La crise la plus grave : pénuries de modestie et d’aptitude au compromis                                                                      

On entend ici et là regretter l’absence de culture du compromis en France. Certains familles politiques y sont plus disposées. D’autres moins. On a pu s’en rendre compte en écoutant Marine Tondelier, secrétaire nationale d’Europe Ecologie les Verts, dans une interview récente, s’indigner de ce que M. Darmanin ait pu s’interroger publiquement sur l’opportunité pour l’Etat de subventionner une association – en l’occurrence la Ligue des Droits de l’Homme – qui semblait s’acharner contre son généreux donateur, l’Etat, en mettant en cause son « usage immodéré et indiscriminé de la force » contre les manifestants de Sainte-Soline..                                                                                                            

D’aucuns ont trouvé que la réaction de M. Darmanin manquait d’élégance. On  pourra trouver aussi que celle de la Ligue ne manque pas de toupet et qu’élégance pour élégance, elle aurait pu déclarer qu’elle refusait désormais de recevoir le moindre argent d’une source aussi peu honorable. Mais la Ligue est comme tout le monde. Elle a ses faiblesses, ce que semble ignorer Marine Tondelier qui, pour faire honte à M. Darmanin, lui rappelait que la  LDH était née au moment de l’affaire Dreyfus, pour défendre le célèbre capitaine injustement attaqué par tout ce que la France comptait de nationalistes chauvins et d’antisémites. Manière, sans avoir l’air d’y toucher, de suggérer de quel côté se trouvait M. Darmanin. L’attaque était un rien perfide et bien loin d’inciter au compromis. Il eut fallu pour faire preuve d’esprit de conciliation, admettre que la Ligue des droits de l’homme n’avait pas seulement tourné des pages glorieuses tout au long de son histoire, plus que centenaire. Mme Tondelier le savait-elle ? La Ligue a accepté la condamnation à mort de Zinoviev et Kamenev et de 14 autres inculpés en 1936 à Moscou, à la suite d’un « grand » procès entièrement fabriqué par le pouvoir soviétique. Raymond Rosennmark, son conseil juridique, voyait dans ce jugement « presque (sic) l’expression de la justice même »… Les coupables n’avaient-ils d’ailleurs pas avoué ? Le Président de la Ligue, Victor Basch, qui devait être odieusement assassiné avec sa femme par la Milice en janvier 1944, avait lui-même admiré « l’ordonnance, la conscience, le talent » avec lesquels l’avocat avait présenté son rapport.

Connaître ou reconnaître l’aveuglement d’au moins une grande partie de la Ligue devant une des horreurs staliniennes les plus célèbres – celle des « Grands procès de Moscou » – aurait pu inciter à plus de modestie de la part de Marine Tondelier, et à moins de réactions hostiles face aux interrogations du Ministre. Et peut-être rendre possible le dialogue et le compromis entre forces politiques.  Quand cesserons nous de nous croire mener la lutte du Bien contre le Mal ? Quand retrouverons nous le sens du débat politique dans notre pays?

Pierre Rigoulot

15 Avr 2023


Plusieurs parmi nous sont accablés par les dernières déclarations du Président de la République et la « distance » qu’il semble appeler de ses voeux à l’égard des Etats-Unis. Beaucoup d’autres s’en inquiètent, tant pour des raisons conjoncturelles que pour des raisons de fond. Nous publions une première réaction, celle de notre ami André Senik, et appelons nos lecteurs à faire part de leur analyse des prises de positions du président.

H&L

Face aux ambitions mondialement conquérantes de l’empire néo-communiste chinois, l’Europe démocratique n’est pas moins menacée ni menacée autrement que les États Unis.

Il serait stupide et suicidaire pour l’Europe démocratique de jouer la carte du flic gentil face à l’ennemi mondial numéro 1 de la liberté des peuples et des individus.

Sans le soutien tous azimuts des États-Unis d’Amérique aucun pays démocratique ne pourra se défendre.

Ni l’Europe ni Israël, ni la Corée ni le Japon, et j’en passe.

L’alliance sans fissure des démocraties avec les États Unis d’aujourd’hui face à la Chine n’implique aucun renoncement à leur souveraineté. Mais L’autonomie de l’Europe doit viser avant tout à renforcer le front des démocraties dans le rapport de forces face à la Chine néo-maoïste de XI et à la Russie néo-tsariste et stalinienne.

De ce rapport de forces entre les deux mondes dépend notre avenir commun

En temps de guerre mondiale toute division du front est mortelle.

André Senik

Ma première réaction est de partager le point de vue d’André, mais j’ai la faiblesse de croire Emmanuel Macron atlantiste et favorable à l’alliance la plus étroite avec les Américains. Je m’interroge donc sur la signification de ses prises de position à son retour de Pékin. L’obsession salutaire de Macron, c’est l’Europe qu’il veut bâtir comme une puissance souveraine – qu’elle n’est pas aujourd’hui. En laissant entendre qu’il n’est pas favorable à un vécu partagé des crises politico-militaires de la même façon que le ressentent les Etats-Unis, il fait habilement de l’Europe un objet de pression voire de séduction pour la Chine. En laissant espérer à Xi un hiatus, une coupure, un décrochage de l’Europe avec les Etats-Unis, Macron l’incite à donner à l’Europe une importance que cette dernière a bien du mal à se faire reconnaître dans le monde. Xi se laissera-t-il manipuler? A voir…

Et le Président Macron sait, évidemment, qu’au-delà de la lutte pour l’Europe, il y a la lutte pour la démocratie dans laquelle Etats-unis et Europe sont alliés – la seconde étant même largement dépendantes des premiers.

Reste que certains des termes employés par Emmanuel Macron ne sont pas appropriés. Évoquer « des crises qui ne sont pas les siennes », sème le doute quant à l’engagement de principe de la France à défendre la démocratie partout dans le monde. S’il y a menace contre la démocratie  et a fortiori s’il y a crise, il s’agit d’une menace contre nous et d’une crise qui est nôtre, tout en sachant de surcroît, comme le rappelle André, que seuls les Etats-unis pourront y faire face.

