Bonjour à tous,

Depuis un trimestre, nous avons remplacé Histoire & Liberté par un blogaccessible sur histoireetliberte.fr permettant :

  • d’annoncer nos activités
  • de signaler des livres, articles et films utiles à notre réflexion, et surtout
  • de débattre sur des thèmes en rapport avec notre critique majeure : celle qui vise les menaces totalitaires. Nous ne sommes pas en effet en priorité un lieu de signalement de la réflexion des autres. Nous voulons être un laboratoire d’idées, un think tank. Pour cela, il faut débattre entre nous pour clarifier nos positions et, après nous être frottés aux arguments et objections des uns et des autres, pour élaborer quelques idées nouvelles dans les domaines qui sont les nôtres et les proposer au dehors.

Mais de quoi faut-il discuter?

1-La question de la Chine est loin d’être réglée, notamment la question du fonctionnement de son économie. Est-elle capitaliste et en quel sens?

Autre question importante : quel est son niveau de complémentarité avec les économies occidentales?

Et de quelle nature est le pouvoir politique chinois? Peut-on parler ou non de pouvoir communiste? Totalitaire?

Et quelles menaces fait-il peser sur les démocraties occidentales? Et, plus proche en Asie, sur Taïwan? faut-il populariser en Europe le soutien à la République de Chine?

L’Europe, et notamment la France, doivent-ils traiter la Chine de Pékin en partenaire, en concurrent déloyal? En ennemi?

2-Le deuxième thème est celui de l’islam, de l’immigration, de l’intégration des immigrés, de la laïcité, etc.

Sur l’islam, la grande question est aujourd’hui de savoir quoi penser du projet gouvernemental d’islam de France. Quel est-il exactement ? Faut-il ou non le défendre?

Pouvons nous intervenir dans le débat, plus large encore, sur la loi « confortant les principes républicains » et pour y défendre quoi? Avons-nous en particulier des idées sur ce qu’il faudrait dire au sujet de la laïcité à la française. Sommes nous plutôt républicains? Plutôt démocrates ou refusons nous cette alternative?

Qu’exige, selon nous, la réussite de l’intégration des jeunes musulmans ? Faut-il que la société donne mission à l’Ecole de mener auprès d’eux un combat culturel ouvert en faveur de notre type de société? Plus généralement, l’Ecole doit-elle se borner à l’instruction ou est-elle légitimée à défendre notre culture?

Plus largement, comment envisageons la question de l’immigration? Avons-nous des principes à affirmer et des propositions nouvelles à faire?

Très concernée par nos réponses à ces questions, la question de l’Algérie, de ses rapports avec la France et de la mémoire de la colonisation va être posée dans les prochains jours de manière très sensible avec la publication du rapport de Benjamin Stora, sur la mémoire de la colonisation et de la décolonisation. Pouvons nous proposer un point de vue et lequel?

Nous sommes confrontés sur la question de la colonisation à une approche radicale dite « décolonialiste ». Pour sa part, le président Macron a avancé l’idée que la colonisation pouvait être qualifiée de crime contre l’humanité. Reprenons-nous cette idée ou la critiquons nous et comment?

Un troisième champ de réflexion semble utile : celui qui touche au populisme et à ses diverses manifestations. Comment l’analysons nous et comment le jugeons-nous. Défendons nous ou critiquons nous l’Etat de droit?.

Pensons-nous que le populisme et l’illibéralisme soient la principale menace qui pèse sur les démocraties libérales?

Ne faudrait-il pas dans ce cadre tenter de faire un bilan équitable de la présidence Trump?

Pierre Rigoulot

LA LAÏCITÉ À LA FRANÇAISE

les deux sources de la singularité française

La laïcité à la française est combattue à l’étranger pour deux raisons qui se croisent mais qu’il ne faut pas confondre.

La principale singularité de cette laïcité est que la République française ne sacralise pas la religiosité. Le soi-disant blasphème n’est pas un délit.

