Il faut intégrer l’Ukraine à l’OTAN

Poutine parie sur une guerre interminable. Tout le monde le comprend.

L’aide en matériel apportée à l’Ukraine par le monde libre ne suffira pas à faire gagner David contre Goliath.

Tout le monde le comprend.

Comment alors éviter la guerre sans fin que veut Poutine?

Il n’existe qu’un moyen de couper court à cette guerre et de faire rentrer les envahisseurs chez eux sans avoir à faire la guerre à la Russie.

Ce moyen consiste à intégrer l’Ukraine dans l’OTAN et à ouvrir ainsi au dessus de sa tête le parapluie de l’article 5.

Cela exige que l’OTAN et le monde libre tirent toutes les conséquences de la situation mondiale et s’organisent sans tergiverser.

Cela signifie deux choses

– Les conditions restrictives d’entrée dans l’OTAN qui se justifiaient dans l’après guerre froide doivent être adaptées dans l’urgence à la situation actuelle.

– Il faudra aussi supprimer le droit de veto des pays qui s’opposent à cette réorganisation de l’Otan.

Quand cette intégration sera annoncée, ce sera l’envahisseur de l’Ukraine qui devra affronter un monde libre ayant enfin les mains libres.

Il y a des fortes raisons de prévoir que Poutine ne s’y frottera pas.

André Senik

Photo: © Crown Copyright 2014 Photographer: Sergeant Paul Shaw LBIPP (Army) Image 45157525.jpg from www.defenceimages.mod.uk

7 Fév 2023


24 février 2022

Le 24 février 2022 est la deuxième date critique du XXIème siècle, après celle du 11 septembre 2001. Ce siècle est à ce jour beaucoup moins dur que le précédent mais beaucoup plus dur qu’attendu avec candeur par les démocraties après la chute du mur de Berlin du 9 novembre 1989. L’euphorie de l’époque leur fit croire qu’elles incarnaient à leur tour le sens de l’histoire.

A partir du 31 décembre 1999, Vladimir Poutine a fait preuve d’une exceptionnelle habileté qui n’est pas sans rappeler celle de Hitler qui sut si bien séduire le maréchal Hindenburg, porter cravate et parler au monde de la paix.

Qui allait mourir pour Dantzig alors qu’on n’avait même pas défendu Prague ?

Face à des démocraties incrédules, ou trop crédules, sans passion et sans objectif, Poutine, comme Hitler, a su avancer pas à pas et gagner.

Le Président Biden annonçait jour après jour que les Russes préparaient l’invasion de l’Ukraine mais que les Etats-Unis n’interviendraient pas. Comment ne pas le croire après son récent et brillant retrait d’Afghanistan ?

Joueur remarquable, Vladimir Poutine avait toutes les cartes en main. Il ne manqua même pas de prendre le temps de s’amuser avec le nouveau Chamberlain, un président Macron qu’il venait de gifler au Mali.

La blitzkrieg a échoué. Au XXème siècle, elle dura cinq ans, deux fois.

Chacun attend la percée du front ou l’épuisement de l’adversaire, finalement les deux.

En l’occurrence, qui a les nerfs les plus solides ? Démocrates, nous connaissons les faiblesses des démocraties : les opinions sont infantiles et versatiles ; le pacifisme est la façon la plus confortable de s’y voiler la face. La Russie peut-elle tenir sur le long terme sans la Chine ? Le fleuve Amour est une frontière plus fragile que le Rhin.

La Chine jouit d’une « divine surprise ».

Vladimir Poutine ne peut pas céder sans périr. Il est condamné à avancer. Il estime que le temps joue pour lui : l’opinion des démocraties est réversible et les Etats-Unis sont capables de se déchirer à propos du sexe des anges.

L’Amérique ne peut pas céder sans perdre son domaine occidental d’Asie et d’Europe. Elle est condamnée à refuser le diktat. Elle estime que la Russie sera peu à peu asphyxiée.

Une diplomatie moderne, en 3D, trouverait-elle un compromis sans lutte finale ?

Toutes choses restant égales par ailleurs, il semble que l’empire de Catherine II vit ses derniers feux.

JLC

16 Juil 2022


Vive l’OTAN ! (Tribune d’Alain Laurent et Pierre Rigoulot publiée par FIGAROVOX le 16 juin 2022)

Nous reproduisons ci-dessous une tribune publié par Figarovox le 16 juin dernier. Que soit ici remercié pour nous y avoir autorisé le responsable de cet espace de dialogue et de réflexion en ligne.

Alain Laurent est philosophe, sociologue et essayiste. Ancien membre fondateur du Comité des intellectuels pour l’Europe des libertés, il dirige depuis 2004 la collection La Bibliothèque classique de la liberté, aux Belles lettres.

Pierre Rigoulot, spécialiste des régimes communistes, est directeur de l’Institut d’histoire sociale (fondé par Boris Souvarine en 1935) et du trimestriel Histoire & Liberté. Il est l’auteur de nombreux ouvrages, dont le dernier publié est Points chauds de la guerre froide (1946-1989), L’Archipel, 2019.

Il y a quelques mois encore, de Marine Le Pen à Jean-Luc Mélenchon (en passant par quelques souverainistes), c’était à qui dénoncerait le plus férocement l’Otan, cet autre «machin» fabriqué par les Américains pour s’adjoindre des supplétifs dans leur lutte pour asseoir leur domination mondiale.

Aujourd’hui, l’un et l’autre candidats à la présidentielle se sont calmés. Ils savent que ce n’est plus le moment de se montrer trop proches du discours de Poutine. Ils savent aussi que chaque électeur sent plus ou moins confusément que le parapluie nucléaire américain est une protection sérieuse et que face à l’entreprise folle de la Russie aux frontières de l’Europe, cette dernière a besoin de la force militaire qu’est l’Otan. On le sait: chaque pays membre de cette alliance s’engage selon l’article 5 de sa Charte à riposter à l’agression que pourrait subir n’importe quel autre membre de l’alliance.

Les électeurs connaissent moins les circonstances de la naissance de l’Otan. Mais elles plaident elles aussi en sa faveur: du début de l’année 1948 jusqu’au mois de mai 1949, Staline avait mis peu à peu en place un blocus de la ville de Berlin. Fallait-il abandonner celle-ci aux Soviétiques? Non! Et dans un magnifique élan pour sauver ce qui pouvait l’être de la civilisation occidentale en Europe, un formidable pont aérien fut mis en place par les Occidentaux et surtout les États-Unis.

C’est dans ce contexte, le 12 avril 1949, que l’Otan fut créée. Staline n’avait pas encore renoncé à s’emparer de la capitale allemande mais, les Occidentaux ne cédant rien (le 16 avril un avion chargé de vivres ou de combustible atterrissait chaque minute à Berlin!) il finit par rouvrir les routes qui permettaient d’y accéder et d’en sortir un mois plus tard. L’URSS («humiliée» et «menacée» comme aurait dit Mélenchon) dénonça évidemment le «diktat de guerre et d’agression» que la nouvelle Organisation du traité de l’Atlantique Nord représentait à ses yeux. Elle dénonça même les prétextes que l’Otan avançait pour justifier sa fondation et notamment les graves violations des droits de l’homme en URSS et dans les pays européens qu’elle avait conquis: comment l’Otan osait-elle user d’un tel argument alors que «les nazis de l’Allemagne occidentale» et les franquistes espagnols approuvaient sa naissance ? À l’époque, les nazis n’étaient pas ukrainiens mais les partisans du pacte atlantique pouvaient l’être: ses fondateurs reprenaient selon Moscou les visées et les desseins de Hitler !

L’Allemagne ne rejoignit l’Otan qu’en 1955 et l’Espagne, seulement après être passée à la démocratie, en 1982.

Divers souverainistes comme Philippe de Villiers parlent quant à eux de mainmise américaine sur l’Europe et d’acceptation par les Européens de la soumission à l’Amérique. La guerre, froide ou chaude, menée par l’URSS aurait été l’occasion, pour Washington, de configurer une Europe à la main américaine…

Or, c’est Staline le vrai créateur de l’Otan: le coup de Prague en 1948 et le blocus de Berlin en 1949 ont fait beaucoup pour la naissance de l’Alliance et ont rendu nécessaire face à ses menaces la mise sur pied d’une contre-menace, crédible et efficace – le déclenchement-surprise de la Guerre de Corée avec l’approbation du même Staline en juin 1950, renforçant la détermination atlantique.

Lorsque l’URSS s’effondra en 1991, les pays du Centre et de l’Est européen demandèrent librement leur adhésion pour assurer leur sécurité. Dans les années qui suivirent, 14 de ces États rejoignirent l’Otan, dont les trois États baltes.

L’Otan interviendra plus tard pour faciliter la décommunisation de la Yougoslavie – Cet épisode, maintes fois caricaturé, mit fin à la tentative du rouge-brun Milosevic d’y succéder.

L’Otan est la grande force de petits États trop faibles pour assurer seule leur défense face à la Russie poutinienne. La volonté largement majoritaire des très pacifiques Finlandais et Suédois d’adhérer à l’Otan illustre bien la vraie nature de l’organisation: une libre alliance défensive de démocraties libérales qui veulent avant tout vivre en paix et qui ont compris la nature tyrannique impérialiste et donc tout particulièrement dangereuse pour eux de l’État russe actuel.

L’Otan est le bras armé d’un monde occidental menacé par la volonté russe de retrouver sa «grandeur» d’antan.

L’Otan est une alliance en vue de protéger la liberté dans un monde où l’ONU est incapable, muselée qu’elle est par les vétos de la Russie et de la Chine, de dénoncer les menaces des États totalitaires.

(crédit photo: QG de l’OTAN, https://www.flickr.com/photos/nato/27029507408)

2 Juil 2022


La drôle de guerre de Renaud Girard

Les meilleurs observateurs nous ont prévenu[1], le journaliste Renaud Girard a choisi le camp de la Russie de Poutine, « nouveau tsar au Kremlin, qui n’est ni faible ni alcoolique », à la différence de « Gorbatchev le rêveur, […] Eltsine livrogne »[2], un choix nourri par un anti-américanisme systématique (« On se met à construire une Europe américaine, censée s’étendre du Potomac au Don tranquille » – 2 septembre 2014, Le Figaro ; « Le conflit ukrainien est un jeu où tout le monde perd, exception faite des Américains »[3] – 9 février 2015, Le Figaro).