Pierre Rigoulot

Quelle attitude face au bloc des pays totalitaires ?

Depuis très longtemps, je redoutais une configuration dans laquelle l’Axe Eurasiatique totalitaire (Pékin/Moscou) se permettrait d’attaquer simultanément deux pays démocratiques qui lui seraient limitrophes et dans laquelle les Etats-Unis et leurs alliés auraient à tenir deux fronts militaires très distants l’un de l’autre. Après l’invasion de l’Ukraine par Vladimir Poutine et avec les manœuvres de l’armée chinoise autour de Taïwan, on se rapproche de cette dangereuse configuration, une configuration qui mettrait à redoutable épreuve les forces des pays démocratiques.

Si l’on excepte les deux années (d’août 1939 à juin 1941) où l’Empire britannique se retrouva seul face à l’axe germano-soviétique, les pays démocratiques n’ont jamais été soumis à une menace géopolitique et militaire aussi intense de la part des régimes totalitaires. En réalité, l’histoire mord la nuque de nos pays démocratiques.

Et c’est à ce moment qu’à Pékin, Emmanuel Macron a choisi de prendre publiquement quelques distances avec les Etats-Unis et leurs alliés. Il semble n’avoir pas bien compris la gravité de la configuration internationale actuelle.

En tout cas, son horizon temporel paraît très inapproprié : en matière de politique étrangère, le principal horizon de ses décisions semble se situer à 2030 ou à 2035, un horizon en direction duquel il se propose d’amorcer des projets très ambitieux tels qu’une nouvelle architecture de sécurité européenne, une autonomie de défense de l’Union européenne entre Pékin et Washington ou encore le rejet de toute confrontation bloc contre bloc.

Autant de projets à très long terme qui paraissent bien dérisoires au moment où, profitant de la fixation des Etats-Unis en Ukraine, la Chine ne cache plus son intention d’envahir Taïwan à court terme. Le moment n’est pas à rêver à des projets fantasmatiques. Il est au contraire à serrer les rangs des pays démocratiques autour des Etats-Unis, le seul pays démocratique disposant actuellement de la capacité militaire qui est indispensable à faire face aux agressions, présentes et prévisibles, de l’axe Eurasiatique.

Après les communiqués qu’ont émis conjointement Pékin et Moscou (le 4 février 2022 à Pékin puis le 16 mars 2023 à Moscou), il est désormais avéré que les Etats totalitaires ont constitué un bloc qui est homogène et solide (Pékin, Moscou et aussi Téhéran, Pyongyang et Minsk). Leur détestation conjointe de nos pays démocratiques provient de ce que, à notre insu, nous donnons à leurs populations la preuve que démocratie et prospérité sont compatibles. C’est à l’évidence pour cette raison qu’ils ne cessent de dénigrer notre modèle démocratique et qu’ils s’assignent même en réalité d’éradiquer la démocratie de la planète.

Ce n’est donc certainement pas le moment de séparer la France des autres pays démocratiques. Ce n’est pas non plus le moment de faire de l’angélisme en prêchant qu’il faudrait « rejeter la logique des blocs ». Les Etats totalitaires ont décidé de former un bloc pour nous imposer leurs redoutables intentions. Il revient à nos pays démocratiques d’en tirer la conclusion qui s’impose.

Jean Francart

13  avril 2023

Je suis éberlué : il semble que Macron ne comprenne tout simplement pas à qui il à faire, il semble ignorer autant la nature du régime chinois que celle du régime poutinien, de même qu’il paraît être d’une naïveté tragi-comique quant au mode de fonctionnement mental de ces dirigeants et quant à leurs objectifs ! Il semble raisonner en termes d’alliances de puissances indépendamment des systèmes politiques et des antagonismes fondamentaux entre démocraties sociales-libérales et Etats totalitaires ! Justement la vision que Poutine et Xi cherchent à imposer au reste du monde !

A moins que, très petitement, il n’accorde plus d’importance aux intérêts commerciaux à courte vue de la France (et de l’Europe) qu’à défendre résolument et solidairement notre liberté et celle des autres, nos valeurs et nos principes de base, tout ce sur quoi est fondée notre civilisation ? J’aurais du mal à le croire.  

A moins qu’il n’entende rallier ou apprivoiser quelque peu la partie de l’opinion française et européenne se vautrant toujours avec délice dans l’antiaméricanisme systématique ? Ce serait aussi « petit ».

En tout cas, au moment où, plus que jamais, l’Occident devrait être soudé et manifester une unité en béton, il fissure à nouveau l’Alliance et encourage Xi à poursuivre allègrement ses projets expansionnistes.

On se pince ! 

Pierre Druez

Belles âmes : danger                                                                 

Le covid à qui je viens de donner l’hospitalité suffisait amplement à souligner mon isolement. La dénonciation vigoureuse et quasiment unanime des prises de position publiques d’Emmanuel Macron sur Taïwan par mes amis politiques les plus proches a accru cette solitude au point  que je souhaite m’expliquer.                                          

L’armée française ne compte pas dans la défense de Taïwan. Seuls les Etats-Unis ont le pouvoir de retarder l’échéance d’une attaque chinoise voire de l’ajourner sine die dans la meilleure hypothèse. Et l’armée américaine n’est pas entravée par les déclarations volontairement ambiguës du Président français. Les reproches qui sont faits à Emmanuel Macron sont de créer des lézardes dans l’unité occidentale ou plutôt, car il faut être précis, dans les déclarations, dans l’affichage idéologique des démocraties. Comme ce qui compte, c’est la détermination américaine à maintenir le statu quo par sa présence militaire dans la région, et elle seule, la position du président français n’a sur le plan de la défense de Taïwan, qu’une très faible importance. 