Cela devrait conduire la France à traiter ces croyances et leurs institutions exactement comme d’autres systèmes de pensée, mouvements et institutions

La seconde singularité française à ne pas confondre avec sa laïcité est que la France veut être un peuple et une société homogènes

C’est pourquoi elle s’est d’abord donné pour modèle l’assimilation totale des nouveaux venus

À la différence de la France, le Royaume uni est une monarchie dont le chef est celui d’une Église

Les Écossais, entre autres, ne sont pas des Anglais, et le maire de Londres n’a pas cherché à faire oublier qu’il est musulman.

À la différence de la France, les États-Unis sont un melting-pot permanent de populations et de communautés qui ne cherchent pas nécessairement à faire oublier leurs origines et leur identités particulières.

Bref, la France républicaine s’est d’abord singularisée en se voulant foncièrement neutre et indépendante en matière de religion, et foncièrement anti-particulariste et anti communautariste en tant que peuple.

Idéologiquement, elle est une fille des Lumières sur le premier point, et la fille de Rousseau sur le deuxième.

Les démocraties anglo-saxonnes

respectent la sacralité de chaque religion et la font respecter

s’acceptent pluralistes et composites sans exigence d’homogénéité culturelle

Ce qui a changé en France dans l’après-guerre

Les religions sont désormais des composantes et des interlocutrices reconnues par l’État comme ayant le droit d’intervenir dans l’espace public sans privilèges mais au même titre que d’autres organisations et institutions.

Leur présence es-qualités au sein du Comité Consultatif National d’Éthique en est un signe.

Les catholiques ont pu manifester en tant que tels pour défendre l’École libre ou pour refuser le mariage entre homosexuels. Mais sans présenter des listes catholiques au suffrage électoral.

Les communautés régionales, nationales ou ethniques qui le désirent sont reconnues : la légalisation des langues régionales en est un signe, de même que le statut officiel du CRIF.

Charles Aznavour a été un ambassadeur de l’Arménie.

Le mot intégration a remplacé celui d’assimilation

Cette évolution « libérale », ouverte à la reconnaissance des particularismes, a pour ligne rouge à ne pas outrepasser l’unité culturelle et politique du peuple français.

Avant l’arrivée massive des musulmans, le mode d’appartenance des croyants à leur foi particulière s’est sécularisé, voire laïcisé. Aucune religion ne jette plus l’opprobre sur les autres. Prenant le parti de la discrétion, aucune religion n’exige de ses fidèles l’affichage des signes ostentatoires dans l’espace public, pas même pour les ministres du culte.

Aucune appartenance particulière ne doit prendre le pas sur l’appartenance à la communauté nationale. Et encore moins entrer en conflit avec elle.

Quels choix aujourd’hui?

Tout allait sans aucun problème avant l’arrivée massive en France de musulmans qui n’ont ni la même histoire, ni la même culture, ni le même type de religion.

Les immigrés se francisaient, les athées et les croyants recevaient la même éducation et coexistaient sans tension et sans afficher publiquement leurs différences. Leurs moeurs tendaient à se rapprocher les unes des autres.

Nous sommes sortis des guerres de religion interchrétiennes par la tolérance et par l’indépendance et la neutralité de l’État à l’égard des religions. Les musulmans n’en sont pas sortis.

Notre culture repose sur les principes de liberté et d’égalité. La leur sur la soumission à la tradition et à la religion.

Les religions de France se sont sécularisées : elles n’imposent pas à leurs fidèles de placer leurs commandements au-dessus de ceux du pays

La religion musulmane est d’essence indistinctement théologique, culturelle, morale et politique.

Avec l’arrivée massive de cette population et de ses points d’incompatibilité avec le mode de vie du pays d’accueil, le problème d’un particularisme exogène se pose et doit être affronté à nouveaux frais.

Que proposons-nous à cette population ?

Les Français ont certes le droit de préférer et de préserver leur modèle à celui des pays anglo-saxons, mais ce modèle, dit « républicain » au sens où il privilégie le commun, est-il moins respectueux des libertés, est-il moins tolérant et moins libéral que le modèle anglo-saxon qui serait plus « démocratique » au sens où il est pluraliste et particulariste ?

