du PCC, chiffre émis peu avant la pandémie) qui sont esclavagisés parce qu’aux yeux du PCC, ils sont des « migrants intérieurs illégaux ». Des mingongs qui sont presque tous ouvriers d’usine (les ouvriers d’usine étant eux-mêmes presque tous des mingongs). Ce chiffre est monstrueux et il est lourd de toutes sortes de conséquences. Si on ne se réfère pas à l’existence de ces mingongs, il est impossible d’expliquer le surgissement de l’industrie manufacturière en Chine puis la concentration de l‘industrie manufacturière mondiale sur le territoire chinois (28,7% de l’industrie manufacturière mondiale s’y trouve localisée (chiffre ONU) pour une population chinoise qui représente seulement 17,7% de la population mondiale).

La Stratégie. La plupart des auteurs évoquent les diverses politiques engagées par le PCC : la politique diplomatique de la Chine, sa politique commerciale, sa politique militaire…Ils ne prononcent pas le mot qui est à mes yeux indispensable en cette matière : la Chine a conçu dans les années 1980 une stratégie très précise (qui est à multidirectionnelle et qui vise le très long terme) et elle s’y tient. Cette stratégie du PCC est bien plus calculée et bien plus redoutable que ne l’était celle des dirigeants de l’URSS au sommet de sa puissance.

Lalliance avec la Russie. Le mot est très rarement prononcé alors qu’il s’agit d’une réalité majeure. L’alliance que le PCC a instauré depuis 20 ans avec le KGB de Poutine pèse très lourdement dans le rapport de forces international. Beaucoup trop d’acteurs encouragent encore à penser à tort que la Russie resterait un électron libre ou qu’elle pourrait être très facilement détachée de la Chine. Ce fut le cas de Trump (même s’il fut empêché de se rapprocher de Poutine). C’est aussi le cas en France de nombreux candidats actuels à la présidentielle.

La tactique généralisée de lEmprise. Le PCC a depuis longtemps compris tout l’avantage qu’il peut retirer de l’emprise qu’il a réussi à instaurer sur une personne, sur une entreprise étrangère, sur un pays étranger, sur une organisation internationale…On ne peut pas comprendre les multiples succès diplomatiques inscrits depuis 20 ans par la Chine si on oublie de prendre en compte que la Chine se donne les moyens de « tenir », de « tordre le bras » de nombreux Etats qui en apparence restent totalement souverains. On en a eu d’ailleurs récemment une démonstration éclatante quand le PCC chercha à faire obstruction à ce que l’Australie défende Taïwan. A l’évidence, il exerça d’abord un chantage sur Canberra. Canberra eut le courage d’y résister et de ne pas céder. Ce sont alors des sanctions économiques très lourdes et très coûteuses que Pékin fit tomber sur Canberra.

Le Protectorat. Pékin ne commettra pas l’erreur de s’approprier complètement un pays souverain (sous forme de statut colonial ou d’annexion pure et simple). Il est beaucoup plus intelligent et beaucoup plus confortable pour lui de disposer d’un protectorat de fait sur un pays (et son Etat) et de laisser ensuite les populations concernées s’en prendre à leurs gouvernements locaux successifs (devenus impuissants et impopulaires parce qu’incapables de satisfaire leur population), plutôt qu’à la Chine (qui, par l’emprise qu’elle a instaurée sur le pays, le contrôle de facto et limite la capacité d’action de ses gouvernements successifs).

On aura compris que si les livres récemment publiés sur la Chine présentent l’immense mérite de délivrer une liste des forfaits commis par Pékin, ils ont quand même un défaut, celui de ne pas chercher à délivrer une grille de lecture du Parti Communiste Chinois, de sa nature et de celle du régime qu’il a instauré en Chine en 1949, de ses motivations, de ses objectifs, de sa stratégie et de ses tactiques.

Les exactions, qui sont commises par Pékin et qui désormais sont très bien documentées et récapitulées par de multiples auteurs, donnent légitimement l’intuition que le Parti Communiste Chinois constitue un adversaire redoutable pour la démocratie et pour les libertés individuelles dans le monde. Il est d’autant plus indispensable et urgent de se donner les moyens de l’analyser méthodiquement et de comprendre sa nature, son comportement et sa stratégie.

Dominique Duel

13 décembre 2021

(crédit photo: Flickr | Gauthier Delecroix)

17 Déc 2021


Pierre-Antoine Donnet : Chine, le grand prédateur, éd. de l’Aube 2021, 336p., 24 euros

Je lis le dernier livre de Pierre-Antoine Donnet. je le relis et rerelis quand je peux car je n’arrive pas à en faire un article qui me satisfasse. En tout cas je suis étonné de la superficialité des deux critiques de l’ouvrage que j’ai lues, l’une dans La Croix, l’autre dans Le Monde.

Ils font l’impasse sur ce que je juge le plus important. Extrait du Monde : « A la fois essai engagé et mini-encyclopédie sur la Chine de Xi Jinping, ce livre traite cinq questions : la « tragédie des Ouïgours et des Tibétains », l’environnement, les technologies, les droits de l’homme et la diplomatie. Sur tous ces sujets, le savoir de l’auteur est impressionnant. « 

Curieux que Le Monde n’évoque même pas ce qui fait la plus importante partie de l’ouvrage : un conditionnement des esprits et une surveillance rigoureuse sans précédent dans l’Histoire, une mainmise croissante sur l’information partout dans le monde, sur le travail journalistique, y compris des journalistes étrangers en Chine, la réécriture de l’Histoire qui ne concerne pas que l’occultation des horreurs surréalistes que seul un régime marxiste est capable de commettre mais qui remonte aussi aux origines de l’Histoire : même l’archéologie est devenue un enjeu idéologique et politique. Les archéologues sont invités à démontrer que l’invention de l’écriture a eu lieu en Chine, et que la civilisation chinoise est antérieure à celles de Mésopotamie et d’Egypte.

