Décès d’Emmanuel Le Roy Ladurie, président de l’Institut d’histoire sociale

Le grand historien Emmanuel le Roy Ladurie vient de mourir. Il avait 94 ans et était le président de l’Institut d’histoire sociale.

La presse soulignera son brillant parcours  universitaire : Normale supérieure en 1949, CNRS en 1958, Faculté des lettres de Montpellier en 1960, soutenance de thèse de doctorat et  EHESS en 1963, élection au Collège de France en 1973.

Il fut  nommé administrateur général de la Bibliothèque nationale en 1987 et élu membre de l’Académie des sciences morales et politiques en 1993.

Emmanuel Le Roy Ladurie a derrière lui une œuvre immense et immensément variée. Il n’était pas l’homme d’un seul thème peu à peu approfondi. Son expérience et sa sensibilité – son humanité faut-il dire ? – l’avaient cependant rendu réticent à étudier les moments terribles que furent les affrontements militaires si meurtriers du XX e siècle.

Son œuvre touche aux régions, avec des études sur le Languedoc, le mondialement célèbre Montaillou, village occitan de 1975, ou l’Histoire de France des régions (2001). Elle touche aussi à l’Ancien régime, exploré des années 1420 à 1610 dans l’Etat royal de Louis XI à Henri IV, puis de 1610 à 1789, à quoi on peut associer son Saint Simon ou le système de la cour.

Le siècle des Platter, histoire d’une grande famille helvétique appartient encore à un autre domaine

Les domaines abordés furent donc variés mais aussi originaux. On notera  Médecine et épidémies, manière sans doute de rendre hommage à sa femme Madeleine, médecin de profession mais aussi indispensable assistante et bibliothécaire ; Anthropologie du conscrit français; les prestations paysannes;  L’argent, l’amour et la mort;  les sorcières; les médecins de campagne.

Et bien sûr le climat qu’on aurait tort de croire lié à la puissance  nouvelle des préoccupations écologiques : la publication de son Histoire  du climat depuis l’an mil remonte à plus d’un demi-siècle !

Tout jeune homme, il s’était engagé dans le mouvement communiste qu’il quitta en 1956 devant la répression soviétique à Budapest. Il adhéra quelques temps au PSU puis dénonça la folie destructrice de l’institution universitaire par le « mouvement de 1968 ».

Il compte parmi les fondateurs en 1978 du Comité des intellectuels pour l’Europe des libertés, le CIEL.

 On le voit aussi en février 1979, signer une déclaration qui démonte la rhétorique négationniste des Faurisson et Cie..

Son attention et son soutien aux voix qui, à cette époque, voulaient parler juste sur l’Union soviétique ne se sont jamais démentis par la suite. Il me fit l’honneur et l’immense plaisir en 1984, d’appuyer de toute sa notoriété, avec Simone Veil et Joseph Czapski à ses côtés, la sortie de mon ouvrage sur les Français au goulag Quelques mois plus tard il signait dans Le Monde un long article élogieux consacré à Boris Souvarine qui venait de mourir. Admiratif de le vie et de l’oeuvre du fondateur de l’Institut d’histoire sociale en 1935, il  assumera la présidence de ce « think tank », succédant ainsi à Jean-François Revel en 2006.

C’était un président attentif, actif, qui faisait beaucoup pour encourager la nouvelle équipe de l’IHS à en faire un lieu de réflexion sur les totalitarismes. Il donnait des articles à notre revue Histoire & Liberté et tint longtemps, avant que sa santé ne le lui interdise, à participer à nos colloques annuels. Quand il ne put plus se déplacer, il insista pour que nos réunions de bureau aient lieu à son domicile de la rue d’Alleray, dans le XV ème arrondissement de Paris, pour pouvoir y participer.

L’histoire n’était pas seulement pour Emmanuel Le Roy Ladurie une manière de savoir. C’est aussi manière de voir et d’être – et quiconque s’est entretenu avec lui a été émerveillé par l’immensité, la précision de son savoir, toujours illustré d’anecdotes et de bons mots qu’il rapportait avec à propos et qui lui permettaient de lancer, prudemment mais efficacement, des flèches à ceux qui caressaient le simplisme ou justifiaient le mensonge.

Nos plus profondes condoléances à son épouse Madeleine – elle aussi a contribué à notre revue! – à Elisabeth, sa bru, merveilleusement dévouée auprès d’Emmanuel, à François, son fils, et à toute sa famille.

Pierre Rigoulot

23 Nov 2023


Plusieurs parmi nous sont accablés par les dernières déclarations du Président de la République et la « distance » qu’il semble appeler de ses voeux à l’égard des Etats-Unis. Beaucoup d’autres s’en inquiètent, tant pour des raisons conjoncturelles que pour des raisons de fond. Nous publions une première réaction, celle de notre ami André Senik, et appelons nos lecteurs à faire part de leur analyse des prises de positions du président.

H&L

Face aux ambitions mondialement conquérantes de l’empire néo-communiste chinois, l’Europe démocratique n’est pas moins menacée ni menacée autrement que les États Unis.

Il serait stupide et suicidaire pour l’Europe démocratique de jouer la carte du flic gentil face à l’ennemi mondial numéro 1 de la liberté des peuples et des individus.

Sans le soutien tous azimuts des États-Unis d’Amérique aucun pays démocratique ne pourra se défendre.

Ni l’Europe ni Israël, ni la Corée ni le Japon, et j’en passe.

L’alliance sans fissure des démocraties avec les États Unis d’aujourd’hui face à la Chine n’implique aucun renoncement à leur souveraineté. Mais L’autonomie de l’Europe doit viser avant tout à renforcer le front des démocraties dans le rapport de forces face à la Chine néo-maoïste de XI et à la Russie néo-tsariste et stalinienne.

De ce rapport de forces entre les deux mondes dépend notre avenir commun

En temps de guerre mondiale toute division du front est mortelle.

André Senik

Ma première réaction est de partager le point de vue d’André, mais j’ai la faiblesse de croire Emmanuel Macron atlantiste et favorable à l’alliance la plus étroite avec les Américains. Je m’interroge donc sur la signification de ses prises de position à son retour de Pékin. L’obsession salutaire de Macron, c’est l’Europe qu’il veut bâtir comme une puissance souveraine – qu’elle n’est pas aujourd’hui. En laissant entendre qu’il n’est pas favorable à un vécu partagé des crises politico-militaires de la même façon que le ressentent les Etats-Unis, il fait habilement de l’Europe un objet de pression voire de séduction pour la Chine. En laissant espérer à Xi un hiatus, une coupure, un décrochage de l’Europe avec les Etats-Unis, Macron l’incite à donner à l’Europe une importance que cette dernière a bien du mal à se faire reconnaître dans le monde. Xi se laissera-t-il manipuler? A voir…

Et le Président Macron sait, évidemment, qu’au-delà de la lutte pour l’Europe, il y a la lutte pour la démocratie dans laquelle Etats-unis et Europe sont alliés – la seconde étant même largement dépendantes des premiers.

Reste que certains des termes employés par Emmanuel Macron ne sont pas appropriés. Évoquer « des crises qui ne sont pas les siennes », sème le doute quant à l’engagement de principe de la France à défendre la démocratie partout dans le monde. S’il y a menace contre la démocratie  et a fortiori s’il y a crise, il s’agit d’une menace contre nous et d’une crise qui est nôtre, tout en sachant de surcroît, comme le rappelle André, que seuls les Etats-unis pourront y faire face.

Pierre Rigoulot

Quelle attitude face au bloc des pays totalitaires ?

Depuis très longtemps, je redoutais une configuration dans laquelle l’Axe Eurasiatique totalitaire (Pékin/Moscou) se permettrait d’attaquer simultanément deux pays démocratiques qui lui seraient limitrophes et dans laquelle les Etats-Unis et leurs alliés auraient à tenir deux fronts militaires très distants l’un de l’autre. Après l’invasion de l’Ukraine par Vladimir Poutine et avec les manœuvres de l’armée chinoise autour de Taïwan, on se rapproche de cette dangereuse configuration, une configuration qui mettrait à redoutable épreuve les forces des pays démocratiques.

Si l’on excepte les deux années (d’août 1939 à juin 1941) où l’Empire britannique se retrouva seul face à l’axe germano-soviétique, les pays démocratiques n’ont jamais été soumis à une menace géopolitique et militaire aussi intense de la part des régimes totalitaires. En réalité, l’histoire mord la nuque de nos pays démocratiques.

Et c’est à ce moment qu’à Pékin, Emmanuel Macron a choisi de prendre publiquement quelques distances avec les Etats-Unis et leurs alliés. Il semble n’avoir pas bien compris la gravité de la configuration internationale actuelle.

En tout cas, son horizon temporel paraît très inapproprié : en matière de politique étrangère, le principal horizon de ses décisions semble se situer à 2030 ou à 2035, un horizon en direction duquel il se propose d’amorcer des projets très ambitieux tels qu’une nouvelle architecture de sécurité européenne, une autonomie de défense de l’Union européenne entre Pékin et Washington ou encore le rejet de toute confrontation bloc contre bloc.

Autant de projets à très long terme qui paraissent bien dérisoires au moment où, profitant de la fixation des Etats-Unis en Ukraine, la Chine ne cache plus son intention d’envahir Taïwan à court terme. Le moment n’est pas à rêver à des projets fantasmatiques. Il est au contraire à serrer les rangs des pays démocratiques autour des Etats-Unis, le seul pays démocratique disposant actuellement de la capacité militaire qui est indispensable à faire face aux agressions, présentes et prévisibles, de l’axe Eurasiatique.

Après les communiqués qu’ont émis conjointement Pékin et Moscou (le 4 février 2022 à Pékin puis le 16 mars 2023 à Moscou), il est désormais avéré que les Etats totalitaires ont constitué un bloc qui est homogène et solide (Pékin, Moscou et aussi Téhéran, Pyongyang et Minsk). Leur détestation conjointe de nos pays démocratiques provient de ce que, à notre insu, nous donnons à leurs populations la preuve que démocratie et prospérité sont compatibles. C’est à l’évidence pour cette raison qu’ils ne cessent de dénigrer notre modèle démocratique et qu’ils s’assignent même en réalité d’éradiquer la démocratie de la planète.

Ce n’est donc certainement pas le moment de séparer la France des autres pays démocratiques. Ce n’est pas non plus le moment de faire de l’angélisme en prêchant qu’il faudrait « rejeter la logique des blocs ». Les Etats totalitaires ont décidé de former un bloc pour nous imposer leurs redoutables intentions. Il revient à nos pays démocratiques d’en tirer la conclusion qui s’impose.

Jean Francart

13  avril 2023

Je suis éberlué : il semble que Macron ne comprenne tout simplement pas à qui il à faire, il semble ignorer autant la nature du régime chinois que celle du régime poutinien, de même qu’il paraît être d’une naïveté tragi-comique quant au mode de fonctionnement mental de ces dirigeants et quant à leurs objectifs ! Il semble raisonner en termes d’alliances de puissances indépendamment des systèmes politiques et des antagonismes fondamentaux entre démocraties sociales-libérales et Etats totalitaires ! Justement la vision que Poutine et Xi cherchent à imposer au reste du monde !

A moins que, très petitement, il n’accorde plus d’importance aux intérêts commerciaux à courte vue de la France (et de l’Europe) qu’à défendre résolument et solidairement notre liberté et celle des autres, nos valeurs et nos principes de base, tout ce sur quoi est fondée notre civilisation ? J’aurais du mal à le croire.  

A moins qu’il n’entende rallier ou apprivoiser quelque peu la partie de l’opinion française et européenne se vautrant toujours avec délice dans l’antiaméricanisme systématique ? Ce serait aussi « petit ».

En tout cas, au moment où, plus que jamais, l’Occident devrait être soudé et manifester une unité en béton, il fissure à nouveau l’Alliance et encourage Xi à poursuivre allègrement ses projets expansionnistes.

On se pince ! 

Pierre Druez

Belles âmes : danger                                                                 

Le covid à qui je viens de donner l’hospitalité suffisait amplement à souligner mon isolement. La dénonciation vigoureuse et quasiment unanime des prises de position publiques d’Emmanuel Macron sur Taïwan par mes amis politiques les plus proches a accru cette solitude au point  que je souhaite m’expliquer.                                          

L’armée française ne compte pas dans la défense de Taïwan. Seuls les Etats-Unis ont le pouvoir de retarder l’échéance d’une attaque chinoise voire de l’ajourner sine die dans la meilleure hypothèse. Et l’armée américaine n’est pas entravée par les déclarations volontairement ambiguës du Président français. Les reproches qui sont faits à Emmanuel Macron sont de créer des lézardes dans l’unité occidentale ou plutôt, car il faut être précis, dans les déclarations, dans l’affichage idéologique des démocraties. Comme ce qui compte, c’est la détermination américaine à maintenir le statu quo par sa présence militaire dans la région, et elle seule, la position du président français n’a sur le plan de la défense de Taïwan, qu’une très faible importance. 

Il me semble qu’en revanche, elle ait de possibles (possibles, pas certaines) conséquences positives que mes amis ne prennent pas en compte. Sans doute mon argumentation consiste à approuver une diplomatie complexe, voire « tordue ». Mais nous ne sommes pas des moralistes ni de preux chevaliers défenseurs du monde démocratique. Nous avons un adversaire et même des adversaires redoutables qui, favorables au totalitarisme et à divers formes d’autocratie, ont en commun leur hostilité aux démocraties libérales.

Nous une sommes pas là pour agiter en toute occasion le drapeau de la démocratie mais pour l’aider à résister au danger totalitaire. Emmanuel Macron, que je crois favorable à cette ligne, pense que l’existence d’une Europe forte et souveraine serait une bonne chose et pour l’Amérique, entourée actuellement de nains militaires et politiques, et pour la démocratie dans son ensemble.

Cette position européaonophile n’ouvre pas seulement des perspectives favorables aux Etats-Unis, qui ont besoin d’alliés forts mais aussi à l’avenir des démocraties. Mieux encore : en laissant entendre qu’il n’est pas favorable à un vécu partagé des crises politico-militaires de la même façon que les ressentent les Etats-Unis, le président français  fait de l’Europe un objet de pression, voire de séduction pour la Chine. Même si c’est un leurre, en laissant espérer à Xi un hiatus, une coupure, un décrochage de l’Europe avec les Etats-Unis, Macron l’incite à donner à l’Europe une importance que cette dernière a bien du mal à se faire reconnaître dans le monde. Xi se laissera-t-il manipuler? A voir…Mais faut-il toujours rappeler le soutien à ses principes ou faire en sorte qu’ils soient effectivement renforcés?  Le temps des chevaliers est terminé. Celui de Machiavel ne l’est pas.

Pierre Rigoulot

11 Avr 2023


           Conférence-débat avec Françoise Thom : Après Poutine, les erreurs à éviter

Chers amis,

Nous avons le plaisir de recevoir lundi 27 mars, au Café du Pont Neuf, 14 quai du Louvre (Paris Ier) de 18h à 20h, Françoise Thom. Elle nous parlera  d’un sujet important : l’après-Poutine et les erreurs alors à éviter. Nous débattrons ensuite avec elle.

Nous avons lu avec le plus grand intérêt ses livres, notamment Les Fins du communisme (1994). Beria, le Janus du Kremlin en 2013, et plus récemmentLa Marche à rebours. Regards sur lhistoire soviétique et russe, aux presses de la Sorbonne (2021) ainsi que Poutine ou l’obsession de la puissance (2022).

Nous avons évoqué lors de notre dernière réunion sa contribution au Livre Noir de Poutine, ouvrage co-dirigé par nos amis Galia Ackerman et Stéphane Courtois.

Nous suivons aujourd’hui avec attention les contributions de Françoise Thom à la revue en ligne Desk Russie  sur la guerre en Ukraine.

La consommation (7 euros) donne accès à la salle du premier étage où se tiendra la conférence

Les amis d’Histoire & Liberté

8 Mar 2023


Encore un que les Ukrainiens n’auront pas ?

Parmi les observateurs de la Corée du Nord, circule un information incroyable : le 8 février dernier, lors d’un défilé militaire en Corée du Nord, on aurait vu évoluer dans le ciel un hélicoptère AS 350. Petit détail : cet appareil est…français! A-t-il été vendu aux tyrans qui dirigent le pays? Quand? Pourquoi ? A quel prix? Tient-on vraiment à entretenir de bonnes relations avec le pire Etat totalitaire de la planète?

Peut-on espérer un démenti de notre Ministère des Armées ?

H&L

26 Fév 2023


Quelques remarques sur l’offensive lancée contre le gouvernement à propos d’un horrible assassinat

La femme qui a bestialement assassiné une fille de 12 ans qui ne lui avait rien fait est une folle de chez folle. Ce n’est pas une excuse, c’est juste une donnée factuelle. Il faudra donc la juger et la punir dès qu’elle sera en mesure d’être mentalement présente à son procès. Personne n’envisage de la libérer pour folie

Elle n’a pas tué en tant qu’Algérienne

Elle n’a pas tué une Française parce que française

Le terme de « francocide » lancé par Zemmour pour qualifier ce crime n’est donc qu’une absurdité xénophobe.

L’ordre d’expulsion de cette femme était sans rapport avec sa dangerosité

Son crime n’a donc rien à voir avec sa non reconduction aux frontières en temps voulu

Elle aurait pu accomplir ce crime avant d’être expulsable.

Le but de l’accusation lancée contre la macronie par le RN, Zemmour et une partie de LR, est de rejeter en bloc l’immigration comme criminogène, afin de rester entre gens civilisés.

Or la France a besoin d’une immigration, à la double condition que celle-ci soit sélective (utile aux deux parties) et qu’elle soit accompagnée d’une ferme politique d’intégration sociale et culturelle.

André Senik

J’ai trouvé très bien, limpides, concises et percutantes les remarques d’André Sénik (19 octobre) à propos de l’horrible assassinat de la petite Lola : acte de démence et non « francocide » (Zemmour), que la meurtrière aurait pu commettre n’importe où, Algérie comprise, et, ici, avant son arrêté d’expulsion du territoire ; acte insensé et particulièrement barbare, honteusement instrumentalisé par Eric Zemmour et quelques autres pour stigmatiser, par delà la politique migratoire de nos dirigeants actuels et passés, les immigrés, population criminogène, non civilisée. J’ajoute, moi, que l’immigration est une affaire trop sérieuse, capitale même, pour être l’objet de polémiques aussi basses et irresponsables.

Guy BARBIER

19 Oct 2022


Manifester ?

Je ne souhaite pas manifester.

Je fais le constat que demeure en France en 2022 une distinction fondamentale : ce qui vient de Russie n’est pas « manifestable » tandis que ce qui vient d’Amérique représente le mal.
Constatation que faisaient en leur temps Aron, Revel et quelques autres….
Je constate qu’en profondeur, dans la culture française, rien n’a changé….

L’immobilisme des foules face à Poutine provient en outre de la peur qu’il exerce et de la lâcheté qu’elle génère : nous avons bien connu ça dans les années 30, et jusqu’en 44 pour certains, à l’égard de Hitler…
Oui le climat, le sport, le pouvoir d’achat, etc…. sont les grandes causes à l’honneur et permettent de se voiler la face.

Jean-Louis Carillon


 

18 Oct 2022


La Russie de Poutine n’a plus sa place au Conseil de sécurité de l’ONU

Si l’ONU n’aspirait qu’à être une assemblée générale des États exerçant leur pouvoir sur leurs peuples, tous les États du monde y auraient les mêmes droits, chacun disposant du droit de véto, et l’ONU n’aurait aucun pouvoir.

C’est cette conception que défendit Goebbels, en septembre 1933, à la Société des Nations.  « Messieurs, déclara-t-il, charbonnier est maître chez soi. Nous sommes un État souverain. Laissez-nous faire comme nous l’entendons avec nos socialistes, nos pacifistes et nos Juifs. »

Du moins, l’Allemagne nazie n’était-elle pas membre d’un Conseil de Sécurité de la SDN.

Mais si l’ONU a mission de faire respecter le droit international par les États qui le violent, elle ne peut pas accorder un droit de veto à l’un de ces États au sein de son Conseil de sécurité.

La Russie actuelle, qui est mène une guerre d’agression contre l’Ukraine, et qui cherche à se procurer des armes et des soldats en Corée du Nord, doit pour le moins être exclue du Conseil de sécurité.

Tant que cet État criminel sera coupable et juge à la fois, les décisions de l’ONU seront frappées de nullité ou de paralysie.

Il se peut que les procédures existantes et que les rapports de force au sein de l’Assemblée Générale de l’ONU rendent cette exclusion impossible. La question devra alors être posée publiquement aux États du monde libre : comment faire évoluer le Droit international et ses instances, pour assurer la défense du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ?

André Senik

12 Sep 2022


13 novembre: «Le grand absent de ce grand procès, l’idéologie islamiste»

Les coupables des attentats islamistes du 13 novembre ont été jugés. Ils l’ont été d’une façon irréprochable, et la justice française s’est montrée digne de ce qu’est un État de droit. Personne d’ailleurs n’y trouve rien à redire. Ce procès a apporté aux victimes, à la société française tout entière, et même aux accusés, tout ce qu’on pouvait attendre d’un tel procès.

Et pourtant, la cause première de la tragédie dont on a jugé les coupables humains, la responsabilité première de ces crimes aveugles n’a été ni mise en examen, ni jugée, ni condamnée. La responsabilité première de ces crimes sans justification incombe entièrement à l’idéologie islamiste conquérante, qu’il faut appeler par son nom. Sans elle, aucun des assassins qui ont été jugés ne serait devenu un criminel de masse. Les humains qui commettent ces crimes monstrueux ne sont devenus des criminels que sous l’emprise d’une des idéologies qui poussent leurs fidèles aux crimes les plus inhumains.

Au-delà du cas de l’islamisme terroriste, le rôle des idéologies totalitaires et terroristes dans les crimes de masse des XXe et XXIe siècles doit être reconnu parce que seul ce rôle permet de comprendre comment des humains ordinaires peuvent commettre des actes monstrueux qui nous paraissent impensables. Le rôle des idéologies n’est ni une circonstance aggravante, ni une circonstance atténuante dans le jugement des auteurs, mais il doit être reconnu, parce que ces idéologies doivent être condamnées et combattues en raison de leur criminalité.

Or ces idéologies ne sont ni mises en procès ni condamnées en justice, parce que les tribunaux ne sont habilités à juger que des humains. À Nuremberg, on n’a pas jugé et condamné l’idéologie nazie. La dénonciation des crimes du communisme n’a pas débouché sur le procès en bonne et due forme de l’idéologie de ce système. Mieux vaut dire que la condamnation des crimes de masse du communisme n’est pas remontée jusqu’à la source idéologique qui a rendu possibles ces crimes impensables.

Voilà pourquoi nous avons collectivement le sentiment que le procès des assassins du 13 novembre n’est pas allé jusqu’au bout, et que la condamnation des coupables humains ne suffira pas à nous faire tourner la page en nous disant que justice a été faite.

Pour que justice soit faite, il nous reste à poursuivre le combat contre l’idéologie islamiste barbare qui a mené à cette tuerie. Il nous reste à mener le combat au grand jour contre l’islamisme, en France même, avec pour objectif de faire reculer la séduction de cette idéologie parmi ceux des jeunes musulmans de France qui peuvent être tentés par une vision radicalisée de leur identité, une vision d’autant plus exaltante qu’elle est archaïque et mortifère.

Le combat culturel contre l’islamisme conquérant doit être mené dans l’École, parce qu’il est la condition de l’intégration de tous les jeunes de France à notre culture.

Le jour où le combat contre l’islamisme conquérant et pour l’intégration à notre culture sera officiellement déclaré, le procès exemplaire des assassins du 13 novembre ne nous laissera plus un arrière-goût d’inachevé.

ANDRE SENIK (FIGAROVOX/TRIBUNE le 1er juillet 2022)

André Senik est agrégé de philosophie. Il a notamment publié Le Manifeste du parti communiste aux yeux de l’histoire, éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2015.

Crédit photo: Rawpixel

6 Juil 2022


Vente de livres neufs et d’occasion


à l’Institut d’études slaves,


9 rue Michelet 75006-Paris


AU PROFIT DE L’ UKRAINE


les 5, 6 et 7 avril

4 Avr 2022


L’ « autre Europe », c’est notre Europe     

Pour nous, amis d’Histoire & Liberté, issus de l’Institut d’histoire sociale fondé par Boris Souvarine (né à Kiev en 1895) et présidé par Emmanuel Le Roy Ladurie après Jean-François Revel, pour nous qui nous définissons par notre hostilité aux divers totalitarismes – communisme, nazisme et islamisme politique -, par notre attachement à la démocratie libérale et à l’État de droit, l’agression de la Russie de Poutine contre l’Ukraine est un acte de banditisme qui viole les règles du droit international et porte atteinte à la sécurité de l’ordre mondial.   

L’Ukraine est européenne…et l’Europe est démocratique

Derrière les prétextes confus que s’est donné le dictateur russe (unité ethnique, linguistique voire religieuse russo-ukrainienne, menaces de l’Otan, « nazisme » du gouvernement de Kiev, poids de la drogue), se cache, bien au-delà, un projet impérialiste qui passe par la reconquête d’une « grandeur » et d’une influence perdue, mais aussi de territoires et d’États qui se sont dégagés, à la faveur de la chute du communisme au début des années 1990, de ce que Poutine considère comme sa légitime arrière-cour, pour rejoindre un des bastions du monde libre : l’Union  Européenne. De Tallin à Bucarest et de Kiev à Prague, les peuples de ce qu’on nommait alors l’ « autre Europe » rappelaient que les Baltes, les Tchèques ou les Ukrainiens étaient des Européens autant que les Français, les Irlandais ou les Finlandais. La chape de plomb soviétique qui les a recouverts pendant plus de 40 ans – après la chape de plomb nazie (voire en même temps qu’elle, entre 1939 et 1941)  nous l’avait  trop fait oublier…

Cette Europe s’est justement constituée et développée avec des institutions et des valeurs totalement opposées aux totalitarismes communiste et nazi. L’aide à l’Ukraine relève donc de l’assistance que l’on doit à un peuple de notre Europe, agressé.