M. Girard s’évertue à appliquer cette grille de lecture manichéenne à l’analyse du conflit puis de la guerre d’invasion déclenchés par la Russie en Ukraine. Au risque de s’y perdre. Florilège.

1. « Vladimir Poutine n’envahira pas l’Ukraine »

Le 3 janvier 2022 (Le Figaro), Renaud Girard affirme : « Vladimir Poutine n’a jamais eu l’intention de conquérir lUkraine. […] En revanche, le président russe souhaite à ses frontières un État-tampon ukrainien neutre, à l’image de la Finlande de 1945. Voilà pourquoi il a tenté d’imposer un rapport de force aux Ukrainiens. » [4]

Le 17 janvier 2022 (Le Figaro), il confirme : « Contrairement aux craintes publiquement exprimées par le gouvernement ukrainien au mois de décembre 2021, puis reprises par les autorités américaines, Vladimir Poutine n’a aucunement l’intention d’envahir lUkraine. »[5] Le lecteur restera une nouvelle fois sur sa faim, invité à croire sur parole le chroniqueur.

Le 14 février 2022, Renaud Girard poursuit : « Joe Biden […]a [invoqué] le risque imminent d’une invasion russe. Poutine a dit qu’il n’y en aurait pas. Mais Joe Biden y croit tellement qu’il a averti ses alliés que le déferlement des chars russes sur le sol gelé des grandes plaines ukrainiennes pourrait commencer à l’aube du mercredi 16 février 2022. Quelle précision dans le renseignement ! » [6] On l’aura compris, ici pas besoin d’argumentation : « Poutine a dit que… ».

Au cours de la soirée du 22 février 2022, sur le site internet du Figaro, alors qu’il voit à l’écran en direct les véhicules militaires russes franchir dans la nuit la frontière russo-ukrainienne, Renaud Girard reste droit dans ses bottes : « [Poutine] n’a pas envahi militairement l’Ukraine parce que [dans] les deux districts de Lougansk et de Donetsk, le drapeau russe y flotte depuis 2014. […] Là, on n’a pas eu le déferlement de chars dont nous parlaient Boris Johnson et Biden. […] Donc je considère que je n’ai pas eu tort pour le moment. […] Est-ce qu’il va y avoir une vraie offensive stratégique russe vers Marioupol, vers Odessa ou Kharkov ou même Kiev, la capitale comme nous l’a expliqué notre ami Boris Johnson, personnellement je ne le pense pas. »[7]

Renaud Girard rassure ses auditeurs : « Poutine est un acteur rationnel de la géopolitique, […] un acteur classique, un peu vieux genre de la géopolitique, […] je crois qu’il a été traumatisé dans sa jeunesse par l’expédition russe [en Afghanistan]  dirigée par Brejnev […] et l’enlisement. »

Le 24 février 2022 (1er jour de guerre, lefigaro.fr), il lui faut se rendre à l’évidence : « Il fallait prendre les messages et les signes comme ils étaient, c’est-à-dire qu’on ne réunit pas 150 000 hommes à la frontière pour rien. Ce n’était pas un bluff, c’est une politique de force. »[8] Oubliée, « lhystérie sans nécessité face à des manœuvres militaires russes » dénoncée dix jours auparavant ? Pour expliquer l’invasion de l’Ukraine, Renaud Girard a une explication.

Poutine a changé : « Je croyais que Poutine était un être rationnel. Lorsque je l’avais rencontré pendant une heure en 2017, il m’avait semblé très rationnel en tête-à-tête. » Une heure d’interview. Cinq ans auparavant. En ce 24 février 2022, il délivre son diagnostic : « Là, pour moi, [Poutine] a une vision paranoïaque des évènements. […] Il a une sorte de complexe obsidional accru par le covid. » Grozny en 2000 ? La Géorgie en 2008 ? La Syrie à partir de 2015 ? Le nationalisme exacerbé et de la militarisation massive de la société russe ? Tout cela ne compte donc pas.

Poutine doit être craint. L’argument de l’instabilité mentale permet d’effrayer les opinions publiques occidentales. Ce que Renaud Girard inaugure dès le matin même du 24 février 2022 : « Il menace de frappe nucléaire les pays qui viendraient à l’aide de l’Ukraine. […] On va le prendre au sérieux. […] Il est peut-être dingue. Un dingue, ça va jusqu’où ? Il peut peut-être un jour utiliser des armes nucléaires contre un pays qui livrerait des armes aux Ukrainiens. »[9] Le 28 février 2022 (5è jour de guerre, Le Figaro), Poutine a désormais des tendances suicidaires : « En reniant ses promesses et en agressant militairement l’Ukraine à l’aube du jeudi 24 février 2022, Vladimir Poutine a commis un acte quasi-suicidaire. […] C’est un acte géopolitiquement irrationnel. Je ne l’avais pas du tout vu venir, je dois le reconnaître humblement. »[10]

2. « Détruire toutes les armes livrées par les Américains »

Le 25 février 2022 (2è jour de guerre, lefigaro.fr), Renaud Girard justifie l’invasion russe :« A part cette démilitarisation, c’est-à-dire détruire toutes les armes livrées par les Américains et par les Turcs, je ne vois pas ce qu’il peut obtenir… Après, sans doute, effectivement il obtiendra que jamais l’Ukraine entrera dans l’Otan, que jamais il y aura des missiles américains sur le sol ukrainien pointés vers Moscou. »[11].

Le 26 février 2022 (3è jour de guerre, CNews), il confirme : « Les Américains n’apprécieraient pas beaucoup que la Russie installe des missiles au Mexique ou à Cuba visant Washington et […] nous Européens nous sommes laissés trop mener par la politique américaine parce que les Américains n’ont pas cessé d’agiter un chiffon rouge devant Vladimir Poutine notamment avec ces histoires de missiles et ces histoires aussi, c’était sous Trump, pas sous Biden, de se retirer unilatéralement […] du traité INF des armes nucléaires intermédiaires : ce sont les Américains qui ont détruit cette architecture. »[12]

Arguments qu’il reprend le 28 février 2022 (5è jour de guerre, lefigaro.fr) : « La non-adhésion de l’Ukraine à lOtan, c’était pas une demande illégitime de Vladimir Poutine. […] C’est un peu normal effectivement que Poutine puisse demander que ce soit impossible que des missiles américains soient sur le sol ukrainien pointés vers Moscou. »[13] La répétition a alors la vertu magique de transformer une revendication russe injustifiée (les pseudo-« missiles américains ») en évidence qui s’impose à tous (« c’est un peu normal… »).

L’Amérique de Renaud Girard, c’est un fauteur de guerre qui s’attaque à l’Europe. Ainsi, le 9 mars 2022 (14è jour de guerre, CNews), il déclare : « La situation géopolitique, s’il fallait la résumer : ce sont les Américains qui se sont le plus impliqués dans cette guerre fratricide, cette querelle de famille entre Ukrainiens et Russes depuis 1991, depuis 30 ans, […] en soutenant, y compris le fils de Joe Biden, l’Ukraine à mort, mais ce sont les Européens qui vont en payer le prix, les Américains s’en tireront comme souvent la chemise sèche. ».

Le 17 mars 2022 (22è jour de guerre, Radio Classique), Renaud Girard livre le fond de sa pensée : « Je suis critique [vis à vis des Américains] parce que j’ai l’impression que depuis 15 ans ils ont agité le chiffon rouge devant Poutine. [… Poutine] demandait depuis 15 ans la démilitarisation de l’Otanheu pardon… de l’Ukraine. Or, depuis 2 ou 3 ans, […] l’Otan est venue en Ukraine entraîner les forces ukrainiennes et livrer des armes. »[14]

Il ajoute : « Les conséquences [du désordre créé par la guerre en Ukraine] ne vont pas être pour les Américains mais pour nous les Européens puisque nous avons beaucoup de commerce avec les Russes, notre énergie dépend en partie des Russes et aussi toute notre agriculture, l’alimentation du bétail, etc., et donc en fait les Américains ont beaucoup de responsabilité dans l’éclatement de cette crise mais ils n’en paieront pas les conséquences et même ils accroissent la vassalisation de l’Europe. » Renaud Girard part d’un postulat : les intérêts de l’Europe occidentale seraient naturellement tournés vers la Russie et les Etats-Unis ne le supporteraient pas. Moscou n’aurait pas mieux dit.

Le journaliste ne voit dans les Etats-Unis qu’un semeur de discorde et un fauteur de guerre. Le 24 mars 2022 (29è jour de guerre, Radio Classique), il détaille : « Le pays qui s’est le plus impliqué dans les divisions fratricides entre les Ukrainiens et les Russes, ce sont les Etats-Unis d’Amérique. Ce sont eux qui ont joué, dès le divorce entre les Ukrainiens et les Russes, qui date de l’éclatement de l’URSS en 1991, […] certains disent même qui ont mis le plus d’huile sur le feu. »

Pendant ce temps, c’est une guerre totale que la Russie livre sur le sol européen. Voici comment Renaud Girard la commente.

3. « La volonté de la Russie de ne pas s’aliéner trop la population ukrainienne »

Le 25 février 2022 (2è jour de guerre, lefigaro.fr). A propos de ce qui « ressemble beaucoup à une invasion » : « Je ne pense pas qu’il veuille conquérir l’Ukraine, je ne pense pas qu’il y ait un plan pour conquérir lUkraine. »[15]

Le 28 février 2022 (5è jour de guerre, lefigaro.fr), Renaud Girard croit savoir que « Vladimir Poutine s’est engagé [] à ne pas frapper des zones civiles. »[16]

Le 6 mars 2022 (11è jour de guerre, CNews), Renaud Girard analyse les projets de corridors humanitaires en proposant une audacieuse comparaison avec la Tchétchénie : « Il y a un progrès parce que, […] lorsque les Russes ont repris la Tchétchénie qui n’était pas un territoire étranger mais qui était une province sécessionniste de la Fédération de Russie, eh bien il n’y avait pas de corridors humanitaires, c’était juste le rouleau compresseur. Là il y a un progrès, c’est sans doute dû à la volonté de la Russie de ne pas s’aliéner trop la population ukrainienne. »[17] A cette date, il est pourtant avéré que l’armée russe bombarde des villes[18], sans distinction de cibles civiles ou militaires. En attendant que les crimes de guerre commis par l’armée russe sur les territoires qu’elle contrôle soient révélés.