Les enfants sont porteurs d’une puce électronique dès 6 ans permettant de suivre leurs déplacements et activités. Le marxisme est enseigné dès le plus jeune âge, et le suivi est constant au sein du Parti. Le culte de la personnalité de Xi confine au délire ubuesque et là est d’ailleurs un talon d’Achille du régime repéré par Veron et Lincot dans leur  ouvrage « La Chine face au monde : une puissance résistible » édité chez Capit Muscas.

Le Monde et La Croix éludent aussi les chapitres détaillant l’investissement (particulièrement en Australie qui a mis un STOP en affirmant qu’il y a plus important que les intérêts commerciaux) des secteurs de l’enseignement, de la culture (spécialement le cinéma), des partis politiques et groupes d’influence de tous bords, du tourisme, des réseaux sociaux et forums (+ cyberguerre extrême) ; en outre la RPC utilise nos autocritiques à la mode et notre propre mise en exergue de nos défauts ou soi-disant tels et de faits divers qui ternissent notre image, tel l’affaire George Floyd, qui prouverait la supériorité du système chinois (sic!).

Ajouts personnels : les grands médias chinois ont attribué la victoire d’Emma Raducanu à l’US Open, au fait que sa mère est chinoise et à l’énergie que cette origine lui a insufflée (sic aussi!) La glorification fantasmatique de la race Han ajoutée à l’évocation d’un empire de 1000 ans, fait penser qu’ici le totalitarisme marxiste-léniniste-maoïste rejoindrait le nazisme mais non, le premier est infiniment plus totalitaire !

J’ai visité une expo, à Bruxelles, sur la construction du plus long chemin de fer du début du XXème siècle entre Pékin et Wuhan et du plus long pont du monde de l’époque par des travailleurs chinois sous la direction d’ingénieurs belges. Expo à laquelle ont collaboré les Chinois, donc : Hologrammes, films, photos, commentaires, textes, donnent un récit apocalyptique (et partiellement exact) de l’intervention des puissances occidentales, du Japon et de l’Inde. Pour une fois, un chiffre : la révolte des Boxers et sa répression auraient fait 30 millions de morts (?)

Pierre Druez

LE PARTI COMMUNISTE CHINOIS, LE GRAND ADVERSAIRE DE LA DEMOCRATIE DANS LE MONDE.

Le commentaire enthousiaste que Pierre Druez a donné au livre de P-A. Donnet intitulé « Chine, le grand prédateur » a mis en appétit notre ami Dominique Duel, intervenant fréquent dans ces colonnes où il explique pourquoi à ses yeux le Parti communiste chinois est le grand adversaire de la démocratie dans le monde. Il s’est procuré l’ouvrage, l’a lu attentivement et nous livre ici ses propres commentaires, quelques semaines après ceux de Pierre Druez. Ils se ramènent à quatre qu’il explicite ci-dessous :

Ce livre est un recueil très précieux de données factuelles sur « la Chine » et sur beaucoup de ses multiples exactions.

Ce livre n’est toutefois pas exhaustif. Il est vrai qu’il est difficile d’évoquer, tant elles sont nombreuses, toutes les exactions commises par Pékin et toutes les menaces qu’il fait peser sur le reste de la planète. Mentionnons quand même ici quelques oublis qui sont regrettables :

  • La surexploitation monstrueuse que le Parti Communiste inflige aux ouvriers d’usine en Chine.
  • La désindustrialisation qu’elle a infligée aux autres pays du monde et la déstabilisation, d’abord sociale puis politique, qui en résulte pour eux.
  • Le surendettement extérieur auquel « la Chine » contraint de très nombreux pays afin de se les soumettre ensuite géopolitiquement.
  • Le contrôle que la Chine a obtenu de l’ONU et de ses filiales, y inclus l’OMS, la FAO,…
  • Son alliance géopolitique avec la Russie de Poutine et du KGB.
  • Son alliance géopolitique avec l’Iran des ayatollahs
  • Son soutien à tous les régimes dictatoriaux et totalitaires en particulier quand il s’agit d’y réprimer les mouvements populaires pro-démocratie.

Mais ce livre souffre d’un défaut : l’auteur désigne comme notre adversaire la Chine quand il devrait en réalité désigner le Parti Communiste Chinois. Ce qui n’est pas du tout la même chose.

Si on fait une analyse terminologique de son livre, on se rend compte que, pour P-A. Donnet, c’est la Chine qui est désignée comme l’auteur de toutes les exactions citées alors même que leur véritable auteur est le Parti Communiste Chinois (il est le Parti-Etat qui prend toutes les décisions importantes en Chine).

La confusion regrettable que P.A. Donnet entretient entre la Chine et le Parti Communiste Chinois finit par devenir insupportable lorsqu’on se rend compte qu’elle est maintenue tout au long du livre.

La Chine et le PCC sont deux réalités qui sont intrinsèquement distinctes. Tout comme le Cambodge et les Khmers Rouges étaient deux réalités distinctes entre 1975 et 1979.

Il ne s’agit pas ici d’un pinaillage sémantique. Si l’on veut comprendre ce qui inspire Pékin, il est déterminant de savoir si Pékin, c’est la Chine, un pays ordinaire qui aurait pour principale particularité d’être immense, ou bien si Pékin, c’est le Parti Communiste Chinois (le PCC) avec ses singularités à la fois multiples et redoutables.

Tout auteur qui traite de la Chine contemporaine, se devrait, à mes yeux, de clarifier d’emblée quelle est la situation qui prévaut en Chine : le PCC est cette organisation qui s’est imposée par la force à la population chinoise en 1949 (non pas après un scrutin démocratique mais après une victoire militaire contre le Kuomintang au terme d’une guerre civile intense) ; il a alors institué un régime analogue à celui de l’URSS qu’il a réussi à maintenir depuis lors.