Le projet de Poutine`

La simple réaffirmation aujourd’hui de l’identité démocratique libérale et européenne de l’Ukraine est bien sûr mal accueillie par les États alliés de la Russie et parfois eux-mêmes totalitaires, comme la Chine. Certains de ces Etats, par haine de la démocratie libérale, par rancoeur, par intérêt économique, par soumission financière, refusent de désapprouver le projet poutinien, projet impérial d’un pouvoir autoritaire, voire totalitaire (le syncrétisme actuel en cours au Kremlin, à la fois passéiste et communiste, en tout cas antidémocratique, reste à définir mais est d’ores et déjà condamnable par ses effets en Russie, en Europe, en Syrie et jusqu’en Afrique).

Comme l’islamisme politique et la Chine aujourd’hui, comme le communisme et le nazisme hier, Vladimir Poutine refuse l’existence d’une société pluraliste, de son mode de vie et de sa culture, jugés dégénérés. La détruire ou la réduire à l’impuissance lui semble la meilleure riposte aux risques bien réels de propagation des aspirations démocratiques dans son propre espace.

Cette guerre contre l’Ukraine, entreprise à ses risques et périls par Poutine, n’est pas une simple querelle d’ordre historique et linguistique entre Slaves qui nous serait étrangère. C’est un épisode de la lutte globale menée contre l’ordre mondial prévalant depuis la chute du nazisme, et dans lequel le monde libre occupe une place légitime, sous la protection de l’Otan, une organisation  défensive née au lendemain du blocus de Berlin par Staline et injustement décriée : il faut rappeler qu’elle a protégé l’Europe occidentale  des ambitions expansionnistes de l’URSS et notamment lors de « la crise des euromissiles » dans laquelle, après 1977, Brejnev entendait pointer ses missiles sur elle.

Poutinolâtres et poutinophiles

Que certains gaullistes voient dans la guerre de Poutine contre l’Ukraine une nouvelle preuve du caractère nuisible  de l’opposition entre les États-Unis et la Russie et en concluent à la nécessité pour la France d’adopter une position « équilibrée », à mi-chemin entre les deux grandes puissances, n’est pas pour nous surprendre.

Les poutinolâtres à la Zemmour, et les poutinophiles à la Marine Le Pen et à la Mélenchon ne nous surprennent pas non plus. Seule la peur de perdre des voix lors de l’élection présidentielle les empêche d’ailleurs d’apporter plus ouvertement leur soutien au Grand Chef d’Etat si « respectable » d’une Russie que l’Occident aurait trop longtemps « humiliée » et repoussée.

Il est plus attristant de constater ce refus de soutenir activement l’Ukraine dans certains milieux qui dénonçaient jadis plus librement les diverses tyrannies : la tarte à la crème de l’émotion qui « trouble le jugement » , sinon « l’aveugle », fait florès  – comme si l’indignation morale n’était pas de mise devant le malheur unilatéralement provoqué par une puissance hostile à la démocratie !

Faire front

Cet épisode difficile dans la vie du Monde libre a mis en évidence l’incurie de l’ONU, désormais incapable de faire respecter les règles du droit international du fait du veto dont usent et abusent les deux grandes puissances hostiles au respect de ces règles et ennemies déclarées du système démocratique et libéral : la Russie et la République populaire de Chine.

L’Otan, quant à elle, joue un rôle positif d’outil de défense militaire d’une partie des démocraties mais elle est géographiquement marquée par le seul Atlantique nord, comme son nom l’indique, même si elle a joué un rôle déterminant dans l’échec du projet rouge-brun du dictateur Milosevic dans les années 1990. Devant la menace mondiale exercée par les deux anciennes grandes puissances communistes et clairement explicitée dans le communiqué commun sino-russe du 4 février dernier, s’imposent le maintien et le renforcement de l’OTAN mais aussi la constitution progressive d’une puissance politique et militaire autonome capable de faire front par elle-même à ses différents adversaires afin de sauvegarder ses valeurs de liberté et de défendre le Droit à l’échelle mondiale.

Rendons hommage à tous les malheureux civils assassinés ou écrasés sous les bombes et les missiles russes. Et aidons les Ukrainiens et leur magnifique président, Volodymyr Zelensky : il  combat pour leur  liberté et pour la nôtre. 

Les amis d’Histoire & Liberté

4 Avr 2022


Chers amis,

Une vingtaine de personnes ont participé, à l’invitation des Amis d’Histoire & Liberté à la réunion du 9 mars dont, évidemment, l’ordre du jour avait été bouleversé depuis l’invasion de l’Ukraine. Lors de la dernière réunion, du 25 février, nous imaginions pouvoir parler posément de la Chine. Cela n’a pas été le cas, même s’il en fut question, la Chine étant une donnée à prendre en considération, notamment quand on réfléchit aux dommages des sanctions occidentales sur l’économie et les finances russes. la Chine ouvrira-t-elle – ou non –  une porte de sortie à l’économie russe affaiblie par les sanctions?

Plusieurs thèmes de discussions ont été abordés  et doivent être repris en vue d’une publication sous des formes à déterminer :

-les motivations de  Poutine,

-les effets de son invasion

-les enjeux qu’implique l’invasion poutinienne de l’Ukraine et la résistance qui lui est opposée.

1- Les motivations de Poutine

Il y a les motivations affirmées par Poutine lui-même : la nécessité de lutter contre les « drogués nazis » qui règnent à Kiev. Derrière ces absurdités, deux sous-thèmes :

– le fait qu’il s’agisse de préserver l’unité des Ukrainiens et des Russes, au fond un même peuple, que seul l’appel des sirènes occidentales divise et pousse à diviser.

– les Russophones du Donbas et de Lugansk ou de Crimée ayant été mis à l’abri des « séparatistes » de Kiev et des décadents ouest-européens continuant de tisser des liens avec le reste de l’Ukraine, le « travail » doit être poursuivi et l’entreprise séparatiste  du gouvernement Zelenski mise hors d’état de nuire.

Au fond de cette politique et de cette guerre poutiniennes, il y a donc l’idée que L’Ukraine séparée n’a pas d’existence légitime et que son séparatisme est le fruit des illusions créées par l’Union européenne et par ses ambitions.

Une question grave doit ici être posée : Poutine veut-il « récupérer » l’Ukraine ou porter le fer jusqu’au sein de l’Union européenne?

La question se pose d’autant plus qu’un texte décrivant les objectifs finaux de la Russie a été accidentellement mis en ligne le 26 février dernier par l’agence russe Ria Novosti, agence de presse russe d’État. Ce texte qui a été sauvegardé aux Etats-Unis puis traduit par la Fondation pour l’innovation politique, avant qu’il soit retiré, en dit long sur les intentions de Vladimir Poutine.

On y comprend que si son but a été d’emblée d’envahir l’ensemble de l’Ukraine pour récupérer un territoire considéré comme perdu depuis 1991, il s’agit au-delà pour lui de redéfinir l’espace mondial en récupérant les territoires perdus au moment de l’effondrement du bloc soviétique et de « revenir aux anciennes frontières qui allaient anciennement jusqu’au mur de Berlin. »

Avec l’entreprise guerrière de Poutine, nous assistons ainsi  à « la construction véritable d’un nouvel ordre mondial dans la perspective de la russification totale de l’Ukraine et de la Biélorussie. » L’unification de l’Europe de l’est et de l’Europe de l’ouest, ajoute le texte, n’a été rendue possible que par celle de l’Allemagne.  Autant dire que la partie est de l’Allemagne aurait pu et dû être conservée par les Soviétiques !

Quoiqu’il en soit, et comme souvent avec Poutine, une double lecture est possible selon qu’on retient sa dimension autoritaire voire fasciste, d’une part, ou sa dimension communiste d’autre part.

Dans le premier registre, la Russie cherche à réaffirmer sa position dominante sur les populations russophones, voire slaves. Dans le second registre, il s’agit de récupérer (au moins) une partie de ce que l’URSS  a perdu en territoires et en population.- lors de son effondrement de 1991, une immense catastrophe, comme Poutine  l’a toujours dit.

Ce n’est pas de folie qu’il s’agit – en tout cas pas de folie plus grande que celle de Brejnev, de Khrouchtchev, de Staline ou de Lénine. Les dirigeants soviétiques et même les dirigeants russes antérieurs à l’URSS ont une vision de leur pays quelque peu mégalomaniaque.                                        

Il y a un peu moins de 200 ans, en 1831, le Tzar réprimait dans le sang le mouvement national polonais et provoquait en France un flot de réfugiés. Pour la Russie puis l’URSS les Slaves doivent être unis sous la tutelle russe – sur ce point, le rapprochement avec Hitler, protecteur des Allemands d’Europe centrale et particulièrement des Suèdes, est parfaitement légitime. Mais le texte porté à notre connaissance par la Fondation pour l’innovation politique évoqué plus haut va même plus loin puisqu’il diagnostique la fin de la puissance occidentale à qui il s’agit au fond de donner le coup de grâce. La fin du monde occidental, dont la faiblesse se manifeste par son incapacité à faire la guerre, est à l’ordre du jour, voilà de quoi réjouir un communiste qui y verra facilement une transposition du Grand Soir et de la défaite du capitalisme.

Cette réflexion sur les motivations de Poutine doit être poursuivie., notamment avec la lecture de l’ouvrage de Michel Elchaninoff, Dans la tête de Poutine (Solin-Actes sud 2015). Approfondir en particulier la dimension communiste des ambitions poutiniennes tout en sachant qu’elle n’est pas la seule devrait motiver notre groupe étant donné son expérience d’étude de l’idéologie et de la pratique communistes. La dimension religieuse est intéressante aussi comme le montre le portrait du patriarche Kirill en oligarque et idéologue, par F. Thom dans le N°154 de la revue Commentaire.

2- Les effets de l’invasion

Ceux-ci sont dramatiques :

-2 millions de réfugiés auraient déjà fui l’Ukraine, 20 000 morts et blessés, civils et militaires, partagés dans les deux camps constituent une estimation qui n’est pas dénuée de fondement.

-Menaces sur l’avenir : des prix qui vont grimper et pas seulement en France. On se demande déjà si l’Egypte et l’Algérie pourront  nourrir leur population…

Mais des effets beaucoup plus positifs sont apparus. D’abord la résistance inattendue des Ukrainiens, leur patriotisme et leur courage. On voit bien qu’après 30 ans d’indépendance, une conscience nationale ukrainienne  s’est formée.

Cette résistance inattendue, on la retrouve aussi dans l’ensemble de l’Europe démocratique qui a compris la menace que faisait peser sur elle un Etat russe si peu respectueux du droit international.

La crise ukrainienne est même l’occasion d’une petite révolution : l’Allemagne sort de 75 ans de pénitence et investit massivement dans les achats d’armement.

Cette unité européenne plus grande est aussi une plus grande unité nationale en France même, où les poutinolâtres, pour reprendre le terme de Franc Tireur dans con numéro du 2 mars, sont largement mis en cause.

Marine Le Pen et Eric Zemmour paient fort cher leur présentation de l’action de Poutine comme une réponse légitime à des menaces venues de l’OTAN ou inspirées par le « mauvais exemple » du Kosovo; arraché à la Serbie comme l’ont été le Donbas et Lugansk à l’Ukraine.

Cet aspect de notre travail à venir est important puisqu’il s’agit de critiquer les intellectuels, les hommes politiques, les journalistes qui soutiennent Poutine ou lui trouvent diverses excuses. On conseillera ici la lecture des Réseaux du Kremlin en France de Cécile Vaissié  ( Les Petits Matins 2016).

Que faire d’autre ? Qu’est-ce que notre petit groupe peut faire? L’action humanitaire est prise en main par de nombreuses associations; le gouvernement lui-même pousse à l’accueil de réfugiés ; les préfets insistent auprès des municipalités; des vivres, des vêtements, des médicaments sont envoyés en Pologne en Ukraine et ailleurs. De ce point de vue, on a l’impression de revivre un peu la période d’aide à Solidarnosc fin des années 70, début des années 80.

Peut-on aider les opposants russes à la guerre? Les premier renseignements donnés par ceux connaissent bien la Russie étaient peu encourageants :les anti-guerres se cachent et l’aide peut difficilement leur parvenir. Mais l’expérience très positive d’un ami de Bruxelles qui adresse des textes d’information sur la réalité du front ou sur les ambitions de Poutine doit être retenue.

S’il existe des poutinolâtres en Europe occidentale, il y a aussi des poutinophobes en Russie. Il faut les aider en leur adressant par le net des textes sur la réalité ukrainienne. Nous pouvons passer pour cela par des  amis sûrs.

Les enjeux

-Il y a des enjeux immédiats : gagner cette guerre paraît impossible. Mais la prolonger, mener une guérilla active peut mettre Poutine en difficulté, notamment dans les rangs de l’armée. Les étonnantes difficultés logistiques de l’armée russe, le courage des combattants ukrainiens, l’aide occidentale discrète qui leur est apportée, rendent plausible ce qui semblait tout à fait impossible au début de la guerre : un échec militaire (et  je n’ai pas dit une défaite) russe.

– Il y a des enjeux intermédiaires. On se rend compte que la démocratie a besoin d’un minimum d’indépendance énergétique faute de quoi elle sera à la merci de ses adversaires. A moyen terme, tiendrons nous sans gaz russe? Sans blé ukrainien?

Le rôle de la Chine est ici important : Les sanctions européennes seront-elles efficaces ou Poutine peut-il compter sur l’aide chinoise, en tout cas sur une collaboration chinoise? L‘attitude  de la Chine a été prudente jusqu’ici, et ambigüe . Elle n’a pas parlé d’invasion russe mais elle ne s’est pas rangée non plus aux côté de l’Érythrée, de la Corée du Nord et de la Syrie. Son intérêt est-il de jouer le rôle de parrain, du Maître des horloges à venir ou  de soutenir la Russie dont les objectifs hostiles à l’Union européenne sont complémentaires des buts de Xi Jinping de combattre l’idéologie démocratique libérale, comme cela a été fortement rappelé dans le communiqué commun en date du 4 février 2022.

L’enjeu, ici, est la capacité de l’Union européenne à équilibrer mieux qu’aujourd’hui notre développement et notre indépendance énergétique, c’est à dire, au fond, à pouvoir se défendre quand cela est nécessaire. C’est en réglant cette question qu’on pourra choisir un mode de relation plus équilibré avec l’OTAN et les Etats-Unis

– Il y a enfin un enjeu lointain, celui de la capacité des démocraties à résister aux Etats totalitaires ou autoritaires qui leur sont hostiles. Il ne s’agit pas ici seulement de la défense de l’Union européenne mais de la démocratie dans le monde. Devant l’incapacité de l’ONU à faire respecter le droit international, notamment du fait du droit de veto communiste chinois et russe, ne faudrait-il pas oeuvrer, pour diminuer la dangerosité générale des totalitarismes, à la mise sur pied d’une large association des Etats démocratiques? Il s’agirait de se donner l’outil le plus efficace possible pour bâtir une alternative crédible à l’ordre mondial dont rêvent Poutine et Xi Jinping.

Toute objection, critique, information complémentaire sera  bienvenue dès maintenant. Elle peut être adressée à notre blog <histoireetliberte.fr> et nous en tiendrons compte pour établir l’ordre du jour de notre prochaine réunion. Celle-ci se tiendra au même endroit que les deux précédentes, au Café du Pont Neuf, 14 quai du Louvre, 75001-Paris, le mercredi 30 mars de 18h à 20h.

Pour les Amis d’Histoire et Liberté

Pierre Rigoulot

Doit-on maintenant penser à l’impensable ? par Pierre Druez

Quand l’homme le plus fort du monde –  en termes de puissance individuelle de destruction – est un paranoïaque, narcissique pathologique, tueur psychopathe et sadique ( = la triade noire en psychiatrie), un mythomane qui croit à une Histoire fictive, fantasmée, imaginaire, dès lors qu’il veut faire partager ses visions délirantes à tout un chacun sous peine d’aller jusqu’à la mort, dès lors que ses propres services secrets, les plus performants du monde et fortement implantés en Ukraine depuis des lustres, n’osent faire remonter que les informations qui nourrissent ses fantasmes, ou du moins qui ne les mettent pas en évidence et en péril; dès lors que ses proches n’osent plus le contredire, dès lors qu’il devient sourd et aveugle à tout ce qui ne cadre pas avec son monde hors réel, le pire deviendrait-il possible ?

Personnellement je ne crois pas ; le principal allié de Poutine n’est pas la Chine, c’est notre supposée frilosité, notre peur de la guerre, notre incapacité à nous priver, à avoir faim, à avoir froid. 

Prendre Poutine à contrepied

Un moyen de cerner les limites de cet adepte de la novlangue est de prendre le contrepied de ses déclarations les plus virulentes ou de celles de ses relais. En parlant de l’exclusion aérienne de l’Ukraine comme d’un casus belli, il dénote que c’est le meilleur moyen de tenter de l’arrêter ; je suis presque convaincu qu’il n’ira pas plus loin en cas d’intervention militaire de l’OTAN, c’est-à-dire des Etats-Unis. En outre, la procédure d’attaque nucléaire est telle qu’il n’y en aura pas : il n’a pas le pouvoir d’appuyer sur le fameux bouton qui par ailleurs n’existe pas.

Néanmoins mon « presque » est rédhibitoire !

Pourtant ça urge, car ce genre de psychopathologie ne peut que s’aggraver avec le temps et l’âge !

Enseigner l’histoire factuelle

Une bonne leçon : J’espère qu’une fois que cette nouvelle page désastreuse de l’Histoire sera tournée, nous prendrons conscience de la nécessité de l’enseignement de l’Histoire factuelle du monde et des civilisations, à l’aide de données dépassionnées adaptées à tous les âges et à tous les niveaux. Un récit historique qui permette d’éviter autant que faire se peut les pièges habituels :

Le plus courant est l’instrumentation de l’Histoire par les autorités depuis les parents jusqu’aux gouvernants, phénomène auquel on assiste partout depuis toujours.

La création de supports d’idéalisation et de projection négative  conduit au manichéisme, à la glorification de l’entité à laquelle on appartient, à la diabolisation de l’autre et à la création d’une Histoire mythifiée, hors-réel, bons contre méchants, exploités contre nantis, victimisation outrancière, conceptions simplistes et prédatrices du fonctionnement de l’économie, du monde et des sociétés.

Stop à l’auto-dépréciation

A contrario l’auto-dépréciation est à la mode en Occident, où ça fait chic, de même la complaisance à l’égard des autres civilisations, surtout aux USA, avec les réactions excessives que cela entraîne toujours dans les espaces démocratiques.

Par exemple « Exterminez toutes ces brutes », le « documentaire » diffusé sur Arte, en trois volets de Raoul Peck, donne une vision hallucinée d’une histoire fictive et le plus souvent inversée, que j’ai été incapable de regarder plus d’un quart d’heure, a été encensé par le New-York Times, oui  : véritablement porté aux nues. C’est un crime contre le savoir et contre l’intelligence ! C’est ignoble et ce forfait serait impossible si la grande majorité des gens sains et normaux avait une idée assez juste du monde tel qu’il est et de l’évolution économique, politique et culturelle telle qu’elle est.

Non aux analogies abusives et aux anachronismes

Il convient enfin de commencer à mettre fin à l’anachronisme croissant, à cesser de juger les déclarations, institutions et actes du passé en fonction des critères actuellement en cours. Et dans le même ordre d’idée, quand on critique ce qui se passait à tel endroit en telle période il convient de ne plus jamais manquer de le comparer avec ce qui se passait alors ailleurs au même moment

De même, il faut éviter les analogies historiques abusives. Il est intellectuellement bien plus difficile de mettre en exergue le nouveau, l’inédit que de faire des assimilations indues, à l’aide de concepts confusionnels.

Des cours élémentaires sur les différences de fonctionnement entre les différents systèmes politico-informatifs couvrant et ayant couvert la planète seraient aussi les bienvenus, ainsi que le compte-rendu des effets de ces dichotomies sur la formation des représentations mentales collectives de la réalité sociale-historique globale.

En finir avec l’Occident ?

Pour en revenir à Poutine, sa plus grande et plus inattendue victoire aura été d’installer à la Maison Blanche un guignol qu’il tenait par les couilles. Je crois que ce succès lui a monté à la tête.

L’efficacité de ses trolls sur tout ce qui déstabilise l’Occident doit gonfler son sentiment de puissance mais le fait  d’avoir affiché explicitement sa volonté d’en finir avec l’Occident, du moins de briser sa domination,(l’Occident n’existe plus et l’OTAN ne sert à rien, disait Pascal Boniface comme d’autres idiots utiles – avant l’invasion bien sûr), devrait paradoxalement nous rassurer ! 

Tous ces éléments sont autant d’arguments pour un ajout évolutionniste et historique indispensable dans l’enseignement dont l’idéologisation, en quelque sens que ce soit, doit être combattue sans relâche.

Pierre Druez

Complément important à mes observations précédentes

Il faut souligner un élément NOUVEAU, inédit, ultra important de cette guerre : depuis 1917, c’est la première guerre menée par l’URSS-Russie ou par n’importe quel régime communiste qui est photographiée et FILMEE en montrant autre chose que la propagande du côté russe/communiste et en révélant certaines de ses exactions presqu’en direct. « Presque » car les régions de l’Ukraine occupée tomberont vite dans la nuit médiatique – sauf propagande, bien sûr.

La  dernière, la guerre-massacre de Tchétchénie, a d’ailleurs fait l’objet d’un documentaire intitulé « Une guerre sans images » dont un des réalisateurs était Boris Nemtsov. Il se termine par un montage qui montre Poutine, dans une cage, jugé pour crimes contre l’humanité. Boris Efimovitch Nemtsov signait là son arrêt de mort.

Pour moi il est clair que l’aveuglement de l’opinion à l’égard du communisme, mais aussi en grande partie « les paupières lourdes » des intellectuels, proviennent en premier lieu de la quasi absence d’images des abominations commises et ce à l’inverse de ce qui s’est passé pour le  nazisme et les guerres américaines.

Savant ou ignorant, intelligent ou limité, notre fonctionnement cognitif et émotionnel est le même ! 

Pierre Druez

Ma boussole émotionnelle et la renonciation à l’OTAN

En France, peu de gens soutiennent ouvertement la décision de Poutine d’envahir l’Ukraine. Prudents, un certain nombre préfèrent demander s’il est bien sérieux de condamner le régime russe, aveuglés par notre émotion face au malheur des civils et s’il est juste de mettre en cause le seul Vladimir Poutine pour le déclenchement de ces premières semaines de guerre sans s’assurer qu’il n’y a pas d’autres responsables et d’autres facteurs du déclenchement des hostilités.

Cette problématique, on la retrouve dans les prises de position d’Elizabeth Lévy qui voit dans la déferlante émotionnelle balayant la France dès lors qu’il est question de l’Ukraine, une posture peu spontanée mais inspirée par les chaînes de télévision. La directrice de Causeur ironise même sur cette « cause qui mérite, sinon que l’on meure, du moins que l’on pleure pour elle ». Sans doute, reconnait-elle, « l’émotion, la compassion, la solidarité sont naturelles quand des villes européennes sont bombardées, mais cette émotion serait, à l’entendre, moins spontanée qu’exhibée, et facilement qualifiée alors d’ « incongrue ».

Ne nous laissons pas aller à soupçonner sous cette double interrogation ( sur la responsabilité du seul Poutine et sur la légitimité d’une réaction émotionnelle) l’effet manifeste mais prudent d’une hostilité implicite à toute condamnation de l’attaque russe, voire d’une approbation qui n’oserait pas dire son nom et interrogeons-nous : l’émotion, celle qui aveuglerait, peut-elle être évitée? Devant tant de malheurs, devant tant de souffrances accumulées, il est difficile de ne pas prendre parti d’emblée. Quand le sang coule sous nos yeux, il est difficile d’adopter l’attitude calme du savant cherchant à formuler un jugement. L’émotion, certes, ne nous dit pas qui est coupable ou responsable. Mais à coup sûr, elle désigne un malheur qui doit cesser, ainsi que les causes immédiates de ce malheur : les enfants morts sont Ukrainiens. Les civils enfouis sous les décombres d’un théâtre sont Ukrainiens; les missiles, les chars et les avions, eux, sont russes.

Il ne s’agit pas de juger de loin, confortablement installés devant sa télévision, mais au contraire  de désigner le point scandaleux, l’horreur immédiate, et de la faire cesser par l’abandon de ce qui en est la cause immédiate : une invasion par un Etat bien décidé à ne pas s’attarder sur la distinction entre civils et militaires d’un autre Etat, reconnu par le droit international.

Mon émotion a bien une valeur heuristique ici : elle indique le point à considérer en priorité et l’action immédiate à enclencher. Il ne s’agit pas de combattre toutes les guerres dans le monde mais celle-ci, la plus proche de notre pays, celle dont les justifications avancées par l’agresseur concernent des institutions (OTAN, UE) et des choix politiques (démocraties libérales, dictatures voire totalitarisme) qui nous concernent au plus près. Mon émotion n’est pas sans rivage. Elle joue son rôle dans notre univers culturel, politique, historique, stratégique propre.

On peut – on doit – encore réfléchir aux rapports historiques, culturels, ethniques, de l’Ukraine et de la Russie; on peut – on doit – se pencher sur la personnalité et les objectifs de Vladimir Poutine. Mais mon émotion me dicte qu’il faut arrêter l’effort militaire du dirigeant russe cause de tant de malheurs et tenter de lui imposer des limites. Autant dire que je suis très loin d’Eric Zemmour soutenant le 16 février dernier qu’ « on ne fixe pas de limites à Vladimir Poutine,(…) un grand chef d’Etat (…) très respectable et (qu’) il faut le respecter ».