Le 4 avril 2022 (40è jour de guerre, CNews), Renaud Girard commente le massacre de Boutcha : « Visiblement dans certaines unités russes ne règne pas la discipline et quand dans une armée d’occupation vous n’avez pas la discipline, eh bien vous avez des atrocités. »[19] De l’indiscipline, sans plus ? Ce n’est pas l’avis des spécialistes. Comme l’indique Michel Goya (lefigaro.fr), « Larmée russe est culturellement violente. […] De surcroît, dans un contexte de guerre totale, lutter contre des adversaires que votre président a présentés comme des “nazis” peut générer des comportements extrêmes, explosifs »[20].

Le 7 avril 2022 (43è jour de guerre, CNews), à propos du bombardement de la gare de Kramatorsk (remplie de voyageurs, femmes, enfants, vieillards, qui veulent fuir vers l’ouest), qualifié par le ministre français de l’Europe et des affaires étrangères de « crime contre l’humanité », Renaud Girard s’émeut : « Oh, cette inflation du langage n’est pas nécessaire. Je trouve que monsieur Le Drian devrait revoir ses manuels diplomatiques. Crime de guerre, c’est suffisamment fort. On ne peut pas parler de crime contre l’humanité. […] Mais cette inflation de mots n’est pas nécessaire, il faudra avoir une enquête sur pourquoi effectivement, qui a tiré sur cette gare. […] Là c’est une bavure, voilà. »[21] Ce n’est donc qu’une bavure. Et il n’est pas certain que l’armée russe en est responsable…

4. « Comment lui sauver la face ? […] Trouver une porte de sortie honorable »

Renaud Girard milite depuis l’annexion de fait de la Crimée et l’agitation séparatiste dans le Donbass par les Russes pour la démilitarisation, le démembrement et la finlandisation de l’Ukraine.

Chez les tenants du fait accompli en faveur de la Russie de Poutine, les appels à la négociation vont se faire pressants en utilisant le chantage de la sortie rapide de l’état de guerre. Pour Renaud Girard, cette négociation doit se traduire par des concessions (faussement) réciproques, par lesquelles l’Ukraine serait « invitée » à renoncer à une partie de son territoire et de sa souveraineté nationale, au profit de la Russie. Illustration.

Le 15 mars 2022 (20è jour de guerre, Radio Classique), Renaud Girard commente le processus de négociation qui semble s’engager : « On ne peut pas exclure un scénario plutôt vertueux ; la seule chose à faire aujourd’hui, c’est d’essayer de trouver une porte de sortie honorable pour tous les protagonistes de la guerre en Ukraine et je crois qu’on a une piste donnée par Zelensky lui-même […] qui est un compromis sur le Donbass, cette région sécessionniste de l’est et sur l’adhésion de l’Ukraine à lOtan. »[22] Mais pendant ce temps, la Russie continue son offensive militaire et annonce vouloir s’emparer de toutes les villes que ses armées encerclent.

Renaud Girard va donc ajuster son analyse deux jours plus tard, le 17 mars 2022 (22è jour de guerre, Radio Classique) ; il improvise une nouvelle piste de négociation, en expliquant que c’est toujours « la seule possible » : « Le seul plan possible pour l’Ukraine, c’est une sorte de démilitarisation ou désotanisation [sic] de l’Ukraine et donc ça suppose des négociations de la part aussi du gouvernement américain. »[23] Revoici, agité par notre chroniqueur, l’épouvantail fantasmé du danger américain et de l’Otan. Evidemment tout cela n’est que propagande destinée à justifier l’impasse de « négociations » auxquelles Poutine n’accorde manifestement pas d’importance.

Le 21 mars 2022 (26è jour de guerre, Le Figaro), Renaud Girard résume[24] le scénario de la tentative de sauvetage du maître du Kremlin :

  1. Il ne faut pas que l’Occident allié à l’Ukraine provoque davantage un Poutine affaibli par ses erreurs stratégiques militaires : « Il y a le risque d’escalade. Sommes-nous sûrs que Poutine ne sera pas tenté de doubler la mise, comme un joueur tentant désespérément de se refaire à la roulette ? », d’où la nécessité de modérer les livraisons d’armes et les sanctions.
  2. Poutine a besoin d’une sortie honorable de ce fiasco : « Comment lui sauver la face ? […] Il n’est pas délirant d’ouvrir une porte de sortie à l’ours blessé qui rôde dans la ferme, afin qu’il regagne sa forêt et cesse de tout ravager sur son passage. A-t-on envie de voir exploser un jour un engin nucléaire tactique sur la frontière polono-ukrainienne ? » La reprise de l’argument du chantage nucléaire révèle la pensée de l’auteur : négocier avec Poutine veut dire donner à Poutine ce qu’il demande.
  3. Il reste à sacrifier l’Ukraine : « Comme il est dans l’intérêt politique des Ukrainiens pro-occidentaux de lâcher les terres prorusses de Crimée et du Donbass, et d’adopter un traité de neutralité à l’autrichienne qui ne leur interdise pas de s’équiper militairement, un deal russo-ukrainien est donc aujourd’hui possible. Il est aussi souhaitable. Sauf à vouloir se battre pour nos idéaux démocratiques… jusqu’au dernier Ukrainien. »

Renaud Girard explique sans rire que puisque Poutine est en train de perdre militairement contre l’Ukraine, il faut lui donner ce qu’il demande, sauf à être responsable des massacres et destructions que son armée commet. En résumé, Renaud Girard propose, comme concept de stratégie géopolitique, le principe de soumission. Pouvons-nous imaginer un « dilemme stratégique » semblable de la part par exemple des Alliés à l’égard de la France entre 1940 et 1945 ?

Le 11 avril 2022 (47è jour de guerre, Le Figaro), il établit un parallèle incertain entre l’entêtement de Poutine l’agresseur et la défense acharnée par l’Ukraine de son territoire attaqué : « [Poutine] pourrait très bien […] se retirer d’Ukraine, […]. Mais il ne le fera pas car il a besoin d’un narratif crédible pour la population russe, […] celui d’une victoire militaire […] Mais l’armée ukrainienne [] défendra durement la frange du Donbass qu’elle contrôle encore […]. Le Donbass va donc terriblement souffrir de cet engrenage militaire. »[25]

Il en conclut que l’hypothèse « la plus probable, est que la conquête ait lieu et que les Russes engrangent ce succès tactique (un Donbass en ruine), pour regonfler la propagande d’État. » Simple pronostic, ou souhait ? Ce scénario servirait l’histoire que Renaud Girard élabore au fil des semaines. Celle d’une Russie menacée qui doit faire cette guerre pour se protéger d’une menace occidentale : « Il pourra convaincre sa population qu’il a sauvé pour toujours les russophones pro-Moscou de l’est de l’Ukraine. » Celle d’une Russie fictive où Vladimir Poutine devrait rendre des comptes au peuple russe.

Encore un exemple : le 21 avril 2022 (57è jour de guerre, CNews), il déclare : « Ce qu’on peut espérer, c’est qu’une fois que Vladimir Poutine aura arrondi […] le Donbass [… pour] avoir cette unité territoriale [jusqu’à la Transnistrie] qu’il dise, le 9 mai par exemple à la parade de la victoire à Moscou : [] jarrête parce que j’ai réussi à protéger nos frères russophones du risque (disait-il, je le cite) de « génocide » par les Ukrainiens ; évidemment c’est pas vrai que les Ukrainiens voulaient génocider les Russophones, mais ça c’est une autre question, mais au moins là, Poutine aurait un narratif et pourrait arrêter la guerre ; il pourrait y avoir au moins un cessez-le-feu parce qu’il faut déjà que les massacres, la boucherie, entre frères – ce sont des peuples frères – sarrête. »[26]

Pour Renaud Girard, il faut marteler le message que la guerre ne s’arrêtera que lorsque Poutine aura démembré un peu plus l’Ukraine. Sous couvert de réalisme géopolitique, il ne livre finalement qu’une vision dénuée de toute ambition, où seuls le crime et la force paient. Ce n’est pas le choix de l’Ukraine, ce n’est pas le choix de l’Europe ni des Etats-Unis.

Rémi Sappia, 4 mai 2022

Photo: Oleksandr Ratushniak /UNDP Ukraine


[1] Vincent Laloy, « Renaud Girard ou la voix de Moscou ? », sur le site internet de Desk Russie, 14 janvier 2022, https://desk-russie.eu/2022/01/14/renaud-girard-ou-la-voix.html ; Thomas Malher, « Guerre en Ukraine : ces ‘experts’ qui assuraient que Poutine n’attaquerait pas », sur le site internet de L’Express, 24 février 2022, https://www.lexpress.fr/actualite/idees-et-debats/guerre-en-ukraine-ces-experts-qui-assuraient-que-poutine-n-attaquerait-pas_2168639.html?msclkid=af4b3686b68411ecb187898ddd25f9a7.

[2] Renaud Girard, « Conflit ukrainien, Vladimir Poutine : le retour des rapports de force en Europe », Le Figaro, 2 septembre 2014, https://www.lefigaro.fr/vox/monde/2014/09/02/31002-20140902ARTFIG00031-conflit-ukrainien-vladimir-poutine-le-retour-des-rapports-de-force-en-europe.php.

[3] Renaud Girard, «Il n’y a pas de solution militaire en Ukraine», Le Figaro, 9 février 2015, https://www.lefigaro.fr/vox/politique/2015/02/09/31001-20150209ARTFIG00383-renaud-girard-il-n-y-a-pas-de-solution-militaire-en-ukraine.php.