L’auteur exprime, dans son avant-propos, son « déchirement » entre son attrait pour « la Chine » et son dégoût pour les décisions prises par « la Chine ». Il n’y a pourtant pas lieu à un tel déchirement. Dès lors que l’on distingue bien la Chine du PCC, il devient loisible d’apprécier la population chinoise et simultanément de détester le Parti Communiste Chinois.

Et ce défaut du livre en induit un autre. Pour avoir occulté que le Parti Communiste Chinois se cache derrière « la Chine », l’auteur omet tout naturellement de désigner très précisément quelle est la nature du régime politique que le PCC a imposé à la Chine depuis 1949.

Or c’est un régime franchement totalitaire que le PCC a instauré en 1949 pour le maintenir ensuite sans discontinuer.

Le régime institué par le PCC présente en effet les traits communs qu’ont partagé l’URSS bolchevique (1917-1989) et l’Allemagne nazie (1933-1945), ces deux expériences historiques qui ont été « les matrices du totalitarisme ». Ces traits communs sont devenus très naturellement les caractéristiques qui permettent de désigner quels sont les vrais régimes totalitaires :

  • Une idéologie (une conception du monde) qui est très particulière ;
  • Un Parti (ou un mouvement assimilable) qui s’empare de cette idéologie ;
  • Une fraction de la population, minoritaire mais significative, qui se radicalise et qui se mobilise autour de cette idéologie et de ce Parti (avant même sa prise du pouvoir) ;
  • Une prise du pouvoir (le plus souvent par la ruse ou par la force) par ce Parti en dépit de son caractère numériquement minoritaire dans la population ;
  • L’instauration du Parti comme le Parti Unique assortie d’une abolition de tout droit d’association ;
  • La prise définitive par le Parti Unique de tous les pouvoirs institutionnels dans le pays : exécutif, législatif, judiciaire, militaire, médiatique, universitaire. Ainsi l’Etat disparaît au profit d’un Parti-Etat qui domine toutes les dimensions de la société ;
  • La domination, directe ou indirecte, de l’économie du pays ;
  • L’obligation imposée à toute la société comme à chacun de ses ressortissants de se soumettre à l’idéologie spécifique du Parti Unique.
  • Pour couronner le tout, un système de coercition et de répression qui ne rencontre aucune limite puisque le Parti Unique au pouvoir contrôle totalement la Justice et qu’il n’existe aucun élément de contrepouvoir.

Le régime politique instauré à Pékin en 1949 (et maintenu depuis lors) coche toutes les cases de ces critères. C’est pourquoi il est à la fois légitime et indispensable de prononcer le verdict qui convient : le régime politique en Chine est un régime totalitaire. Il faut à cet égard déplorer que pour qualifier le régime de Pékin, P-A Donnet n’utilise jamais ce mot, un mot qui par ailleurs est à l’évidence tabou aux yeux du PCC.

Et ces deux défauts en induisent un troisième. Après avoir omis de qualifier le régime du PCC comme totalitaire, P-A Donnet omet, assez naturellement, de s’intéresser à la démarche internationale qui est celle du PCC.

Or la démarche internationale du PCC se traduit par une ambitieuse stratégie à long terme. Elle a été conçue par le PCC en réaction à la gifle retentissante que la population chinoise lui avait infligée à Tien anmen en juin 1989. Elle fut mise en œuvre avec succès par le PCC à partir de 2001, après que les grands pays démocratiques eurent commis l’énorme erreur d’accepter la Chine totalitaire au sein de l’OMC sans même exiger d’elle quelque contrepartie.

Tout en amont, la motivation du PCC consiste à protéger encore plus complètement la pérennisation de son régime totalitaire. Il s’agit pour lui deneutraliser totalement (ou mieux encore d’abolir) les démocraties qui se maintiennent à l’extérieur de son territoire parce qu’elles seraient susceptibles de contribuer à maintenir dans la population chinoise une attirance pour la démocratie et les libertés individuelles.

De ce fait, son objectif stratégique consiste à combattre par tous les moyens les grandes démocraties jusqu’à les déstabiliser totalement. Il lui suffirait pour cela d’infliger aux Etats Unis une défaite géopolitique irréversible (militaire ou non militaire).En effet, sans les Etats Unis, le camp des pays démocratiques aurait un poids géopolitique insignifiant.

Pour atteindre cet objectif stratégique, le PCC a adopté une stratégie mercantiliste de très grande envergure qui consiste à fabriquer toutes sortes de produits made in China. Ceux-ci sont manufacturés « à des coûts imbattables » et délivrés ensuite « à des prix imbattables » et de ce fait ils envahissent le marché mondial en portant un tort immense à la santé économique et sociale de tous les autres pays.

En simplifiant, cette stratégie repose sur quatre piliers :

  1. Une sous-évaluation, délibérée et prolongée, du yuan d’environ 40% contre toutes les autres grandes monnaies
  2. Un lourd subventionnement, plus ou moins discret, des entreprises manufacturières par le Parti-Etat chinois
  3. Une main d’œuvre ouvrière d’usine que le PCC a « réussi » à esclavagiser : 288 millions de chinois en âge de travailler (soit 30% de la population en âge de travailler) sont des mingongs. Qui sont donc ces mingongs ? Ce sont des ex-paysans ou des ex-ouvriers qui ont été obligés depuis les années 80 de quitter, faute d’emploi disponible localement et en l’absence de tout dispositif d’indemnisation du chômage, les provinces intérieures où ils étaient nés pour se rendre sur les provinces côtières où le PCC avait soudainement encouragé une industrialisation intense.