Se pose ici la deuxième question : le président russe est-il seul responsable du déclenchement de cette invasion? Plus précisément, a-t-il lancé ses troupes contre l’Ukraine  pour ne plus se sentir menacé par le renforcement de l’OTAN à ses portes ? Voilà qui pour moi semble peu crédible car OTAN ou non, l’URSS  puis la Russie de Poutine ont toujours fait preuve d’une volonté expansionniste. Le communisme visait son objectif avoué : l’Internationale sera le genre humain…Le nationalisme russe à la Poutine, inspiré par l’exemple passé de quelques grands tsars et les conceptions récentes d’un Alexandre Douguine, rêve quant à lui d’une domination russe sur l’Eurasie.

Je reconnais que l’ affirmation d’une menace que ferait peser l’OTAN de par sa présence rapprochée n’est pas absurde. Craindre la présence d’une puissance militaire nucléaire  à ses portes ne dépend pas de la nature du régime politique dont Poutine est le numéro 1. Les dirigeants de la démocratie américaine se sont sentis eux aussi menacés en octobre 1962 par l’installation de missiles à tête nucléaire à proximité de leur territoire et JF Kennedy était près à déclencher une guerre pour l’empêcher.

Le problème vient de ce que Volodymyr Zelenskyy, le président ukrainien, a récemment annoncé qu’il renonçait à adhérer à l’OTAN. Le souhaitait-il? Et depuis quand le souhaitait-il? Ces points peuvent être établis par les historiens et les politologues spécialistes de la région. Le problème, dis-je, vient de ce que l’armée russe, malgré la renonciation ukrainienne à son droit d’Etat souverain de nouer les alliances militaires qu’il veut, n’est visiblement pas prête pour autant à se retirer et que les objectifs du régime poutinien paraissent donc viser  d’autres buts situés au-delà de l’absence de menace « otanienne » à proximité des frontières russes.

Il est même à craindre que Vladimir Poutine soit détenteur d’un projet mondial plus ambitieux et plus dangereux, notamment pour les démocraties européennes, projet qu’on peut induire de ses écrits, de ses communiqués communs avec d’autres puissances, de ses actions criminelles contre ses opposants, de la manière dont il  a  « traité » la Tchétchénie, etc.

Benoît Villiers

Nous avons reçu de l’association amie Human rights without frontiers le texte suivant, qui répond et aux délires de Vladimir Poutine et aux interrogations formulées par certains organes de presse sur la présence d’une extrême droite active dans les rangs ukrainiens. Cette étude est signée de Massimo Introvigne, un sociologue italien, Dr du Cesnur, le Centre d’étude des nouvelles religions, de Turin, et le rédacteur en chef  de la revue Bitter Winter, dédiée à la défense des droits de l’homme dans le monde. Elle projette un éclairage précis, intéressant mais sans doute pas définitif.

H&L

Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, Vladimir Poutine a utilisé les mots “nazis” et “dénazification” plus d’une trentaine de fois dans ses discours officiels, prétendant que l’Ukraine était sous l’emprise de bandes de néo-nazis.

Un corps d’élite encore habituellement dénommé « Bataillon Azov », même s’il s’agit maintenant du « Régiment Azov », est pointé du doigt comme preuve que les « Nazis » jouent un rôle important parmi ceux qui se battent contre les Russes.

Qui était Bandera?

Quand ils parlent du Bataillon Azov, les Russes utilisent souvent le terme de “bandéristes” comme synonyme de “nazis”, en référence au dirigeant nationaliste Stepan Bandera. Le fait que Bandera est honoré par des dizaines de monuments et de rues portant son nom est présenté par les Russes comme la preuve de ce que les Ukrainiens ne se sont toujours pas libérés de leur passé nazi.

Pour comprendre le cas Bandera, il faut commencer par la guerre féroce pour leur indépendance que les Ukrainiens ont menée, bien qu’en vain, contre les bolcheviks entre 1917 et 1920; après 1920 est venue la répression soviétique de tout mouvement d’indépendance potentiel. Elle a culminé avec l’Holodomor, la famine artificielle créée par Staline dans le but d’exterminer les petits fermiers ukrainiens, considérés comme la colonne vertébrale du mouvement pour l’indépendance, pendant laquelle au moins trois millions et demi d’Ukrainiens sont morts de faim en 1932 et 1933.

La haine à l’encontre de Staline après l’Holodomor, que les Ukrainiens (et plusieurs experts occidentaux) considèrent comme un génocide, explique pourquoi beaucoup étaient prêts à s’allier avec quiconque combattrait les Soviétiques et leur promettrait de restaurer leur indépendance. Des dirigeants ukrainiens nationalistes en exil, dont le plus important était Bandera, ont alors accepté la proposition allemande de lever, dans la diaspora ukrainienne, deux régiments pour envahir l’Union soviétique aux côtés de la Wehrmacht en 1941. Une fois en Ukraine, Bandera a unilatéralement proclamé l’indépendance de son pays, mais les Allemands n’avaient jamais eu l’intention de tenir leur promesse. Comme Bandera insistait sur l’indépendance, il fut arrêté et déporté à Sachsenhausen. Ses deux frères furent emmenés à Auschwitz, où ils périrent.

Ce n’est qu’en 1944, quand la défaite commença à se profiler, que les Allemands ont libéré Bandera et l’ont renvoyé en Ukraine dans l’espoir que ses partisans ralentiraient l’avance des Soviétiques. Après la défaite de l’Allemagne, Bandera a fui vers l’Ouest. Des partisans « bandéristes » se sont retirés dans les forêts et ont continué à harceler les Soviétiques et à s’engager dans d’autres formes d’opposition jusque dans les années 1950. Bandera lui-même fut assassiné en 1959 à Munich par des agents du KGB.

Lantisémitisme et Bandera

La face la plus détestable du nationalisme ukrainien fut l’antisémitisme. Entre 1917 et 1920, quelque 40,000 Juifs ont perdu la vie dans des pogroms. Ils ont été bien plus nombreux à être exterminés pendant la Seconde Guerre Mondiale et les « bandéristes » ont collaboré avec les nazis dans ces massacres, même pendant que Bandera était détenu dans un camp de concentration nazi.

Tous les bandéristes n’étaient pas des nazis. Bien que Bandera ait fait des déclarations antisémites détestables, les nazis lui ont reproché d’avoir accordé de faux passeports à des membres juifs de son parti et de les avoir ainsi sauvés. Toutefois, il est indéniable qu’un nombre important de “bandéristes” ont collaboré avec les nazis dans l’extermination des Juifs ukrainiens et la rhétorique antisémite de Bandera a conforté leur comportement criminel.

Après 1991, Bandera a été honoré dans l’Ukraine indépendante pour son combat anti-soviétique, son alliance avec les nazis étant édulcorée. Lorsque l’Ukraine a demandé d’adhérer à l’Union européenne, le Parlement européen lui a reproché les honneurs rendus à Bandera. Plusieurs dirigeants ukrainiens ont pris ces critiques européennes au sérieux. En 2021, un sondage a montré que seulement un tiers des Ukrainiens avait une opinion favorable de Bandera, et qu’une majorité ne s’opposait pas à une révision des honneurs officiels qui lui étaient rendus.

Le néo-nazisme en Ukraine

Après l’indépendance, un petit mouvement néo-nazi s’est développé en Ukraine, ainsi que dans d’autres pays européens. Il ne s’agissait pas de vétérans “bandéristes” de la Seconde Guerre Mondiale, dont peu étaient encore en vie. Comme dans d’autres pays ayant des mouvements néo-nazis, un pourcentage substantiel des nouveaux jeunes neo-nazis venaient de milieux violents de supporters de football. Des partis d’extrême-droite ont été créés, y compris le Parti National Socialiste d’Ukraine (PNSU). Leur succès électoral a été minime, ne dépassant pas 1% mais ils sont parvenus à mettre en place des organes para-militaires qui ont visé et parfois tué des immigrés, des Juifs et des membres de la minorité Rom.

Ces partis n’ont pas joué un rôle significatif dans la Révolution Orange en 2004 mais la situation a changé lors de la seconde révolution anti-russe, l’Euromaidan, en 2013-2014. Quand elle a commencé, plusieurs dirigeants d’extrême-droite étaient en prison. Une loi décidant leur libération a été adoptée car on croyait que leur expérience militaire serait utile dans la guerre contre la Russie que beaucoup voyaient venir.

Des néo-nazis ont participé à l’Euromaidan mais ils étaient loin d’être la majorité, ou même une minorité importante de protestataires. Ils se sont aussi organisés pour combattre les séparatistes pro-russes de l’est de l’Ukraine sous la direction de Andriy Bilets’kyy, le dirigeant de 35 ans d’un groupe appelé “Patriotes de l’Ukraine”.

Bilets’kyy a prétendu que certaines de ses déclarations nazies antérieures à l’Euromaidan venaient en fait de faux documents fabriqués par les Russes. La plupart des experts de l’extrême-droite en Ukraine croient cependant que ses déclarations sont authentiques. Quand, fin 2014, Bilets’kyy est devenu un politicien en costume-cravate et a été élu au parlement, il a essayé de les cacher et de les réfuter.

Azov

Entretemps, Bitlets’kyy était devenu célèbre pour d’autres raisons. Au printemps 2014, il avait rassemblé ses supporters à Kiev pour aller se battre contre les séparatistes du Donbass. Comme leur organisation avait été fondée à Berdyansk, sur la Mer d’Azov, ils l’ont appelée le Bataillon Azov. Contrairement aux “bandéristes”, qui insistaient sur l’identité chrétienne de l’Ukraine, beaucoup de combattants d’Azov étaient des néo-païens qui rêvaient de faire revivre l’ancienne religion ukrainienne. Cette orientation s’est retrouvée dans le choix de leur logo, avec la lettre I partiellement recouverte par la lettre N, significant “Idée d’une Nation”. Leur logo renvoie en miroir  à l’image du Wolfsangel (Le crochet du loup), un vieux symbole germanique qui existait avant le nazisme mais qui fut adopté à la fois par deux divisions de la SS et plus tard par des mouvements néo-nazis et néo-païens à travers l’Europe.

Le Bataillon Azov n’avait que 400 membres mais ils se sont courageusement battus, notamment pour reprendre Marioupol aux séparatistes. Plus tard, ils ont été incorporés dans la Garde Nationale et sont devenus « le Régiment Azov », comportant 2500 soldats. A l’époque, Bilets’kyy avait quitté le mouvement pour entrer en politique. La plupart des nouvelles recrues voulaient alors simplement rejoindre un corps d’élite et ne venaient pas des milieux d’extrême-droite des fondateurs.

Comme Andreas Umland, le principal expert du Bataillon Azov en Occident, l’a dit, le Régiment maintenant “n’est pas néo-nazi” mais il comprend des nazis parmi ses fondateurs et il a encore des nazis parmi ses soldats ukrainiens et parmi les combattants étrangers qui se sont engagés pour leur venir en aide. Umland croit que les nazis sont maintenant une petite minorité dans le Régiment Azov mais ils sont les seuls à être interrogés par les médias étrangers.

Il y a également des nazis dans l’autre camp, chez les Russes, en particulier parmi les membres de l’Unité Nationale Russe (UNR), un parti néo-nazi théoriquement interdit en Russie en 1999, mais toujours actif et utilisé par les services secrets russes et très présents dans le Donbass. Un scandale a éclaté quand le premier “Gouverneur du Peuple” de la “République Populaire du Donetsk”, Pavel Gubarev, un membre de l’UNR, a été pris en photo avec une croix gammée sur la manche; la branche du Donbass de l’UNR a alors rapidement remplacé la croix gammée par une croix dans son logo.

Dans un monde idéal, le Régiment Azov devrait également remplacer son logo associé au Wolfsangel et clairement se dissocier de ses fondateurs néo-nazis. Il y a toutefois une certaine répugnance à le faire car c’était sous ce symbole et ces commandants qu’il a remporté ses succès, mythologisés mais pas imaginaires, en 2014. Et il est rare qu’on change des symboles pendant une guerre.

Massimo Introvigne

Traduction française de Willy Fautré

21 Mar 2022


À la Reconquête d’un passé perdu

Trois choses viennent de nous stupéfier

La première est l’invasion de l’Ukraine, une nation souveraine proche de l’Union européenne, par la Russie de Poutine. Quand les États-Unis nous en ont prévenus, nous ne les avons pas crus.

La deuxième est la résistance des Ukrainiens et de leur président, en dépit de l’énorme disproportion des forces en présence. Nous ne savions pas que l’héroïsme pouvait exister au présent, et Poutine ne l’avait pas anticipé.

Notre troisième surprise a été la promptitude, le niveau et l’unité de la réaction du monde libre. Nous le pensions désarticulé et incapable de faire front. Sur ce point aussi le glacial joueur d’échecs qu’est Poutine a mal anticipé son coup. Le monde libre se réveille, il se reforme, se réarme et il réagit. 

C’est un évènement qui peut nous redonner espoir et énergie.

La stupeur produite par ce retour soudain du tragique dans l’Europe apaisée a suscité deux interrogations.

– Que se passe-t-il dans la tête de Poutine, cet homme que l’on prenait pour un interlocuteur rationnel ?

– Quel est le fantasme qui le fait succomber à l’ubris fatale aux despotes ?

En réponse à la première question, les gens qui s’interrogeaient de bonne foi sur son identité, sur son psychisme et donc sur la manière de s’entendre avec lui dans le respect des traités ont découvert que dans sa tête et dans ses tripes Poutine était simplement un pur produit du KGB. Un produit inaltérable. L’extrême brutalité et l’extrême mensonge sont dans sa nature. Un remake du Dictateur de Chaplin serait le bienvenu.

Quant au fantasme qui le pousse à agir imprudemment, s’ll fallait lui donner un titre proustien, ce pourrait être À la reconquête d’un passé perdu.

Car la Reconquête de l’empire russe qui s’est écroulé et qui a éclaté en 1991 est à l’évidence le mobile obsessionnel du président Poutine.

Contrairement à ce qui se dit et s’écrit ici ou là, ce n’est pas l’Occident qui l’a repoussé et qui l’a conduit à endosser ce personnage.

Ce qui pousse Poutine au crime et à la faute, c’est le refus de faire son deuil de la puissance passée de la Russie.

Son obsession est la Reconquête. La victoire du passé sur le présent;

Profitant de la désorganisation de l’ordre mondial instauré après la seconde guerre mondiale et de l’impossibilité pour le monde libre de répondre à sa guerre par la guerre, Poutine est parti à la Reconquête méthodique de l’empire russe éclaté et perdu en 1991.

Sa méthode est celle du fait accompli par la force , qui nous rappelle celle de Hitler.

Il lui emprunte également la rhétorique de la communauté de langue qu’Hitler appliqua à propos des Sudètes.

Il agit de nos jours à la façon de l’empire soviétique, par l’envoi des chars comme à Berlin-Est en 1953, à Budapest en 1956 et à Prague en 1968.

À cette époque caractérisée par le partage du monde, l’empire soviétique exerçait impunément sa terreur à condition de la limiter à sa sphère d’influence, qui était reconnue depuis Yalta par l’autre partie de la communauté internationale.

Poutine ne peut pas admettre que le temps de l’empire russe est révolu, et qu’il ne le rétablira pas.

Ignorant la fin de ce partage du monde, il s’attaque aujourd’hui à une nation qui s’est libérée du joug soviétique et qui est devenue souveraines. Il projette d’étendre cette Reconquête de l’empire perdu à d’autres provinces et même à d’autres États.

Il parie sur l’impuissance des démocraties qu’il méprise. Quand il admire ses muscles dans un miroir, il pense n’avoir que des dégénérés flasques et drogués pour adversaires.

C’est ainsi qu’il a pris  le risque de ressouder le monde libre contre lui et de se retrouver isolé, dans un monde mondialisé ou il n’aura d’autre recours que la soumission à la Chine communiste.

Notons d’ailleurs au passage que Poutine pas le seul à croire que l’avenir d’un pays peut résulter de la Reconquête de son passé.

La Reconquête du temps passé, dans ce qu’il avait de pire, n’est heureusement qu’un fantasme. Elle n’est un pari gagnant ni à Moscou ni à Paris.

André Senik

28 Fév 2022


 «Pékin doit accepter une enquête internationale sur les origines du Covid!»

Vingt scientifiques de haut niveau œuvrant dans huit pays – dont Colin D. Butler, professeur émérite de santé publique à l’université de Canberra, Henri Cap, zoologue à Toulouse, Jean-Michel Claverie, virologue et professeur émérite à Aix-Marseille, et Virginie Courtier, généticienne de l’évolution et directrice de recherche au CNRS – appellent les chefs d’État et de gouvernement à unir leurs efforts pour que la Chine consente enfin à une enquête internationale sur les origines de la pandémie, alors que ce pays accueille les JO d’hiver.

La charte olympique stipule que «le but de l’olympisme est de mettre le sport au service du développement harmonieux de l’humanité en vue de promouvoir une société pacifique, soucieuse de préserver la dignité humaine». Alors que les athlètes du monde entier se rassemblent pour le début des JO d’hiver de 2022 à Pékin, cette noble aspiration est mise à mal par les efforts déployés par le gouvernement chinois pour bloquer toute enquête sérieuse sur les origines de la pandémie de Covid-19: destruction d’échantillons, dissimulation de dossiers, emprisonnement de journalistes et interdiction, pour les scientifiques chinois, de publier des études sur les origines de la pandémie sans l’aval du gouvernement.

Comprendre comment cette terrible crise a commencé est essentiel pour prévenir de futures pandémies. Aucune enquête internationale approfondie et crédible sur les origines de la pandémie n’a cependant encore été lancée. Le 9 février 2021 à Wuhan, la mission internationale organisée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) avait conclu qu’une «origine naturelle» de la pandémie était probable et un incident de laboratoire «extrêmement improbable». Le chef de la mission internationale, le D Peter Ben Embarek, avait toutefois admis par la suite qu’il pensait qu’un accident de laboratoire était «probable» et qu’il avait subi des pressions de la part de ses hôtes pour éviter le sujet.

Bien que l’OMS ait récemment créé un nouvel organe – le groupe consultatif scientifique sur les origines des nouveaux agents pathogènes (Sago) – chargé d’enquêter sur les origines des nouveaux agents pathogènes, dont le SARS-CoV-2, il semble que cet organisme n’ait pas accès à toutes les données brutes pertinentes ni à tous les sites d’échantillonnage en Chine et qu’il n’ait pas été autorisé à effectuer des audits des laboratoires de Wuhan, où des coronavirus de chauve-souris étaient stockés et manipulés avant le début de l’épidémie.

En l’absence de plan bien établi pour mener une enquête internationale complète et sans restriction sur l’origine du Covid-19, tous les habitants de la planète et les générations futures restent exposés à un risque accru de pandémies.

Nous appelons l’OMS à établir et promouvoir une ligne sécurisée permettant aux personnes du monde entier de partager de manière plus sûre les informations concernant l’origine de la pandémie

Scientifiques et experts du monde entier engagés dans la recherche des origines de cette pandémie, nous appelons donc toutes les nations à s’unir pour exiger une enquête complète et sans restriction sur l’origine du Covid-19 en Chine et, le cas échéant, au-delà, et le gouvernement chinois à affirmer son soutien à une enquête internationale complète. Nous appelons les États-Unis, l’Union européenne et d’autres organismes nationaux et internationaux à mettre en place des commissions Covid-19 pour étudier l’origine de la pandémie et proposer des solutions pour qu’une telle pandémie ne se reproduise pas.

Nous invitons toutes les nations à exiger des scientifiques de leur pays qui ont collaboré avec des laboratoires chinois de recherche sur les coronavirus qu’ils partagent toutes les données et communications pertinentes, et le gouvernement chinois à autoriser l’accès aux informations essentielles à l’évaluation correcte de toutes les origines plausibles: bases de données de séquences et d’échantillons de virus gérées par l’Institut de virologie de Wuhan, qui ne sont plus accessibles ; rapports des missions de collecte de virus réalisées en 2018-2019 impliquant le personnel de Wuhan ; liste des prélèvements effectués sur les six mineurs ayant développé des symptômes comparables à ceux du Covid-19 en 2012, et des institutions ayant reçu ces prélèvements ; accès à la mine de Mojiang et aux grottes de Shitou au Yunnan ; cahiers de laboratoire et dossiers de recherche des laboratoires concernés de Wuhan, et dossiers de biosécurité soumis depuis 2016 par ces institutions aux autorités chinoises.

Nous appelons l’OMS à établir et promouvoir une ligne sécurisée permettant aux personnes du monde entier de partager de manière plus sûre les informations concernant l’origine de la pandémie et la communauté internationale à reconnaître l’exemplarité des professionnels de santé chinois et des nombreux citoyens chinois ordinaires qui ont pris des risques personnels en documentant l’épidémie précoce à Wuhan et en alertant le monde, et trop souvent sévèrement punis pour l’avoir fait.

Ces réalisations contribueraient à construire un avenir plus sûr et correspondraient pleinement aux valeurs olympiques.

Liste complète des cosignataires:

Colin D Butler, Professeur honoraire, Université nationale australienne, Canberra, Australie

Henri Cap, PhD, Zoologiste, Toulouse, France

Jean-Michel Claverie, Professeur émérite de médecine, virologue, Université d’Aix-Marseille, France

Virginie Courtier, Généticienne de l’évolution, Directrice de recherche, Institut Jacques Monod, CNRS, France (Co-Organisatrice)

Gilles Demaneuf, Ingénieur, Data Scientist, Auckland, Nouvelle-Zélande (Co-Organisateur)

François Graner, Biophysicien, Directeur de recherche, CNRS, Université de Paris, France

Makoto Itoh, Professeur, systèmes d’ingénierie, Université de Tsukuba, Japon

Mai (Mike) He, Pathologiste, Professeur associé, Faculté de médecine de l’université Washington à Saint Louis, États-Unis

Hideki Kakeya, Scientifique de l’information, Professeur associé, Université de Tsukuba, Japon

Richard Kock, Professeur, Santé de la faune sauvage et maladies émergentes, Collège royal vétérinaire, Londres, Royaume-Uni

Jonathan Latham, PhD, Directeur exécutif, The Bioscience Resource Project, États-Unis

Milton Leitenberg, Chargé de recherche principal, Université du Maryland, États-Unis

Steven E Massey, Biologiste informaticien, professeur, Université de Porto Rico, Rio Piedras, San Juan, Porto Rico, États-Unis

Jamie Metzl, Chargé de mission, Conseil Atlantique, États-Unis (Co-organisateur)

Steven Quay, MD, PhD, anciennement professeur titulaire, Département de pathologie, École de médecine de l’Université de Stanford, États-Unis

Monali Rahalkar, Microbiologiste, Institut de recherche Agharkar, Pune, Inde

Bahulikar Rahul, Expert en génétique et taxonomie des plantes, Fondation de recherche sur le développement BAIF, Pune, Inde

Charles Rixey, MA, anciennement chef CBRN, Corps des Marines des États-Unis ; analyste, DRASTIC, Dallas TX, États-Unis

nter Theißen, Professeur, Généticien, Institut Matthias Schleiden, Université Friedrich Schiller d’Iéna, Allemagne

Roland Wiesendanger, Nanoscientifique, Professeur, Université de Hambourg, Allemagne

Allison Wilson, PhD, Directrice scientifique, The Bioscience Resource Project, États-Unis

(crédit photo: Adam Tusk, Flickr)

15 Fév 2022


La France selon Zemmour-Zelig

Zemmour veut rendre à la France sa pureté catholique en la débarrassant des musulmans qui l’envahiraient dans le but planifié de l’occuper et de l’islamiser intégralement.

Il faut voir dans ce programme épurateur un hommage implicite à une épuration menée dans un dessein comparable, en Espagne, par Isabelle la catholique et Ferdinand III, immédiatement après l’achèvement de la Reconquista au détriments du dernier royaume musulman en Espagne.

Quand Éric Zemmour reprend à son compte, sans toutefois le mentionner, ce programme national-catholique d’épuration, il prouve qu’il ne tient pas rigueur à Isabelle la catholique d’avoir expulsé non seulement les musulmans, mais les Juifs d’Espagne, ses ancêtres, en 1492, et d’avoir persécuté sans pitié ceux des Juifs qui feignaient de se convertir au catholicisme tout en restant juifs en cachette.

C’est en tout cas sans doute grâce à cette « épuration » impitoyable qu’Éric Zemmour est né de parents juifs vivant dans Algérie française.

Éric Zemmour n’en veut pas non plus aux antidreyfusards qui condamnèrent un capitaine juif français innocent, parce qu’ils agissaient, dit-il, dans l’intérêt de l’armée française. Un intérêt national que Zemmour, adepte fervent de la real-politik et de la raison d’État, place au-dessus des droits de l’homme et de toute considération morale ou juridique.

Éric Zemmour prend ainsi le contrepied des Juifs qui, comme les parents d’Emmanuel Levinas, vinrent en France parce qu’elle était le pays qui s’était dressé pour innocenter un Juif.

À chacun sa France.

Mais Zemmour, pas rancunier pour deux sous, n’en veut pas non plus à l’État français de Vichy d’avoir abrogé le décret Crémieux, qui en 1870 avait attribué « la citoyenneté française aux Israélites indigènes » c’est-à-dire, sans dire le mot juif, aux Juifs d’Algérie. Suite à l’abrogation de ce décret par le gouvernement de Vichy le 7 octobre 1940, les « Israélites d’Algérie » redevinrent des Juifs, et leur sort fut aggravé par l’application sur ce territoire des multiples interdictions imposées par la loi portant statut des Juifs du 3 octobre 1940.

Il fallut attendre l’après seconde guerre mondiale pour qu’en France le mot Juif cesse d’être soit banni soit injurieux, pour qu’il acquière droit de cité et honorabilité dans le vocabulaire de la République française.

De nos jours, en France, on peut se dire Juif et Français, dans les deux sens.

Éric Zemmour, nostalgique de la France d’avant, a choisi de se définir dans la France d’aujourd’hui en tant que Français de confession israélite, et pas comme un Français juif ou un Juif français.