[4] Renaud Girard, « Quatre urgences pour notre diplomatie en 2022 », Le Figaro, 3 janvier 2022, https://www.lefigaro.fr/vox/monde/renaud-girard-quatre-urgences-pour-notre-diplomatie-en-2022-20220103.

[5] Renaud Girard, Le Figaro, https://www.lefigaro.fr/vox/monde/renaud-girard-vladimir-poutine-n-envahira-pas-l-ukraine-20220117?msclkid=d891ea9fb68211eca2631e79b34437e5.

[6] Renaud Girard, « Biden en Ukraine… Courage, fuyons ! », Le Figaro, 14 février 2022, https://www.lefigaro.fr/vox/monde/renaud-girard-biden-en-ukraine-courage-fuyons-20220214?msclkid=f760d881b67d11ec9852da3dea585153.

[7] Vincent Roux, Renaud Girard, « Russie / Ukraine : et maintenant ? », Figaro Live, 22 février 2022, https://video.lefigaro.fr/figaro/video/russie-ukraine-et-maintenant/.

[8] Renaud Girard, « Je croyais Poutine rationnel, il est en fait paranoïaque », Figaro live, 24 février 2022, https://video.lefigaro.fr/figaro/video/default-slug-5653/.

[9] CNews, 24 février 2022, https://www.cnews.fr/emission/2022-02-24/lheure-des-pros-du-24022022-1186252.

[10]) Renaud Girard, «Les quatre guerres déjà perdues par Poutine », Le Figaro, 28 février 2022, https://www.lefigaro.fr/vox/societe/renaud-girard-les-quatre-guerres-deja-perdues-par-poutine-20220228.

[11] Vincent Rozeron, Renaud Girard, « Je ne pense pas qu’il y ait un plan pour conquérir l’Ukraine, Figaro Live, 25 février 2022, https://video.lefigaro.fr/figaro/video/je-ne-pense-quil-y-ait-un-plan-pour-conquerir-lukraine-affirme-renaud-girard/.

[12] CNews, 26 février 2022,  https://www.facebook.com/CNEWSofficiel/videos/renaud-girard-nous-nous-sommes-trop-laiss%C3%A9s-mener-par-la-politique-am%C3%A9ricaine/358898486084924/.

[13] Alban Barthélemy, Renaud Girard, « Guerre en Ukraine : Vladimir Poutine a-t-il déjà perdu ? », Figaro live, 28 février 2022, https://video.lefigaro.fr/figaro/video/guerre-en-ukraine-vladimir-poutine-a-t-il-deja-perdu/

[14] Renaud Blanc, Renaud Girard, émission « Les spécialistes », Radio Classique, 17 mars 2022, en podcast sur le site https://www.radioclassique.fr/emissions/matinale-de-radio-classique/les-specialistes/.

[15] Vincent Rozeron, Renaud Girard, « Je ne pense pas qu’il y ait un plan pour conquérir l’Ukraine, Figaro Live, 25 février 2022, https://video.lefigaro.fr/figaro/video/je-ne-pense-quil-y-ait-un-plan-pour-conquerir-lukraine-affirme-renaud-girard/.

[16] Alban Barthélemy, Renaud Girard, « Guerre en Ukraine : Vladimir Poutine a-t-il déjà perdu ? », Figaro live, 28 février 2022, https://video.lefigaro.fr/figaro/video/guerre-en-ukraine-vladimir-poutine-a-t-il-deja-perdu/

[17] CNews, 6 mars 2022, https://twitter.com/CNEWS/status/1500717045561835522.

[18] Ainsi, près d’une cinquantaine de morts rapportés le 3 mars 2022 sur son compte Twitter par The New York Times (@nytimes) : « Video verified by The New York Times shows the bombardment of Chernihiv, Ukraine, on Thursday. As smoke cleared from the attack — which hit near apartments, pharmacies and a hospital — people are seen running in the street. https://t.co/J1MhFcNCnm pic.twitter.com/S2l2MBkxaF ».

[19] CNews, https://www.dailymotion.com/video/x89ouo1.

[20] Ronan Planchon, « Dialogue en altitude sur les conséquences de la guerre en Ukraine », lefigaro.fr, 8 avril 2022, https://www.lefigaro.fr/vox/monde/dialogue-en-altitude-sur-les-consequences-de-la-guerre-en-ukraine-20220408.

[21] CNews, https://twitter.com/CNEWS/status/1512889557825511430.

[22] Renaud Blanc, Renaud Girard, émission « Les spécialistes », Radio Classique, 15 mars 2022, en podcast sur le site https://www.radioclassique.fr/emissions/matinale-de-radio-classique/les-specialistes/.

[23] Ibid., 17 mars 2022.

[24] Renaud Girard, « Guerre en Ukraine, le dilemme stratégique de l’Occident », Le Figaro, 21 mars 2022, https://www.lefigaro.fr/vox/monde/renaud-girard-guerre-en-ukraine-le-dilemme-strategique-de-l-occident-20220321.

[25] Renaud Girard, « Tragique engrenage au Donbass », Le Figaro, 11 avril 2022, https://www.lefigaro.fr/vox/monde/renaud-girard-tragique-engrenage-au-donbass-20220411.

[26] Clélie Mathias, « MidiNews », CNews, 21 avril 2022, https://www.dailymotion.com/video/x8a7jhl.

10 Mai 2022


Ukraine : dénoncer la désinformation

Depuis 69 jours, les armes de Poutine se livrent en Ukraine à une guerre d’invasion, de destructions et de pillages et (surtout) de massacres, viols et tortures de populations civiles. Depuis plusieurs jours, aux crimes de guerre – en cours d’instruction – s’ajoutent les informations recueillies sur les déportations de populations ukrainiennes (plus d’un million de personnes, dont 183 000 enfants selon les déclarations russes), et la création de camps de « filtration » par l’occupant russe.

Pendant ce temps, dans sa chronique du mardi 3 mai dans Le Figaro « Ukraine : arrêter la surenchère verbale », le journaliste Renaud Girard dénonce non pas l’agression russe, mais l’agressivité verbale des Etats-Unis. En tout et pour tout, le chroniqueur a trouvé UNE citation qui justifie à ses yeux un procès à charge : le secrétaire américain à la défense a en effet déclaré que le but des Etats-Unis est « d’affaiblir à tel point l’armée russe qu’elle ne soit plus capable de réattaquer l’un de ses voisins ». En contrepoint, Renaud Girard se plaît à citer Vladimir Poutine qui réclame depuis 2021 une « nouvelle architecture de sécurité européenne », demande que le chroniqueur juge toujours d’actualité depuis le 24 février 2022.

On l’aura compris, le sens de la mesure et de la responsabilité est à Moscou et l’indécence est à Washington, voire à Kiev ; pour M. Girard, les paroles sont essentielles, les actes ne comptent pas.

En témoignent trois autres assertions très contestables dans cet article :

1/ laffaiblissement de la Russie voulu par les Etats-Unis se fait « au prix de la destruction de l’Ukraine », sans en avoir prévenu la population : jusqu’à preuve du contraire, les Ukrainiens ont bien compris qui les agresse et veut les massacrer chaque jour davantage depuis plus de deux mois ;

2/ quand les propos américains « ont quelque chose dimmoral » en prétendant « vouloir obtenir la destruction dun adversaire stratégique grâce au sang des autres », les déclarations des responsables et médias officiels russes ne sont que « tonitruantes » ou « alambiquées » ; doux euphémismes quand il est question de « dénazification » de l’Ukraine (qui peut autoriser alors les pires exactions de la part de l’envahisseur russe), de « génocide » contre les Russophones (inexistant), de lancement de missiles nucléaires sur Paris, Berlin et Londres ; déclarations auxquelles nous pouvons ajouter depuis le 1er mai le « sang juif d’Hitler » selon Lavrov ;

3/ la cause que lOccident doit défendre dans cette guerre est celle du « cessez-le-feu », et « travailler, avec les Ukrainiens, à trouver une porte de sortie pour lagresseur », comme le répète à longueur de chroniques notre journaliste. Le lecteur du Figaro soucieux de rigueur intellectuelle pourra relire avec profit la formule prémonitoire de Bruno Tertrais le 1er mai : « Rappel mensuel à tous les amateurs d’architecture (de sécurité) : – rien n’indique aujourd’hui que Poutine soit à la recherche d’une ‘porte de sortie honorable’, – si c’était le cas, soyons sûrs que la Russie trouverait les moyens de nous le faire savoir, – ce ne serait pas forcément aux Occidentaux de la trouver (cette manie de penser que nous sommes responsables de tout…), – il n’est pas certain qu’elle devrait être honorable’ ».

Rémi Sappia

(3 mai 2022)

Photo : https://pixabay.com/fr/photos/ukraine-drapeaux-manifestation-gens-7055973/

10 Mai 2022


Une de nos abonnées, Nadia Roncoroni, nous envoie ces quelques lignes tirées des Raisins de la Colère, de John Steinbeck. Ce dernier évoquait alors le sort des victimes de la Grande dépression américaine de 1929. puis élargissait son propos en un message poignant de solidarité mais aussi d’espoir : s’opposer au vent mauvais et refuser d’en souffrir, au point de pouvoir donner sa vie dans cette lutte,  lui semble s’appliquer au peuple ukrainien qui veut repousser l’agression barbare dont il est l’objet et vivre libre.