Comme le PCC a refusé délibérément de leur accorder le hukou (le papier qui les aurait autorisés à migrer de leur province natale vers une autre province), ces migrants intérieurs sont devenus des mingongs (des migrants intérieurs sans-papiers).

Pour s’être obstinés à survivre avec un emploi salarié même précaire, ils se retrouvent dans l’illégalité au regard des règles qui ont émises discrétionnairement par le PCC.

Ils sont de ce fait totalement dépourvus de quelque pouvoir de négociation salariale vis-à-vis des usines qui les embauchent. Le salaire horaire qu’ils touchent et le coût salarial horaire qu’ils occasionnent à leurs employeurs est absolument dérisoire.

A cet égard le PCC de Deng xiaoping a réalisé un véritable « exploit anti-social », un « exploit » qu’aucun autre régime politique n’a réalisé dans l’époque moderne.

Et si le PCC de Deng a pu y parvenir, c’est parce que seul un régime franchement totalitaire comme le sien pouvait se permettre de tenter un tel « exploit » et de le réaliser. Un régime seulement dictatorial n’aurait pas pu y parvenir.

  1. L’obtention par le PCC de l’adhésion de la Chine en 2001 à l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce), grâce à laquelle plus aucun pays du monde ne pouvait maintenir ou instaurer des protections douanières à l’encontre des produits manufacturés made in China (produits que les trois premiers dispositifs rendaient par ailleurs super-compétitifs au niveau mondial).

C’est cette stratégie mercantiliste, très déloyale et très machiavélique, qui est à la base des multiples succès géopolitiques obtenus par Pékin depuis 2001 (ses suprématies sur les plans industriel, commercial, économique, financier, diplomatique qui s’ajoutent à sa suprématie démographique ; son contrôle croissant des espaces terrestres, maritimes et spatiaux ainsi que des ressources rares).

Cette stratégie n’est malheureusement jamais évoquée par l’auteur ni pour expliquer la montée en puissance effectuée par le PCC, ni non plus pour expliquer l’arrogance et l’agressivité que celui-ci se permet désormais et qui selon moi devrait encore s’accentuer.

En conclusion, le livre de P-A. Donnet est très précieux par le fait quil énumère et quil documente les multiples exactions et forfaits commis par Pékin. Mais ce livre, comme dautres avant lui, voit la portée de son message limitée parce quil sabstient dexpliquer qu’à Pékin, ce nest pas le peuple chinois qui gouvernerait souverainement mais cest le Parti Communiste Chinois qui gouverne après avoir usurpé en 1949 le pouvoir (tous les pouvoirs) à son profit et pour très longtemps.

Ce livre ne fournit pas aux démocrates la grille de lecture qui leur est pourtant indispensable pour comprendre la nature de ce Parti Communiste Chinois, la motivation qui lanime, lobjectif géopolitique quil sest assigné, la stratégie internationale antidémocratique quil a engagée pour y parvenir.

A lheure où le PCC savère comme le principal promoteur du totalitarisme sur la planète et où il est devenu ladversaire le plus déterminé et le plus dangereux de la démocratie et des libertés dans le monde, la tâche essentielle consiste à lanalyser sous tous ses aspects de façon à élaborer la contre-stratégie efficace qui permettrait de sopposer à lui.

Dominique Duel. 12 novembre 2021

27 Sep 2021


Débat sur Xi Jinping au sein des amis d’Histoire et Liberté

Nous sommes partis d’un article publié par Le Monde. Son auteur? Le correspondant à Pékin du journal, un des analystes les plus pertinents de ce qui se passe en Chine. On peut résumer cet article, en donner quelques extraits significatifs et faire part à nos lecteurs des premières réactions qu’il a suscitées parmi nous.

L’article s’intitule « l’inquiétante dérive maoïste de Xi Jinping ». Falletti y explique que le n°1 chinois accentue la mainmise du Parti sur l’économie et sur l’idéologie. Dans ce dernier domaine, un des exemples les plus frappants est le fait que, depuis le 26 août, toute référence à la star Zhao Wei a été brutalement «effacée» des moteurs de recherche. Sans doute Zhao Wei a-t-elle payé ses liens étroits avec Jack Ma, « le tycoon fondateur d’Alibaba, lui aussi dans le viseur des autorités ».

« La deuxième économie mondiale, souligne Falletti, multiplie (…) les mesures contre les «idoles efféminées», – c’est le pouvoir chinois qui parle – au nom de la «culture socialiste», et met au pas les géants du privé comme Alibaba. » «Il faut réglementer les revenus excessivement élevés et les encourager à récompenser davantage la société», a même déclaré le n°1 du PCC, « annonçant implicitement de nouvelles taxes sur le grand capital », et se drapant plus que jamais dans le marxisme.

Cette offensive de Xi contre le «grand capital» est reprise par la presse du Parti qui accuse de  manque de patriotisme les grands groupes privés. Renouerait-on avec la Révolution culturelle lancée par Mao ? Cela ne fait guère de doute pour Falletti qui note finement que le président Xi a résolument donné un coup de barre à gauche le 17 août, en brandissant le slogan de «la prospérité commune». « La formule a fait mouche, commente-t-il, car elle remet au goût du jour une expression datant de la collectivisation des terres des grands propriétaires privés dans les années 1950, à l’aube de la Chine maoïste..

Mais ce tour de vis étatiste ne s’exerce pas sans susciter des réactions : il a d’abord semé l’inquiétude chez les investisseurs, au point que le vice-premier ministre Liu He, fidèle de Xi, est monté au créneau pour tenter de les rassurer. « Ces changements de pied trahissent la nervosité du régime face aux défis sociaux croissants, à l’heure du ralentissement structurel de la seconde économie mondiale, qui n’a pas retrouvé le niveau d’activité d’avant la pandémie, et voit ses inégalités de revenus se creuser. 1 % des Chinois détiennent 30,6 % de la richesse nationale (…) Conscient du danger, le pouvoir se drape en protecteur des forçats de la tech, livreurs à domicile, imposant des mesures de revalorisation aux géants du secteur, mais veille à étouffer tout mouvement syndical d’ampleur ».