L’idée qu’un être humain puisse provenir de deux histoires et se reconnaitre dans une double appartenance lui parait aussi contradictoire qu’un cercle carré. Pour lui, s’assimiler c’est « changer d’arbre généalogique ».

Pour le dire autrement, s’assimiler, selon lui, ce n’est pas assimiler la culture du pays d’accueil sans renier son passé : c’est être assimilé, comme un aliment qui a été ingéré et métamorphosé. S’assimiler, c’est faire un trou dans son passé et s’infliger une sorte de trépanation.

Si les Juifs s’étaient assimilés au sens que Zemmour donne à ce terme, le peuple juif n’existerait plus.

On voit qu’Éric Zemmour ne se noie pas dans les nuances et la complexité. Son discours est carrément carré.

C’est là sa force.

Mais c’est aussi sa faille.

Son choix de s’identifier publiquement en tant que « Français de confession israélite », l’oppose au choix du cardinal Lustiger, qui, lui, se revendiquait comme un Français juif de confession catholique.

Pourquoi ?

Mais pourquoi le « Français israélite » Zemmour n’en veut-il pas à ceux qui ont persécuté les Juifs au nom de la pureté catholique de leur pays ?

Pourquoi les blanchit-il?

Certains commentateurs ont allégué le syndrome de Stockholm, qui pousse les victimes à prendre le parti de leurs bourreaux pour s’imaginer être du côté du manche.

D’autres ont cherché la clé de ce rejet de sa judéité originelle dans l’aspiration à échapper à la dangereuse condition qui est celle des Juifs de la diaspora, en jouant la carte de l’autodissolution par assimilation intégrale.

Ce fut déjà le pari avant 1933 de nombreux Juifs allemands qui se voulurent plus allemands que les Allemands de souche. On connait la suite.

On trouve d’ailleurs une illustration de cette assimilation forcenée chez l’un des meilleurs spécialistes de l’âme juive, Woody Allen.

Le personnage qui porte le nom de Zelig dans son film éponyme est un homme-caméléon, capable de prendre totalement l’apparence des individus avec lesquels il est en relation. En présence de gros, il devient gros ; à côté d’un noir, son teint se fonce ; parmi les médecins, il fait comme s’il avait travaillé à Vienne avec Freud, et ainsi de suite. Jusqu’à ce que le spectateur du film le retrouve à l’époque de l’Allemagne hitlérienne, à une tribune dans le rôle d’un nazi forcené et vociférateur.

Heureusement pour lui, Zemmour n’est pas un Allemand d’origine juive des années 30 et 40, et sa pathologie assimilationniste ne le métamorphosera pas en nazi.

Mais cette pathologie aide à comprendre que notre Zelig-Zemmour reprenne à son compte le combat purificateur d’Isabelle la catholique, cette fois contre les musulmans. Qu’il justifie les Français antidreyfusards. Qu’il remercie l’État français de Vichy de n’avoir collaboré à la Shoah qu’en maintenant autant que possible les déportations de Juifs de France dans les limites de la préférence nationale pour les Juifs français. Et finalement qu’il conteste leur nationalité française aux enfants juifs français assassinés en France et enterrés en Israël.

La raison en est que, aux yeux de ce Français de confession israélite, les Juifs de France ne peuvent simplement pas être à la fois, et sans contradiction aucune, et Français et Juifs.

À partir de cette alternative imposée, que réserve son programme d’assimilation intégrale – un modèle qu’il oppose au modèle d’intégration sans déni des origines- à tous les Français non juifs dont les ascendants sont, eux aussi, venus d’ailleurs, chargés de leur histoire et de leur mémoire ?

Son modèle d’assimilation intégrale et exclusive leur propose d’effacer toutes les traces de leur passé, d’adopter les Gaulois pour seuls ascendants, et le catholicisme pour seule origine culturelle de leur identité française.

Voir par exemple ce qu’il propose aux musulmans vivant en France et qui voudraient y demeurer. Zemmour ne leur demande pas de s’adapter à la France des Lumières, à la France des droits de l’homme, à la France de la République et de la modernité, en laïcisant et en sécularisant leur appartenance religieuse. Il leur tend généreusement une main hospitalière, sous la condition, précise-t-il, qu’ils « s’assimilent » intégralement et exclusivement à la France catholique, en « christianisant », c’est le mot qu’il a choisi, leur mode d’appartenance à leur religion

Si Zelig-Zemmour devenait Président, et s’il tenait parole sans fléchir, il pourrait mettre en application la définition de la France qu’il dit emprunter à De Gaulle :  » Un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne. »

En application de cette définition de la France éternelle, les Juifs de France pratiquants redeviendraient des israélites. Les Juifs de France non croyants ne seraient plus des Juifs. Les musulmans de France devraient se christianiser. Quant aux Asiatiques de France, ils devraient au minimum se blanchir et se convertir à une religion chrétienne.

Pour inaugurer son élection par un geste symbolique, le Président Zemmour pourrait déchoir de la nationalité française, , en grande pompe et en leur arrachant leurs décorations, et Joséphine Baker, qui chantait « j’ai deux amours, mon pays et Paris« , et Charles Aznavour, qui, tout en chantant dans la langue de Molière, accepta d’être l’ambassadeur officiel de l’Arménie à l’Unesco.

Telle est son idée de la France.

On ne pourra pas dire qu’on n’a pas été prévenus.

André Senik

Cher André, j’ai lu, un peu ahuri, ton article sur Zemmour, je n’imaginais pas ça en démocratie occidentale au XXIème siècle, des « idées » archaïques absurdes et simplistes qui vont à l’encontre de tout progrès, de toute évolution constatable, de toute solution pratiquement applicable aux problèmes issus de l’immigration, du moins sans créer des dommages majeurs. Mais j’ai surtout apprécié tes pertinentes références à Zelig de Woody Allen. J’avais vu ce film à sa sortie, jamais un film ne m’avait autant plu et fait rire et à l’époque j’avais été étonné de son peu de retentissement et de son succès mitigé. La différence, c’est que Zemmour, lui, a l’air de se prendre au sérieux ! Il croit vraiment à ce qu’il raconte ? Docteur, une urgence !
Bravo à toi en tout cas !

Pierre Druez

Le courroux d’André

Je suis surpris de voir qu’André Senik adopte la technique de l’amalgame pour marquer sa violente opposition aux idées politiques d’Eric Zemmour. Senik, ancien professeur de philosophie, auteur d’un remarquable essai critique sur Karl Marx (1), plein d’exigence et de rigueur analytique, abandonne néanmoins cette fois ces bonnes habitudes pour se jeter à plat ventre dans une confuse diatribe contre le courageux journaliste et polémiste (2). Senik remet en question les opinions bien connues, lancées   sans langue de bois,  d’Éric Zemmour sur des sujets comme la liberté, la France, sa perte d’identité, l’islamisme, l’immigration, l’assimilation, le catholicisme, le grand remplacement, etc.  

Mais cette fois, Senik s’avance avec une facilité déconcertante dans la méthode de la reductio ad hitlerum, usant et abusant de la conjecture et du langage subliminal. Rien ne manque à sa harangue. Zemmour serait, nous dit-il, un «épurateur impitoyable », un agent du « national-catholique d’épuration » et un «nostalgique de la France d’avant ». Senik invente que « S’assimiler [selon Zemmour]  c’est faire un trou dans son passé » et « s’infliger une sorte de trépanation » (comme celles du Dr. Mengele ?). Et, enfin, Zemmour serait une espèce d’exterminateur de Juifs. Voici la phrase atroce de Senik: « Si les Juifs sont assimilés au sens que Zemmour donne à ce terme, le peuple juif n’existerait plus. »

Dans son article, André Senik martèle quatre fois le mot «épuration». Il reproche au polémiste sa « pathologie assimilationniste ». Tout cela est excessif et motivé  par une haine sans fard.

Tout en essayant de nous faire croire qu’il manie « les nuances et la complexité », André Senik fait dire à Zemmour ce qu’il n’a jamais dit et prend comme des faits des phrases inexistantes.

Tente-t-il de s’inscrire dans la course aux fadaises  prononcées,  il y a quelques semaines, par BHL et par le grand rabbin de France, Haïm Korsia, qui affirmait – en clivant encore plus la communauté juive de France-  que Zemmour était « antisémite certainement, raciste évidemment » ? Prenant comme un signal ces fariboles, les « bien-pensants » et les progressistes  se liguent  et essaient de faire boule de neige contre le pre-candidat conservateur, la révélation politique de l’année. Ils ne font pas cela sans réinstaller, aux yeux de tous, une machine staliniste de désinformation et de liquidation « des ennemis ».

D’une certaine façon, Senik devient le défenseur, par contrecoup, de causes rétrogrades. Par exemple, il déplore, dans sa diatribe,  la chute du « dernier royaume musulman d’Espagne », et fulmine contre l’admirable action d’Etat d’Isabelle la Catholique.

Il nous dépeint un Zemmour qui n’existe que dans sa tête. Il le présente comme un « impitoyable épurateur », comme un être obsédé par une seule chose : une supposée « pureté catholique », pour laquelle il expulserait « les musulmans » et « les Juifs de France ».

Et ce n’est pas tout. Senik croit savoir que « le Président Zemmour pourrait déchoir de la nationalité française,  en grande pompe et en leur arrachant leurs décorations, à Joséphine Baker, qui chantait ‘j’ai deux amours, mon pays et Paris’, et à Charles Aznavour ». On frôle la paranoïa.

Etrange manière de débattre : appelant à la dramatisation, ou plus exactement à un catastrophisme digne de réalisateurs de fictions comme Mimi Leder et Matt Reeves.

Non, cher André Senik, pour s’engager contre les idées d’Éric Zemmour, il faut respecter au moins une règle d’or: citer méticuleusement ses textes et déclarations. Vous ne le faites pas.  Vous vous contentez d’interpréter et de simplifier cette pensée, afin de pouvoir tirer les conclusions les plus aberrantes.

Senik demande : «pourquoi le ‘Français israélite’ Zemmour n’en veut-il pas à ceux qui ont persécuté les Juifs au nom de la pureté catholique de leur pays ? ». Où est le paragraphe ou la déclaration exprimant cette position?

La préoccupation d’André Senik semble tourner autour de la vieille question de l’assimilation et de ses effets sur les Français de confession juive et, à présent, sur les musulmans. Il prétend que Zemmour  exige, aux uns et aux autres, l’assimilation « intégralement et exclusivement à la France catholique ».

Rien de tel. Zemmour  n’a jamais mené bataille contre les « Français juifs » ni les « Juifs de France ». Au contraire, il combat la brutale remontée de l’antisémitisme, d’origine islamiste, et ses sanglants effets en France et en Europe. Zemmour, ne sort pas de la doctrine française traditionnelle et des principes du constituant Clermont-Tonnerre de soumettre la loi juive au Code Civil (et pas à la France catholique) et il dit que cette doctrine devrait être appliquée également vis-à-vis des musulmans: « Il faut refuser tout  aux Juifs comme nation et accorder tout aux Juifs comme individus ; il faut qu’ils ne fassent dans l’Etat ni un corps politique ni un ordre ; il faut qu’ils soient individuellement citoyens. »

Senik semble incommodé par ce vieux principe français. Aussi par les exigences du Premier Consul Bonaparte au Sanhédrin, en 1807, et par les modifications aux dogmes de l’islam –sur l’égalité homme-femme et la laïcité–, exigées par le ministre de l’Intérieur Chevènement en 1997. Idem sur la caractérisation de la France du général de Gaulle : « Un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne. »

En prétendant  polémiquer  avec Zemmour, Senik détourne, en réalité, les propos de Clermont-Tonnerre, en disant :  « Zemmour ne leur demande pas [aux musulmans vivant en France ] de s’adapter à la France des Lumières, à la France des droits de l’homme, à la France de la République et de la modernité, en laïcisant et en sécularisant leur appartenance religieuse. Il leur tend généreusement une main hospitalière, sous la condition, précise-t-il, qu’ils ‘s’assimilent’ intégralement et exclusivement à la France catholique, en ‘christianisant’, c’est le mot qu’il a choisi, leur mode d’appartenance à leur religion. »

Et de conclure : « En application de cette définition de la France éternelle, les Juifs de France pratiquants redeviendraient des israélites. Les Juifs de France non croyants ne seraient plus des Juifs. Les musulmans de France devraient se christianiser. Quant aux Asiatiques de France, ils devraient au minimum se blanchir et se convertir à une religion chrétienne. » Ainsi, Senik, par un insolent tour de passe-passe,  transforme l’assimilation en conversion religieuse, en un procès de «christianisation» massive. Or, cela n’est aucunement la vision d’Eric Zemmour. Mais faire croire que cela est un fait avéré –comme font ceux qui l’accusent de « réhabiliter Pétain », par exemple-,  fait partie de la stratégie des petits et grands coups bas que l’islamo-gauchisme pratique pour tenter de démolir ses adversaires sans discuter le fond des choses.

Je déplore de voir André Senik, admirable analyste et fin observateur, se laisser entraîner par les fureurs des contempteurs d’Eric Zemmour. De sa part, j’espérais pouvoir une nouvelle fois voir sa puissante capacité de recul  se mettre en œuvre et reconnaitre à Zemmour une sincérité et un courage dont les hommes politiques actuels nous ont privés depuis trop longtemps.  

(1) Marx, les Juifs et les droits de l’homme (Denoël, Paris 2011).

(2) https://histoireetliberte.fr/2021/11/18/debat-point-de-vue-la-france-selon-zemmour-zelig-par-andre-senik/

Eduardo Mackenzie

Cher Eduardo

Merci pour ce mélange d’éloges et de critiques.

Le mot « courroux » me convient.

Et en deçà des arguments, en voici la réponse de fond.

Je suis un Juif intégré et un Français juif assumé comme tel

Je n’ai aucune nostalgie pour a longue histoire de la France républicaine fidèle à  Rousseau et à Clermont-Tonnerre , pendant laquelle les Juifs ne pouvaient être désignés et reconnus que comme des israélites, c’est-à-dire par leur confession.

Les antisémites (dont Marx) ont eu cet unique mérite de révéler que c’est la judéité qu’ils haïssent. Cette judéité, cet héritage, et l’appartenance au peuple juif;  sont un patrimoine que je refuse d’effacer rn m’assimilant sans reste.

Je me proclame Juif français à 100% et Français juif à 100% comme le cardinal Lustiger et pour les mêmes raisons.

C’est pourquoi je me bagarre depuis des années avec certains de nos amis les plus proches en faveur de l’intégration à la culture français, au sens le plus large du mot culture, et contre le modèle assimilationniste.

Je suis très favorable à l’existence du CRIF qui est effectivement incompatible avec le principe de Clermont-Tonnerre/

Je souhaite qu’on offre et qu’on fasse accepter ce modèle d’intégration aux nouveaux venus des autres cultures, en exigeant d’eux qu’ils renoncent seulement à ce qui est incompatible avec la culture de leur pays d’accueil.

C’est pourquoi je prends pour exemples de cette intégration Joséphine Baker et Charles Aznavour.

Deux choses dites par Zemmour suffiraient à provoquer mon courroux.

1° Il a reproché à De Gaulle d’avoir soutenu la loi Neuwirth qui légalisa la contraception.

Cette nostalgie de France d’avant-hier me fait horreur.

2° il a critiqué le refus de « commémore »r Maurras.

Or la commémoration est définie comme étant « un type particulier de célébration »

:Voici ce que Charles Maurras à écrit

« Le 9 avril 1935, Charles Maurras écrit dans son journal, L’Action française , à propos de Léon Blum, leader du Parti socialiste :  « Ce Juif allemand naturalisé, ou fils de naturalisé[…]  n’est pas à traiter comme une personne naturelle. C’est un monstre de la République démocratique. Et c’est un hircocerf de la dialectique heimatlos1.  Détritus humain, à traiter comme tel[…]  . L’heure est assez tragique pour comporter la réunion d’une cour martiale qui ne saurait fléchir. [Un député]  demande la peine de mort contre les espions. Est-elle imméritée des traîtres ? Vous me direz qu’un traître doit être de notre pays : M. Blum en est-il ? Il suffit qu’il ait usurpé notre nationalité pour la décomposer et la démembrer. Cet acte de volonté, pire qu’un acte de naissance, aggrave son cas. C’est un homme à fusiller, mais dans le dos. »

Le fait que Zemmour désinhibe les antidreyfusards me stupéfie.

M’enrage le fait qu’il désinhibe les nostalgique de Pétain (qui aurait eu le mérite de préserver les Juifs francais de la déportation en livrant de bon coeur aux nazis les Juifs étrangers.

Je suis né en 1938 à Paris et je n’ai été naturalisé français qu’en 1947 en même temps que mes parents, qui étaient des Juifs polonais athées et non des Israélites.

  Je n’ai pas assez d’humour (juif), je l’avoue,  pour trouver des circonstances atténuantes à Pétain.

Les historiens ont le devoir de dire toute la complexité sur cette période, et sur la différence de traitement entre les Juifs français et les Juifs étrangers, mais l’usage politique que Zemmour fait de cette différence est proprement répugnant.

En un mot, je n’ai pas la nostalgie de la France d’avant-hie ni de sympathie pour les amis de Viktor Orban.

Je te salue

André

Bonjour Eduardo,

Je viens de recevoir ton mail à propos du texte d’André et je te donne mon avis, non sur l’ensemble de ton propre texte – avec lequel je ne suis pas d’accord- mais sur deux pointe.

-tout d’abord je suis étonnée de ta virulence qui montre une absence de respect pour l’auteur dont le seul tort est de penser différemment de toi. Je ne trouve pas cela très sympathique malgré le rappel récurrent des qualités intellectuelles manifestées jusqu’ici par André. Il « se jette à plat ventre », il manifeste une « haine sans fard », la référence absurde à Mengelé…Ce n’est pas cela un débat.

-de plus, la question de Pétain et le fait que Zemmour cherche à le réhabiliter ne peuvent être écartés comme tu le fais. Cette réhabilitation est bien dans la pensée de Zemmour qui affirme que Pétain a protégé les Juifs français. C’est une erreur historique. Certes, le fait qu’il y ait eu pendant deux ans une zone non occupée a permis à un certain nombre de Juifs de s’y réfugier, mais ce n’était en rien le but de Pétain de les protéger.Les mesures antisémites d’octobre 1940 puis les suivantes visaient tout autant les Juifs français que les Juifs étrangers. Puis l’obligation qui leur a été faite par le gouvernement de Vichy de se déclarer comme Juifs à la mairie (avec le tampon « juif » sur leur carte d’identité) n’avait pas pour but de les protéger, a au contraire permis de les désigner aux persécutions nazies.

Zemmour, Juif d’Algérie, ne connait pas vraiment la situation en France pendant la guerre et son goût de la provocation l’amène à faire de graves erreurs historiques.

Pour le reste de ton mail, c’est ton opinion, rien à dire, mais je ne crois pas que les Juifs de France soient ravis de voir au premier plan de l’actualité un Juif raciste, c’est une image bien négative.

Florence

J’ai relu l’article d’André et je ne comprends pas bien la virulence de la diatribe – bien écrite – d’Eduardo Mackenzie. Un amour immodéré pour Zemmour ? La nostalgie d’une époque révolue ?

Tout à fait d’accord avec Florence dont j’ai apprécié l’ensemble du texte. J’ajoute que le gouvernement de Vichy a été de son propre chef plus loin que ce que demandait Berlin, qui excluait les enfants de la déportation, c’est Vichy qui a proposé la déportation des enfants aussi. Selon Jean-François Revel (de mémoire mais je ne me rappelle plus où il a écrit ça, longtemps avant la reconnaissance officielle de ces faits), les nazis ont été tellement surpris qu’ils ont mis quinze jours avant de répondre : « Oui » –  bien sûr, les nazis, restaient les nazis, ajoutait Revel.

Plus largement, je crois que le grand danger en cours en ce qui concerne les Occidentaux est la haine de soi, l’ignorance et même le rejet et la haine de notre propre Histoire, de notre culture et de notre œuvre de civilisation universelle qui fut et reste bien réelle.

La mauvaise réaction aux menées anti-occidentales est de diaboliser à notre tour , tant l’autre que les mésinformateurs. S’en suivent des contre-réactions etc. , et on n’a plus que fermetures, blocages et chute des échanges dans des polémiques de cours de récré (ou pire !) 

Il me parait essentiel d’œuvrer à un enseignement éclairé, serein et ouvert en la matière.

Je crois que les retours aux nationalismes dévastateurs d’antan et l’obsession en vogue de l’identité s’appuient sur l’imaginaire d’une pureté originelle qui n’a jamais existé. Démarche palpable tant chez les racistes inversés à la mode que chez les racistes traditionnels « naturels » et aussi chez les nationalistes nostalgiques d’une « grandeur » mythique. 

Tout cela me parait fort archaïque tant sur le plan personnel que sur celui de l’Histoire. Ces aspirations se nourrissent de peurs profondes enfouies en tout un chacun : la peur de se perdre (souvent parce qu’ on ne s’est jamais vraiment trouvé), la peur d’être privé de ses supports familiers d’identification, d’idéalisation et de haine, la terreur inconsciente d’être dévoré et métabolisé si on laisse une culture différente et des idées incompatibles avec les siennes pénétrer son environnement, son entourage et finalement soi-même !

Comme le dit André, s’assimiler c’est assimiler la culture du pays d’accueil sans renier sa culture d’origine. 

Les exemples de coexistence pacifique entre religions et cultures différentes au sein d’un même ensemble politique (Empire ottoman, Autriche-Hongrie) ne manquent pas.

De même les exemples d’assimilation réussie sans reniement des origines : aux USA bien sûr mais aussi en France, au Royaume-Uni, en Allemagne, en Belgique…

Pourquoi n’en irait-il pas de même avec les musulmans et Africains de France et de Belgique malgré toutes les difficultés bien concrètes auxquelles cette immigration massive nous confronte ? 

Détail important :  pourquoi continuer à interdire la tenue de statistiques sur l’ethnie, la race, la religion en France et en Belgique ? Par peur de l’instrumentation raciste et de faire le jeu de l’extrême-droite, on se prive de la référence au réel pour prendre les mesures correctrices adéquates en matière d’inégalité et on laisse libre cours à toutes les extrapolations abusives, aux fantasmes et aux rumeurs. Les USA et le Royaume-Uni ne s’ handicapent pas de la sorte et ont le courage de regarder la réalité en face.

Que nous le voulions ou non, nous allons vers un monde supranational et multiculturel universel, nous y sommes déjà pour une grande part. Toute évolution porteuse de mutations génère résistances, crises, retours en arrière mais je crois que rien ni personne n’empêchera le progrès de se poursuivre tendanciellement que ce soit sur le plan dont nous discutons ou les autres (progrès technologiques et économiques) qui entrainent eux aussi de très fortes réactions archaïques.  Les revendications nationalistes, régionalistes et religieuses sont des combats d’arrière-garde nuisibles quand elles mettent à mal des démocraties (islamistes, intégristes, Catalogne, Pays basque, Corse, Lombardie… ) mais PAS quand ce sont de simples revendications destinées à pouvoir exercer ses libertés et droits fondamentaux en matière de religion, d’expression, d’information, de circulation et de justice indépendante, ainsi qu’Antoine et Pierre l’ont fait remarquer en distinguant l’action de #Me Too en RP de Chine et en Occident.

Pierre Druez

25 novembre 2021

Cher André,

Je me félicite de constater que dans ta « réponse de fond » à mon article tu abandonnes ton horrible caractérisation d’Eric Zemmour comme un « impitoyable épurateur », comme quelqu’un obsédé par l’expulsion de France  «des musulmans » et  « des Juifs de France ». Il y a du progrès.

Toutefois, tu arrimes de nouveaux éléments à la controverse, comme Marx, le CRIF,  la loi Neuwirth, la condition féminine,  ta judéité, Charles Maurras et Viktor Orban, entre autres. Je ne veux pas, excuse-moi,  discuter de tout cela et te laisser disperser la discussion dans un foutoir, bien que j’aie des opinions bien affirmées sur ces sujets. Il faut savoir mener et terminer une discussion, camarade, pour parodier l’autre.  

Néanmoins, le thème de Maurras et les commémorations m’intéresse,  ainsi que tes affirmations sur l’« assimilation sans reste » et l’intégration de « nouveaux venus des autres cultures », comme tu dis, par antiphrase, pour ne pas utiliser la formule  immigration incontrôlée, car cela c’est, je pense, le noyau dur de notre conversation.

Tu dis que « Zemmour a critiqué le refus de ‘commémorer’ Maurras » et que cela suffit pour  « provoquer [ton] courroux ». Cet épisode est très intéressant. Il est, à mon avis, une curieuse anticipation, en janvier 2018, de l’aberration qui explosera quelque mois après aux Etats Unis sous l’appellation du wokisme/cancel culture.

En janvier 2018,  Françoise Nyssen, ministre de la Culture,  sous la pression, semble-t-il, des réseaux sociaux, et des injonctions de Manuel Valls et de la LICRA, décide de retirer le nom de Charles Maurras du livre de commémorations d’Etat. Le 5 février, Éric Zemmour, dans une interview de Figaro/Live, critique, en effet, cette décision. Il admet que les propos antisémites de Maurras contre Léon Blum  sont d’une « cruauté impardonnable» car ils tombent dans un moment où l’Allemagne nazie « procède à l’extermination des juifs ».  Il dit que, pourtant, la République « a le devoir de commémorer (pas forcement célébrer) toutes les figures qui ont marqué la vie intellectuelle de la France, sinon elle risque de dériver vers le sectarisme ».