H&L

Quand les théories changent et s’écroulent, quand les écoles, les philosophies, quand les impasses sombres de la pensée nationale, religieuse , économique, croissent et se décomposent, l’homme va de l’avant, à tâtons, en trébuchant douloureusement parfois en se trompant. S’étant avancé, il peut arriver qu’il recule, mais d’un demi-pas seulement, jamais d’un pas complet. Cela vous pouvez le dire et le savoir, le savoir. Cela vous pouvez le savoir quand les bombes tombent des avions noirs sur les places des marchés, quand les prisonniers sont égorgés comme des cochons, quand les corps écrasés se vident dégoûtamment dans la poussière. Ainsi vous pouvez le savoir. Si les pas n’étaient pas faits, si le désir d’aller de l’avant à tâtons n’existait pas, les bombes ne tomberaient pas, les gorges ne seraient pas tranchées. Craignez le temps où les bombes ne tomberont plus et où les avions existeront encore…car chaque bombe est la preuve que l’esprit n’est pas mort. Et craignez le temps où les grèves s’arrêteront cependant que les grands propriétaires vivront…car chaque petite grève réprimée est la preuve qu’un pas est en train de se faire. Et ceci encore vous pouvez le savoir…craignez le temps où l’Humanité refusera de souffrir, de mourir pour une idée, car cette seule qualité est le fondement de l’homme même, et cette qualité seule est l’homme, distinct dans tout l’univers

1 Mai 2022


Tout faire pour que Poutine ne gagne pas la guerre

(extraits d’un entretien avec Nelly DidelotArnaud Vaulerin et Sonia Delesalle-Stolper à consulter dans Libération du 6 avril 2022, de Kaja Kallas, Premier Ministre de l’Estonie).

(…) Qu’espérez-vous de l’Union européenne ?

« L’Union européenne est une union de valeurs. En Ukraine, et à Boutcha en particulier, des crimes de guerre ont été commis, des crimes qui visent les civils. Il nous faut garder en tête ces crimes et nos valeurs quand nous abordons la question des négociations de paix. Nous ne pouvons pas les laisser impunis. L’outil dont dispose l’Union européenne, c’est bien sûr les sanctions. Nous devons continuer à les durcir. Nous savons qu’elles ont un effet, sinon Poutine ne parlerait pas en permanence de les lever. Quand on parle d’énergie, il ne faut pas non plus perdre nos valeurs de vue. Le gaz peut être cher, mais la liberté n’a pas de prix ».

Après avoir proposé un fonds commun qui permettrait de tenir compte de la dépendance énergétique propre à chaque pays, Mme Kallas en appelle aux grands pays de l’UE, qui « peuvent faire vraiment beaucoup plus ».

Que doit accepter l’U.E. ?

C’est dans l’intérêt de tous que Poutine ne gagne pas cette guerre et l’Ukraine doit recevoir toute l’aide militaire dont elle a besoin afin de l’emporter. Si Poutine gagne ou pense qu’il a gagné, il aura plus d’appétit et s’attaquera à d’autres zones. Si nous pensons, maintenant, que nous pouvons parvenir à une sorte de paix, mais que les territoires conquis par la Russie ne sont pas restitués, que ses troupes ne se retirent pas complètement, alors tout cela voudrait dire que la Russie a obtenu des choses qu’elle n’avait pas avant cette agression. On ne peut pas laisser Poutine s’en tirer comme ça.

(…)

La « no fly zone »

Kaja Kallas évoque la difficile question de la zone d’interdiction de vols et conclue :

« Si s’engager dans la guerre signifiait avec certitude mettre fin à tout ce qu’endure le peuple ukrainien, alors le choix serait clair. Mais si cela mène à une extension des combats à d’autres pays, pour le moment en paix, cela change la donne. C’est une question qui me réveille la nuit. Y a-t-il quelque chose à faire pour empêcher toutes ces atrocités ? Mon pays les a déjà connues [pendant l’occupation soviétique] et nous ne souhaitons à personne de devoir y faire face. C’est pour cela que nous avons envoyé toute l’aide militaire, humanitaire et politique possible pour aider l’Ukraine à se défendre. C’est aussi pour cela que je répète que la paix à tout prix n’est pas la solution. Si un accord de paix laisse aux mains des Russes toutes les régions qu’ils occupent aujourd’hui, les atrocités ne s’arrêteront pas pour les personnes qui y vivent. Nous le savons, ils ont fait la même chose à notre peuple

(…)

Pensez-vous qu’il y ait une différence de perception de la menace, entre les pays d’Europe de l’Est, en particulier les pays Baltes, et ceux d’Europe de l’Ouest ?

Je pense que nous comprenons mieux le fonctionnement de l’opération russe, et le raisonnement qui l’anime, parce que nous avons aussi subi l’oppression. Les pays plus à l’ouest ne comprennent peut-être pas que le rayon d’action des missiles russes est suffisant pour les toucher eux aussi. La menace est la même. Aujourd’hui, nous ne voyons pas de menace militaire imminente à nos frontières, nous ne pensons pas que les Russes s’aventurent à attaquer un pays de l’Otan. Mais il faut que les grands pays d’Europe occidentale comprennent que c’est la sécurité de toute l’Europe qui est menacée, pas seulement celle des pays proches de la Russie.

Après avoir insisté sue la volonté estonienne d’être membre de l’OTAN, La Premier Ministre revient sur les visées de Poutine :

« Il y a un livre très intéressant de Timothy Snyder [The Road to Unfreedom], dont la thèse s’applique aussi à la France. Il explique que lorsqu’il a compris que la Russie ne deviendrait jamais l’Europe ou l’Occident, Poutine a décidé que l’Occident deviendrait russe. Et c’est ce qu’il fait depuis vingt ans, construire des liens avec l’extrême droite en Europe et aux Etats-Unis. Ces partis d’extrême droite ont répandu la même narration, que l’Occident est moralement corrompu et sous une pression migratoire immense. Aujourd’hui, il crée d’un côté une pression migratoire en déclenchant une guerre en Ukraine, comme en intervenant en Syrie ou en plaçant des mercenaires au Mali. Il crée ou entretient des conflits pour pousser des réfugiés vers l’Europe. Leur narration est que nous sommes sous une terrible pression migratoire. Nous voyons, au moins dans notre pays, que toute l’extrême droite dit que les réfugiés de guerre sont le problème. Le problème n’est pas ces réfugiés. Poutine est le problème.

(…)

Photo: Alexis HAULOT, EURANET Citizens Corner debate

13 Avr 2022


Jolies perles, n’est-ce pas ?

Ségolène Royal  a twitté sur « l’aide de Biden d’un million de dollars pour des armes ..américaines  (rien ne se perd tout se transforme) et du financement des brigades néo nazies comme tout le monde le sait…Vraiment, l’Europe doit stopper cette  tutelle et retrouver l’esprit gaulliste d’indépendance »

Eric Zemmour quant à lui, reconnait, certes, que « la responsabilité de cette situation (la guerre en Ukraine ndlr) incombe d’abord à la Russie, mais est aussi le résultat de la politique menée par les Occidentaux et l’OTAN, qui n’ont cessé d’ignorer les préoccupations sécuritaires légitimes de la Russie »

Cela dit, on voit bien où son coeur balance : tour en nuances, il affirme  le 16 février 2022 : « On ne fixe pas de limites à Vladimir Poutine, c’est un grand chef d’Etat (…) Il  est très respectable et il faut le respecter ».

Vous voulez mieux ? Voici :  « Je me fous complètement des massacres »  a-t-il tranquillement admit en mars 2016 à propos de la Syrie….

Côté Mélenchon, on trouve aussi quelques joyaux qui valent leur pesant d’or . Commentant l’assassinat de Boris Nemtsov en 2015, il lâchait tranquillement : « La première victime politique de cet assassinat est Vladimir Poutine »…

Faisons une place enfin à Nadine Morano qui, elle, rappelait le 2 février dernier ceci : « Je vote très régulièrement contre toutes les résolutions qui passent au Parlement qui sont d’une violence extrême à l’égard de la Russie »…

On trouvera d’autres perles en lisant Franc-Tireur, dont le n°16 du 2 mars 2022 est consacré à « la fin des Poutinolâtres ».

21 Mar 2022


Chers amis,

Une vingtaine de personnes ont participé, à l’invitation des Amis d’Histoire & Liberté à la réunion du 9 mars dont, évidemment, l’ordre du jour avait été bouleversé depuis l’invasion de l’Ukraine. Lors de la dernière réunion, du 25 février, nous imaginions pouvoir parler posément de la Chine. Cela n’a pas été le cas, même s’il en fut question, la Chine étant une donnée à prendre en considération, notamment quand on réfléchit aux dommages des sanctions occidentales sur l’économie et les finances russes. la Chine ouvrira-t-elle – ou non –  une porte de sortie à l’économie russe affaiblie par les sanctions?

Plusieurs thèmes de discussions ont été abordés  et doivent être repris en vue d’une publication sous des formes à déterminer :

-les motivations de  Poutine,

-les effets de son invasion

-les enjeux qu’implique l’invasion poutinienne de l’Ukraine et la résistance qui lui est opposée.

1- Les motivations de Poutine

Il y a les motivations affirmées par Poutine lui-même : la nécessité de lutter contre les « drogués nazis » qui règnent à Kiev. Derrière ces absurdités, deux sous-thèmes :

– le fait qu’il s’agisse de préserver l’unité des Ukrainiens et des Russes, au fond un même peuple, que seul l’appel des sirènes occidentales divise et pousse à diviser.

– les Russophones du Donbas et de Lugansk ou de Crimée ayant été mis à l’abri des « séparatistes » de Kiev et des décadents ouest-européens continuant de tisser des liens avec le reste de l’Ukraine, le « travail » doit être poursuivi et l’entreprise séparatiste  du gouvernement Zelenski mise hors d’état de nuire.

Au fond de cette politique et de cette guerre poutiniennes, il y a donc l’idée que L’Ukraine séparée n’a pas d’existence légitime et que son séparatisme est le fruit des illusions créées par l’Union européenne et par ses ambitions.

Une question grave doit ici être posée : Poutine veut-il « récupérer » l’Ukraine ou porter le fer jusqu’au sein de l’Union européenne?

La question se pose d’autant plus qu’un texte décrivant les objectifs finaux de la Russie a été accidentellement mis en ligne le 26 février dernier par l’agence russe Ria Novosti, agence de presse russe d’État. Ce texte qui a été sauvegardé aux Etats-Unis puis traduit par la Fondation pour l’innovation politique, avant qu’il soit retiré, en dit long sur les intentions de Vladimir Poutine.