Ce «virage» socialiste trouve aussi son origine dans le contexte d’affrontement stratégique avec Washington. Cet affrontement « conduit Xi à exhorter l’autosuffisance» du pays dans des secteurs clés comme les semi-conducteurs, mais aussi soutenir la consommation intérieure pour réduire sa dépendance toujours forte aux exportations ».

Grand recentrage sur le marché intérieur,(…) donc et isolement accru de la population « sous la bannière d’un nationalisme toujours plus décomplexé pointant du doigt l’Amérique et pourfendant les influences occidentales, pour mieux célébrer le retour à la morale «socialiste», et «l’excellence de la culture traditionnelle chinoise», mariant Marx et Confucius. Tout en imposant un discret culte de la personnalité, marqué par l’inscription de la «pensée de Xi Jinping» dans les programmes scolaires obligatoires, depuis la rentrée » .

Certes, reconnaît Falletti, « dans le théâtre d’ombres du Parti, difficile de distinguer les contours des luttes internes féroces, qui se déclinent par des références obliques, et métaphores, susurrées derrière les portes closes de Zhongnanhai, épicentre du pouvoir rouge, à une encablure de la Cité interdite. Les opposants existent cependant, même s’ils n’osent pas contester frontalement cette fuite en avant. Mais en coulisse, les inquiétudes percent en ombres chinoises. «La réunion de Beidaihe s’est mal passée. Certains hauts grades de l’Armée populaire de libération ont appelé à calmer le jeu sur le front extérieur, car ils ne veulent pas payer la facture en cas de crise» ». D’autres formulent des souhaits qui ressemblent à des désaccords : «J’espère que tout le monde est convaincu que la ligne de réforme et d’ouverture de la Chine ne changera pas» », écrit un éditorialiste connu du Global Times .

Xi rencontre donc réticences et résistances, au point qu’André lançait avec humour « Ça branle dans le manche pour Xi! » Et Pierre ajoutait : « Outre ces difficultés actuelles, et celles à  venir dans les prochaines décennies, divers facteurs rendent l’avenir de la Chine incertain : les grands groupes se laisseront-ils faire ? La jeunesse se laissera-t-elle faire? ».

Dominique Duel fit savoir qu’ « il n’était pas d’accord avec un tel optimisme qui amenait à retenir le scénario d’un effondrement du régime chinois ».

Aucun d’entre nous, répondit André n’envisageait l’effondrement du régime chinois. Nous prenions seulement en considération les analyses sans complaisance des spécialistes qui pointent les faiblesses structurelles du régime.

Mais laissons Dominique Duel développer son point de vue :

« Pour ma part, je reconnais que le PCC prend le risque de provoquer quelques remous et quelques mécontentements en Chine. Mais je privilégie l’idée que le PCC vise surtout à mobiliser son économie, sa société et sa population  pour être soutenu dans l’affrontement qu’il prépare contre les Etats Unis et leurs alliés.

Réformes économiques fracassantes ? Il s’agit pour Xi de passer d’un Capitalisme d’Etat à un Capitalisme d’Etat dans sa phase guerrière (style des pays belligérants en 14-18). La High Tech chinoise doit se reconvertir à la recherche armements et s’y mobiliser

Réformes sociétales soudaines (limitation des jeux vidéos pour les jeunes , campagne contre les stars et contre les efféminés) ? il s’agit pour Xi de mieux militariser la jeunesse pour l’enrôler dans les combats extérieurs qui viennent.

Dénonciations spectaculaires par le PCC des riches chinois et de leurs profits ? Il s’agit pour Xi de recourir momentanément au populisme et de présenter (artificiellement) à la fraction non élitaire de la population que le PCC n’a jamais autant pensé à elle, de façon à homogénéiser la population chinoise et à la mobiliser derrière le PCC dans les combats extérieurs qu’il prépare.

Alors que le PCC prépare l’affrontement, Biden n’avance par ailleurs pas beaucoup. C’est Soros qui est obligé de monter au créneau pour dénoncer Wall Street et en particulier l’entreprise BlackRock (gestion de fortunes et de gestion de fonds d’investissement) qui entend organiser un flux massif de dollars des Etats Unis vers la bourse chinoise et la Chine. Il est le seul à dénoncer le comportement antipatriotique qui est celui de BlackRock (et aussi de Goldman Sachs et autres).

Ne nous trompons pas. Le PCC n’est pas du tout en position de faiblesse.

Il vient même de marquer un énorme point en Afghanistan avec la complicité de ses alliés iraniens et pakistanais, preuve supplémentaire de l’alliance qui s’est formée entre les deux sortes de totalitarismes, celui ethno-nationaliste et parti-cratiste de Pékin/Moscou et celui théocratique de Téhéran/Frères Musulmans ».

Personne n’envisage-t-il vraiment l’effondrement du pouvoir chinois?

« Moi si, rétorque Pierre Druez, mais à terme, d’ici 10, 30 ou 100 ans peut-être.

Et entretemps tout est possible, même la guerre nucléaire, improbable, n’est pas à exclure.

Il faut bien prendre conscience que nous sommes en guerre même si elle reste non déclarée comme telle et que ce n’est pas encore une 3ème guerre mondiale – qui serait la plus chaude de toutes ! 

Il faut faire savoir que l’Occident représente les valeurs qui sont celles du genre humain et qu’il fait face au plus gros monstre engendré par le marxisme, beaucoup plus puissant, potentiellement, et dangereux, que l’ex-URSS. Mais je suis quasi certain que le PCC est le dernier avatar de l’absurdité marxiste et de l’abominable machine léniniste de déshumanisation. 