Je suis d’accord avec cette vision de Zemmour. Ce que tu ne dis pas c’est que Zemmour n’est pas la seule personne qui voit les choses ainsi. Une semaine avant Zemmour, deux historiens –Pascal Ory et Jean-Noël Jeanneney— avaient critiqué la décision de Mme Nyssen à l’égard de Maurras. Dans la même semaine, cinq autres personnalités –Pascal Perrineau, Philippe Meyer, Lucile Schmid, Karl Meus et Jean Christophe Buisson–, déclarent, sur Figaro/Live,  être favorables au maintien de Maurras dans la liste de commémorations, en raison de l’importance considérable de celui-ci dans la  politique de son temps  et parce que la liste de commémorations ne pouvait pas devenir le catalogue des « gens bien » selon une chapelle du moment.

M. Perrineau a évoqué même un détail intéressant : le déserteur Maurice Thorez, le chef  « historique » du PCF, avait écrit aussi, à Moscou, en janvier 1940, des « propos ignobles » du même acabit de Maurras à l’encontre de Léon Blum : «agent de l’Angleterre capitaliste », « égoïste jouisseur », « misérable créature »,  « répugnant reptile », « la hyène Blum », « chien de garde, il aboie à gorge déployée », etc. (1).

Pourtant, le chef staliniste n’est pas l’objet, bien entendu, du châtiment mémoriel infligé à l’heure actuelle à Charles Maurras. Louis-Ferdinand Céline doit-il aussi être banni de l’histoire littéraire de France pour ses pamphlets antisémites? As-tu, André, cédé aux sirènes de cette exécrable mode de la cancel culture ?

Pourquoi ne dénonces-tu pas Thorez et Céline ? Pourquoi ta bronca contre Éric Zemmour est-elle sélective et exclusive? Pourquoi ce deux poids-deux mesures ?  Pourquoi te fais-tu violent contre le polémiste conservateur et aveugle face à l’appel au meurtre de Jean-Christophe Lagarde contre Zemmour ? La phrase «Si Monsieur Pasqua était là, il te filerait une balle dans la tête», ne t’a donc pas ému ? Le voyou centriste n’a pas présenté ses excuses (il a regretté uniquement son expression « inappropriée ») et tout le progressisme a vite passé à autre chose. Mais pas Éric Zemmour.

Tu avances que l’assimilation est une « idée terrifiante » et que la seule chose qui aille c’est l’intégration. Pour toi, l’assimilation est « faire table rase du passé » de chaque personne. Dans ta définition de l’assimilation il y a autant d’invention que de fantasme. Pour toi, l’intégration serait « faire sien l’héritage du peuple français ».  Toutefois, tu es contre l’interdiction du port du voile islamique à l’université ou du burkini sur les plages, car pour toi ces deux gestes apparaissent comme des libertés individuelles, et seraient donc seulement  des « particularismes» et des « phénomènes communautaires » (qui doivent, selon toi, être tolérés dans une société libérale).  Tu ne vois pas dans ces gestes ce qu’ils sont : des drapeaux et des symboles d’un système politico-religieux et d’une offensive à long terme qui vise à islamiser la France.   

Dans ton long article de décembre 2016 (2), où tu n’abordes pas une seule fois le problème de l’immigration en France, tu dis être d’accord avec le philosophe Etienne Balibar qui défend « le droit des musulmans contre les mesures visant le voile et le burkini », car il, Balibar, estime que « notre société libérale n’aurait pas une identité à défendre ». Porter le voile islamique à l’université ou le burkini sur les plages est-il, pour toi, « faire sien l’héritage du peuple français » ?

Ta vision de « l’assimilation » est aussi inexacte. La France n’a jamais exigé aux Juifs d’« effacer l’appartenance au peuple juif » comme tu l’écris. La loi française n’a jamais exigé l’apostasie, l’abjuration, la conversion, le lavage de cerveaux pour faire l’assimilation. Tu crois à cela, mais tu te trompes. Il y a de nombreuses générations d’immigrés italiens, espagnols, polonais, portugais, qui ont réussi non seulement une rapide intégration mais aussi une assimilation parfaite, sans « s’infliger une sorte de trépanation », pour utiliser ta formule.

Tu estimes que «…en ce qui concerne les musulmans, l’identité à laquelle doivent impérativement s’adapter (…) c’est avant tout l’identité des valeurs libérales, et pas obligatoirement des valeurs ‘nationales’ ou ‘républicaines’ ». Faire cette distinction (artificielle)  entre « valeurs libérales » et « valeurs nationales ou républicaines », te permet de résoudre l’équation par une voie imparfaite : en évacuant de l’analyse la civilisation judéo-chrétienne, rien de moins, c’est-à-dire en renonçant à voir  quelque chose de fondamental et qui fait partie, en France, des « valeurs nationales » et du socle du roman national.

On devrait dire merci à Éric Zemmour car il a ouvert le débat sur certaines de ces notions importantes, ensevelies pendant des années de soumission vis-à-vis des constructions idéologiques de la gauche. Il a mis sur la table les thèmes qui préoccupent le plus les Français et les acteurs politiques s’engouffrent déjà dans la brèche en ce début de campagne présidentielle.   

Eduardo Mackenzie

Je suis d’accord avec toi sur un point : il faut centrer nos propos.
Je vais donc essayer d’être concis;
Je peux néanmoins préciser quelques points de détail
Cela fait soixante ans que j’ai jamais ménagé mes critiques de Thorez et j’eusse été hostile à ce que l’on commémore l’auteur de Fils du peuple (une auto-biographie qu’il a d’ailleurs fait écrire par un « nègre » Jean Fréville).
Je n’ai évidemment jamais donné raison à Balibar, avec lequel je suis en total désaccord depuis nos années étudiantes.
Ce n’est pas moi qui ai défini i l’assimilation comme un renoncement total au passé, c’est Zemmour qui la définit comme un changement d’arbre généalogique. C’est selon moi un déni pathologique
Enfin, je me souviens que plusieurs intellectuels respectables ont souhaité que les Français commémorent Maurras, alors qu’il n’a pas contribué à autre chose qu’au déshonneur de la France.
Ces intellectuels respectables prétendaient que la commémoration n’était pas une célébration.
En quoi ils se trompaient. La commémoration est définie comme une forme de célébration.
Entre commémorer et effacer, il y a place pour éventuellement rappeler et condamner.
Les livres d’histoire dans laquelle ils ont joué un rôle important doivent évidemment parler de Maurras et de Staline et de Hitler et de Pétain. Mais les célébrer, non!
Je veux bien célébrer la loi Neuwirth qui donna aux femmes le droit à la contraception, et rappeler, sans les commémorer les discours de ceux qui regrettent cette loi (dont le PCF qui combattit le « birth control ».
Je crois que nous sommes au clair.
Porte toi bien

André

Aveu d’accablement

Je suis quelque peu accablé par la tournure prise par ce qui devait être un débat sur les affirmations d’Eric Zemmour.

Un animateur central de notre blog, un participant depuis des années aux activités de l’Institut d’histoire sociale, à sa revue Histoire & Liberté, à ses colloques, à ses réunions, André Senik pour ne pas le nommer, a pu ainsi être, par un autre participant à cette histoire, auteur notamment de nombreux articles sur la Colombie dans la même revue, accusé de pratiquer l’ « amalgame », de « rejeter à plat ventre (sic) dans une confuse diatribe », d’ « user et abuser de la conjecture et du langage subliminal », d’ « inventer », d’être « motivé par une haine sans fard » et même – ce sera la touche comique – de « déplorer dans sa diatribe – la chute du dernier royaume musulman d’Espagne » et de « fulminer contre l’admirable action d’Etat d’Isabelle la catholique ».

Pour s’en tenir à la forme, il y a une manière digne, respectueuse, d’échanger des arguments politiques, moraux, historiques, qui émane des valeurs que nous disons tous défendre. Il y en a une autre qui vise à écraser l’adversaire, à le caricaturer voire à le ridiculiser, qui signe une incivilité impropre au cadre démocratique et libéral.

Mais peut-être est-ce là que le bât blesse? André Senik défend, je défends, d’autres défendent dans notre cercle d’Amis d’Histoire & Liberté la démocratie libérale. D’autres, visiblement, défendent l’illibéralisme, une conception de la démocratie qui favorise la conduite incontestable, en tout cas très difficilement contestable, du pouvoir politique. C’est celle de Viktor Orban, apprécié de Zemmour; c’est celle de Vladimir Poutine, défendu par le même Zemmour.

Dans cette conception, l’intérêt de l’Etat, contrôlé par un « leader » et un parti au service de ce dernier, prévaut et tend à rendre impossible l’alternance. Cette chasse aux oppositions se drape ostensiblement dans une posture de défense de l’intérêt national. Ostensiblement mais fantasmatiquement. Car on peut contester le service que rendent à leur propre nation les positions sur l’islamisme, l’identité nationale, l’immigration, les religions, d’un Orban, d’un Poutine, ainsi que celles d’un Eric Zemmour.  

Contre l’islamisme, la tentative de constituer un « islam de France » compatible avec les règles de la démocratie libérales me semble respectable. Elle est encore dans les limbes il est vrai, et les conflits entre les musulmans, l’influence qu’ont sur chacune de ces parties mutuellement hostiles, des pays étrangers, rendent cette tâche particulièrement difficile. Mais le renseignement et les opérations policières ne suffisent pas. C’est pourquoi cette tentative de constituer un islam compatible avec nos valeurs politiques, morales et intellectuelles, est appréciable, tout comme l’est l’action contre le « séparatisme », même si l’on sait parfaitement que ce séparatisme n’est qu’un moyen en vue d’une fin : la prise de pouvoir.

On aimerait savoir quelles mesures lui, Eric Zemmour, compte prendre, pour faire reculer l’islamisme politique et pour faciliter l’intégration progressive des musulmans dans la société française- si tant est qu’il la souhaite. Lui prône plutôt l’assimilation, autrement dit la suppression imaginaire, malsaine ou impossible de son arbre généalogique. Et il la prône dans une France qui n’existe pas. Décidément, Zemmour met la barre trop haute pour la majorité de nos compatriotes musulmans.

Pourquoi une France qui n’existe pas? C’est que, pour cerner et défendre l’identité française, il faudrait, ce que ne fait guère Zemmour, reconnaître en même temps et son passé et son évolution et son avenir. La France n’est pas une essence. L’identité de cette société évolue – comme toute société – lentement, avec le temps. Son intégration dans l’Union européenne, son affaiblissement démographique, son besoin de main d’oeuvre, son respect des droits de l’homme qui la conduisent à accueillir les réfugiés et à favoriser les regroupements familiaux conduisent sans doute à des excès et à des tensions, mais aussi à une ouverture nouvelle sur le monde qui l’oblige à repenser ses modèles nationaux et culturels antérieurs.

Un Zemmour ne peut entendre de telles propositions. La France d’hier et la France d’aujourd’hui expriment pour lui une réalité identique, forgée – et confirmée – pendant des siècles par une histoire dont nous devons être totalement et continûment fiers.

En fait, la France d’aujourd’hui se mondialise, comme la plupart des sociétés modernes économiquement développées. Ses fils et ses filles voyagent, se marient avec des étrangers et des étrangères, vivent parfois au loin. Peut-on s’imaginer que dans de telles conditions l’identité du pays pourrait ne pas changer ? Et que le sentiment national, forgé pour beaucoup par les confrontations voire les guerres, puisse rester aussi aigu qu’hier ? S’adapter à nos valeurs, à nos principes et à nos moeurs, est une demande légitime aux nouveaux venus. Mais les valeurs, et surtout les moeurs ( laissons cependant les principes, énoncés dans la Déclaration des droits de l’homme!) ne sont pas immuables. Il n’y a pas de France éternelle à laquelle il faille s’adapter. Et l’équation, on le voit, est complexe et bien éloignée des simplissimes positions « zémmouriennes » : au moment même où l’acuité du sentiment national s’émousse au contact de l’Europe et du monde, et du fait de près de huit décennies de paix, il convient de faire accepter aux immigrés les valeurs et les moeurs qui caractérisent la France!

Le problème est évidemment autre pour Eric Zemmour qui, désireux de faire coïncider ses fantasmes d’invasion migratoire criminogène et la réalité actuelle, rejette en quelques formules à l’emporte-pièce la Cour européenne des droits de l’homme, la « bureaucratie de Bruxelles », la levée des frontières au sein de l’U.E. et invente un socle catholique unifié où ensuite se fondent – condition sine qua non pour être Français – divers groupes tard venus.

De Clovis sacré roi à Reims à de Gaulle en passant par Louis XIV et Napoléon Ier, tous rappellent, à entendre Zemmour, que les minorités – sexuelles, religieuses, ethniques, venues d’ailleurs ou pas – ne forment pas le socle du pays. Si notre journaliste veut dire qu’elles sont minoritaires, il enfonce une porte ouverte. Et s’il veut dire qu’elles comptent pour rien dans l’identité française en évolution, il se trompe. Tout particulièrement aujourd’hui.

Je ne sais trop si le débat doit continuer. Ce que je sais en revanche, c’est que covid ou pas, flux migratoires ou pas, nous traversons une période difficile : une menace totalitaire chinoise plus une menace totalitaire islamiste, cela fait beaucoup pour un pays et une Europe divisés et contestés de l’intérieur comme de l’extérieur. Et que le temps est plutôt à se serrer les coudes qu’à s’accuser de malhonnêteté intellectuelle.

Pierre Rigoulot


18 Nov 2021


Eric Zemmour  : La France n’a pas dit son dernier mot, éd. Rubempré, 348 p., 21,90 €

Attention  : ceci n’est pas un livre. La plupart des 340 et quelques pages sont des récits de rencontres de l’auteur avec diverses personnalités, donnant souvent des précisions sur le restaurant qui les a accueillis et sur les plats dégustés.

On conçoit donc qu’un militant nationaliste, déçu par une Marine Le Pen dédiabolisée, achète cet ouvrage comme d’autres le maillot de leur équipe de football préférée, en signe d’adhésion, et comme une obole et un encouragement. Mais on le déconseillera à quiconque veut en savoir plus sur la pensée politique d’Eric Zemmour et les moyens de mettre en oeuvre des mesures utiles et réalistes pour contrer l’islamisme. Il faut en effet parcourir avec patience ces pages qui tiennent du bottin mondain et du Gault et Millaut pour recueillir une prise de position argumentée, une mesure réaliste à prendre.

Zemmour ne démontre pas, n’explicite pas. Il procède par affirmation à l’emporte pièce, par envolées indignées et raccourcis explosifs. Inutile de chercher des propos minutieusement défendus, la parade à des objections possibles et encore moins des interrogations adressées à ses adversaires, voire à lui-même, marques d’ouverture d’esprit et de refus du dogmatisme. Zemmour n’est pas un penseur, adepte de la confrontation rationnelle. C’est un polémiste parfois habile, un histrion cultivé, capable de sortir de son chapeau une citation percutante. Il est, lui aussi – pourquoi le lui reprocher ? – un nostalgique de la douce France de son enfance, de surcroît un bon vivant et un convive agréable. Mais pas un Président souhaitable, tant sa pensée est soumise, et comme une évidence, à de vieilles conceptions du pouvoir qui affleurent dans quelques points d’intérêt, qu’on déniche à l’issu d’une lecture patiente.

Au coeur de ses certitudes : la France éternelle existe. Elle est née des rois de France et de leur union avec l’Eglise catholique. C’est sur ce socle que s’affirme toute autorité légitime à la tête de la Nation. Même Napoléon  ; même la République de 1789 s’y adosseront. Hélas, cette belle France là est menacée de l’intérieur et de l’extérieur. De l’intérieur par «  l’individualisme  né il y a quatre siècles aux confins de la Renaissance italienne et du protestantisme germanique  ». De l’extérieur par l’Islam. L’effet complémentaire de la Liberté individuelle, qui mine la puissance collective, et de la religion de la Soumission, pousse «  des diasporas de plus en plus fournies  » à imposer «  leurs mœurs, leurs lois, leurs imaginaires, leurs patronymes dans une logique colonisatrice  ». Un peuple français. Deux ennemis opposés qui veulent le détruire. Cela ne vous rappelle rien, demande-t-il  ? Mais si  ! Le pacte germano-soviétique  !

Raccourci peut-être brillant mais certainement discutable. Tel est l’art du polémiste : lancer son trait, et…passer à autre chose. Zemmour est maître dans cet art de passer à autre chose  : perspectives d’avenir avec Xavier Bertrand, retour sur un débat raté avec Marine Le Pen, la fin de l’homme blanc avec Tom Wolfe, avec chacun, on évoque un sujet différent, entre la poire et le fromage. Et après une pirouette, on passe aux suivants : Serge July et François Bayrou, Alain Minc et Dominique Baudis, Jean-Luc Mélenchon et Philippe Seguin.

On s’arrêtera là mais certainement pas Zemmour, qui continuera de papoter sur deux ou trois centaines de pages. Contentons nous d’extraire quelques passages, pleins de sens, même s’ils portent sur des détails.

La France qu’il aime, celle qu’il appelle avec un sourire (on peut en tout cas l’espérer) «  la France éternelle, cette France des bérets et de la baguette de pain  », c’est évidemment celle où l’immigration musulmane n’existait pas  encore. Ce n’est pas celle non plus, de l’individualisme protestant et humaniste qui, au sortir du Moyen-âge, «  a transformé nos vieilles nations en société d’individus craintifs et capricieux  ». Ce n’est pas davantage celle des Juifs à propos desquels Zemmour a cette confidence émouvante et trop peu relevée par les critiques, sur sa maman qui voulait gommer le mot «  Juif  » de la conscience de ses enfants pour qu’ils soient seulement des «israélites». Zemmour a suivi le conseil de sa maman  : il ne balaie pas sa judéité comme le firent Spinoza ou Marx mais la réduit à un culte. La vraie France est une France catholique. Peuvent s’y raccrocher des protestants ou des israélites, et même des musulmans, à condition de « catholiciser » leur appartenance religieuse ou de suivre l’exemple de ceux qui se sont assimilés en gommant ou en changeant leur arbre généalogique pour se fondre littéralement dans la nation française.

Pas de réflexion chez lui sur la possibilité d’avoir des racines plongeant dans un ailleurs ethnique, géographique ou historique, comme Joséphine Baker et Charles Aznavour, tout en étant Français. En bon maurassien qu’il est sans vergogne, Zemmour élimine ce qui n’est pas du socle qui fait la France éternelle  ! Il ne veut pas de l’intégration de gens conscients de leur histoire et de leur culture particulières. A la manière d’Isabelle la catholique chassant les Juifs d’Espagne et de Louis XIV révoquant l’édit de Nantes, il exige l’unité, que dis-je  ? la fusion nationale…Aussi peut-il écrire  : «  Je suis un juif (avec une minuscule) d’Algérie grandi en banlieue parisienne que l’héritage familial et les lectures ont transformé en Français (avec une majuscule) de la terre et des morts  »…

Où l’on comprend qu’on simplifie son message quand on le réduit après une première lecture à la lutte contre l’immigration. Le thème est au cœur de ses affirmations en effet. Mais il se conjugue avec sa haine de la société libérale, de son «  individualisme consumériste », de sa référence au droit supranational, accouchant d’hommes ignorants de leurs racines nationales et se rêvant «  citoyens du monde  ». Eric Zemmour préfère un régime de type illibéral comme celui de Victor Orban.

Mais la France ne bouge-telle pas lentement, comme bougent sa culture et  ses croyances? Eh bien non, pour Zemmour, qui ne sera guère impressionné par les observations et les statistiques qu’on lui produira. La France est catholique, même si jamais elle ne va plus à l’église  et Zemmour adore cette formule d’André Suares  : le peuple français est «  chrétien dans ses moelles. Ses erreurs mêmes sont chrétiennes et ses excès, quand il veut introduire la politique dans l’ordre du sentiment. Nation très chrétienne, elle a l’Evangile dans le sang  ».

Voilà peut-être l’enseignement majeur de la lecture de ce livre léger et parfois plaisant : que les faits confirment ou non ses vues, qu’importe au fond. La France, même si elle ferme ses églises, est catholique par essence. De même, si la majorité des musulmans s’intègrent en France, lui, Zemmour sait que «  l’inconscient collectif des populations musulmanes «  est de coloniser l’ancien colonisateur  ». De même, il «  sait  » que tous les jeunes immigrés sont des voleurs et des violeurs. Il avoue d’ailleurs dans ce livre que nuancer son propos à ce sujet et le restreindre à «  la plupart  » d’entre eux n’est qu’une manière rituelle d’éviter le tribunal. Son socle à lui, c’est bien l’accusation que le Mal les habite tous et que ce Mal est plus dangereux que la Covid-19. Inutile de tenter de prouver le contraire par l’expérience, les chiffres ou le raisonnement. Comme les communistes qui connaissaient les aspirations profondes de la classe ouvrière à la révolution même s’ils préféraient dans les faits améliorer leur conditions de travail, Zemmour « sait » que la France est catholique et ce que veut « l’inconscient collectif » des immigrés musulmans : coloniser l’ancien colonisateur. Et il sait aussi que c’est aujourd’hui ou jamais que se joue le sort de notre civilisation. Les communistes appelaient cela le Grand soir. Cet admirateur de Poutine adopterait-il les vieilles ficelles des militants d’extrême gauche sur l’urgence, sur la dernière chance et le dernier mot qu’on n‘a pas encore dit ? Les Français qui voteront pour lui s’il se présente, auront donc en prime de sentir claquer parmi eux le Grand vent de l’Histoire. Un vent bien mauvais, hélas.

Pierre Rigoulot

25 Oct 2021


Pierre-Antoine Donnet : Chine, le grand prédateur, éd. de l’Aube 2021, 336p., 24 euros

Je lis le dernier livre de Pierre-Antoine Donnet. je le relis et rerelis quand je peux car je n’arrive pas à en faire un article qui me satisfasse. En tout cas je suis étonné de la superficialité des deux critiques de l’ouvrage que j’ai lues, l’une dans La Croix, l’autre dans Le Monde.

Ils font l’impasse sur ce que je juge le plus important. Extrait du Monde : « A la fois essai engagé et mini-encyclopédie sur la Chine de Xi Jinping, ce livre traite cinq questions : la « tragédie des Ouïgours et des Tibétains », l’environnement, les technologies, les droits de l’homme et la diplomatie. Sur tous ces sujets, le savoir de l’auteur est impressionnant. « 

Curieux que Le Monde n’évoque même pas ce qui fait la plus importante partie de l’ouvrage : un conditionnement des esprits et une surveillance rigoureuse sans précédent dans l’Histoire, une mainmise croissante sur l’information partout dans le monde, sur le travail journalistique, y compris des journalistes étrangers en Chine, la réécriture de l’Histoire qui ne concerne pas que l’occultation des horreurs surréalistes que seul un régime marxiste est capable de commettre mais qui remonte aussi aux origines de l’Histoire : même l’archéologie est devenue un enjeu idéologique et politique. Les archéologues sont invités à démontrer que l’invention de l’écriture a eu lieu en Chine, et que la civilisation chinoise est antérieure à celles de Mésopotamie et d’Egypte.

Les enfants sont porteurs d’une puce électronique dès 6 ans permettant de suivre leurs déplacements et activités. Le marxisme est enseigné dès le plus jeune âge, et le suivi est constant au sein du Parti. Le culte de la personnalité de Xi confine au délire ubuesque et là est d’ailleurs un talon d’Achille du régime repéré par Veron et Lincot dans leur  ouvrage « La Chine face au monde : une puissance résistible » édité chez Capit Muscas.

Le Monde et La Croix éludent aussi les chapitres détaillant l’investissement (particulièrement en Australie qui a mis un STOP en affirmant qu’il y a plus important que les intérêts commerciaux) des secteurs de l’enseignement, de la culture (spécialement le cinéma), des partis politiques et groupes d’influence de tous bords, du tourisme, des réseaux sociaux et forums (+ cyberguerre extrême) ; en outre la RPC utilise nos autocritiques à la mode et notre propre mise en exergue de nos défauts ou soi-disant tels et de faits divers qui ternissent notre image, tel l’affaire George Floyd, qui prouverait la supériorité du système chinois (sic!).

Ajouts personnels : les grands médias chinois ont attribué la victoire d’Emma Raducanu à l’US Open, au fait que sa mère est chinoise et à l’énergie que cette origine lui a insufflée (sic aussi!) La glorification fantasmatique de la race Han ajoutée à l’évocation d’un empire de 1000 ans, fait penser qu’ici le totalitarisme marxiste-léniniste-maoïste rejoindrait le nazisme mais non, le premier est infiniment plus totalitaire !

J’ai visité une expo, à Bruxelles, sur la construction du plus long chemin de fer du début du XXème siècle entre Pékin et Wuhan et du plus long pont du monde de l’époque par des travailleurs chinois sous la direction d’ingénieurs belges. Expo à laquelle ont collaboré les Chinois, donc : Hologrammes, films, photos, commentaires, textes, donnent un récit apocalyptique (et partiellement exact) de l’intervention des puissances occidentales, du Japon et de l’Inde. Pour une fois, un chiffre : la révolte des Boxers et sa répression auraient fait 30 millions de morts (?)

Pierre Druez

LE PARTI COMMUNISTE CHINOIS, LE GRAND ADVERSAIRE DE LA DEMOCRATIE DANS LE MONDE.

Le commentaire enthousiaste que Pierre Druez a donné au livre de P-A. Donnet intitulé « Chine, le grand prédateur » a mis en appétit notre ami Dominique Duel, intervenant fréquent dans ces colonnes où il explique pourquoi à ses yeux le Parti communiste chinois est le grand adversaire de la démocratie dans le monde. Il s’est procuré l’ouvrage, l’a lu attentivement et nous livre ici ses propres commentaires, quelques semaines après ceux de Pierre Druez. Ils se ramènent à quatre qu’il explicite ci-dessous :

Ce livre est un recueil très précieux de données factuelles sur « la Chine » et sur beaucoup de ses multiples exactions.