Il me semble qu’en revanche, elle ait de possibles (possibles, pas certaines) conséquences positives que mes amis ne prennent pas en compte. Sans doute mon argumentation consiste à approuver une diplomatie complexe, voire « tordue ». Mais nous ne sommes pas des moralistes ni de preux chevaliers défenseurs du monde démocratique. Nous avons un adversaire et même des adversaires redoutables qui, favorables au totalitarisme et à divers formes d’autocratie, ont en commun leur hostilité aux démocraties libérales.

Nous une sommes pas là pour agiter en toute occasion le drapeau de la démocratie mais pour l’aider à résister au danger totalitaire. Emmanuel Macron, que je crois favorable à cette ligne, pense que l’existence d’une Europe forte et souveraine serait une bonne chose et pour l’Amérique, entourée actuellement de nains militaires et politiques, et pour la démocratie dans son ensemble.

Cette position européaonophile n’ouvre pas seulement des perspectives favorables aux Etats-Unis, qui ont besoin d’alliés forts mais aussi à l’avenir des démocraties. Mieux encore : en laissant entendre qu’il n’est pas favorable à un vécu partagé des crises politico-militaires de la même façon que les ressentent les Etats-Unis, le président français  fait de l’Europe un objet de pression, voire de séduction pour la Chine. Même si c’est un leurre, en laissant espérer à Xi un hiatus, une coupure, un décrochage de l’Europe avec les Etats-Unis, Macron l’incite à donner à l’Europe une importance que cette dernière a bien du mal à se faire reconnaître dans le monde. Xi se laissera-t-il manipuler? A voir…Mais faut-il toujours rappeler le soutien à ses principes ou faire en sorte qu’ils soient effectivement renforcés?  Le temps des chevaliers est terminé. Celui de Machiavel ne l’est pas.

Pierre Rigoulot

11 Avr 2023


L’Ifop a mené une enquête auprès des Français pour le journal L’Humanité. Il en ressort qu’un peu plus du quart des plus jeunes Français et des plus pauvres  voient le communisme « comme une idée d’avenir ». Voilà qui prouve, selon notre ami André Senik « qu’en dépit des connaissances désormais indiscutables sur les crimes liés à ce mot, le communisme n’a pas connu le sort du mot nazisme ».

La revue en ligne Atlantico a demandé à André Senik de commenter ces résultats.  Nous publions de larges extraits de son interview mais renvoyons nos lecteurs à Atlantico pour en prendre constance dans sa totalité. 

Atlantico : Comment expliquer la popularité du communisme chez les jeunes ? 

André Senik : La tentation communiste chez les jeunes s’explique par le désir juvénile et simpliste de refaire le monde en faisant table rase par la violence du monde existant. La radicalité, le manichéisme et le fantasme de la toute-puissance immédiate sont des pathologies qui touchent plus de monde chez les jeunes que chez leur aînés.

On doit comprendre cette tentation totalitaire, et on doit surtout s’en protéger

Est-ce le même mouvement qui conduit à un regain de popularité du PCF et de son chef ?

André Senik : Le récent et très relatif regain de popularité du chef du PCF s’explique par son look cool et par sa liberté de parole, qui sont rafraichissants comparés à la logorrhée incantatoire et irascible de Mélenchon. Mais ce style néo-communiste n’implique aucune dénonciation des crimes qui ont révélé la vraie nature du communisme.

Que nous apprend « l’univers évocatoire du communisme » sur la vision que nous avons, en France, de cette idéologie ?

André Senik : La France n’a pas subi la réalité du communisme. Beaucoup de Français confondent encore l’idéal généreux qui fut celui des communistes de base chez nous (la fraternité et l’égalité réalisées), avec le programme totalitaire du communisme programmé par Marx et mis en pratique par ses héritiers partout et toujours. Bien des gens ici croient encore que le communisme de Marx a été trahi et n’a jamais été mis en pratique. 

La lutte des classes s’affirme comme un concept encore largement populaire : 83% estiment qu’elle est toujours une réalité, et même 78% des proches de Renaissance. Pourquoi ce concept est-il toujours si populaire ?

André Senik : L’on confond la dimension conflictuelle qui est présente dans tous les rapports sociaux, avec le schéma marxiste qui réduit tous les rapports sociaux à un antagonisme irréductible. Cette vision manichéenne transforme la société pluraliste fondée sur la recherche de compromis mutuellement bénéfiques en théâtre de la guerre civile généralisée : les femmes contre les hommes ; les homosexuels contre les hétérosexuels, les classes populaires contre les élites, les non Blancs contre les Blancs, et ainsi de suite.

PS Vous pouvez retrouver la totalité de l’interview grâce au  lien suivant : https://atlantico.fr/article/decryptage/le-communisme-une-idee-d-avenir-pour-29percent-des-18-30-ans-mais-qui-sont-les-responsables-de-ce-naufrage-politique-ideologie-jeunes-militants-avenir-espoir-futur-andre-senik

10 Avr 2023


Pourquoi la France doit adopter les enfants de parents djihadistes venus de France

Certes, ces enfants ne sont pas nos enfants.

Ils sont les enfants de parents qui ont choisi de faire la guerre à la France et dont certains sont « morts contre la France ».

La France se doit d’adopter ces enfants parce qu’ils sont innocents de leur histoire, et parce que nul autre pays que la France dont leurs parents sont originaires ne leur offrira un avenir auquel ils ont humainement droit .

Pour ces deux raisons, la France se doit de les adopter et de les intégrer, mais sans se cacher à elle-même et sans leur cacher non plus, qu’ils sont les enfants de parents djihadistes anti-français.

On sait que dans les adoptions, dire toute la vérité est une condition nécessaire et utile à toutes les parties concernées.

Il faut dire à ces enfants qu’ils ne sont pas responsables des crimes de leurs parents, et qu’il leur faudra se construire, ou parfois se reconstruire, en connaissance de cause.

C’est pourquoi la France se doit de les adopter sans prétendre qu’ils sont nos enfants de par leur naissance.

Ceux d’entre eux qui ont la chance d’avoir des grands parents français sont nos petits-enfants.