On y comprend que si son but a été d’emblée d’envahir l’ensemble de l’Ukraine pour récupérer un territoire considéré comme perdu depuis 1991, il s’agit au-delà pour lui de redéfinir l’espace mondial en récupérant les territoires perdus au moment de l’effondrement du bloc soviétique et de « revenir aux anciennes frontières qui allaient anciennement jusqu’au mur de Berlin. »

Avec l’entreprise guerrière de Poutine, nous assistons ainsi  à « la construction véritable d’un nouvel ordre mondial dans la perspective de la russification totale de l’Ukraine et de la Biélorussie. » L’unification de l’Europe de l’est et de l’Europe de l’ouest, ajoute le texte, n’a été rendue possible que par celle de l’Allemagne.  Autant dire que la partie est de l’Allemagne aurait pu et dû être conservée par les Soviétiques !

Quoiqu’il en soit, et comme souvent avec Poutine, une double lecture est possible selon qu’on retient sa dimension autoritaire voire fasciste, d’une part, ou sa dimension communiste d’autre part.

Dans le premier registre, la Russie cherche à réaffirmer sa position dominante sur les populations russophones, voire slaves. Dans le second registre, il s’agit de récupérer (au moins) une partie de ce que l’URSS  a perdu en territoires et en population.- lors de son effondrement de 1991, une immense catastrophe, comme Poutine  l’a toujours dit.

Ce n’est pas de folie qu’il s’agit – en tout cas pas de folie plus grande que celle de Brejnev, de Khrouchtchev, de Staline ou de Lénine. Les dirigeants soviétiques et même les dirigeants russes antérieurs à l’URSS ont une vision de leur pays quelque peu mégalomaniaque.                                        

Il y a un peu moins de 200 ans, en 1831, le Tzar réprimait dans le sang le mouvement national polonais et provoquait en France un flot de réfugiés. Pour la Russie puis l’URSS les Slaves doivent être unis sous la tutelle russe – sur ce point, le rapprochement avec Hitler, protecteur des Allemands d’Europe centrale et particulièrement des Suèdes, est parfaitement légitime. Mais le texte porté à notre connaissance par la Fondation pour l’innovation politique évoqué plus haut va même plus loin puisqu’il diagnostique la fin de la puissance occidentale à qui il s’agit au fond de donner le coup de grâce. La fin du monde occidental, dont la faiblesse se manifeste par son incapacité à faire la guerre, est à l’ordre du jour, voilà de quoi réjouir un communiste qui y verra facilement une transposition du Grand Soir et de la défaite du capitalisme.

Cette réflexion sur les motivations de Poutine doit être poursuivie., notamment avec la lecture de l’ouvrage de Michel Elchaninoff, Dans la tête de Poutine (Solin-Actes sud 2015). Approfondir en particulier la dimension communiste des ambitions poutiniennes tout en sachant qu’elle n’est pas la seule devrait motiver notre groupe étant donné son expérience d’étude de l’idéologie et de la pratique communistes. La dimension religieuse est intéressante aussi comme le montre le portrait du patriarche Kirill en oligarque et idéologue, par F. Thom dans le N°154 de la revue Commentaire.

2- Les effets de l’invasion

Ceux-ci sont dramatiques :

-2 millions de réfugiés auraient déjà fui l’Ukraine, 20 000 morts et blessés, civils et militaires, partagés dans les deux camps constituent une estimation qui n’est pas dénuée de fondement.

-Menaces sur l’avenir : des prix qui vont grimper et pas seulement en France. On se demande déjà si l’Egypte et l’Algérie pourront  nourrir leur population…

Mais des effets beaucoup plus positifs sont apparus. D’abord la résistance inattendue des Ukrainiens, leur patriotisme et leur courage. On voit bien qu’après 30 ans d’indépendance, une conscience nationale ukrainienne  s’est formée.

Cette résistance inattendue, on la retrouve aussi dans l’ensemble de l’Europe démocratique qui a compris la menace que faisait peser sur elle un Etat russe si peu respectueux du droit international.

La crise ukrainienne est même l’occasion d’une petite révolution : l’Allemagne sort de 75 ans de pénitence et investit massivement dans les achats d’armement.

Cette unité européenne plus grande est aussi une plus grande unité nationale en France même, où les poutinolâtres, pour reprendre le terme de Franc Tireur dans con numéro du 2 mars, sont largement mis en cause.

Marine Le Pen et Eric Zemmour paient fort cher leur présentation de l’action de Poutine comme une réponse légitime à des menaces venues de l’OTAN ou inspirées par le « mauvais exemple » du Kosovo; arraché à la Serbie comme l’ont été le Donbas et Lugansk à l’Ukraine.

Cet aspect de notre travail à venir est important puisqu’il s’agit de critiquer les intellectuels, les hommes politiques, les journalistes qui soutiennent Poutine ou lui trouvent diverses excuses. On conseillera ici la lecture des Réseaux du Kremlin en France de Cécile Vaissié  ( Les Petits Matins 2016).

Que faire d’autre ? Qu’est-ce que notre petit groupe peut faire? L’action humanitaire est prise en main par de nombreuses associations; le gouvernement lui-même pousse à l’accueil de réfugiés ; les préfets insistent auprès des municipalités; des vivres, des vêtements, des médicaments sont envoyés en Pologne en Ukraine et ailleurs. De ce point de vue, on a l’impression de revivre un peu la période d’aide à Solidarnosc fin des années 70, début des années 80.

Peut-on aider les opposants russes à la guerre? Les premier renseignements donnés par ceux connaissent bien la Russie étaient peu encourageants :les anti-guerres se cachent et l’aide peut difficilement leur parvenir. Mais l’expérience très positive d’un ami de Bruxelles qui adresse des textes d’information sur la réalité du front ou sur les ambitions de Poutine doit être retenue.

S’il existe des poutinolâtres en Europe occidentale, il y a aussi des poutinophobes en Russie. Il faut les aider en leur adressant par le net des textes sur la réalité ukrainienne. Nous pouvons passer pour cela par des  amis sûrs.

Les enjeux

-Il y a des enjeux immédiats : gagner cette guerre paraît impossible. Mais la prolonger, mener une guérilla active peut mettre Poutine en difficulté, notamment dans les rangs de l’armée. Les étonnantes difficultés logistiques de l’armée russe, le courage des combattants ukrainiens, l’aide occidentale discrète qui leur est apportée, rendent plausible ce qui semblait tout à fait impossible au début de la guerre : un échec militaire (et  je n’ai pas dit une défaite) russe.

– Il y a des enjeux intermédiaires. On se rend compte que la démocratie a besoin d’un minimum d’indépendance énergétique faute de quoi elle sera à la merci de ses adversaires. A moyen terme, tiendrons nous sans gaz russe? Sans blé ukrainien?

Le rôle de la Chine est ici important : Les sanctions européennes seront-elles efficaces ou Poutine peut-il compter sur l’aide chinoise, en tout cas sur une collaboration chinoise? L‘attitude  de la Chine a été prudente jusqu’ici, et ambigüe . Elle n’a pas parlé d’invasion russe mais elle ne s’est pas rangée non plus aux côté de l’Érythrée, de la Corée du Nord et de la Syrie. Son intérêt est-il de jouer le rôle de parrain, du Maître des horloges à venir ou  de soutenir la Russie dont les objectifs hostiles à l’Union européenne sont complémentaires des buts de Xi Jinping de combattre l’idéologie démocratique libérale, comme cela a été fortement rappelé dans le communiqué commun en date du 4 février 2022.

L’enjeu, ici, est la capacité de l’Union européenne à équilibrer mieux qu’aujourd’hui notre développement et notre indépendance énergétique, c’est à dire, au fond, à pouvoir se défendre quand cela est nécessaire. C’est en réglant cette question qu’on pourra choisir un mode de relation plus équilibré avec l’OTAN et les Etats-Unis

– Il y a enfin un enjeu lointain, celui de la capacité des démocraties à résister aux Etats totalitaires ou autoritaires qui leur sont hostiles. Il ne s’agit pas ici seulement de la défense de l’Union européenne mais de la démocratie dans le monde. Devant l’incapacité de l’ONU à faire respecter le droit international, notamment du fait du droit de veto communiste chinois et russe, ne faudrait-il pas oeuvrer, pour diminuer la dangerosité générale des totalitarismes, à la mise sur pied d’une large association des Etats démocratiques? Il s’agirait de se donner l’outil le plus efficace possible pour bâtir une alternative crédible à l’ordre mondial dont rêvent Poutine et Xi Jinping.

Toute objection, critique, information complémentaire sera  bienvenue dès maintenant. Elle peut être adressée à notre blog <histoireetliberte.fr> et nous en tiendrons compte pour établir l’ordre du jour de notre prochaine réunion. Celle-ci se tiendra au même endroit que les deux précédentes, au Café du Pont Neuf, 14 quai du Louvre, 75001-Paris, le mercredi 30 mars de 18h à 20h.

Pour les Amis d’Histoire et Liberté

Pierre Rigoulot

Doit-on maintenant penser à l’impensable ? par Pierre Druez

Quand l’homme le plus fort du monde –  en termes de puissance individuelle de destruction – est un paranoïaque, narcissique pathologique, tueur psychopathe et sadique ( = la triade noire en psychiatrie), un mythomane qui croit à une Histoire fictive, fantasmée, imaginaire, dès lors qu’il veut faire partager ses visions délirantes à tout un chacun sous peine d’aller jusqu’à la mort, dès lors que ses propres services secrets, les plus performants du monde et fortement implantés en Ukraine depuis des lustres, n’osent faire remonter que les informations qui nourrissent ses fantasmes, ou du moins qui ne les mettent pas en évidence et en péril; dès lors que ses proches n’osent plus le contredire, dès lors qu’il devient sourd et aveugle à tout ce qui ne cadre pas avec son monde hors réel, le pire deviendrait-il possible ?

Personnellement je ne crois pas ; le principal allié de Poutine n’est pas la Chine, c’est notre supposée frilosité, notre peur de la guerre, notre incapacité à nous priver, à avoir faim, à avoir froid. 