Ce livre n’est toutefois pas exhaustif. Il est vrai qu’il est difficile d’évoquer, tant elles sont nombreuses, toutes les exactions commises par Pékin et toutes les menaces qu’il fait peser sur le reste de la planète. Mentionnons quand même ici quelques oublis qui sont regrettables :

  • La surexploitation monstrueuse que le Parti Communiste inflige aux ouvriers d’usine en Chine.
  • La désindustrialisation qu’elle a infligée aux autres pays du monde et la déstabilisation, d’abord sociale puis politique, qui en résulte pour eux.
  • Le surendettement extérieur auquel « la Chine » contraint de très nombreux pays afin de se les soumettre ensuite géopolitiquement.
  • Le contrôle que la Chine a obtenu de l’ONU et de ses filiales, y inclus l’OMS, la FAO,…
  • Son alliance géopolitique avec la Russie de Poutine et du KGB.
  • Son alliance géopolitique avec l’Iran des ayatollahs
  • Son soutien à tous les régimes dictatoriaux et totalitaires en particulier quand il s’agit d’y réprimer les mouvements populaires pro-démocratie.

Mais ce livre souffre d’un défaut : l’auteur désigne comme notre adversaire la Chine quand il devrait en réalité désigner le Parti Communiste Chinois. Ce qui n’est pas du tout la même chose.

Si on fait une analyse terminologique de son livre, on se rend compte que, pour P-A. Donnet, c’est la Chine qui est désignée comme l’auteur de toutes les exactions citées alors même que leur véritable auteur est le Parti Communiste Chinois (il est le Parti-Etat qui prend toutes les décisions importantes en Chine).

La confusion regrettable que P.A. Donnet entretient entre la Chine et le Parti Communiste Chinois finit par devenir insupportable lorsqu’on se rend compte qu’elle est maintenue tout au long du livre.

La Chine et le PCC sont deux réalités qui sont intrinsèquement distinctes. Tout comme le Cambodge et les Khmers Rouges étaient deux réalités distinctes entre 1975 et 1979.

Il ne s’agit pas ici d’un pinaillage sémantique. Si l’on veut comprendre ce qui inspire Pékin, il est déterminant de savoir si Pékin, c’est la Chine, un pays ordinaire qui aurait pour principale particularité d’être immense, ou bien si Pékin, c’est le Parti Communiste Chinois (le PCC) avec ses singularités à la fois multiples et redoutables.

Tout auteur qui traite de la Chine contemporaine, se devrait, à mes yeux, de clarifier d’emblée quelle est la situation qui prévaut en Chine : le PCC est cette organisation qui s’est imposée par la force à la population chinoise en 1949 (non pas après un scrutin démocratique mais après une victoire militaire contre le Kuomintang au terme d’une guerre civile intense) ; il a alors institué un régime analogue à celui de l’URSS qu’il a réussi à maintenir depuis lors.

L’auteur exprime, dans son avant-propos, son « déchirement » entre son attrait pour « la Chine » et son dégoût pour les décisions prises par « la Chine ». Il n’y a pourtant pas lieu à un tel déchirement. Dès lors que l’on distingue bien la Chine du PCC, il devient loisible d’apprécier la population chinoise et simultanément de détester le Parti Communiste Chinois.

Et ce défaut du livre en induit un autre. Pour avoir occulté que le Parti Communiste Chinois se cache derrière « la Chine », l’auteur omet tout naturellement de désigner très précisément quelle est la nature du régime politique que le PCC a imposé à la Chine depuis 1949.

Or c’est un régime franchement totalitaire que le PCC a instauré en 1949 pour le maintenir ensuite sans discontinuer.

Le régime institué par le PCC présente en effet les traits communs qu’ont partagé l’URSS bolchevique (1917-1989) et l’Allemagne nazie (1933-1945), ces deux expériences historiques qui ont été « les matrices du totalitarisme ». Ces traits communs sont devenus très naturellement les caractéristiques qui permettent de désigner quels sont les vrais régimes totalitaires :

  • Une idéologie (une conception du monde) qui est très particulière ;
  • Un Parti (ou un mouvement assimilable) qui s’empare de cette idéologie ;
  • Une fraction de la population, minoritaire mais significative, qui se radicalise et qui se mobilise autour de cette idéologie et de ce Parti (avant même sa prise du pouvoir) ;
  • Une prise du pouvoir (le plus souvent par la ruse ou par la force) par ce Parti en dépit de son caractère numériquement minoritaire dans la population ;
  • L’instauration du Parti comme le Parti Unique assortie d’une abolition de tout droit d’association ;
  • La prise définitive par le Parti Unique de tous les pouvoirs institutionnels dans le pays : exécutif, législatif, judiciaire, militaire, médiatique, universitaire. Ainsi l’Etat disparaît au profit d’un Parti-Etat qui domine toutes les dimensions de la société ;
  • La domination, directe ou indirecte, de l’économie du pays ;
  • L’obligation imposée à toute la société comme à chacun de ses ressortissants de se soumettre à l’idéologie spécifique du Parti Unique.
  • Pour couronner le tout, un système de coercition et de répression qui ne rencontre aucune limite puisque le Parti Unique au pouvoir contrôle totalement la Justice et qu’il n’existe aucun élément de contrepouvoir.

Le régime politique instauré à Pékin en 1949 (et maintenu depuis lors) coche toutes les cases de ces critères. C’est pourquoi il est à la fois légitime et indispensable de prononcer le verdict qui convient : le régime politique en Chine est un régime totalitaire. Il faut à cet égard déplorer que pour qualifier le régime de Pékin, P-A Donnet n’utilise jamais ce mot, un mot qui par ailleurs est à l’évidence tabou aux yeux du PCC.

Et ces deux défauts en induisent un troisième. Après avoir omis de qualifier le régime du PCC comme totalitaire, P-A Donnet omet, assez naturellement, de s’intéresser à la démarche internationale qui est celle du PCC.

Or la démarche internationale du PCC se traduit par une ambitieuse stratégie à long terme. Elle a été conçue par le PCC en réaction à la gifle retentissante que la population chinoise lui avait infligée à Tien anmen en juin 1989. Elle fut mise en œuvre avec succès par le PCC à partir de 2001, après que les grands pays démocratiques eurent commis l’énorme erreur d’accepter la Chine totalitaire au sein de l’OMC sans même exiger d’elle quelque contrepartie.

Tout en amont, la motivation du PCC consiste à protéger encore plus complètement la pérennisation de son régime totalitaire. Il s’agit pour lui deneutraliser totalement (ou mieux encore d’abolir) les démocraties qui se maintiennent à l’extérieur de son territoire parce qu’elles seraient susceptibles de contribuer à maintenir dans la population chinoise une attirance pour la démocratie et les libertés individuelles.

De ce fait, son objectif stratégique consiste à combattre par tous les moyens les grandes démocraties jusqu’à les déstabiliser totalement. Il lui suffirait pour cela d’infliger aux Etats Unis une défaite géopolitique irréversible (militaire ou non militaire).En effet, sans les Etats Unis, le camp des pays démocratiques aurait un poids géopolitique insignifiant.

Pour atteindre cet objectif stratégique, le PCC a adopté une stratégie mercantiliste de très grande envergure qui consiste à fabriquer toutes sortes de produits made in China. Ceux-ci sont manufacturés « à des coûts imbattables » et délivrés ensuite « à des prix imbattables » et de ce fait ils envahissent le marché mondial en portant un tort immense à la santé économique et sociale de tous les autres pays.

En simplifiant, cette stratégie repose sur quatre piliers :

  1. Une sous-évaluation, délibérée et prolongée, du yuan d’environ 40% contre toutes les autres grandes monnaies
  2. Un lourd subventionnement, plus ou moins discret, des entreprises manufacturières par le Parti-Etat chinois
  3. Une main d’œuvre ouvrière d’usine que le PCC a « réussi » à esclavagiser : 288 millions de chinois en âge de travailler (soit 30% de la population en âge de travailler) sont des mingongs. Qui sont donc ces mingongs ? Ce sont des ex-paysans ou des ex-ouvriers qui ont été obligés depuis les années 80 de quitter, faute d’emploi disponible localement et en l’absence de tout dispositif d’indemnisation du chômage, les provinces intérieures où ils étaient nés pour se rendre sur les provinces côtières où le PCC avait soudainement encouragé une industrialisation intense.

Comme le PCC a refusé délibérément de leur accorder le hukou (le papier qui les aurait autorisés à migrer de leur province natale vers une autre province), ces migrants intérieurs sont devenus des mingongs (des migrants intérieurs sans-papiers).

Pour s’être obstinés à survivre avec un emploi salarié même précaire, ils se retrouvent dans l’illégalité au regard des règles qui ont émises discrétionnairement par le PCC.

Ils sont de ce fait totalement dépourvus de quelque pouvoir de négociation salariale vis-à-vis des usines qui les embauchent. Le salaire horaire qu’ils touchent et le coût salarial horaire qu’ils occasionnent à leurs employeurs est absolument dérisoire.

A cet égard le PCC de Deng xiaoping a réalisé un véritable « exploit anti-social », un « exploit » qu’aucun autre régime politique n’a réalisé dans l’époque moderne.

Et si le PCC de Deng a pu y parvenir, c’est parce que seul un régime franchement totalitaire comme le sien pouvait se permettre de tenter un tel « exploit » et de le réaliser. Un régime seulement dictatorial n’aurait pas pu y parvenir.

  1. L’obtention par le PCC de l’adhésion de la Chine en 2001 à l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce), grâce à laquelle plus aucun pays du monde ne pouvait maintenir ou instaurer des protections douanières à l’encontre des produits manufacturés made in China (produits que les trois premiers dispositifs rendaient par ailleurs super-compétitifs au niveau mondial).

C’est cette stratégie mercantiliste, très déloyale et très machiavélique, qui est à la base des multiples succès géopolitiques obtenus par Pékin depuis 2001 (ses suprématies sur les plans industriel, commercial, économique, financier, diplomatique qui s’ajoutent à sa suprématie démographique ; son contrôle croissant des espaces terrestres, maritimes et spatiaux ainsi que des ressources rares).

Cette stratégie n’est malheureusement jamais évoquée par l’auteur ni pour expliquer la montée en puissance effectuée par le PCC, ni non plus pour expliquer l’arrogance et l’agressivité que celui-ci se permet désormais et qui selon moi devrait encore s’accentuer.

En conclusion, le livre de P-A. Donnet est très précieux par le fait quil énumère et quil documente les multiples exactions et forfaits commis par Pékin. Mais ce livre, comme dautres avant lui, voit la portée de son message limitée parce quil sabstient dexpliquer qu’à Pékin, ce nest pas le peuple chinois qui gouvernerait souverainement mais cest le Parti Communiste Chinois qui gouverne après avoir usurpé en 1949 le pouvoir (tous les pouvoirs) à son profit et pour très longtemps.

Ce livre ne fournit pas aux démocrates la grille de lecture qui leur est pourtant indispensable pour comprendre la nature de ce Parti Communiste Chinois, la motivation qui lanime, lobjectif géopolitique quil sest assigné, la stratégie internationale antidémocratique quil a engagée pour y parvenir.

A lheure où le PCC savère comme le principal promoteur du totalitarisme sur la planète et où il est devenu ladversaire le plus déterminé et le plus dangereux de la démocratie et des libertés dans le monde, la tâche essentielle consiste à lanalyser sous tous ses aspects de façon à élaborer la contre-stratégie efficace qui permettrait de sopposer à lui.

Dominique Duel. 12 novembre 2021

27 Sep 2021


La débandade des États-Unis en Afghanistan et le droit d’ingérence

La débandade des États-Unis en Afghanistan nous oblige à affronter une situation mondiale nouvelle pour nous, nous qui avons été partisans du devoir d’ingérence contre les États criminels.

Reconnaissons d’abord que la justesse politique d’une intervention dont les intentions sont justes se mesure à ses conséquences; or en Irak et en Afghanistan, les suites n’ont pas été probantes.

si nous conservons le devoir d’ingérence, il faut en préciser la raison et les modalités, en le distinguant du « nation building » qui vient de faire naufrage.

Le devoir d’ingérence ne se justifie selon moi que si l’on place les droits de l’homme au-dessus de la souveraineté des États et même au-dessus du droit des peuples à vivre selon leurs règles et leur culture.

L’adage « charbonnier est maitre chez lui » qui justifie le principe de la non-ingérence fut affirmé par Goebbels en 1933 à la tribune de la SDN « Messieurs, charbonnier est maître chez lui. Nous sommes un État souverain et tout ce que dit cet individu ne vous regarde pas. Nous faisons ce que nous voulons de nos socialistes, de nos pacifistes, de nos juifs et nous n’avons à subir de contrôle, ni de l’humanité, ni de la Société des Nations. »

Accepter que cela ne nous regarde pas alors que nous en sommes témoins, ce serait renoncer à notre principe premier : « tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. »

Nous avons donc à faire tout notre possible pour protéger les droits et la dignité des autres humains, au nom de notre principe premier.

Exemple : la population de la Corée du Nord.

Si certaines cultures préconisent la soumission totale des femmes et même leur excision, nous devons faire tout notre possible pour protéger et défendre les droits des femmes de ces pays qui le souhaitent.

Aucune trace d’impérialisme dans cette position droit de l’hommiste.

André Senik

Crédit photo: https://www.flickr.com/photos/defenceimages/6347431323

9 Sep 2021


La France à la croisée des chemins?

Selon Eric Zemmour la France serait à la croisée des chemins.

Cette métaphore routière peut servir.

Ce prophète prédit que la France va droit dans le mur puis dans un précipice si elle continue dans la même voie.

Le salut qu’il annonce ne se trouve pas dans une autre direction, qui serait à adopter à la croisée de deux chemins.

Le salut qu’il annonce c’est la marche arrière toute, après qu’on aura fait descendre tous les intrus et qu’on aura fermé toutes les fenêtres ouvertes sur l’extérieur.

Son projet est le retour à la France d’hier, à la fille ainée de l’Église catholique, de race blanche, d’avant l’évolution des moeurs et des mentalités qui ont fait tant de mal à la France, comme aurait pu dire le maréchal Pétain.

D’ailleurs, l’indulgence pour le maréchal Pétain de Vichy qui est affichée d’une façon provocatrice par Zemmour, s’explique sans doute par son refus de la repentance, par son adhésion totale au principe de la préférence nationale, mais aussi par son accord avec l’idée d’une révolution nationale anti-progressiste sur toute la ligne, en rupture consommée avec l’idéal républicain et universaliste.

Si on cherche ses répondants dans le monde actuel, on pourra ranger Éric Zemmour dans le même camp que les catho-nationalistes illibéraux, aux côtés de Viktor Orban et de Mateusz Morawiecki.

Mais si on cherche dans le passé la grande figure historique dont il est le fils spirituel, le mieux est de sortir le portrait d’Isabelle la catholique.

C’est elle qui, au nom de la pureté nationale-catholique de l’Espagne, en a expulsé les Juifs et les musulmans, y compris ceux qui feignaient de se convertir au catholicisme, mais qui ne s’assimilaient pas complètement, puisqu’ils demeuraient secrètement juifs ou musulmans.

Éric Zemmour, qui est un Juif séfarade, reprend à son compte la politique de purification ethnico-catholique dont ses ancêtres ont peut-être été victimes.

Pour montrer patte blanche et race blanche, il en rajoute des tonnes dans la défense d’une francité si purifiée qu’il ne pourrait pas en faire partie.

Par André Senik

Crédit image : https://www.flickr.com/photos/styeb/4664313377

9 Sep 2021


15 avril 2024 : le monde comme il va

Toutes les deux semaines, H&L proposera à ses lecteurs un point sur l’actualité et renverra à des articles ou des livres qui éclairent celle-ci. H&L, jusqu’ici seulement un blog, s’engage ainsi peu à peu sur le chemin d’une revue en ligne.

La situation  n’est guère brillante  en Ukraine. Le gouvernement allemand refuse toujours de livrer des missiles Taurus aux Ukrainiens; L’aide américaine est bloquée. La presse parle de « grignotage de l’armée russe » et la formule du président français parlant de dimension européenne de la sécurité de la France laisse sceptiques ses adversaires – ils sont hélas nombreux.

A l’autre bout du monde; Taïwan semble menacée de l’intérieur avec une alliance qui, certes, n’a pas fonctionné lors des élections présidentielles, mais qui se maintient et donc inquiète : celle des populistes et du Kuomintang.

Les facs américaines et anglaises sont acquises aux « Palestiniens », en fait au Hamas, rappelant les plus beaux jours de la guerre du Vietnam où les grands parents des étudiants actuels se mobilisaient pour « le peuple vietnamien », en fait contre lui et en faveur du parti communiste du Nord-Vietnam liberticide.

A lire ou à relire : Why we were in Vietnam, de Norman Podhoretrz, paru en 1982 chez Simon & Shuster.

La jeunesse ne voudrait-elle plus de la liberté? Et est-elle condamnée à ne rien voir quand des choix graves doivent être faits? Mais nous, les plus âgés, que faisons nous pour leur ouvrir les yeux ? Les gosses qui se font tuer à la sortie de leur collège ne peuvent que nous interroger : la démocratie libérale telle qu’elle  fonctionne en France, ne doit-elle pas être mieux promue et défendue ? Les Français dans leur majorité, attendent-ils sereinement de devenir un protectorat russe? Non, mais beaucoup n’attendent rien. Ils ne sont pas intéressés, disent-ils !

Alors? Sommes-nous au bord de la guerre et, si c’est le cas pouvons nous ne pas la perdre ? Marc Bloch, analysant les causes de la défaite de 1940  y voyait d’abord  l’effet d’une défaite intellectuelle. Notre état-major n’était pas sorti mentalement de la guerre précédente et avait été incapable de comprendre l’importance de la vitesse des manoeuvres. L’aviation et les chars allemands allaient la lui apprendre. J’ai rappelé  dans la revue Telos que dirige notre ami Grunberg, ces réflexions de Marc Bloch et réfléchi à leur utilisation pour penser la situation actuelle. En 2024, heureusement, le déséquilibre n’est pas si patent en faveur des ennemis de la démocratie libérale. Pour en rester au domaine militaire, on peut parler plutôt de concurrence acharnée entre les deux camps.. Chacun d’entre eux a compris qu’en 80 ans les choses avaient bien changé et qu’il fallait développer des armes de type nouveau. On ne sait qui est le plus en pointe dans ces changements. Mais il n’est pas difficile de comprendre l’importance des drones, des systèmes de brouillage et d’interception, de la surveillance par satellite, des lasers, de la cybernétique. Les Etats les plus arriérés politiquement et socialement, comme la Corée du Nord et l’URSS ont significativement donné la priorité à ces armes qu’on croyait il y a peu encore dignes de la science-fiction. Heureusement, le monde occidental n’est pas en reste et l’Ukraine avec lui.

La  presse s’est faite en ce printemps l’écho du nouveau type de guerre qui se profile. On lira avec profit….Le Monde du 27 mars ( Hard kill, fusils brouilleurs et capture au filet), Le Monde du 29 mars ( la cyber guerre russe menace l’Ukraine et sa société civile), Le Figaro du 4 avril (Les nouveaux horizons de la guerre spatiale du 4 avril  Le Monde du 7 avril (Ukraine : la guerre des ondes contre les drones).

Sans doute, il ne suffit pas d’être à la page sur le plan technologique. La volonté politique de faire face à la pression russe est indispensable mais elle n’est pas partagée avec la même intensité par tous. C’est le moins qu’on puisse dire ! On lira avec profit, toujours dans Telos, deux articles de notre ami Philippe Raynaud sur le sujet. Luc Ferry, et peut-être plus encore Emmanuel Todd, y sont mis en cause.

P.R.

23 Avr 2024


Le « N’ayez pas peur ! » posthume d’Alexei Navalny

L’auteur, Yves Hamant, a vécu cinq ans à Moscou où il était attaché culturel à l’ambassade de France. Il fut le relais clandestin entre le couple Soljenitsyne, exilé en Occident, et le Fonds d’aide aux prisonniers politiques et à leurs familles, financé par les droits d’auteur de L’Archipel. Rentré en France, Yves Hamant a conservé de nombreux liens avec la Russie.

Histoire & Liberté

I – Non, il n’osera pas !

Jusqu’au bout, me suis-je dit en janvier 2021, non, il n’osera pas.

Jusqu’au bout, me suis-je dit, non, elles n’oseront pas.

Si, il a osé. Navalny est rentré à Moscou.

Si, elles ont osé : les autorités russes l’ont arrêté dès son arrivée.

Il ne pouvait pas ne pas s’attendre à la probabilité, sinon l’éventualité de ce qui lui est arrivé. Aussi, aujourd’hui, beaucoup n’arrivent pas à comprendre. Pourquoi n’est-il pas resté en Occident et n’a-t-il pas continué son combat de l’extérieur ? Exaltation, inconscience ? Un fol en Christ, a-t-on avancé en ressortant les clichés sur le mysticisme russe, l’âme slave, la Sainte Russie. En réalité, le fol en Christ est une variante de bouffon du roi qui peut dire toutes ses vérités au tsar et, précisément, le tsar n’ose pas le tuer.

Point du tout. Navalny était un homme politique. Il a compris que son action ne pouvait être crédible si elle était menée de l’extérieur, aussi a-t-il décidé de rentrer en mettant en jeu sa liberté et sa vie. C’est la portée éthique de son engagement qui m’a touché alors. J’y ai vu un jalon dans l’histoire de la Russie post-soviétique. L’irruption d’un acte éthique dans la vie politique faisant écho d’une certaine manière à la manifestation de quelques dissidents soviétiques sur la place Rouge le 25 août 1968 après l’invasion de la Tchécoslovaquie. Ou à l’appel lancé par Soljenitsyne après la publication de l’Archipel du Goulag en décembre 1973 à « vivre sans obéir au mensonge »[1].

En Occident, et particulièrement en France d’après ce que je peux observer, sa mort a beaucoup touché, plus encore que l’invasion de l’Ukraine en 2022. Et plus encore que sa mort, le fait que les autorités aient attendu 15 jours pour rendre son corps à sa mère. Pourquoi, alors que l’on peut voir la guerre à la télévision chaque jour ? Sans doute parce que nous n’arrivons pas à nous identifier aux victimes des bombardements, des massacres, tandis que nous serons tous confrontés un jour ou l’autre à la perte d’un proche et à la nécessité de « faire notre deuil ». Que la famille de Navalny ait été empêchée de « faire son deuil » a été insupportable et a montré le sadisme du régime poutinien, a encore mieux fait appréhender son caractère criminel que l’invasion de l’Ukraine en 2022. Un média russe a pu écrire que par sa mort Navalny avait rendu un service posthume à Zelensky au moment où celui-ci effectuait une tournée en Europe pour convaincre les Etats occidentaux de lui livrer les armes dont il avait besoin.

Parmi les opposants russes, Alexeï Navalny appartient à une génération intermédiaire, entre les anciens (Grigori Iavlinski, Boris Nemtsov), qui ont été associés à la perestroïka, et les jeunes (Vladimir Kara-Murza, Ilia Iachine), qui, par leur âge, n’ont pu s’éveiller à la vie politique qu’après la chute de l’URSS. Sa jeunesse a encore été très ancrée dans l’univers soviétique. Cela ressort particulièrement de la façon dont il raconte comment il a embrassé la foi chrétienne orthodoxe : il s’est présenté comme un croyant post-soviétique typique, auparavant athée tellement enragé qu’il aurait été prêt à attraper par la barbe le premier curé venu[2]. Cette remarque pourrait s’appliquer à l’ensemble de son expérience, une expérience de « dé-soviétisation » en quelque sorte. Et tout son parcours révèle un homme capable d’évoluer, d’apprendre, une intelligence, une volonté, un humour, une force vitale, une énergie communicative.


[1] Yves Hamant, « Le “N’ayez pas peur d’Alexeï Navalny !” », sur le site de La Vie, 23/01/2021, https://www.lavie.fr/idees/debats/le-nayez-pas-peur-dalexei-navalny-70583.php
Laure Mandeville, « Le courage et la vérité : le choix soljenitsynien d’Alexeï Navalny », Le Figaro, 29/01/2021.
[2] https://www.opendemocracy.net/en/odr/akunin-navalny-interviews-part-i/

Photo: https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Alexey_Navalny_in_2020.jpg

II. A la recherche de sa voie [1]

Le père de Navalny est originaire d’un village de la région de Tchernobyl, en Ukraine, il est entré à l’Académie militaire de Kiev et a fait carrière dans l’armée en recevant toutes ses affectations à travers le territoire de l’actuelle Fédération de Russie. Il a souvent déménagé, emmenant avec lui sa femme et ses enfants dans le monde clos de ces cités militaires soviétiques isolées de l’extérieur, avec leurs magasins, leurs cliniques et leurs écoles. Le jeune Navalny a dû passer son enfance dans une atmosphère marquée par le « patriotisme militaire » soviétique, néanmoins tempéré par le souvenir familial de la catastrophe de Tchernobyl et des dispositions des autorités pour la cacher. Sa mère, née près de Moscou, a fait des études de comptable. C’est une femme de tête et, quand l’économie s’est effondrée à la chute de l’URSS, elle a entrepris de tresser des paniers en osier et est allée les vendre, avec succès, au bord de la chaussée, en compagnie de son mari, qui l’a très mal vécu. Si vous avez parcouru la Russie dans les années 1990, vous vous souvenez du spectacle de ces gens alignés au bord des routes et vendant ce qu’ils pouvaient pour survivre.

A l’âge de 17 ans, en 1987, Alexeï est entré dans une faculté de droit à Moscou, mais, à la sortie, comme beaucoup de ses congénères, il a plutôt cherché sa voie dans le commerce. Il a d’abord rejoint l’entreprise familiale de tressage de paniers, puis a créé avec son frère cadet ses propres petites entreprises, tout en suivant par correspondance l’enseignement d’une faculté d’économie. Une dizaine d’années plus tard, grâce à une bourse obtenue avec la recommandation d’un économiste russe de renom, il poursuivra sa formation économique durant un semestre à l’université de Yale aux Etats-Unis (et par la même occasion, perfectionnera sa pratique de l’anglais).