L’adoption est toujours une aventure comportant des risques. Dans le cas de ces enfants, la France doit courir ces risques en connaissance de cause et en se donnant les moyens de leur intégration.

André Senik

14 Déc 2022


Ocean Viking

Dans un entretien au journal Le Point, Gérard Collomb vient de dévoiler que la raison profonde de sa démission du ministère de l’intérieur en octobre 2018 tient à son désaccord avec Emmanuel Macron sur la politique migratoire : « Je veux alerter sur les enjeux fondamentaux qui sont à l’œuvre dans l’affaire de l’Ocean Viking », qui « ouvre une nouvelle brèche, créant un précédent ». Ainsi « on renforce plus le problème qu’on ne le résout, en créant un appel d’air ».

Il constate que « une fois que les migrants sont entrés sur le sol français, il est presque impossible de les en déloger ».

Il considère surtout que le laxisme fait le jeu de l’extrême droite et précise que s’il n’a rien dit avant les présidentielles, c’est pour éviter la victoire de Mme Le Pen.

N’en déplaise aux bonnes âmes, aucune école, aucune philosophie, aucun vœu pieux, ne viendra à bout du problème. La Bien-Pensance, quelle qu’en soit les mérites, fait le lit de ce qu’il est convenu d’appeler désormais « le populisme » (on a renoncé au terme « fascisme » qui semble vieillir). Au risque de ne pas être publié, même dans Histoire et Liberté, je m’évertue à l’écrire depuis des années. Il est vrai que Ocean Viking est un nom parfaitement choisi en termes de marketing. Le basculement de la Suède est prémonitoire. Tous les pays d’Europe sont concernés.

Il me semble en outre que reporter la responsabilité sur l’Italie est une manière peu glorieuse de botter en touches une nouvelle fois, et de ne pas affronter la réalité.

Puisse Gérard Collomb avoir plus de poids qu’un simple pékin. 

JL Carillon, le 13/11/2022

Nous publions ci-dessous de larges extraits de l’entretien accordé au Point par l’ancien Ministre de l’intérieur auquel fait référence notre ami Carillon en espérant qu’un débat éclairant en naîtra parmi les lecteurs de notre blog.

H&L

« Je veux alerter sur les enjeux fondamentaux qui sont à l’œuvre dans l’affaire de l’Ocean Viking »,  explique l’ancien maire socialiste de Lyon, « Il y a quatre ans, les problèmes migratoires étaient déjà extrêmement importants. La Commission européenne avait lancé l’idée de centres contrôlés pour accueillir les migrants. Peu après, les chefs d’État, réunis spécialement pour traiter les problèmes migratoires, reprennent ce projet, Emmanuel Macron s’y montrant l’un des plus favorables »  Ce dernier avait demandé au préfet de l’époque, Pierre Dartout, d’y travailler. Gérard Collomb, alors Ministre de l’intérieur, y était très favorable, sachant qu’une fois que les migrants sont entrés sur le sol français, il est presque impossible de les en déloger, tant les accords de Dublin entre pays européens sont peu respectés.

Le Point poursuit : « Gérard Collomb explique, en outre, qu’au moment de manifester son désaccord au chef de l’État, il doit participer à la commémoration de l’assassinat terroriste de deux jeunes filles à la gare Saint Charles de Marseille, tuées un an plus tôt par un djihadiste présent clandestinement sur le sol. « L’auteur, un Tunisien en situation irrégulière, aurait dû être placé la veille en centre de rétention administrative à Lyon pour être expulsé. Il ne l’a pas été, et il a pris le lendemain le train pour Marseille où il commettra ce crime. Je pense alors : “Je ne veux plus que cela se reproduise“ » explique l’ancien ministre. (…)

À en croire Gérard Collomb, la vraie raison de son départ serait donc d’abord la politique migratoire, même s’il confesse avoir longtemps voulu taire cet aspect : “Si j’avais dit cela à l’époque, j’aurais gravement nui à Emmanuel Macron. Si je m’étais exprimé avant la présidentielle, mon intervention aurait pu inverser le résultat de cette élection, et Marine Le Pen être élue. C’est pourquoi je me suis tu“ expose-t-il.

C’est l’accueil de l’Ocean Viking – en complet revirement de la décision de ne pas accueillir l’Aquarius quatre ans auparavant – qui lui dicterait aujourd’hui de changer d’avis : cette décision “ouvre une nouvelle brèche, créant un précédent“, déplore Gérard Collomb. Selon lui, sous des faux airs humanitaires, en prenant cette décision “on renforce plus le problème qu’on ne le résout, en créant un appel d’air“.

L’ancien ministre de l’Intérieur s’en prend ensuite aux proches du chef de l’État qui invitent l’exécutif à renoncer à sa politique de fermeté sur l’immigration, souhaitée pourtant par son successeur Gérald Darmanin. Mais aussi aux tenants d’une politique d’accueil généreuse, qui constitue à ses yeux une promesse qui n’est jamais tenue : “On voit aujourd’hui que dans nos grandes agglomérations, ils finissent sous des tentes, sous des ponts, dans des camps de fortune. À Lyon, le problème devient si aigu qu’après avoir dit “Welcome le monde“, les élus écologistes se retrouvent débordés, comme vient de le reconnaître lors du dernier conseil municipal l’adjointe en charge de ce dossier ».

Citant d’autres hommes politiques de gauche (François Pupponi, l’ex-maire de Sarcelles, et Julien Dray) qui en sont venus au même constat que lui, Gérard Collomb invite donc le gouvernement à prendre des mesures fortes, comme au Danemark, pour éviter l’avènement au pouvoir de partis d’extrême droite : « regardez le résultat » en Suède, s’exclame-t-il.