Discuter et justifier notre choix, tel est notre problème.

André Senik

C’est un beau texte, solide, « carré », explicite, que tu nous proposes là. Un texte descriptif, parfois presque neutre, puisqu’il n’insiste pas sur les mesures à adopter ni ne critique les mesures actuellement prises.
Sur le fond, je suis un peu réservé cependant sur cette « homogénéité culturelle » que tu perçois comme une des caractéristiques de la société française et qu’il faudrait défendre selon toi. Pourquoi?

Certes, il est   nécessaire de reconnaitre une nette différence avec les Etats-Unis, comme tu le fais. Mais il convient, me semble-t-il, de la relativiser. D’une part, l’homogénéité de la culture française n’est pas une réalité indiscutable. D’autre part, l’hétérogénéité de la culture américaine est   discutable.

L’homogénéité française est relative
a) du fait du processus d’’intégration de populations exogènes. Ce processus limite le succès partiel et minoritaire de l’assimilation. Même si un certain nombre d’individus et de familles vise cette assimilation, la totalité d’entre eux n’y parvient pas, souvent pendant plusieurs générations. Espagnols, Italiens, Belges, Algériens des génération précédentes étaient et sont en effet en général, chacun, porteurs d’une culture mixte particulière.

b) du fait d’une dimension régionale importante. L’homogénéité culturellefrançaise est mise en cause dans les différentes régions et notamment en Bretagne, en Corse, en Alsace, au Pays basque.

c) du fait des disparités sociales

d) du fait de liens particuliers de nombre de Français avec des cultures étrangères, notamment dans les domaines musicaux, cinématographiques voire culinaires.

L’homogénéité de la culture française? Elle est bien réelle et s’affirme en même temps que la citoyenneté française. On part défendre la patrie en Provence comme dans le Finistère en 1914 et en 1939. Mais la langue est celle que Paris a su imposer et la culture française, pour commune qu’elle soit, présente des variantes plus ou moins accentuées dans le Morvan, en Seine Saint-Denis et dans les Pyrénées atlantiques. Et, je ne dis pas malheureusement, l’homogénéité culturelle et même nationale, est plus mise à mal aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a un siècle.

Il faut d’ailleurs relativiser l’hétérogénéité culturelle américains. C’est moins une hétérogénéité qu’on y trouve que l’affirmation (souvent outrancière aujourd’hui) de diverses homogénéités culturelles. Sans doute, on sépare à tout de bras, racialement, ethniquement, historiquement   aux Etats-Unis. Et l’homogénéité de chaque groupe est plus affirmée qu’elle n’existe réellement. On est par exemple un « afro-américain »   quand on est métis ou qu’on a la peau noire. Contre cet excès de catégorisation, des romans comme ceux de Philip Roth et de Saul Bellow témoignent de la réalité de «  milieux  » mais aussi de la difficulté à les cerner : dans les deux cas précédents qui peut dire s’il s’agit d’abord de romans new-yorkais? juifs américains? d’intellectuels de la côte Est?

On pourrait même ajouter – et c’est important – que la citoyenneté américaine, source d’homogénéité, est inculquée et affirmée d’avantage que ne l’est en France, dans le circuit scolaire, la citoyenneté française.

Pour en venir à l’origine de ta réflexion sur l’homogénéité culturelle française, ta défense – notre défense – de la laïcité à la française, celle-ci est assez clairement protégée par le système juridique existant.
Il ne manque pas non plus de commentateurs pour l’expliquer aux candidats à l’immigration et à l’étranger où elle est encore mal comprise, tant aux Etats-Unis et en Angleterre qu’au Moyen-Orient.
Mais il me semble que le problème de la laÏcité à la française et de son acceptabilité dans notre pays dépend de la solution de deux problèmes qui se posent si je puis dire, en amont : celui de l’immigration et celui de l’islam en France. Mais selon la formule bien connue, c’est une autre histoire !

Pierre Rigoulot