En 1998, au cours de vacances en Turquie – c’était le luxe que l’on s’offrait à l’époque quand on avait gagné un peu d’argent en ces année-là, la Turquie faisait alors figure d’Eldorado – il a fait la connaissance de Ioulia, du même âge que lui, diplômée en économie. Il a raconté qu’il avait eu le coup de foudre pour elle et, deux ans plus tard, ils se mariaient[2]. C’était un couple fusionnel et Ioulia participera étroitement à toutes les activités d’Alexeï. Ils eurent deux enfants. Navalny a confié que leur naissance avait marqué un tournant dans sa vie, lui avait fait prendre conscience de ses responsabilités. Il découvre la foi chrétienne orthodoxe, devient un pratiquant sincère, mais sans rigorisme, ouvert aux autres confessions et religions, étudie la Bible et le Coran. Jamais il ne fera de ses convictions religieuses un atout politique.

C’est au même moment qu’il s’engage en politique. En 2000, il s’inscrit à Iabloko, parti qui s’est formé dans les années 1990 avec un programme de démocratie politique et d’économie libérale tout en s’opposant à Boris Eltsine. Il a eu son heure de gloire et, sous la houlette de Grigori Iavlinski, il conserve alors tout son prestige, bien qu’il soit en déclin. Navalny y déploie son talent d’organisateur et sa capacité à mobiliser les jeunes, dont il partage les codes. Déjà il s’attaque à la corruption : sans-doute en a-t-il déjà perçu les effets en tant que chef de petites entreprises. Comme d’autres, il cherche son cap politique. Alors, de nombreux partisans de la démocratie ont soutenu l’arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir, sans se formaliser de sa promesse d’aller « buter les terroristes (tchétchènes) jusque dans les chiottes » ni de son peu de cas des marins engloutis dans le naufrage du Koursk. Plus tard, il s’en voudra amèrement de les avoir suivis.


[1] Sur la biographie de Navalny, voir son site :
https://navalny.com
Les différents films qui lui ont été consacrés.
Ses entretiens avec l’écrivain Boris Akounine :
https://www.opendemocracy.net/en/odr/akunin-navalny-interviews-part-i
https://www.opendemocracy.net/en/odr/akunin-navalny-interviews-part-ii
https://www.opendemocracy.net/en/odr/akunin-navalny-interviews-part-iii
On peut aussi extraire des informations factuelles de la masse d’articles destinés à le dénigrer dans les médias russes.

[2] https://sobesednik.ru/politika/20201130-lyubov-vyvela-navalnogo-iz-kom?ysclid=lu9kvlegm5663702519

III. Le sandwich qui ne passe pas

Navalny, tout en s’engageant dans la voie démocratique, n’est pas insensible au discours identitaire entendu dans son enfance et se rend compte de son emprise sur une partie de l’opinion. Il se rapproche de figures de ce courant, devenues odieuses aujourd’hui, tel Zakhar Prilepine, et se laisse aller à traiter les Caucasiens de Russie de « cafards » : il aura beau s’excuser, cette insulte xénophobe lui sera indéfiniment reproché. Cela lui vaudra d’être exclu de Iabloko en 2007. Il est vrai qu’auparavant, Navalny s’était opposé à l’inertie des dirigeants du parti. Par la suite, il participera parallèlement à des manifestations de protestation contre les atteintes à la liberté d’expression et la falsification des élections et à des « marches russes » : on y scande que « ça suffit de nourrir le Caucase », c’est-à-dire que la Tchétchénie reçoit trop de subventions et l’on y dénonce l’afflux d’immigrés venus des anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale.

En 2008, de nouveau de manière grossière, il soutient l’intervention russe en Géorgie en accusant le président géorgien Mikheil Saakachvili de l’avoir provoquée[1]. Par la suite, il affirmera sa foi dans un heureux avenir européen pour la Géorgie et, du fond de sa colonie pénitentiaire, demandera la grâce de Saakachvili, agonisant en prison après toutes sortes de péripéties[2].

A partir de 2011, il s’attaque au monopole du parti « Russie unie » sur tous les organes élus du pouvoir et lance un slogan qui fait mouche en le désignant comme « le parti des filous et des voleurs ». En 2013, il se présente à l’élection du maire de Moscou : coup de tonnerre, il arrive en seconde position et, selon les résultats affichés, il obtient 27% des voix après le candidat du pouvoir, Sergueï Sobianine, avec 51%. Dès lors, les autorités lui imputent toutes sortes de délits pour le traîner en justice, notamment pour une escroquerie supposée aux dépens de la filiale russe de la société Yves Rocher.

En 2014, des journalistes lui demandent quelle forme de régime il préconise pour la Russie. Si de nombreux politologues considèrent qu’un pays aussi vaste nécessite un régime présidentiel fort, lui se prononce pour une république parlementaire[3] aussi décentralisée que possible : le régime actuel est fédéral sur le papier, mais totalement unitaire dans les faits et toutes les décisions viennent d’en haut (la « verticale du pouvoir »). Ils l’interrogent sur la Crimée, qui vient d’être annexée à la Russie. La retournerait-il à l’Ukraine s’il devenait président ? Et lui de répondre avec sa gouaille habituelle dans une répartie malheureuse : « ce n’est pas un sandwich au saucisson que l’on peut se passer et se repasser[4] ». Il considère que, pour l’instant, de facto la Crimée fait partie du territoire russe, mais que, lorsque les conditions seront réunies, il faudra demander leur avis aux habitants et organiser un vrai referendum. Il ne doute pas du résultat, qui sera douloureux pour les Ukrainiens, mais les libèrera du poids d’une population freinant leur développement par son conservatisme et son orientation pro-russe. En revanche, il se prononce sans hésitation contre l’occupation du Donbass et appelle la Russie à cesser de financer la guerre. Cette guerre est entretenue par Poutine pour empêcher l’Ukraine de se moderniser, de se diriger vers l’Europe, Poutine cherche à démontrer que la révolution du maïdan contre des dirigeants corrompus ne peut conduire qu’à la guerre civile. Il est remarquable que Navalny l’ait relevé, bien avant que Poutine n’ait fait comprendre qu’il ne voulait pas d’une Ukraine apparaissant comme un contre-modèle pour la Russie[5]. Navalny estime tout au contraire que la Russie a tout intérêt à ce que l’Ukraine soit un Etat prospère.


[1] https://navalny.livejournal.com/274456.html
[2] a-navalnyy-prizval-vlasti-gruzii-otpustit-saakashvili-iz-tyurmy-na-lechenie?ysclid=lu49kg8x15365914637
[3] Le plaidoyer de Navalny pour la démocratie parlementaire relève d’une véritable réflexion politique que l’on lui dénie souvent et rejoignant par exemple l’essai de Juan J. Linz, Presidential or Parliamentary Democracy: Does It Make a Difference? Juan J. Linz, grand spécialiste des régimes autoritaires et totalitaires, ainsi que des « transitions démocratiques », s’est efforcé de démontrer que la démocratie parlementaire était plus favorable à la démocratie que les régimes présidentiels, qui ont tendance à virer à l’autoritarisme.
[4] https://www.youtube.com/watch?v=2czpumACjsM
[5] Yves Hamant (entretien avec), « Le poutinisme, phénomène multifactoriel », Esprit, mars 2022. https://esprit.presse.fr/actualites/yves-hamant/le-poutinisme-un-phenomene-multifactoriel-43913

IV. Le combat singulier contre Poutine

Navalny jette toutes ses forces dans la dénonciation de la corruption, elle est endémique et touche un jour ou l’autre tout habitant du pays. Il a le génie d’élaborer et de diffuser sous forme d’émissions vidéo sur youtube des enquêtes approfondies mêlées d’humour sur la corruption des dirigeants : elles lui vaudront la célébrité.  Plus encore, il constitue tout un réseau d’équipes participant à cette tâche à travers tout le pays, ce qu’aucun parti hors système n’avait réussi à faire. Désormais, il est l’ennemi N°1 du pouvoir et Poutine lui vaut une haine personnelle implacable.

En 2018, il tente de se présenter aux élections présidentielles, après une campagne à l’américaine entamée longtemps à l’avance avec des équipes de campagne et des meetings à travers tout le pays. Ses supporters sont régulièrement interpelés, condamnés à des amendes et des peines de détention administrative. Lui-même est agressé – on lui jette un acide au visage – et il passe en tout 60 jours en détention. Il réunit néanmoins les 300 000 signatures exigées d’un candidat sans parti, mais la commission électorale refuse finalement de l’enregistrer sous prétexte qu’il est sous le coup d’une peine avec sursis infligée pour détournement de fonds.

La voie électorale apparaissant désormais définitivement fermée, Navalny lance la stratégie de « vote intelligent » consistant, lors des élections ultérieures, à voter pour n’importe quel candidat plutôt que le candidat du pouvoir et en choisissant au cas par cas parmi ceux qui sont les plus acceptables (disons les moins pires !).

En 2020, les évènements s’enchaînent. Il effectue une enquête sur la corruption en Sibérie. Dans le vol du retour, de Tomsk à Moscou, il est subitement pris de malaise. L’équipage décide d’atterrir à Omsk pour le faire conduire à l’hôpital. Ses proches obtiennent qu’il soit transporté à Berlin pour être soigné : les médecins découvrent qu’il a été empoisonné par un agent neurotoxique extrêmement puissant, le maintenant célèbre novitchok. Contre toute attente, il se rétablit. Le journaliste Christo Grozev entre en contact avec lui, il appartient à l’ONG Bellingcat qui effectue des enquêtes époustouflantes à partie d’open sources et des réseaux sociaux. Avec cette aide, Navalny piège et couvre de ridicule les hommes du FSB chargés de l’empoisonnement : en se faisant passer pour un cadre du FSB, Navalny entre directement en communication téléphonique avec l’un d’eux, qui lui révèle tous les détails de l’opération. Il en sort une vidéo visionnée des millions et des millions de fois[1]. Navalny décide de rentrer en Russie et est arrêté dès sa descente d’avion. Au moment de son arrestation, son équipe lance sur le net une nouvelle enquête vidéo, cette fois sur un palais que Poutine s’est fait construire au bord de la mer Noire : nouveau retentissement mondial.

Son succès aux élections municipales de Moscou en 2013, sa dénonciation de la corruption, sa popularité faisaient de Navalny un opposant insupportable pour Poutine, qui l’a fait placer sous une étroite surveillance. Navalny pensait que sa notoriété le protégerait, que l’on n’oserait pas l’éliminer et quand on a découvert qu’il avait été empoisonné, il a eu du mal à le croire.

Or Poutine est guidé par le « code d’honneur » des « voleurs dans la loi », autrement dit de la mafia, par son expérience d’agent du KGB, la paranoïa et l’hubris d’un dictateur enfermé dans son bunker[2]. Il obéit à sa propre logique, déconcertante et contradictoire. Il assène cyniquement les mensonges les plus énormes en ne pouvant pas ignorer que ses interlocuteurs savent qu’il ment, mais en même temps, il est très soucieux de son image dans l’opinion, y compris dans l’opinion internationale. Enfin, nous prêtons à ses services secrets une omniscience, une toute puissance et une efficacité qu’ils n’ont pas, si bien que nous n’admettons pas qu’ils puissent connaître des ratés et que, s’il en survient, nous les expliquons par de savants calculs machiavéliques.


[1] Documentaire réalisé par Daniel Roher, sorti en 2022. Oscar du meilleur film documentaire en 2023. https://navalny-film.io/ Doublé en français et visible sur France 5 jusqu’au 17 mai 2024 : https://www.france.tv/films/longs-metrages/5802426-navalny.html
[2] Yves Hamant, « L’argot chez Poutine : marqueur d’un “code de vie” », in G. Ackerman et S. Courtois (dir.) Le livre noir de Vladimir Poutine, Paris, Laffont-Perrin, 2022, p. 107-119.

V. La vengeance du « parrain »

La tentative d’empoisonnement ayant échoué, Poutine a-t-il préféré se débarrasser de Navalny en le laissant partir en Allemagne, ce qui n’excluait peut-être d’ailleurs pas de l’éliminer à l’étranger ? De son retour en Russie à sa mort, Navalny a été balloté de la prison en colonies pénitentiaires à régime sévère et régulièrement enfermé au cachot. En décembre 2023, on est resté sans nouvelles de lui pendant plusieurs semaines. On a retrouvé sa trace le 25 décembre dans la colonie de redressement à régime spécial du village de Kharp à 60 km au nord du cercle polaire à environ 100 km à vol d’oiseau de Vorkouta, un des lieux emblématiques du Goulag. Ce camp est renommé pour la dureté de ses conditions de détention, notamment liées au froid, et ses difficultés d’accès. Il s’agissait d’abord de couper Navalny de ses contacts et à peu près en même temps, trois avocats qui l’avaient défendu ont été incarcérés, coupables d’avoir fait passer ses lettres à l’extérieur. Ne s’agissait-il pas aussi de le faire mourir de mort lente pour la satisfaction sadique du chef du Kremlin de le voir souffrir (ce que l’on appelle en allemand la Schadenfreude) ? Que le corps épuisé de Navalny ait brusquement lâché n’est pas une hypothèse à éliminer. On ne peut pas non plus écarter celle d’une brimade qui aurait mal tourné. Sinon, quel signe aurait voulu donner Poutine en le faisant éliminer précisément un mois avant l’élection présidentielle ? Sa mort annoncée à cette date le 16 février semble avoir plutôt embarrassé les autorités. Leurs atermoiements pour rendre le corps à la famille peuvent s’expliquer par le temps nécessaire pour effacer les traces d’une action externe, mais aussi par le souci d’éviter que ses obsèques ne coïncident avec le grand discours annuel de Poutine fixé pour cette année au 29 février. Il a fallu toute la ténacité de sa mère, sa résistance aux pressions et au chantage pour que les obsèques de Navalny aient finalement lieu le lendemain, vendredi 1er mars, à Moscou, qu’elles soient célébrées dans la paroisse qu’il fréquentait et qu’il soit inhumé dans un cimetière à proximité. Malgré le bouclage du quartier empêchant d’accéder à l’intérieur, les caméras de surveillance, et la présence policière n’ont pas dissuadé la foule de venir lui rendre hommage.  Post-mortem, Navalny a réuni aussi bien des fidèles de l’Eglise orthodoxe que des anciens habitués des manifestations auxquelles il appelait. Ainsi, à l’extérieur des grilles, on a pu entendre un chœur improvisé chanter une panikhida, un office des morts et la foule reprendre à l’initiative de ses proches la chanson de Franck Sinatra My Way et aussi scander : « la Russie sans Poutine ». Puis, pendant tout le week-end, ses admirateurs, hommes et femmes, jeunes et vieux, sont venus fleurir sa tombe, s’étirant en une longue file de plusieurs kilomètres une fleur à la main depuis la station de métro. A travers tout le pays, ils se sont donné le mot pour déposer des fleurs, allumer des bougies à un endroit convenu, formant ainsi des centaines de petits mémoriaux improvisés. Des centaines de personnes ont été interpelées et conduites au poste de police.

VI. Les derniers messages de Navalny

Navalny voulait laisser un message d’optimisme. A la fin du film mentionné plus haut, il terminait sur ces mots en anglais :

« Mon message au cas où l’on me tuerait est très simple : ne vous rendez pas ! »

Puis le réalisateur lui a demandé de s’adresser en russe aux téléspectateurs et il a dit en achevant sur un large sourire :

« Il ne faut pas se rendre. Si cela arrive, cela signifiera que nous sommes extraordinairement fort à ce moment-là où ils auront décidé de me tuer. Et nous devons utiliser cette force : ne pas nous rendre, nous rappeler que nous sommes une force énorme qui ploie sous le joug de ces mauvais types uniquement parce que nous ne pouvons pas concevoir à quel point nous sommes forts. Tout ce qu’il faut pour le triomphe du mal, c’est l’inaction des honnêtes gens. C’est pourquoi il ne faut pas rester inactif. »

Par sa personnalité, Navalny est entré dans l’histoire et est devenu l’objet d’une vénération touchante au point que certains de ses admirateurs, sous le coup de l’émotion, ont parlé de le canoniser. Son appel au courage restera une référence, mais portera-t-il des fruits ? C’est toute la question des effets des actes éthiques évoquée au début de l’article. Nombre de ses partisans ont plutôt vu dans sa mort et le nouveau durcissement du régime manifesté à cette occasion la fin de leurs espoirs de changements. Cependant, toutes ces personnes qui ont osé s’afficher pour lui rendre hommage ne témoignent-elles pas de l’existence d’une minorité plus vaste qu’on ne le pense ? Et n’a-t-elle pas mis en œuvre son mot d’ordre de « vote intelligent » lors de l’élection présidentielle en votant pour le pâle Vladislav Davankov ou glissant dans l’urne un bulletin nul ? La grossièreté avec laquelle les résultats ont été falsifiés et présentés prouve que le « vote intelligent », sans qu’on ne puisse, certes, le lier entièrement à Navalny, a recueilli un nombre de voix bien plus considérable que celui affiché, de l’ordre de la vingtaine ou trentaine de millions.

Navalny rêvait d’une Russie non seulement libre, mais heureuse, contrastant avec le malheur qui traverse toute son histoire et même sa littérature. Il a laissé une très belle page à ce sujet : « Comme la vie serait bonne sans le mensonge permanent, sans la liberté de ne pas mentir »[1] .

Dans son combat contre le Léviathan, il n’a pas échappé à des sentiments de haine. Il l’a laissé éclater non seulement contre le régime et ses affidés, mais aussi contre les démocrates – au nombre desquels il avait été – qui avaient eux-mêmes amené Poutine au pouvoir. Il ne voulait pas se laisser gagner par cette haine, appelait à ce qu’on l’aide à la surmonter et surtout appelait à ce que l’on en tire les leçons et que, si la chance se présentait à nouveau, on ne la laisse pas échapper une deuxième fois[2].

Tout ce qu’il subissait le faisait rêver d’étrangler et d’exécuter ses ennemis. Sans renoncer à ses objectifs politiques, il s’efforçait de chasser ces pensées et était parvenu à ne pas se transformer en une bête en cage. Après la tragédie du Crocus Hall Center le 22 mars 2024 à Moscou et la réponse du pouvoir, combien cet appel à ne pas se laisser gouverner par la haine était-il prémonitoire.


[1] https://www.fontanka.ru/2021/02/20/69777878/?ysclid=lu9ouhef9l546393196
[2] https://novayagazeta.ru/articles/2023/08/11/moi-strakh-i-nenavist?ysclid=lu8kqdt9z3192915212


6 Avr 2024


Penser 1938 et 2024 avec Marc Bloch

Comment éviter  d’écrire un livre qui a déjà été écrit ? Ainsi posé, le problème semble absurde. Soyons donc plus précis : comment ne pas avoir à réécrire L’Etrange défaite, un ensemble de  réflexions couchées sur le papier par Marc Bloch en 1940 et 1941[1] ? Il y formulait quelques hypothèses, peut-être même faut-il dire quelques thèses, permettant de comprendre ce qui avait rendu  possible une des déroutes les plus cinglantes que l’armée française ait jamais connue.  

D’une certaine façon, le grand historien et grand patriote indiquait implicitement quelques erreurs à éviter pour ne pas perdre une guerre. Lecture bien utile. Car si nous ne sommes pas dans un « nouvel avant-guerre », cela y ressemble hélas beaucoup. Les Européens qui ont connu des décennies de vie paisible sur leur sol, découvrent au moins que la guerre est de nouveau toute proche, sur leur flanc oriental, là où la Russie, pays européen par son histoire comme  sa culture, en agresse un autre dont elle a pourtant très officiellement reconnu la légalité en 1991. Fascinée par un ancien espace vital baptisé soviétique qui lui échappe aujourd’hui et qu’elle veut récupérer en même temps que ses capacités à se faire craindre du monde environnant, la Russie de Vladimir Poutine menace la quiétude de l’aimable Union européenne, puissance surtout économique, provoquant parmi ses membres un pénible réveil.            

Dans de telles conditions,  l’idée avancée par le président français de ne pas exclure a priori une intervention sur place pour défendre l’Ukraine amie, a, comme il fallait s’y attendre, suscité le mécontentement de certains dirigeants (en Allemagne, en Espagne, en Italie), et des critiques et des peurs parmi la population européenne en général et française en particulier.             

Or, ces peurs ne sont que partiellement justifiées. Nous savons mieux en effet aujourd’hui ce qu’il faut faire – et ne pas faire – face à une menace militaire venue d’un Etat totalitaire, grâce notamment à Marc Bloch. Certes, aucune situation historique n’est identique à l’autre comme il le rappelle lui-même. Cela ne l’empêche pas de tirer quelques leçons de « l’étrange défaite » de 1940 et d’indiquer que se tromper d’époque peut faire perdre une guerre.                                                                                        

Plutôt que de se contenter de répéter paresseusement les « recettes » des  guerres précédentes comme le fit l’état-major français en 1939-1940, insensible par exemple à la vitesse des opérations mécanisées allemandes au sol ou à l’usage de la terreur par les attaques aériennes alors qu’il fallait au contraire en tenir compte, faire preuve d’inventivité et user des moyens militaires de son temps.

Une des pires erreurs est de croire qu’aujourd’hui est semblable à hier alors que la guerre ne se fait plus comme elle se faisait – ni la paix non plus d’ailleurs. Aussi Poutine ne saurait répéter aujourd’hui avec ses russophones du Donbass ce qu’avait déjà fait Hitler avec ses germanophones des Sudètes.                        

L’Etat-major français, soulignait Bloch, ne fut pas cependant le seul responsable de la défaite : l’armée française, peu soutenue par une population fort imprégnée de sentiments pacifistes, s’était repliée sur elle-même et n’avait pas reçu le soutien qu’elle pouvait espérer de tous alors que dans le même temps le militarisme allemand se renforçait et triomphait même, depuis la victoire du nazisme en 1933. Un dialogue plus effectif entre les Français et leur armée eût peut-être permis de faire comprendre que cette montée du nazisme constituait une menace dont il convenait de tenir compte matériellement et intellectuellement pour reconnaître la priorité des priorités de l’époque : s’armer. On ne le fit ni dans les usines ni dans les écoles, et la puissante CGT comme le très actif SNI, le syndicat des instituteurs, et divers intellectuels, comme le philosophe Alain et le romancier Jean Giono, refusèrent de voir dans cette montée du bellicisme nazi et la menace grandissante qu’il faisait peser sur la France une raison de critiquer et de dépasser leur pacifisme. Eux aussi, depuis 1933 au moins, se trompaient d’époque.  La gauche n’était d’ailleurs pas seule en cause. Comme le rappelait justement Christophe Prochasson, l’Action Française attisait aussi ce courant pacifiste [2]       

Près de 90 ans plus tard, la leçon reste valable : la guerre est à nos portes car Vladimir Poutine, outre son passé au KGB et son respect pour Staline, s’inspire, se gargarise même, des folies de penseurs fascisants comme Illyine, Douguine et quelques autres pour qui la Russie est sainte et n’est en rien tenue par le droit international. Elle n’est d’ailleurs pas un Etat de droit. Elle est un rêve eurasiatique aux contours indécis et se voit comme une civilisation supérieure confrontée à un Occident décadent mais hostile, Etats-Unis et Union européenne en tête. Voilà pourquoi la Russie doit voler au secours de ses russophones menacés.                                                                       

Mais nous savons maintenant que pour empêcher cette guerre susceptible, si nous n’y prenons pas garde, de survenir demain puis d’être perdue, il faut, outre la connaissance de ces complaisances idéologiques fascisantes de l’ennemi, avoir à l’esprit la nécessaire nouveauté de nos forces militaires ,au plan technique, leur transformation – osons le mot – révolutionnaire – avec la priorité donnée aux drones, aux cyber-attaques, aux moyens électroniques de brouillage et de guidage, à la diffusion d’informations (vraies ou fausses) transmises via l’informatique sur les arrières de  l’adversaire, tout comme les valeurs que nous défendons. C’est la conception même de la guerre qui doit changer radicalement.          

Il faut aussi rappeler que la dissuasion nucléaire est un moyen que la France et l’OTAN ont toujours à leur disposition. La menace nucléaire n’est pas seulement un moyen de terrifier les populations ouest-européennes comme semblent le croire Poutine et sa garde rapprochée ! La dissuasion, qui permet d’exclure le recours à cette arme mutuellement destructrice, force à porter majoritairement l’effort de développement de nos capacités militaires sur les armes conventionnelles ou les armes de guerre hybrides. Brouillage électronique, cyber-attaques, pressions sur les informations via des trolls en nombre, etc., voilà ce qui peut faire gagner la    guerre de demain plus encore que le splendide héroïsme des soldats de l’Ukraine dans leurs tranchées.                                                                

Enfin (et dans ce domaine, il y a hélas beaucoup à faire, sans doute plus qu’en Russie), l’heure n’est plus à la division politique mais à la solidarité nationale. Il faut être uni, dénué de tout esprit corporatiste et a fortiori séparatiste. Quand la patrie est en danger (et elle l’est parce que l’’Europe et le démocratie le sont), on ne multiplie pas les désaccords, les grèves, les conflits, les refus. On fait corps au moins un temps pour et avec le pays. On n’oublie pas non plus l’Armée, ni dans le budget, ni dans la considération de chacun. Les rêves d’Eurasie et de grandeur russe sont peut-être absurdes. Mais ils rapprochent les coeurs comme jadis les absurdes et méprisantes illusions sur la suprématie radiale allemande l’avaient fait. Il faut y faire face unis.

Telles sont quelques unes des leçons que l’on peut tirer avec Marc Bloch du dernier affrontement militaire direct de la France avec le totalitarisme. C’est

– en étant attentif aux nouveautés de notre temps,

– en rappelant les armes terribles dont nous disposons nous aussi, et

– en montrant notre capacité à faire front ensemble, quelles que soient nos divergences par ailleurs,

que nous pourrons préserver l’essentiel : la sauvegarde de notre vie et de notre idéal démocratique.