25 Nov 2022


Quelques remarques sur l’offensive lancée contre le gouvernement à propos d’un horrible assassinat

La femme qui a bestialement assassiné une fille de 12 ans qui ne lui avait rien fait est une folle de chez folle. Ce n’est pas une excuse, c’est juste une donnée factuelle. Il faudra donc la juger et la punir dès qu’elle sera en mesure d’être mentalement présente à son procès. Personne n’envisage de la libérer pour folie

Elle n’a pas tué en tant qu’Algérienne

Elle n’a pas tué une Française parce que française

Le terme de « francocide » lancé par Zemmour pour qualifier ce crime n’est donc qu’une absurdité xénophobe.

L’ordre d’expulsion de cette femme était sans rapport avec sa dangerosité

Son crime n’a donc rien à voir avec sa non reconduction aux frontières en temps voulu

Elle aurait pu accomplir ce crime avant d’être expulsable.

Le but de l’accusation lancée contre la macronie par le RN, Zemmour et une partie de LR, est de rejeter en bloc l’immigration comme criminogène, afin de rester entre gens civilisés.

Or la France a besoin d’une immigration, à la double condition que celle-ci soit sélective (utile aux deux parties) et qu’elle soit accompagnée d’une ferme politique d’intégration sociale et culturelle.

André Senik

J’ai trouvé très bien, limpides, concises et percutantes les remarques d’André Sénik (19 octobre) à propos de l’horrible assassinat de la petite Lola : acte de démence et non « francocide » (Zemmour), que la meurtrière aurait pu commettre n’importe où, Algérie comprise, et, ici, avant son arrêté d’expulsion du territoire ; acte insensé et particulièrement barbare, honteusement instrumentalisé par Eric Zemmour et quelques autres pour stigmatiser, par delà la politique migratoire de nos dirigeants actuels et passés, les immigrés, population criminogène, non civilisée. J’ajoute, moi, que l’immigration est une affaire trop sérieuse, capitale même, pour être l’objet de polémiques aussi basses et irresponsables.

Guy BARBIER

19 Oct 2022


Manifester ?

Je ne souhaite pas manifester.

Je fais le constat que demeure en France en 2022 une distinction fondamentale : ce qui vient de Russie n’est pas « manifestable » tandis que ce qui vient d’Amérique représente le mal.
Constatation que faisaient en leur temps Aron, Revel et quelques autres….
Je constate qu’en profondeur, dans la culture française, rien n’a changé….

L’immobilisme des foules face à Poutine provient en outre de la peur qu’il exerce et de la lâcheté qu’elle génère : nous avons bien connu ça dans les années 30, et jusqu’en 44 pour certains, à l’égard de Hitler…
Oui le climat, le sport, le pouvoir d’achat, etc…. sont les grandes causes à l’honneur et permettent de se voiler la face.

Jean-Louis Carillon


 

18 Oct 2022


Deux mauvais procès en phobie

Qu’il s’agisse de la dénonciation de l’islamophobie ou de l’homophobie, il doit être clair que l’usage abusif du suffixe « phobie  » risque de servir à interdire toute critique à l’égard des idées et des revendications d’une « minorité » religieuse ou sexuelle

On ne doit pas cadenasser la liberté d’expression en la limitant à ce qui n’est ressenti comme une offense par aucun public. 

Cette liberté d’expression est justement limitée à ce qui n’incite pas au mépris ou à la violence contre une catégorie de personnes indépendamment de leurs actes.

En ce qui concerne les croyances religieuses, leur critique n’est pas en soi une incitation à la haine contre les personnes.

Le meilleur exemple en est la différence entre l’antijudaïsme religieux – qui ne s’en prend qu’à la religion juive- et l’hostilité aux Juifs, qu’ils soient croyants ou non.

Ce point mérité d’être rappelé. Il faut qu’Olivier Faure ait perdu son bon sens pour rendre hommage  » Aux 12 884 français de confession juive arrêtées les 16 et 17 juillet 1942 pendant la Rafle du Vél d’Hiv’, à ceux qui ne sont jamais revenus, à tous ceux qui ont survécu. Notre devoir est de ne jamais oublier et de lutter sans relâche contre l’antisémitisme. »

Ces Juifs n’ont pas été arrêtés, déportés et exterminés parce qu’ils étaient « de confession juive », mais parce qu’ils étaient juifs.

Ils ne furent pas victimes de l’antijudaisme religieux mais de l’antisémitisme ethnique.

Les Juifs (dont je fais partie) auraient été très satisfaits si l’anti-judaïsme religieux s’était cantonné à la critique de la religion juive, sans s’en prendre aux Juifs en tant que personnes.

Les non Juifs (et les Juifs eux-mêmes) peuvent bien critiquer la Torah et caricaturer Moïse tant qu’il leur plait, les Juifs, croyants ou non croyants, ne les accuseront pas d’antisémitisme pour si peu.

Accuser d’antisémitisme les auteurs de ces critiques et de ces caricatures antireligieuses serait leur faire un mauvais procès. Et même un procès qui relèverait de la diffamation.

Voici d’ailleurs comment l’antijudaïsme religieux est défini dans Wikipédia, qui fait désormais office de référence.

« L’antijudaïsme est l’hostilité à l’égard de la religion juive. Ce terme peut être employé à propos de l’attitude du christianisme envers le judaïsme, attitude longtemps marquée par la théologie de la substitution, elle-même issue de plusieurs courants, dont le marcionisme et la doctrine augustinienne du « peuple témoin ».

Au sens strict, l’antijudaïsme ne doit pas être confondu avec l’antisémitisme, bien que tous deux puissent s’influencer mutuellement. L’antisémitisme désigne une attitude hostile vis-à-vis des Juifs en tant que peuple au-delà d’une stricte dimension religieuse. Toutefois, au cours de l’histoire, ces deux notions se sont confondues, ainsi que l’a démontré, par exemple, Jules Isaac dans son ouvrage Jésus et Israël. »

La liberté d’expression serait bafouée dans son principe si la société, et les juges, acceptaient la confusion entre la critique des croyances et la discrimination envers les personnes.

Le fait que cette critique puisse être « ressentie » comme incitation au mépris ou à la haine par les personnes qui s’identifient peu ou prou à un courant religieux ne suffit pas à faire de cette libre critique une menace envers les personnes et donc un délit.

