« Simon Leys, l’homme qui a déshabillé Mao »

(Public Sénat, 3 février 2024 : documentaire sur l’oeuvre salutaire de Simon Leys)

Un documentaire inédit de Fabrice Gardel et Mathieu Weschler, « L’homme qui a déshabillé Mao », retrace le parcours du sinologue décédé en 2014, Simon Leys, qui, presque seul,  dénonçait dans les années 70 les crimes et les mensonges du maoïsme, objet de l’admiration de bien des intellectuels occidentaux.

Pour voir le film: https://www.youtube.com/watch?v=INzToPuW7ng.

Libération publie à cette occasion un article d’Arnaud Vaulerin dont nous reprenons ici de larges extraits :

« Dans la catégorie dézingage, c’est un moment de choix. La scène se passe le 27 mai 1983 sur le plateau d’Apostrophes, alors la grand-messe du livre ordonnée par le pape des lettres Bernard Pivot. Ce jour-là, il reçoit quatre invités pour parler des «intellectuels face à l’histoire du communisme». Parmi eux, la journaliste, écrivaine et femme politique italienne Maria-Antonietta Macciocchi qui vient de publier Deux mille ans de bonheur, un ouvrage sur son compagnonnage avec la gauche communiste et ses voyages, notamment en Chine. Face à elle, un inconnu ou quasi : Simon Leys, sinologue averti et lucide, précis et rigoureux.mais non sans esprit, l’intellectuel cingle la passionaria maoïste pour son précédent ouvrage De la Chine. (…) De son ouvrage De la Chine, ce qu’on peut dire de plus charitable, c’est que c’est d’une stupidité totale ; parce que si on ne l’accusait pas d’être stupide, il faudrait dire que c’est une escroquerie.» Puis Leys démonte une thèse avancée par l’autrice : dire que le «maoïsme, c’est la rupture avec le stalinisme, ça va à l’encontre de toute évidence historique connue de tout le monde».

A court d’arguments, Macciocchi s’agite, s’offusque, s’essouffle. Ce soir-là, Simon Leys sort de l’anonymat et de l’ostracisme où il a été relégué par l’intelligentsia et l’establishment. Ces beaux esprits épris d’un culte délirant pour le Grand Timonier et son bréviaire, le Petit Livre rouge. En consacrant un film à cet intellectuel libre et incisif, Fabrice Gardel et Mathieu Weschler éclairent le parcours trop méconnu du «plus lucide contempteur des crimes de Pékin» et rétablissent des vérités.

Enquêté, agrémenté d’archives et d’entretiens avec des observateurs (…) et des proches du spécialiste, Leys, l’homme qui a déshabillé Mao est d’abord un document sur la cohérence, l’unité et la ténacité d’un homme seul et détesté. C’est également un précieux rappel historique sur la grande boucherie du communisme chinois revisitée dans le climat d’hystérie idolâtre qui s’est emparée du milieu intellectuel et politique dans les années 60 à 80, notamment dans les colonnes de Libération. Le décalage est édifiant entre la ferveur révolutionnaire des thuriféraires de Mao en France, dont l’écrasante majorité ne parle pas chinois et ne s’est jamais rendue en Chine, et la clairvoyance courageuse de Leys (…)

Simon Leys, né Pierre Ryckmans en 1935 en Belgique, découvre la Chine à 20 ans à la faveur d’un voyage étudiant. Le «choc fondateur» produit par cette première visite va conditionner son existence. Le jeune Belge arrête ses cours de droit, se lance dans des études de chinois et arpente le pays, sac à dos et carnet de voyage en poche. Séjourne à Taiwan, au Japon. «Il devient un lettré chinois», rappelle René Viénet, l’ami-éditeur de Leys et, lui aussi, fin connaisseur de la Chine. En 1963, Leys s’installe à Hongkong (…) Là, en passionné empirique du terrain et de la langue chinoise, il prend la mesure de la «lutte de pouvoir terrible entre Mao Zedong et le Parti communiste et de ce que le peuple en est la victime». Les cadavres de la boucherie maoïste finissent par arriver dans les eaux de Hongkong. «Je ne peux pas rester en dehors, je dois prendre position, sinon je ne pourrai plus me regarder dans la glace», raconte Simon Leys dans une archive. L’ancien étudiant «apolitique, avec un intérêt assez exclusivement culturel» pour la Chine, s’engage pour raconter l’envers de la campagne des Cent Fleurs, du Grand Bond en avant et de la Révolution culturelle qui a raflé des dizaines de millions de vies entre 1957 et 1976.

(…) Sur les conseils de René Viénet, Pierre Ryckmans devient Simon Leys et rédige les Habits neufs du président Mao en 1971, une synthèse de documents repérés par Leys et de témoignages recueillis à Hongkong. «On avait sous les yeux l’évidence, l’immensité de cette terreur atroce que représentait le maoïsme pour la Chine», dit Leys. Il est insulté, vilipendé par la gauche intellectuelle et les médias qui lui sont proches, le Monde, le Nouvel Observateur, la revue Tel Quel du très Mao-béat Philippe Sollers.

Certaines archives sont aujourd’hui aussi comiques que pathétiques sur le niveau d’aveuglement et de bêtise alors atteint.

La funeste mode maoïste finira par pâlir après la mort du Grand Timonier et le grand massacre perpétré par les Khmers rouges au Cambodge (…) »

4 Fév 2024

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