Pierre Rigoulot


[1] L’Etrange défaite, écrite en 1940 et 1941 ne sera publiée que bien après la Libération, en 1949. Son auteur, co-fondateur de l’Ecole des Annales qui renouvela la manière d’écrire l’histoire, avait déjà combattu en 1914. Il s’engagea volontairement en 1939 et, après la défaite, entra dans la Résistance dont il devint une figure importante. Arrêté, il fut fusillé le 16 juin 1944. Lui aussi mérite d’entrer au Panthéon…

[2]  v. Telos, 20 mars 2024

27 Mar 2024


Jacques Broyelle (1943-2024)

Jacques Broyelle vient de mourir en silence. Le silence des autres. Car qui se souvient aujourd’hui des retours de Chine de Jacques et Claudie Broyelle  ? C’était il y a un demi-siècle il est vrai. Une vieille histoire ? On a pourtant rappelé, il y a peu, à la télévision, le rôle qu’avait joué le sinologue Simon Leys dans la critique du maoïsme. Rappelé aussi l’engagement enthousiaste de nombre d’intellectuels européens derrière Mao et sa violente et fanatique pseudo-« révolution culturelle ». Pour nous contenter de quelques noms, Roland Barthes, Philippe Sollers. Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir. Maria-Antonietta Macciochi – oui, celle qui s’était fait moucher par Simon Leys lors d’une émission d’Apostrophes – étaient tombés dans le panneau.

Jacques et Claudie Broyelle avaient d’abord, avec Evelyne Tschirhart, une amie qui travaillera plus tard sur les questions éducatives, publié Deuxième retour de Chine aux éditions du Seuil en 1977. Eux qui avaient chanté les louanges de la Chine après un premier et rapide séjour, brulaient fort heureusement ce qu’il avaient adoré. Après avoir travaillé deux ans aux Editions de Pékin et  dans un institut d’enseignement des langues étrangères, ils ruinaient l’idée d’une démocratie chinoise nouvelle équilibrant les aspirations de la population et la direction du parti communiste et soulignaient les ressemblances institutionnelles de la « République populaire » de Chine avec l’URSS : réseau de camps de concentration, parti unique et tout-puissant haïssant  la liberté individuelle, contrôlant étroitement la vie quotidienne, la presse, l’éducation des enfants, imposant une impitoyable justice dite « de classe », favorisant le culte du numéro 1, Mao Tsetoung, imposant référence et révérence au marxisme-léninisme, engendrant des luttes au couteau au sein de l’appareil politique dirigeant.

Lors d’une rencontre organisée par la revue Les Temps Modernes  quelques uns de ceux qui avaient longuement travaillé en Chine comme Michel Magloff, rentré d’une institution de langues étrangères à Shanghai, Xavier Luccioni qui, après avoir enseigné le français avait travaillé à Pékin-information, Roland et Annette Trottignon (née Wieviorka), eux aussi revenus d’un long séjour en Chine où ils avaient enseigné, manifestèrent leurs désaccords avec les époux Broyelle. Contrairement à ces derniers, ils n’avaient pas encore remis en cause aussi radicalement qu’eux le « maoïsme ». Claudie et Jacques Broyelle découvraient en revanche, sans en employer le terme, le totalitarisme.

Le moins qu’on puisse dire était que les expériences des uns et des autres ne se recoupaient pas. Les Broyelle furent accusés de ne s’être imprégnés ni des réalités tiers mondistes de la Chine d’alors, ni de son histoire. Leur vision ô combien discutable avait conduit à cette conséquence affreuse que les Broyelle rejetaient même le socialisme, chinois ou pas ! Ils niaient l’opposition des systèmes chinois et soviétique (alors que leurs interlocuteurs opposaient l’URSS, société bloquée, à la Chine, dont la vivacité et l’originalité étaient confirmées par la Révolution culturelle des années précédentes).

Pour les Broyelle, la Chine avait certes changé mais pour le pire – les camps, les prisons, les déportations déguisées de centaines de milliers de jeunes, les humiliations publiques, l’exigence fanatique d’une soumission aux partisans de Mao, tels avaient été les fruits de la « révolution culturelle ». Et si on laissait la bride sur le cou de quelques uns , c’était purement conjoncturel et comparable à ce que Khrouchtchev avait fait avec Soljenitsyne quand celui-ci avait pu publier Une journée d’Ivan Denissovitch dans la revue Novy Mir.

Suivirent d’autres livres  comme Le bonheur des pierres, (Seuil 1978) une sorte de journal, de recueil de réflexions sur leur engagement politique et leur part de responsabilité :  ils s’étaient trompés et l’assumaient. Ils s’étaient trompés et n’avaient pas été trompés (Huis Clos à Pékin, Le Monde 25 mai 1978)

Deux ans plus tard, Apocalypse Mao (Grasset,1980) réintroduisait une dimension historique dans cette réflexion sur le « legs maoïste qui se résumait en quelques mots simples : la terreur, la faim, le saccage de la jeunesse ». Un document interne au PCC allait jusqu’à estimer à 100 millions le nombre de victimes, brutalisées, mortes, jetées en prison, envoyées au laogai (l’équivalent du goulag) ou réduites au chômage et à la mendicité..Le « Grand bond en avant », avait quant à lui, causé trois ans de famine et 20 millions de morts. Quant à la jeunesse saccagée, elle le fut en effet avec des études « sacrifiées sur l’autel des utopies ». Quelques religieux exaltés ou naïfs comme le Père Cardonnel protestèrent. Le Monde, 15 mars 1978). Mais la rupture se consommait entre la majorité des intellectuels français et le marxisme-léninisme L’anti-communisme était revendiqué et …documenté. Le mouvement qui y avait mené passait aussi par une meilleure compréhension du marxisme, qui, bien que coupable innocentait le marxiste et était aveugle au rapport particulier qu’eux-mêmes, les Broyelle et leurs jeunes amis maoïstes, avaient entretenu « dans et par le marxisme avec une certaine idée de l’absolu », comme l’écrivirent Claudie et Jacques Broyelle(Le Monde, 20 janvier 1978). C’est ainsi, contre le relativisme historique marxiste, qu’ils redécouvrirent le Bien et la Mal.

On les vit ainsi avec André Glucksmann et Bernard Kouchner appeler à l’aide aux boat-people vietnamiens.

On les vit honorer la pensée d’Albert Camus et se ranger rétrospectivement à ses côtés dans sa polémique avec Sartre sur les camps de concentration soviétiques. En 1982, Les Illusions retrouvées (Grasset), Sartre a toujours raison contre Camus, Jacques et Claudie Broyelle réagissaient à la victoire de l’Union de la gauche, dénonçaient ses illusions retrouvées envers le camp socialiste porteur d’une société totalitaire pourtant depuis longtemps dénoncée aussi par Raymond Aron, Arthur Koestler et Manes Sperber.

Plus de quarante ans se sont écoulées depuis la parution de ce livre. Ce n’est pas une vieille histoire comme on se le demandait plus haut. Et pour son rôle de précurseur, donc, et pour son actualité brulante – car s’ils changent d’allure, les totalitarismes et les illusions dont on les pare continuent d’exister – il faut saluer le travail accompli par Jacques Broyelle aux côtés de son épouse. J’adresse à celle-ci et à toute sa famille nos condoléances les plus sincères.

Pierre Rigoulot

15 Mar 2024


Le défi laïque de l’intégration 

Ces toutes dernières années, un certain nombre d’alertes ont été lancées, et des mesures ont été prises en réponse à la poussée de l’islamisme politique  au sein même de l’École.

Comment celle-ci peut, non seulement se défendre, mais mener une bataille culturelle en vue de réussir l’intégration de ceux qui refusent la conception française de laïcité et de la société ?

Car il s’agit bien de penser une laïcité à la française, qui ne se réduise pas à la neutralité idéologique des représentants de l’État, mais concerne aussi les élèves que l’École doit « intégrer » dans le respect conjoint des croyances particulières et des principes de la République.

L’affaire est délicate car jusqu’à présent les enseignants étaient formés à transmettre des connaissances et des capacités, sans pouvoir aborder les convictions religieuses et culturelles qui sont incompatibles avec notre société, une société qui est libérale sans être multi-communautaire.

Le politique peut-il donner explicitement mission aux enseignants de mener cette bataille culturelle, en les formant à cette très délicate mission ? 

Linstitut dhistoire sociale vous invite à en débattre avec Pierre-Henri Tavoillot, président du Collège de philosophie, le jeudi 7 mars à 18h, au Café du Pont-Neuf, de  18h à 20h, 14 Quai du Louvre (Paris 1er)

2 Mar 2024


MA LONTAINE ET SI PROCHE UKRAINE

     Je ferai tout pour être l’un des leurs. Je ne voudrais pas me contenter de dire ma solidarité, de la crier, même. Les Ukrainiens, ceux d’ici et ceux de là-bas, sont devenus mes frères.

     A coups de bombardements, de massacres et de souffrances. Mais aussi à coups d’éclat, à commencer par celui de leur président, cet exemplaire petit Juif, Volodymyr Zelensky, qui, au lieu de prendre un taxi pour l’étranger, s’est montré face au monde entier devant le palais, entouré de colosses amis, qui semblaient le protéger de leur masse bienveillante. Ce jour de février 2022, j’ai entendu pour la première fois de sa bouche : « Slava Ukrajini ! » et, en écho de leur part : « Ukrajini slava ! » Des cris que j’allais répéter bien des fois par la suite, ici en France, comme preuve d’adhésion à cet homme et à l’ensemble de son peuple.

     De l’Est arrivait l’espoir d’une résistance acharnée face à ceux qui avaient mis leurs pattes sur les miens durant des décennies. C’étaient les mêmes, ces brutes russes qui avaient réussi à amadouer les naïfs petits Cubains qui ne les connaissaient pas, sauf bien sûr ceux qui, par millions, avaient spontanément pris le chemin de l’exil, sans oublier ceux qui avaient tenté de leur résister et qui avaient payé de la prison ou de la vie cette folie, dans l’indifférence ou la complicité généralisées. C’étaient les héritiers du système communiste, que j’avais imaginé mort et qui ne l’était pas. Pas tout à fait les mêmes mais presque : les descendants de Lénine, de Staline, de Khrouchtchev, de Brejnev et des autres morts-vivants, pas ceux de Gorbatchev ni, en partie, de Eltsine. Poutine représentait, représente, la continuation de la terreur communiste. Pas étonnant, donc, que j’aie reporté mes souhaits d’émancipation sur ces hommes et ces femmes qui se battent contre eux, presque à mains nues, du moins au commencement. Ils sont devenus les porte-drapeaux d’un futur moins laid, moins terrible, même pour mon île, Cuba, là-bas sous les tropiques.

     Eux, ils ne brandissent pas que des drapeaux, moi, je ne fais que crier et parler, je refuserais d’ailleurs de toucher à une arme –je ne l’ai jamais fait, je ne le ferai jamais. Leurs parents, leurs maris, leurs amis, empoignent des armes, quand bien même ils n’étaient nullement formés à cela. Parfois, Jean-Pierre, l’âme de nos marches, parle d’un ami qu’il a perdu au front. L’émotion transparaît alors, comme lorsqu’il me mentionne à voix basse le souvenir de son épouse, Nathalie, qui avait initié ce mouvement, l’Union des Ukrainiens de France, il y a des années déjà, en 2014. Il y a aussi ces femmes seules, par exemple Ioulia, dont le mari, cameraman des armées, est au front, qui rompt en larmes quand elle évoque son sort. Jean-Pierre proclame que nous sommes le troisième front, après celui qui est face aux Russes, et celui de l’ensemble de la population, qui se trouve aussi face aux mêmes prédateurs. Nous ne faisons que venir en appui à ceux-là, qui se trouvent au loin, et à ceux-ci, les exilés, comme moi. Je me sens comme eux, en exil depuis si longtemps. Et je ne sais s’ils pourront un jour retourner dans ce pays qui leur semble encore magnifique. Pas comme le mien. Oui, mais pour combien de temps ?

     Les terrains de guerre se multiplient, partout, essentiellement en Israël, où me porte mon histoire, aussi proche, peut-être davantage, que celle de l’Ukraine, à laquelle me relient des ancêtres lointains, des Juifs partagés entre ce territoire et celui de la Pologne et d’autres territoires indéfinis de l’Est. Nous vivons un temps de malheurs récurrents.

     Je continue à proclamer ma foi en la victoire, peut-être pas seulement par les armes. Lorsque je m’adresse à mes frères -et à mes sœurs- devant la fontaine des Innocents ou place de la Bastille à Paris, et même, parfois, à Chartres, ou dans ces lignes, je ne fais œuvre que d’un soutien moral. Je témoigne, comme je le fais pour Cuba libre depuis des décennies. Je sais cependant que mes paroles leur vont droit au cœur, qu’elles les galvanisent, les aident à tenir bon, le temps qu’il faudra. Elles parviennent parfois jusque là-bas, sur le deuxième et le premier front. Jusqu’à ce que mes forces me le permettent et que je puisse, un jour, fouler cette terre bleue et jaune que j’ai faite mienne, par pur désir de justice et de liberté.  

Jacobo Machover

(Photo: https://www.internationalaffairs.org.au/australianoutlook/war-in-ukraine-and-women-in-combat/)

2 Mar 2024


Benoît Rittaud, Mythes et légendes écologistes, éditions de l’Artilleur, 2023, 250p. 20 € 

Hésitations sur le nucléaire, défense de l’environnement associée à des mouvements violents, mise en cause, sans doute assez discutable, mais soutenue par une bonne partie de la population, des exigences phytosanitaires des Verts par les militants syndicalistes agricoles. Dans l’histoire de l’écologie politique, les années actuelles ne compteront pas parmi les plus glorieuses.                                                                  

Mais l’impatience des militants écologistes, leur extrémisme et leur haine de la démocratie libérale ne sont pas seulement l’effet de fautes politiques, c‘est à dire de la méconnaissance de ce que les gens peuvent accepter ou de l’indifférence à leurs réticences. Ces attitudes semblent constitutives de leur idéologie même. Les Grünen allemands se divisaient en réalistes et en utopistes. Les Verts français, eux, veulent révolutionner la société française au nom de l’urgence qu’il y a à réagir à la catastrophe qui vient, à l’apocalypse qui menace sans doute aucun.        

Benoît Rittaud, dans son tout récent ouvrage, Mythes et légendes écologistes, publié aux éditions de l’Artilleur, dénonce cette « course aux extrêmes », et l’empressement à confondre les problèmes environnementaux qui se posent à nous tous et les signes du prochain (et certain) désastre planétaire. Comme le totalitarisme, l’écologie politique veut mener une lutte à la vie à la mort contre la société « capitaliste » qui, soucieuse de profits immédiats, ignore qu’elle conduit l’humanité (comme d’ailleurs d’autres sociétés) à une catastrophe majeure. Benoît Rittaud résume ainsi, cette certitude, certes infondée mais structurant quand même toutes les actions des Verts, en énonçant leur mythe central : « sa puissance et son égoïsme de court terme conduisent l’humanité à détruire l’environnement à l’échelle planétaire, ce qui va bientôt provoquer un effondrement global que l’on ne pourra éviter (ou freiner) que par une transformation profonde de notre société ». Du haut de ce mythe, on accueille les remarques de bon sens avec mépris.                                                                                     

Même chez les savants bardés de diplômes d’aujourd’hui, un mythe se nourrit non d’expérience ni de raison mais de signes. Aussi les trouvent-ils, ces signes, et c’est pourquoi leurs appels se multiplient depuis une cinquantaine d’années, annonçant le Grand effondrement pour le lendemain ou presque. M. Guterres, le secrétaire général de l’ONU, visiblement plus catastrophé par l’effondrement climatique « déjà commencé » que par le piétinement par la Russie et la Chine des sanctions qu’elles avaient eux-mêmes votées, leur emboîte le pas et fait même mieux : l’apocalypse n’est pas pour demain : selon lui, elle a commencé hier.            

Impossible dans ce registre d’entendre raison. On admet par exemple du bout des lèvres que la surveillance des forêts s’est accrue, que les moyens engagés pour la protéger sont de plus en plus importants. Mais de là à reconnaître ouvertement que la surface forestière globale de la France progresse, il y a une marge qu’on préfèrera laisser dans l’ombre ! De même, parler d’apocalypse à venir et par notre faute, cela vous a quand même une autre gueule que prendre en considération cette idée que les variations climatiques actuelles pourraient être surtout « liées aux interactions gravitationnelles entre le soleil et les principales planètes du système solaire » ! La radio et la télévision préfèrent en général interpeler l’auditeur : la situation est grave ! Il faut faire quelque chose! une catastrophe nous menace ! L’auteur de ces lignes, souvent intéressé par ce qui se passe sur le 38 me parallèle dans la péninsule coréenne connait bien ces moues de déception quand il commente avec placidité la dernière menace de Pyongyang et l’annonce d’une possible guerre prochaine.   La promesse d’un « océan de flammes » est quand même plus excitante ! Et l’audimat monte en même temps que l’adrénaline. De la même façon, « La bien-pensante écologique exige que tout aille mal ». Nouvelle preuve de sa proximité avec le totalitarisme, cette posture écologique assimile ce qu’elle « constate » avec ce qui a une valeur éthique : le réchauffement climatique est, et c’est mal, et c’est de notre faute…

Ce petit livre de Benoît Rittaud est clair, agréable à lire, parsemé d’exemples originaux, parfois drôles et souvent scandaleux. On aimerait que ce coup de pied sanitaire dans une des bienséances idéologiques majeures de notre temps soit le point de départ d’une défense accrue de l’environnement enfin raisonnable.

Pierre Rigoulot

20 Fév 2024


Aider l’Ukraine

Outre l’aide militaire apportée officiellement à l’Ukraine par les Etats-Unis et divers Etats européens, il en est une autre, plus discrète : celles de centaines d’associations  et de milliers de citoyens des pays européens.

En quoi consiste-telle? Est-elle efficace? Peut-on y participer et comment ?

Nicolas Milétitch, ancien directeur du bureau de l’AFP à Moscou anime l’une de ces associations, SOS Ouman, et se rend lui-même jusqu’en Ukraine. Il expliquera les besoins les plus criants des Ukrainiens et les efforts faits pour y répondre Mardi 27 février de 18h à 20h au Café du Pont-Neuf, 14 quai du Louvre Paris 1er

Les amis d’Histoire & Liberté

20 Fév 2024


Ukraine en résistance : que peut la littérature ?

A la veille du  second anniversaire de la guerre en Ukraine, des écrivains témoignent le 22 février à la Maison de l’Amérique latine.

Le PEN Club français, Cercle littéraire international, organise le jeudi 22 février 2024 à 19 heures à la Maison de l’Amérique latine, 217, boulevard Saint-Germain, Paris 7e une rencontre intitulée « Ukraine en résistance : que peut la littérature ? ».  A la  veille du second anniversaire de la guerre,  des écrivains témoignent : Florent Coury, auteur de Engagé volontaire,Jean-François Bouthors, auteur de Poutine, la logique de la force, Bogdan « Bob » Obraz, auteur de Kyiv-Paris

La tentative d’invasion de l’Ukraine libre et démocratique par la Russie de Vladimir Poutine le 24 février 2021 a produit d’immenses destructions humaines et matérielles. Mais plus  encore, elle a cherché à éradiquer  la culture ukrainienne  dans sa singularité et  exterminer ceux qui la portent.   Les artistes et les écrivains ont payé un lourd tribut à cet égard. La littérature, aujourd’hui essentiellement en langue ukrainienne mais aussi en russe, est l’un des principaux vecteurs de la connaissance du présent tragique et du passé de ces terres martyrisées par une histoire souvent occultée, qui remonte à la surface.

Les témoignages, ceux des écrivains ukrainiens qui doivent faire face à une violence barbare et ceux des observateurs étrangers qui parcourent le pays ou parfois s’engagent dans les rangs des combattants, faisant d’eux des citoyens solidaires à part entière, permettront-ils de donner ses lettres de noblesse à une littérature qui devrait survivre aux circonstances de la guerre qui, espérons-le, aura une fin prochaine ?  Telles sont les questions qui seront abordés durant cette rencontre.

Florent Coury était, avant de partir en Ukraine DRH de l’Usine Renault de Flins. Il a 39 ans, et père de trois enfants. Jean-François Bouthors est journaliste et essayiste. Il a été l’éditeur de la journaliste Anna Politkovskaïa, assassinée à Moscou en 2006. Bogdan Obraz, Ukrainien de Kyiv, vit à Paris depuis 2008. Il est diplômé d’un master à l’ESCP-Europe et d’une licence professionnelle de guide conférencier.

La présentation sera assurée par Jacobo Machover et Fulvio Caccia, membres du Comité directeur du PEN Club français (Cercle littéraire international). Cet événement sera dédié à Victoria Amelina, écrivaine ukrainienne assassinée au cours d’un bombardement russe.

Renseignements : jacobo.machover@wanadoo.fr, http://www.penclub.fr

8 Fév 2024


« Simon Leys, l’homme qui a déshabillé Mao »

(Public Sénat, 3 février 2024 : documentaire sur l’oeuvre salutaire de Simon Leys)

Un documentaire inédit de Fabrice Gardel et Mathieu Weschler, « L’homme qui a déshabillé Mao », retrace le parcours du sinologue décédé en 2014, Simon Leys, qui, presque seul,  dénonçait dans les années 70 les crimes et les mensonges du maoïsme, objet de l’admiration de bien des intellectuels occidentaux.

Pour voir le film: https://www.youtube.com/watch?v=INzToPuW7ng.

Libération publie à cette occasion un article d’Arnaud Vaulerin dont nous reprenons ici de larges extraits :

« Dans la catégorie dézingage, c’est un moment de choix. La scène se passe le 27 mai 1983 sur le plateau d’Apostrophes, alors la grand-messe du livre ordonnée par le pape des lettres Bernard Pivot. Ce jour-là, il reçoit quatre invités pour parler des «intellectuels face à l’histoire du communisme». Parmi eux, la journaliste, écrivaine et femme politique italienne Maria-Antonietta Macciocchi qui vient de publier Deux mille ans de bonheur, un ouvrage sur son compagnonnage avec la gauche communiste et ses voyages, notamment en Chine. Face à elle, un inconnu ou quasi : Simon Leys, sinologue averti et lucide, précis et rigoureux.mais non sans esprit, l’intellectuel cingle la passionaria maoïste pour son précédent ouvrage De la Chine. (…) De son ouvrage De la Chine, ce qu’on peut dire de plus charitable, c’est que c’est d’une stupidité totale ; parce que si on ne l’accusait pas d’être stupide, il faudrait dire que c’est une escroquerie.» Puis Leys démonte une thèse avancée par l’autrice : dire que le «maoïsme, c’est la rupture avec le stalinisme, ça va à l’encontre de toute évidence historique connue de tout le monde».

A court d’arguments, Macciocchi s’agite, s’offusque, s’essouffle. Ce soir-là, Simon Leys sort de l’anonymat et de l’ostracisme où il a été relégué par l’intelligentsia et l’establishment. Ces beaux esprits épris d’un culte délirant pour le Grand Timonier et son bréviaire, le Petit Livre rouge. En consacrant un film à cet intellectuel libre et incisif, Fabrice Gardel et Mathieu Weschler éclairent le parcours trop méconnu du «plus lucide contempteur des crimes de Pékin» et rétablissent des vérités.

Enquêté, agrémenté d’archives et d’entretiens avec des observateurs (…) et des proches du spécialiste, Leys, l’homme qui a déshabillé Mao est d’abord un document sur la cohérence, l’unité et la ténacité d’un homme seul et détesté. C’est également un précieux rappel historique sur la grande boucherie du communisme chinois revisitée dans le climat d’hystérie idolâtre qui s’est emparée du milieu intellectuel et politique dans les années 60 à 80, notamment dans les colonnes de Libération. Le décalage est édifiant entre la ferveur révolutionnaire des thuriféraires de Mao en France, dont l’écrasante majorité ne parle pas chinois et ne s’est jamais rendue en Chine, et la clairvoyance courageuse de Leys (…)

Simon Leys, né Pierre Ryckmans en 1935 en Belgique, découvre la Chine à 20 ans à la faveur d’un voyage étudiant. Le «choc fondateur» produit par cette première visite va conditionner son existence. Le jeune Belge arrête ses cours de droit, se lance dans des études de chinois et arpente le pays, sac à dos et carnet de voyage en poche. Séjourne à Taiwan, au Japon. «Il devient un lettré chinois», rappelle René Viénet, l’ami-éditeur de Leys et, lui aussi, fin connaisseur de la Chine. En 1963, Leys s’installe à Hongkong (…) Là, en passionné empirique du terrain et de la langue chinoise, il prend la mesure de la «lutte de pouvoir terrible entre Mao Zedong et le Parti communiste et de ce que le peuple en est la victime». Les cadavres de la boucherie maoïste finissent par arriver dans les eaux de Hongkong. «Je ne peux pas rester en dehors, je dois prendre position, sinon je ne pourrai plus me regarder dans la glace», raconte Simon Leys dans une archive. L’ancien étudiant «apolitique, avec un intérêt assez exclusivement culturel» pour la Chine, s’engage pour raconter l’envers de la campagne des Cent Fleurs, du Grand Bond en avant et de la Révolution culturelle qui a raflé des dizaines de millions de vies entre 1957 et 1976.

(…) Sur les conseils de René Viénet, Pierre Ryckmans devient Simon Leys et rédige les Habits neufs du président Mao en 1971, une synthèse de documents repérés par Leys et de témoignages recueillis à Hongkong. «On avait sous les yeux l’évidence, l’immensité de cette terreur atroce que représentait le maoïsme pour la Chine», dit Leys. Il est insulté, vilipendé par la gauche intellectuelle et les médias qui lui sont proches, le Monde, le Nouvel Observateur, la revue Tel Quel du très Mao-béat Philippe Sollers.

Certaines archives sont aujourd’hui aussi comiques que pathétiques sur le niveau d’aveuglement et de bêtise alors atteint.

La funeste mode maoïste finira par pâlir après la mort du Grand Timonier et le grand massacre perpétré par les Khmers rouges au Cambodge (…) »

4 Fév 2024