La même distinction s’impose à l’égard des propos relatifs à l’homosexualité et à l’homophobie..

Tout propos qui incite objectivement au mépris et à l’hostilité envers les personnes en raison de leur homosexualité est un délit qui doit être condamné, car l’orientation sexuelle relève à l’évidence et sans limites des droits de l’homme.

Pour autant, ce droit inconditionnel n’entraine pas l’obligation morale et politique d’approuver inconditionnellement et sans examen toutes les demandes adressées à la société par certains militants homosexuels, sous peine d’être taxé d’homophobie, comme l’est actuellement la ministre Caroline Cayeux.

Quel que soit le ressenti de certains anti-homophobes, dont le combat est légitime, les propos qu’elle a tenus au début du débat sur le mariage pour tous n’étaient pas homophobes.

Comme n’importe qui, elle avait a le droit de considérer et même de dire que l’homosexualité est contre nature, à condition de n’en tirer aucune conséquence discriminative à l’égard des homosexuels. De toute façon, la remarque  » c’est contre nature » n’a aucune valeur médicale, morale ou juridique, car la nature, ou plutôt la représentation qu’on se fait de la nature, n’est pas la norme de notre civilisation.

Comme n’importe qui, elle avait a le droit de considérer et de dire qu’un enfant élevé exclusivement par des parents du même sexe est privé délibérément de l’apport spécifique de l’autre sexe. Car le droit des personnes homosexuelles n’est inconditionnel que tant qu’il ne s’agit que d’elles. En revanche, les interrogations concernant l’intérêt de l’enfant élevé par un couple homosexuel sont peut-être sans fondement, mais elles ne sont pas une manifestation d’homophobie.

Il est donc diffamatoire d’accuser madame Cayeux d’avoir tenu des propos homophobes.

André Senik

25 Juil 2022


Mélenchon n’est pas la République

(1. Retour sur un printemps électoral)

En avril 2022, Jean-Luc Mélenchon échoue pour la troisième fois dans sa tentative d’accéder au second tour de l’élection présidentielle. Le constat est cruel : les électeurs ne lui font pas confiance.

Mais le tribun de La France Insoumise ne veut pas disparaître de la vie politique : il va donc s’engager dans la voie de la confusion politique, au risque de s’y perdre et de fragiliser un peu plus une démocratie déjà affaiblie.

Une défaite ? Une revanche à prendre sur le suffrage universel

Le 26 mai, il tient tribune dans Libération où il reprend ses deux formules-choc de l’entre-deux tours de la présidentielle :

* « Les législatives sont le troisième tour de l’élection présidentielle » : s’il est légitime de s’interroger sur le mode de désignation du président et sur la nature du régime parlementaire de la Vè République, nier le résultat même de l’élection relève au mieux d’un caprice de mauvais perdant (M. Macron serait le « président le plus mal élu de la Vè République » avec 38,5 % des inscrits, dénonce (1) M. Mélenchon élu député en 2017 par… 20 % des inscrits), au pire du mépris du suffrage universel.

Puisqu’il n’est pas Président, M. Mélenchon nie donc la légitimité du droit à l’élection d’un autre que lui. Ses lieutenants vont tenter d’achever le travail, dans de peu glorieuses attaques ad hominem contre le Président de la République réélu le 24 avril (2).

* « Je vous propose de m’élire Premier ministre » : pendant que dans 577 circonscriptions des candidats débattent et se présentent au suffrage des électeurs, M. Mélenchon, dans la posture de l’homme charismatique s’appuyant sur le peuple, s’engage dans une dérive plébiscitaire. Que reste-t-il de cette gauche attachée à la République parlementaire qui a toujours dénoncé la personnalisation du pouvoir qu’elle soit idéologique (bonapartiste) ou institutionnelle (avec l’élection présidentielle au suffrage universel et l’inversion en 2002 du calendrier électoral au détriment des législatives) ?

Un Parlement ? Mais pas celui de la République

Le discours de confusion, c’est aussi la perte du sens des mots et le mélange des genres entre le Parlement qui, dans nos institutions républicaines vote les lois et contrôle l’action du gouvernement, et un énigmatique et ambigu « Parlement de la Nupes » (du nom du cartel électoral « Nouvelle alliance populaire écologique et sociale »). Lancé par M. Mélenchon le 30 mai, « Le parlement de la Nupes commence […] et sa pérennité n’est pas acquise. […] Il est impossible de changer la société aussi fondamentalement que nous en avons l’ambition sans une implication populaire de masse ».

Manifestement, pour M. Mélenchon, la réussite d’une alternance politique ne repose pas sur les institutions de la République. C’est à l’écart des représentants de la nation élus au suffrage universel, dans un organe partisan auto-proclamé, que s’exercerait le contrôle du pouvoir exécutif : « Je souhaite de toutes mes forces que le [parlement] continue, constructif et insolent envers le pouvoir, même si c’est nous qui l’exerçons. […] Qu’il soit frondeur, Insoumis, tout ce que vous voudrez » (AFP citée par lepoint.fr, 30 mai).

Un programme ? Des impasses

Exercer le pouvoir ? La personnalisation à outrance de la campagne des législatives masque un programme dans lequel la confusion règne : le « programme partagé » avec ses nouveaux alliés à gauche fait l’impasse sur des questions essentielles parmi lesquelles l’Union européenne (lui désobéir ?), le nucléaire civil (le démanteler ?), l’Otan (en sortir ?).

M. Mélenchon sait très bien que sur ces sujets il n’est pas majoritaire dans son camp, sauf à passer en force ou à agir par la menace : « Désormais, il en coûtera très cher de descendre du train. Cela vaut pour tout le monde. Y compris pour nous insoumis », gronde alors le « tribun du peuple » (Libération, 8 juillet).

Un prophète ? Des échecs

M. Mélenchon a beaucoup cru et croit encore en son étoile, même si au fil du temps il abaisse ses considérables prétentions :

* Incarner la République ? « La République, c’est moi ! », lors de la perquisition du siège de LFI le 16 octobre 2018.