Le peuple chinois semble aveuglé et fanatisé par un conditionnement idéologique et un nationalisme exacerbé mais l’est-il vraiment, aveuglé ? Sa jeunesse l’est-elle vraiment, fanatisée ?  Peut-on le rester avec les multiples échanges de toute espèce en augmentation exponentielle même filtrés, censurés, réglementés, réprimés ?

L’erreur majeure il me semble serait de lui opposer d’autres nationalismes,  étroitismes, censures et répressions, en ordres dispersés et antagoniques ! 

Je crois que la fuite en avant du régime chinois est intenable à terme. J epense que l’accentuation du contrôle, du conditionnement, de la maîtrise de tout un chacun, pensées comprises, non seulement en Chine mais de tout un chacun dans le monde, va finir par mener le PCC de Xi à une impasse, face à une muraille infranchissable et, en définitive, à l’implosion ou à la libéralisation.

Simplement parce que son projet est incompatible avec la nature humaine. 

L’homme n’est pas fait pour le mensonge incessant, pour se savoir surveillé constamment, pour la corruption à tous les niveaux, pour le double think et le double fonctionnement, pour vivre continuellement sous une épée de Damoclès, pour l’esclavage. 

L’homme, profondément, même s’il est ignare, cupide, stupide, peureux et paresseux, a soif de liberté, de savoir, de vérité, de générosité, de compassion, de cohérence, de créativité, de découverte. Il finit toujours par rejeter la surréalité imposée par tout régime d’inspiration marxiste, il sentira que cette Histoire qu’on entend lui imposer est refaite, que cette nature est fictive, que cette nature humaine n’est pas la sienne, que ce Xi et ce Mao sont des épouvantails grotesques, que la vision marxiste du monde est une imposture.

« Cher Pierre, lui répondit Dominique Duel, on est obligé de rester optimiste sur la nature humaine. Sinon, il n’y a qu’une option, se résigner à la passivité.

Mais, même si notre hypothèse sur la nature humaine se vérifie, cela ne nous garantit absolument pas d’éviter que ne s’instaure un réseau mondial de régimes totalitaires.

Pour moi, le livre 1984 de George Orwell nous délivre le message suivant : « Ne comptez pas qu’un réseau de héros humanistes puisse se mettre en place pour renverser un régime totalitaire une fois qu’il est complètement installé ». Et George Orwell, muni de son aura de militant anti-totalitaire a eu l’immense mérite de nous délivrer ce message majeur.

C’est ce message, énoncé dans les années 50 et malheureusement maintes fois confirmé un peu partout, qui base ma grille de lecture actuelle : Xi, Kim, Poutine, Loukachenko, les Ayatollahs, les Talibans, les Frères Musulmans partagent une même détestation de la démocratie, de l’idée même de démocratie et de libertés individuelles. Seul le régime totalitaire leur convient et en dépit de leurs différences, ils ont pactisé entre eux pour défaire définitivement le camp des pays démocratiques (dont, qu’on le veuille ou non, le leadership est tenu par les Etats Unis). C’est là où nous en sommes. »

Qui poursuivra la discussion ?

(crédit photo : https://www.flickr.com/photos/unisgeneva/32270494731)

27 Sep 2021


25 août 2021

Comprendre la Politique Extérieure Du Parti Communiste Chinois

Plus que jamais, il nous faut relire 1984 de George Orwell. Le principal message qui émane de la célèbre fiction me semble être le suivant : une fois qu’un régime totalitaire est installé, il est vain de croire et d’attendre que des héros individuels puissent se mettre en réseau et organiser valablement un mouvement intérieur de résistance qui devienne ensuite assez significatif pour obtenir in fine le renversement de ce régime totalitaire.

S’il fallait des vérifications supplémentaires de la validité de ce message d’Orwell, il suffit de se référer au sort tragique que le régime totalitaire chinois réserve non seulement aux personnalités et aux militants pro-démocratie mais aussi aux personnages simplement susceptibles de porter ombrage au pouvoir monopolistique du Parti Unique ; il suffit de se référer à l’ impuissance relative que connaissent malheureusement les résistants ouïghours face au rouleau compresseur que le Parti Communiste Chinois déploie au Sinkiang contre leur population ; il suffit de se référer à la chape de plomb que, depuis le 30 juin 2020, en abolissant brusquement le statut spécial de Hong Kong, le Parti Communiste Chinois a fait tomber sur le territoire, transformant les millions de Hong-Kongais, qui avaient pendant plusieurs mois manifesté héroïquement dans la rue pour la démocratie, en autant de personnes atomisées et terrorisées parce que désormais menacées arbitrairement de lourdes années d’emprisonnement.

En réalité, Orwell a raison : une fois qu’un régime totalitaire est installé, il est quasiment « indégommable » par un mouvement intérieur.

C’est donc préventivement que les populations concernées doivent agir pour empêcher que des minorités significatives, radicalisées et organisées autour d’une idéologie particulière, n’installent un régime totalitaire.

Rappelons à ce sujet que juste après le Coup d’Etat opéré par Lénine en octobre 1917, les Bolcheviques ne recueillirent que 23 % des suffrages à l’élection Constituante de Russie de novembre 1917 (ce qui vérifie le manque d’adhésion populaire aux Bolcheviques et à leur putsch). Rappelons aussi qu’aux élections législatives de novembre 1932, peu avant son Coup de force de mars 1933, Hitler n’avait recueilli que 33% des suffrages.

Un tel manque initial d’adhésion populaire n’a pourtant empêché ni l’instauration par les Bolcheviques de leur régime totalitaire en URSS (il aura duré 74 ans), ni l’instauration d’un autre régime totalitaire par Hitler en Allemagne (un régime que la majorité de la population allemande défendit jusqu’au bout face aux armées alliées).