Prendre Poutine à contrepied

Un moyen de cerner les limites de cet adepte de la novlangue est de prendre le contrepied de ses déclarations les plus virulentes ou de celles de ses relais. En parlant de l’exclusion aérienne de l’Ukraine comme d’un casus belli, il dénote que c’est le meilleur moyen de tenter de l’arrêter ; je suis presque convaincu qu’il n’ira pas plus loin en cas d’intervention militaire de l’OTAN, c’est-à-dire des Etats-Unis. En outre, la procédure d’attaque nucléaire est telle qu’il n’y en aura pas : il n’a pas le pouvoir d’appuyer sur le fameux bouton qui par ailleurs n’existe pas.

Néanmoins mon « presque » est rédhibitoire !

Pourtant ça urge, car ce genre de psychopathologie ne peut que s’aggraver avec le temps et l’âge !

Enseigner l’histoire factuelle

Une bonne leçon : J’espère qu’une fois que cette nouvelle page désastreuse de l’Histoire sera tournée, nous prendrons conscience de la nécessité de l’enseignement de l’Histoire factuelle du monde et des civilisations, à l’aide de données dépassionnées adaptées à tous les âges et à tous les niveaux. Un récit historique qui permette d’éviter autant que faire se peut les pièges habituels :

Le plus courant est l’instrumentation de l’Histoire par les autorités depuis les parents jusqu’aux gouvernants, phénomène auquel on assiste partout depuis toujours.

La création de supports d’idéalisation et de projection négative  conduit au manichéisme, à la glorification de l’entité à laquelle on appartient, à la diabolisation de l’autre et à la création d’une Histoire mythifiée, hors-réel, bons contre méchants, exploités contre nantis, victimisation outrancière, conceptions simplistes et prédatrices du fonctionnement de l’économie, du monde et des sociétés.

Stop à l’auto-dépréciation

A contrario l’auto-dépréciation est à la mode en Occident, où ça fait chic, de même la complaisance à l’égard des autres civilisations, surtout aux USA, avec les réactions excessives que cela entraîne toujours dans les espaces démocratiques.

Par exemple « Exterminez toutes ces brutes », le « documentaire » diffusé sur Arte, en trois volets de Raoul Peck, donne une vision hallucinée d’une histoire fictive et le plus souvent inversée, que j’ai été incapable de regarder plus d’un quart d’heure, a été encensé par le New-York Times, oui  : véritablement porté aux nues. C’est un crime contre le savoir et contre l’intelligence ! C’est ignoble et ce forfait serait impossible si la grande majorité des gens sains et normaux avait une idée assez juste du monde tel qu’il est et de l’évolution économique, politique et culturelle telle qu’elle est.

Non aux analogies abusives et aux anachronismes

Il convient enfin de commencer à mettre fin à l’anachronisme croissant, à cesser de juger les déclarations, institutions et actes du passé en fonction des critères actuellement en cours. Et dans le même ordre d’idée, quand on critique ce qui se passait à tel endroit en telle période il convient de ne plus jamais manquer de le comparer avec ce qui se passait alors ailleurs au même moment

De même, il faut éviter les analogies historiques abusives. Il est intellectuellement bien plus difficile de mettre en exergue le nouveau, l’inédit que de faire des assimilations indues, à l’aide de concepts confusionnels.

Des cours élémentaires sur les différences de fonctionnement entre les différents systèmes politico-informatifs couvrant et ayant couvert la planète seraient aussi les bienvenus, ainsi que le compte-rendu des effets de ces dichotomies sur la formation des représentations mentales collectives de la réalité sociale-historique globale.

En finir avec l’Occident ?

Pour en revenir à Poutine, sa plus grande et plus inattendue victoire aura été d’installer à la Maison Blanche un guignol qu’il tenait par les couilles. Je crois que ce succès lui a monté à la tête.

L’efficacité de ses trolls sur tout ce qui déstabilise l’Occident doit gonfler son sentiment de puissance mais le fait  d’avoir affiché explicitement sa volonté d’en finir avec l’Occident, du moins de briser sa domination,(l’Occident n’existe plus et l’OTAN ne sert à rien, disait Pascal Boniface comme d’autres idiots utiles – avant l’invasion bien sûr), devrait paradoxalement nous rassurer ! 

Tous ces éléments sont autant d’arguments pour un ajout évolutionniste et historique indispensable dans l’enseignement dont l’idéologisation, en quelque sens que ce soit, doit être combattue sans relâche.

Pierre Druez

Complément important à mes observations précédentes

Il faut souligner un élément NOUVEAU, inédit, ultra important de cette guerre : depuis 1917, c’est la première guerre menée par l’URSS-Russie ou par n’importe quel régime communiste qui est photographiée et FILMEE en montrant autre chose que la propagande du côté russe/communiste et en révélant certaines de ses exactions presqu’en direct. « Presque » car les régions de l’Ukraine occupée tomberont vite dans la nuit médiatique – sauf propagande, bien sûr.

La  dernière, la guerre-massacre de Tchétchénie, a d’ailleurs fait l’objet d’un documentaire intitulé « Une guerre sans images » dont un des réalisateurs était Boris Nemtsov. Il se termine par un montage qui montre Poutine, dans une cage, jugé pour crimes contre l’humanité. Boris Efimovitch Nemtsov signait là son arrêt de mort.

Pour moi il est clair que l’aveuglement de l’opinion à l’égard du communisme, mais aussi en grande partie « les paupières lourdes » des intellectuels, proviennent en premier lieu de la quasi absence d’images des abominations commises et ce à l’inverse de ce qui s’est passé pour le  nazisme et les guerres américaines.

Savant ou ignorant, intelligent ou limité, notre fonctionnement cognitif et émotionnel est le même ! 

Pierre Druez

Ma boussole émotionnelle et la renonciation à l’OTAN

En France, peu de gens soutiennent ouvertement la décision de Poutine d’envahir l’Ukraine. Prudents, un certain nombre préfèrent demander s’il est bien sérieux de condamner le régime russe, aveuglés par notre émotion face au malheur des civils et s’il est juste de mettre en cause le seul Vladimir Poutine pour le déclenchement de ces premières semaines de guerre sans s’assurer qu’il n’y a pas d’autres responsables et d’autres facteurs du déclenchement des hostilités.

Cette problématique, on la retrouve dans les prises de position d’Elizabeth Lévy qui voit dans la déferlante émotionnelle balayant la France dès lors qu’il est question de l’Ukraine, une posture peu spontanée mais inspirée par les chaînes de télévision. La directrice de Causeur ironise même sur cette « cause qui mérite, sinon que l’on meure, du moins que l’on pleure pour elle ». Sans doute, reconnait-elle, « l’émotion, la compassion, la solidarité sont naturelles quand des villes européennes sont bombardées, mais cette émotion serait, à l’entendre, moins spontanée qu’exhibée, et facilement qualifiée alors d’ « incongrue ».

Ne nous laissons pas aller à soupçonner sous cette double interrogation ( sur la responsabilité du seul Poutine et sur la légitimité d’une réaction émotionnelle) l’effet manifeste mais prudent d’une hostilité implicite à toute condamnation de l’attaque russe, voire d’une approbation qui n’oserait pas dire son nom et interrogeons-nous : l’émotion, celle qui aveuglerait, peut-elle être évitée? Devant tant de malheurs, devant tant de souffrances accumulées, il est difficile de ne pas prendre parti d’emblée. Quand le sang coule sous nos yeux, il est difficile d’adopter l’attitude calme du savant cherchant à formuler un jugement. L’émotion, certes, ne nous dit pas qui est coupable ou responsable. Mais à coup sûr, elle désigne un malheur qui doit cesser, ainsi que les causes immédiates de ce malheur : les enfants morts sont Ukrainiens. Les civils enfouis sous les décombres d’un théâtre sont Ukrainiens; les missiles, les chars et les avions, eux, sont russes.

Il ne s’agit pas de juger de loin, confortablement installés devant sa télévision, mais au contraire  de désigner le point scandaleux, l’horreur immédiate, et de la faire cesser par l’abandon de ce qui en est la cause immédiate : une invasion par un Etat bien décidé à ne pas s’attarder sur la distinction entre civils et militaires d’un autre Etat, reconnu par le droit international.

Mon émotion a bien une valeur heuristique ici : elle indique le point à considérer en priorité et l’action immédiate à enclencher. Il ne s’agit pas de combattre toutes les guerres dans le monde mais celle-ci, la plus proche de notre pays, celle dont les justifications avancées par l’agresseur concernent des institutions (OTAN, UE) et des choix politiques (démocraties libérales, dictatures voire totalitarisme) qui nous concernent au plus près. Mon émotion n’est pas sans rivage. Elle joue son rôle dans notre univers culturel, politique, historique, stratégique propre.

On peut – on doit – encore réfléchir aux rapports historiques, culturels, ethniques, de l’Ukraine et de la Russie; on peut – on doit – se pencher sur la personnalité et les objectifs de Vladimir Poutine. Mais mon émotion me dicte qu’il faut arrêter l’effort militaire du dirigeant russe cause de tant de malheurs et tenter de lui imposer des limites. Autant dire que je suis très loin d’Eric Zemmour soutenant le 16 février dernier qu’ « on ne fixe pas de limites à Vladimir Poutine,(…) un grand chef d’Etat (…) très respectable et (qu’) il faut le respecter ».

Se pose ici la deuxième question : le président russe est-il seul responsable du déclenchement de cette invasion? Plus précisément, a-t-il lancé ses troupes contre l’Ukraine  pour ne plus se sentir menacé par le renforcement de l’OTAN à ses portes ? Voilà qui pour moi semble peu crédible car OTAN ou non, l’URSS  puis la Russie de Poutine ont toujours fait preuve d’une volonté expansionniste. Le communisme visait son objectif avoué : l’Internationale sera le genre humain…Le nationalisme russe à la Poutine, inspiré par l’exemple passé de quelques grands tsars et les conceptions récentes d’un Alexandre Douguine, rêve quant à lui d’une domination russe sur l’Eurasie.