* Président de la République ? Perdant au 1er tour, écarté du 2nd tour – « J’aurais préféré voter pour moi » (émission « Quotidien », TMC, 25 avril) -, il promet le 24 avril que « le 3ème tour commence ce soir ».

* Premier ministre ? Il passe du rêve (« Je serai le Premier ministre », BFM TV, 19 avril) à la réalité, moins brillante : « Quand on vous a dit “on peut gagner, élisez-moi premier ministre”, ça voulait dire que c’était tout à fait possible » (le 5 juillet, cité dans l’Humanité, 7 juillet).

* Député ? Il renonce à se présenter devant les électeurs. Au soir du second tour des législatives, il proclame que « La déroute du parti présidentiel est totale » ! Dans les faits, il manque 100 sièges à LFI et à la Nupes pour faire jeu égal respectivement avec Renaissance et avec la coalition présidentielle, et 215 sièges à LFI pour atteindre la majorité absolue. Il faut dire que Jean-Luc Mélenchon s’exprime ce soir-là depuis son QG de l’Elysée…-Montmartre, une salle de spectacle.

* Malgré des discours qui ne trompent que son auteur, le « 3ème tour » de M. Mélenchon est donc un nouvel échec. Qu’à cela ne tienne, notre tribun qui vole de défaite en faillite proclame : « Le quatrième tour est commencé. Mais le pouvoir macroniste sait-il que ses jours sont comptés ? » (blog melenchon.fr, 28 juin).

Au-delà de ce qui pourrait n’être qu’une vaste pantalonnade, M. Mélenchon annonce son projet politique : organiser le blocage des institutions, attiser les divisions dans la société, pour partir une dernière fois à la conquête d’un pouvoir qui n’en finit pas de le fuir dans les urnes. Choisira-t-il alors la rue ?

Antoine Murageot

(1)    A tort : c’est Georges Pompidou en 1969.

(2)    « Bâtard de François Hollande » (François Ruffin, 28 avril) ; « Bah si, bonhomme, tu vas le nommer » (Manuel Bompard, 6 juin).

Photo: Toulouse, Jean-Jaures, 1er juin 2013, crédit: Pierre-Selim, https://www.flickr.com/photos/pierre-selim/8913158141

25 Juil 2022


Les deux vainqueurs des élections : le populisme et l’extrémisme ?

Nous avons le grand plaisir de publier un extrait du discours du Sénateur Claude Malhuret, discours prononcé après la déclaration de politique générale d’Elizabeth Borne devant l’Assemblée nationale; discours remarquable, tant par la forme que par le fond.

H&L

“Depuis le 19 juin, tout le monde proclame sa victoire avec un art admirable de l’auto-persuasion. Les uns ont gagné parce qu’ils n’ont pas perdu, les autres ont gagné bien qu’ils aient perdu, d’autres enfin croient avoir gagné parce qu’ils n’ont pas compris qu’ils avaient perdu. On connaissait les victoires à la Pyrrhus, il y a maintenant les défaites gagnantes.

La vérité est beaucoup plus simple, et brutale et je m’étonne que personne n’en ait parlé jusqu’ici : les deux vrais vainqueurs de ces élections sont le populisme et l’extrémisme. On en a vu les premiers résultats dès cet après-midi et le déplorable spectacle à l’Assemblée nationale.

Lorsqu’au premier tour de la présidentielle les extrêmes recueillent 57% des suffrages, lorsque les uns multiplient le nombre de leurs députés par 5 et les autres par 10, c’est une gifle pour tous les partis démocratiques. Tous.

Il y a cinq ans la France était citée en exemple. Elle échappait à la vague de populisme qui frappe les démocraties et qui a donné Trump, Bolsonaro, le Brexit, Orban et quelques autres. Aujourd’hui elle est rattrapée par la patrouille.

Elle ne doit son salut provisoire qu’à une particularité historique. Alors qu’ailleurs le populisme n’est que d’extrême droite, chez nous où l’école apprend aux élèves à adorer Camille Desmoulins et à préférer Robespierre à Tocqueville, il est coupé en deux, ce qui l’empêche d’arriver au pouvoir. Pour le moment.

Mais les extrêmes sont moins éloignés qu’on ne le pense. Ce qui les rapproche est bien plus fort que ce qui les sépare : la haine de l’Europe et de l’OTAN, l’anti-américanisme, Assad, Poutine, l’Ukraine, les retraites, les programmes économiques délirants, le complotisme, le soutien aux antivax et les fake news, la posture tribunicienne, l’obsession du soupçon et de la dénonciation.

Ce qui les sépare : leurs histoires respectives et leurs chefs qui se détestent. Certains croient leur hybridation impossible.  Elle gagne chaque jour du terrain. Regardez les transfuges, les militants qui se font des clins d’œil, les reports massifs du deuxième tour des législatives. Et il y a chaque jour un peu moins de différence entre la xénophobie des uns et le racialisme des autres qui hiérarchise les gens selon leur degré de mélanine. Est-ce qu’il y a quelqu’un ici qui croit que Taha Bouhafs ou Danielle Obono, l’amie de l’antisémite Corbyn, sont anti-racistes ?

Aujourd’hui, au-delà des apparences électorales, la France voit s’affronter un pôle européen et républicain et un pôle populiste et nationaliste, le lepéno-mélenchonisme. Ce sont les jumeaux de la ruine. Qui peut affirmer que nous n’assisterons pas demain, comme en Italie, au regroupement des ZADistes et des fachos – fâchés ou pas –, au profit de celui qui aura terrassé l’autre.

Car ce qui les sépare c’est aussi la stratégie. Pour les mélenchonistes la tenaille du chaos à l’Assemblée et du chaos dans la rue. Pour les lepénistes la respectabilité au service d’un objectif : après le chaos, nous.