Pour aller plus loin dans l’appréhension de la solidité ou, au contraire, de la vulnérabilité des régimes totalitaires, il faut prendre en compte deux observations majeures depuis que le phénomène totalitaire est apparu (au début du XXème siècle).

Première observation : nombre de régimes totalitaires restent durablement en place et n’ont même jamais été renversés depuis leur instauration (Chine depuis 1949, Corée du Nord depuis 1953, Cuba depuis 1965, Syrie depuis 1970, Vietnam depuis 1975, Iran depuis 1979, Venezuela depuis 2000). Cela confirme, hélas, la robustesse des régimes totalitaires une fois qu’ils sont installés.

Deuxième observation. Il se trouve que quelques régimes totalitaires, même très importants, ont quand même fini par chuter : l’Allemagne nazie et le Japon de Hiro Hito en 1945, les Khmers rouges au Cambodge en 1979, l’Argentine des colonels en 1982, l’URSS en 1991. Mais si ces quelques régimes totalitaires ont fini par chuter, ce ne fut pas principalement en conséquence d’un mouvement intérieur de résistance mais principalement en conséquencede leurs échecs en politique extérieure :respectivement, la défaite en 1945 de Berlin et Tokyo dans la Deuxième guerre mondiale, l’intervention en 1979 de l’armée vietnamienne au Cambodge, la défaite en 1982 des colonels argentins aux Malouines, la défaite de l’URSS en 1991 largement imputable à deux facteurs de politique extérieure (l’enlisement de l’Armée Rouge en Afghanistan et ce qu’on a appelé la Guerre des Etoiles).

Si l’on conjugue ces deux observations distinctes, on en conclut que la vraie vulnérabilité qui pèse sur les régimes totalitaires avérés provient de leur environnement extérieur.

C’est précisément parce qu’il est conscient que subsiste une vulnérabilité extérieure (pour son régime totalitaire comme pour les autres) que le Parti Communiste Chinois a adopté autour de 1990 une stratégie ambitieuse qu’il déroule méthodiquement depuis plus de 30 ans.

De quoi s’agit-il ?

En 1989, le Parti Communiste Chinois s’employa à réprimer dans le sang, à Tian Anmen, le mouvement pro-démocratie le plus important qu’ait connu la Chine. Ne se contentant pas d’avoir surmonté ce mouvement pro-démocratie par une répression sanglante, le Parti Communiste Chinois a tenu à analyser et a conclu ceci : pour garantir totalement la pérennité de son régime totalitaire, la répression intérieure ne suffit pas ; il lui faut aussi « se protéger de l’extérieur ».

De ce point de vue, il lui devenait en particulier insupportable que les Etats Unis puissent continuer à démontrer concrètement, à la population chinoise et aux autres populations du monde, que la démocratie était parfaitement compatible avec la prospérité économique et la puissance géopolitique ; le Parti Communiste Chinois considérait (sans doute à juste titre) que cet exemple américain avait même beaucoup contribué à ce que la jeunesse chinoise ose prendre le risque en 1989 de réclamer la démocratie par des manifestations de rue prolongées.

Depuis lors, l’objectif prioritaire du PCC en politique extérieure consiste à éradiquer de la planète les régimes démocratiques et l’idée même de démocratie.

Cela se traduit par une politique extérieure qui revêt trois dimensions complémentaires :

Première dimension : la Chine soutient systématiquement les régimes totalitaires et les régimes dictatoriaux et les aide à réprimer et à vaincre les mouvements pro-démocratie, très importants et très héroïques, qui prennent le risque de manifester et de lutter contre eux. C’est ce que l’on a vu dans les dernières années en Iran (2009 puis 2017/2018 et encore 2019/2020), en Syrie (2011/2016), au Venezuela (2015/2019), au Zimbabwe (2019), au Soudan (2019), en Algérie (2019), en Thaïlande (2020/2021), en Birmanie (2021), en Biélorussie (2021). Dans tous ces pays évoqués, le Parti Communiste Chinois s’est tenu et se tient encore contre les populations et derrière les régimes antidémocratiques (qu’ils soient dictatoriaux ou totalitaires) et leurs forces de répression.

Deuxième dimension : la Chine s’active à resserrer les liens entre les régimes totalitaires avérés. On voit ainsi se constituer sous nos yeux un véritable Front des Régimes Totalitaires dont le noyau dur est la Chine et qui regroupe autour d’elle la Corée du Nord, Cuba, le Venezuela, la Russie, la Biélorussie et ce régime totalitaire théocratique qu’est l’Iran avant d’accueillir probablement en son sein un autre régime totalitaire théocratique, celui des Talibans. Ce Front bien entendu a vocation à admettre aussi des régimes dictatoriaux qui ne sont pas (ou ne sont pas encore) des régimes totalitaires avérés.

Troisième dimension : la Chine vise à infliger une défaite définitive aux Etats Unis. Si l’ensemble de la planète devait passer sous le joug de divers totalitarismes selon le souhait de Pékin et de Moscou, le Parti Communiste Chinois serait pleinement rassuré : il n’y aurait plus d’environnement extérieur à partir duquel son régime totalitaire ou les autres régimes totalitaires pourraient être déstabilisés. Le jour où le monde entier serait entièrement soumis à divers régimes totalitaires, les libertés individuelles et les droits humains seraient éradiqués partout et définitivement. C’est dans cette optique que la Chine et ses alliés sont décidés à infliger une défaite définitive aux Etats Unis.

Une défaite géopolitique majeure des Etats Unis serait en effet aussi une défaite de tous les pays démocratiques. A part les Etats Unis, aucun autre pays démocratique n’a la capacité militaire de s’opposer valablement à l’Armée Rouge ou à l’Armée Populaire de Libération. Si les Etats Unis étaient vaincus par la Chine et le Front des Régimes Totalitaires, ce serait donc un triomphe planétaire pour le camp totalitaire et un effondrement dramatique de tout le camp démocratique. Depuis que, fin juin 2021, à l’occasion du centenaire du Parti Communiste Chinois, Xi Jinping a déclaré, devant les millions de militaires de l’Armée Populaire de Libération réunis au garde à vous devant des écrans géants décentralisés, qu’il leur fallait préparer la guerre, il est devenu encore plus évident que la Chine et le Front des Régimes Totalitaires visent désormais à infliger une telle défaite décisive aux Etats Unis.

Ces trois dimensions de la politique extérieure du Parti se complètent pour réaliser les deux objectifs jumeaux qu’il poursuit depuis 1989 : instaurer une hégémonie impérialiste de la Chine sur le monde mais aussi et surtout détruire tout fonctionnement démocratique sur la planète afin de préserver définitivement son régime totalitaire en Chine. Ce sont ces deux objectifs jumeaux que Xi Jinping résume d’ailleurs par une formule hypocrite, celle du « rêve chinois ».

Face à cette redoutable stratégie du Parti Communiste Chinois, la responsabilité qui incombe aux pays démocratiques et aux démocrates, c’est de tout mettre en œuvre pour y faire obstruction, c’est en particulier d’organiser, autour des Etats Unis, l’alliance, politique et militaire, la plus large possible et la plus solide possible, des pays démocratiques.

Dominique Duel

(crédit photo : https://www.flickr.com/photos/remkotanis/8165922995)

27 Août 2021


Chine : l’« avantage » stratégique d’une Justice aux ordres

Nous savons qu’en Chine, comme dans tout Etat marxiste-léniniste, la justice est aux ordres du pouvoir exécutif, qu’elle se trouve très concrètement, constamment, soumise à la tête du Parti Communiste. 

L’actualité nous fait constater, une fois encore, que cette caractéristique constitue un sérieux avantage de négociation avec les Etats occidentaux. Comme du temps de l’URSS quand un de ses espions, ou agents, important, était démasqué et arrêté en Occident : à défaut de véritable espion détenu et échangeable, le PCUS faisait alors arrêter un Occidental sous n’importe quelle raison ou prétexte. Ou alors on utilisait des prisonniers politiques ou, par exemple, un Soviétique incarcéré pour délit d’opinion qui avait la chance insigne d’être connu en Occident.  Ensuite on négociait une libération, réciproque mais généralement déséquilibrée. Tel l’échange, en 1976, entre Luis Corvalan, secrétaire général du PC chilien et Vladimir Boukovski, enfermé dans un « asile psychiatrique » depuis une dizaine d’années, car déclaré « fou » pour avoir exprimé une pensée divergente de la ligne du Parti.

La RPC procède de même aujourd’hui

Meng Wanzhou,  fille du fondateur de Huawei, et directrice financière du leader mondial des équipements et réseaux 5G, d’une importance de contrôle stratégique extrême, comparait jusqu’au 20 août devant une Cour canadienne qui statuera sur son extradition vers les Etats-Unis. Mme Meng est officiellement soupçonnée de fraude bancaire liée aux sanctions contre l’Iran. Bien sûr la réalité est sans doute plus complexe, Madame Meng étant forcément aussi un agent d’influence et de corruption, inféodée au Parti. En Occident on tente aussi parfois de trouver une raison secondaire en vue de mettre un criminel hors d’état de nuire, ainsi Al Capone, n’a pu être emprisonné qu’à la suite d’une inculpation de fraude fiscale. La Chine elle évite de faire émerger le vrai fond du problème et évoque des manigances américaines en vue d’abattre une entreprise rivale.

Selon l’ambassadeur du Canada en Chine, Dominic Barton, il ne fait guère de doute que c’est la comparution actuelle de Meng Wanzhou qui conduit les autorités chinoises à utiliser trois Canadiens détenus en RPC. La Chine veut absolument éviter un procès aux USA, lequel générerait un déballage qui lui serait extrêmement préjudiciable quant à sa quête de pouvoir sur le monde et les cerveaux.

Il s’agit d’abord de Michael Spavor, détenu arbitrairement depuis décembre 2018. Il avait été appréhendé quelques jours après l’arrestation au Canada de Meng Wanzhou en date du 01-12-2018. Après un procès à huis clos, il vient d’être condamné à 11 ans de prison pour « espionnage ». Il aurait photographié des avions militaires. Défense de rire. Michael Spavor, grâce à ses relations, permettait à des Occidentaux d’entrer en contact avec les autorités nord-coréennes et ce jusqu’au leader suprême, Kim Jong Un, qu’il avait rencontré à plusieurs reprises.

A noter qu’un autre ressortissant canadien, Michael Kovrig, ancien diplomate, a été interpellé en même temps que l’autre Michael, et ce, sous un prétexte similaire : l’espionnage.

Comme en cette matière les Etats communistes ne font jamais dans la demi-mesure, presque simultanément, un tribunal chinois a confirmé en appel la condamnation à mort d’un autre Canadien, Robert Lloyd Schellenberg, inculpé de trafic de drogue.

Voici une nouvelle illustration du fait que, dans les marchandages internationaux, pouvoir user à volonté d’une justice qui répond instantanément aux ordres du Parti procure à la Chine un avantage indéniable sur les régimes pluralistes.

Tout comme est patent, en matière de désinformation, le déséquilibre de la latitude d’action entre Etat contrôlant l’information et société ouverte, un gouvernement contrôlant le pouvoir judiciaire, et ne se trouvant, en outre, en rien contraint de se soucier des droits de la personne, dispose de moyens de pression hors de portée des Etats démocratiques.

Pierre Druez

(crédit photo : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Meng_Wanzhou_at_Russia_Calling!_Investment_Forum.jpg)

12 Août 2021