À ma gauche le général Tapioca du Vieux Port, chauffé à blanc par des résultats qu’il surestime, ressort son marxisme archi-trépassé, son keynésianisme pour cour de récré : on augmente les dépenses de 250 milliards et hop, ça en ramène 267. Dans une exaltation qui lui donne plus que jamais l’air de parler depuis le sommet d’une barricade, l’expert en nigologie depuis le trotskisme de sa jeunesse jusqu’au soutien inconditionnel à Poutine, a ressorti le programme commun du frigo et l’a imposé au reste de la gauche. Avec en prime l’entrée de la France dans l’alliance bolivarienne. C’est un peu la Yvette Horner de la politique. Son blog comporte une liste de 180 thèmes rangés par mots clés. Démocratie n’y figure pas.

Avec l’effarant appui de pas mal de médias prosternés comme des lapins dans les phares, il s’est décrété Premier Ministre. Le plus cocasse est que certains l’ont cru. Après tout dans l’Empire romain on a bien nommé un cheval Consul.

À ma droite, l’héritière du château de Montretout, que ça n’empêche pas de parler au nom du peuple, a une stratégie plus intelligente, donc plus dangereuse. Oublié le père Le Pen qui n’a réussi, par ses outrances, qu’à devenir le Maréchal Pétrin. Depuis deux mois le mot d’ordre, c’est : pas de vague. C’est bien simple, maintenant quand elle passe à la télé, sourire jusqu’aux oreilles, dents blanches, haleine fraîche et tout le monde il est beau tout le monde il est gentil, on croirait voir Lecanuet. Plus les républicains expliquent qu’ils sont dans l’opposition, plus elle sous-entend qu’elle n’exclut pas de faire une fleur au Gouvernement. Elle demande maintenant de siéger au centre de l’hémicycle et fait prendre des cours de maintien à ses troupes. Attention à ce contrepied. Ce pourrait bien être le baiser qui tue pour la majorité ou la droite républicaine. Ça n’a pas échappé aux insoumis, qui dénoncent déjà avec des cris d’orfraie une collusion qui n’existe pas.

Ces deux extrémismes sont dangereux et nous imposent trois responsabilités. La première est d’éviter de leur courir après. Parce que l’une des choses les plus tristes dans ces élections c’est d’avoir vu des bataillons entiers des républicains de droite et de gauche emboîter le pas aux extrémistes.

Quand, dans tant de départements, des responsables de la droite républicaine refusent de suivre l’exemple du Président du Sénat et d’appeler comme lui à voter le 19 juin pour les candidats démocrates contre les extrêmes, il y a un problème. Quand un candidat à la primaire présidentielle annonce qu’il voterait Zemmour au deuxième tour contre Macron, il y a un problème.

Mais le plus navrant c’est le naufrage d’une grande partie de la gauche. Après la défaite de 2017 le PS avait vendu son siège, en 2022 il a vendu son âme. Adepte du « plus c’est gros, plus ça marche », le mal nommé Olivier Faure ose comparer l’alliance avec LFI au Front populaire en faisant semblant de ne pas voir l’éléphant dans la pièce : le Front populaire était dirigé par la gauche de gouvernement, pas par le projet insensé des insoumis. Le plus stupéfiant c’est que les nouveaux pacsés s’entendent à peu près comme des chats dans un sac. Totalement opposés sur l’Europe et l’OTAN, sur le nucléaire, sur la loi El Khomri, sur la retraite à 60 ans, sur la VIème République, ils ne sont d’accord sur rien.

Cazeneuve, Delga, Cambadélis et beaucoup d’autres l’ont bien compris : c’est l’identité des socialistes depuis le congrès de Tours qui disparaît quand on passe de Léon Blum à Léon Trotski. C’est la victoire posthume de Guesde sur Jaurès. « Ça sent l’histoire ! » disait Mélenchon avec sa modestie habituelle au lendemain de l’accord. Moi je trouve plutôt que, comme disait Edouard Herriot, ça sent l’andouillette pour parler poliment.

La deuxième responsabilité des démocrates, c’est de comprendre les raisons du vote populiste et les moyens de le dégonfler. Continuer de prétendre que les problèmes qui nourrissent cette vague n’existent pas, refuser depuis trente ans de s’interroger sur ce qui se passe est un vrai danger pour la démocratie. Le danger d’avancer avec un bandeau sur les yeux.

La troisième responsabilité des démocrates, c’est de réussir. Gouverner avec une majorité relative est un défi. S’opposer aussi. Nous savons déjà que la coalition ou le pacte de gouvernement n’auront pas lieu. Ne reste donc que la méthode du cas par cas. Elle impose de changer les habitudes : un Gouvernement qui propose au lieu d’imposer, une opposition qui compose au lieu d’empêcher.

Majorité et opposition républicaines sont condamnées à se supporter. Ne pas y parvenir serait la recette infaillible de l’impuissance face à la crise économique et aux défis sociaux qui s’annoncent. Ne pas y parvenir n’entraînerait pas la prochaine fois la victoire d’une famille contre l’autre, mais la défaite de tous face aux populistes. Il paraît que la culture du compromis n’existe pas en France. Il va bien pourtant falloir s’y résoudre.

Autant dire, Madame la Première Ministre, qu’en entrant à Matignon vous avez accepté un nouveau job, celui de démineuse en chef. Même si sa majorité vous est opposée, la tâche ne me paraît pas impossible au Sénat. Elle suppose un respect réciproque, ça tombe bien, c’est la tradition de la maison.”

Claude Malhuret a été Président de Médecins sans frontières. Longtemps Maire de Vichy, il fut député européen et Secrétaire d’État chargé des Droits de l’homme. Sénateur depuis 2014, il préside le groupe « Les Indépendants – République et territoires » (LIRT) au Sénat. Depuis décembre 2021, il a rejoint « Horizons » et Édouard Philippe.

(crédit photo: ClarisseBuchot, https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Claude_Malhuret,pr%C3%A9sident_du_groupe_Les_Ind%C3%A9pendants-_S%C3%A9nat.jpg)

14 Juil 2022