Je reconnais que l’ affirmation d’une menace que ferait peser l’OTAN de par sa présence rapprochée n’est pas absurde. Craindre la présence d’une puissance militaire nucléaire  à ses portes ne dépend pas de la nature du régime politique dont Poutine est le numéro 1. Les dirigeants de la démocratie américaine se sont sentis eux aussi menacés en octobre 1962 par l’installation de missiles à tête nucléaire à proximité de leur territoire et JF Kennedy était près à déclencher une guerre pour l’empêcher.

Le problème vient de ce que Volodymyr Zelenskyy, le président ukrainien, a récemment annoncé qu’il renonçait à adhérer à l’OTAN. Le souhaitait-il? Et depuis quand le souhaitait-il? Ces points peuvent être établis par les historiens et les politologues spécialistes de la région. Le problème, dis-je, vient de ce que l’armée russe, malgré la renonciation ukrainienne à son droit d’Etat souverain de nouer les alliances militaires qu’il veut, n’est visiblement pas prête pour autant à se retirer et que les objectifs du régime poutinien paraissent donc viser  d’autres buts situés au-delà de l’absence de menace « otanienne » à proximité des frontières russes.

Il est même à craindre que Vladimir Poutine soit détenteur d’un projet mondial plus ambitieux et plus dangereux, notamment pour les démocraties européennes, projet qu’on peut induire de ses écrits, de ses communiqués communs avec d’autres puissances, de ses actions criminelles contre ses opposants, de la manière dont il  a  « traité » la Tchétchénie, etc.

Benoît Villiers

Nous avons reçu de l’association amie Human rights without frontiers le texte suivant, qui répond et aux délires de Vladimir Poutine et aux interrogations formulées par certains organes de presse sur la présence d’une extrême droite active dans les rangs ukrainiens. Cette étude est signée de Massimo Introvigne, un sociologue italien, Dr du Cesnur, le Centre d’étude des nouvelles religions, de Turin, et le rédacteur en chef  de la revue Bitter Winter, dédiée à la défense des droits de l’homme dans le monde. Elle projette un éclairage précis, intéressant mais sans doute pas définitif.

H&L

Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, Vladimir Poutine a utilisé les mots “nazis” et “dénazification” plus d’une trentaine de fois dans ses discours officiels, prétendant que l’Ukraine était sous l’emprise de bandes de néo-nazis.

Un corps d’élite encore habituellement dénommé « Bataillon Azov », même s’il s’agit maintenant du « Régiment Azov », est pointé du doigt comme preuve que les « Nazis » jouent un rôle important parmi ceux qui se battent contre les Russes.

Qui était Bandera?

Quand ils parlent du Bataillon Azov, les Russes utilisent souvent le terme de “bandéristes” comme synonyme de “nazis”, en référence au dirigeant nationaliste Stepan Bandera. Le fait que Bandera est honoré par des dizaines de monuments et de rues portant son nom est présenté par les Russes comme la preuve de ce que les Ukrainiens ne se sont toujours pas libérés de leur passé nazi.

Pour comprendre le cas Bandera, il faut commencer par la guerre féroce pour leur indépendance que les Ukrainiens ont menée, bien qu’en vain, contre les bolcheviks entre 1917 et 1920; après 1920 est venue la répression soviétique de tout mouvement d’indépendance potentiel. Elle a culminé avec l’Holodomor, la famine artificielle créée par Staline dans le but d’exterminer les petits fermiers ukrainiens, considérés comme la colonne vertébrale du mouvement pour l’indépendance, pendant laquelle au moins trois millions et demi d’Ukrainiens sont morts de faim en 1932 et 1933.

La haine à l’encontre de Staline après l’Holodomor, que les Ukrainiens (et plusieurs experts occidentaux) considèrent comme un génocide, explique pourquoi beaucoup étaient prêts à s’allier avec quiconque combattrait les Soviétiques et leur promettrait de restaurer leur indépendance. Des dirigeants ukrainiens nationalistes en exil, dont le plus important était Bandera, ont alors accepté la proposition allemande de lever, dans la diaspora ukrainienne, deux régiments pour envahir l’Union soviétique aux côtés de la Wehrmacht en 1941. Une fois en Ukraine, Bandera a unilatéralement proclamé l’indépendance de son pays, mais les Allemands n’avaient jamais eu l’intention de tenir leur promesse. Comme Bandera insistait sur l’indépendance, il fut arrêté et déporté à Sachsenhausen. Ses deux frères furent emmenés à Auschwitz, où ils périrent.

Ce n’est qu’en 1944, quand la défaite commença à se profiler, que les Allemands ont libéré Bandera et l’ont renvoyé en Ukraine dans l’espoir que ses partisans ralentiraient l’avance des Soviétiques. Après la défaite de l’Allemagne, Bandera a fui vers l’Ouest. Des partisans « bandéristes » se sont retirés dans les forêts et ont continué à harceler les Soviétiques et à s’engager dans d’autres formes d’opposition jusque dans les années 1950. Bandera lui-même fut assassiné en 1959 à Munich par des agents du KGB.

Lantisémitisme et Bandera

La face la plus détestable du nationalisme ukrainien fut l’antisémitisme. Entre 1917 et 1920, quelque 40,000 Juifs ont perdu la vie dans des pogroms. Ils ont été bien plus nombreux à être exterminés pendant la Seconde Guerre Mondiale et les « bandéristes » ont collaboré avec les nazis dans ces massacres, même pendant que Bandera était détenu dans un camp de concentration nazi.

Tous les bandéristes n’étaient pas des nazis. Bien que Bandera ait fait des déclarations antisémites détestables, les nazis lui ont reproché d’avoir accordé de faux passeports à des membres juifs de son parti et de les avoir ainsi sauvés. Toutefois, il est indéniable qu’un nombre important de “bandéristes” ont collaboré avec les nazis dans l’extermination des Juifs ukrainiens et la rhétorique antisémite de Bandera a conforté leur comportement criminel.

Après 1991, Bandera a été honoré dans l’Ukraine indépendante pour son combat anti-soviétique, son alliance avec les nazis étant édulcorée. Lorsque l’Ukraine a demandé d’adhérer à l’Union européenne, le Parlement européen lui a reproché les honneurs rendus à Bandera. Plusieurs dirigeants ukrainiens ont pris ces critiques européennes au sérieux. En 2021, un sondage a montré que seulement un tiers des Ukrainiens avait une opinion favorable de Bandera, et qu’une majorité ne s’opposait pas à une révision des honneurs officiels qui lui étaient rendus.

Le néo-nazisme en Ukraine

Après l’indépendance, un petit mouvement néo-nazi s’est développé en Ukraine, ainsi que dans d’autres pays européens. Il ne s’agissait pas de vétérans “bandéristes” de la Seconde Guerre Mondiale, dont peu étaient encore en vie. Comme dans d’autres pays ayant des mouvements néo-nazis, un pourcentage substantiel des nouveaux jeunes neo-nazis venaient de milieux violents de supporters de football. Des partis d’extrême-droite ont été créés, y compris le Parti National Socialiste d’Ukraine (PNSU). Leur succès électoral a été minime, ne dépassant pas 1% mais ils sont parvenus à mettre en place des organes para-militaires qui ont visé et parfois tué des immigrés, des Juifs et des membres de la minorité Rom.

Ces partis n’ont pas joué un rôle significatif dans la Révolution Orange en 2004 mais la situation a changé lors de la seconde révolution anti-russe, l’Euromaidan, en 2013-2014. Quand elle a commencé, plusieurs dirigeants d’extrême-droite étaient en prison. Une loi décidant leur libération a été adoptée car on croyait que leur expérience militaire serait utile dans la guerre contre la Russie que beaucoup voyaient venir.

Des néo-nazis ont participé à l’Euromaidan mais ils étaient loin d’être la majorité, ou même une minorité importante de protestataires. Ils se sont aussi organisés pour combattre les séparatistes pro-russes de l’est de l’Ukraine sous la direction de Andriy Bilets’kyy, le dirigeant de 35 ans d’un groupe appelé “Patriotes de l’Ukraine”.

Bilets’kyy a prétendu que certaines de ses déclarations nazies antérieures à l’Euromaidan venaient en fait de faux documents fabriqués par les Russes. La plupart des experts de l’extrême-droite en Ukraine croient cependant que ses déclarations sont authentiques. Quand, fin 2014, Bilets’kyy est devenu un politicien en costume-cravate et a été élu au parlement, il a essayé de les cacher et de les réfuter.

Azov

Entretemps, Bitlets’kyy était devenu célèbre pour d’autres raisons. Au printemps 2014, il avait rassemblé ses supporters à Kiev pour aller se battre contre les séparatistes du Donbass. Comme leur organisation avait été fondée à Berdyansk, sur la Mer d’Azov, ils l’ont appelée le Bataillon Azov. Contrairement aux “bandéristes”, qui insistaient sur l’identité chrétienne de l’Ukraine, beaucoup de combattants d’Azov étaient des néo-païens qui rêvaient de faire revivre l’ancienne religion ukrainienne. Cette orientation s’est retrouvée dans le choix de leur logo, avec la lettre I partiellement recouverte par la lettre N, significant “Idée d’une Nation”. Leur logo renvoie en miroir  à l’image du Wolfsangel (Le crochet du loup), un vieux symbole germanique qui existait avant le nazisme mais qui fut adopté à la fois par deux divisions de la SS et plus tard par des mouvements néo-nazis et néo-païens à travers l’Europe.

Le Bataillon Azov n’avait que 400 membres mais ils se sont courageusement battus, notamment pour reprendre Marioupol aux séparatistes. Plus tard, ils ont été incorporés dans la Garde Nationale et sont devenus « le Régiment Azov », comportant 2500 soldats. A l’époque, Bilets’kyy avait quitté le mouvement pour entrer en politique. La plupart des nouvelles recrues voulaient alors simplement rejoindre un corps d’élite et ne venaient pas des milieux d’extrême-droite des fondateurs.

Comme Andreas Umland, le principal expert du Bataillon Azov en Occident, l’a dit, le Régiment maintenant “n’est pas néo-nazi” mais il comprend des nazis parmi ses fondateurs et il a encore des nazis parmi ses soldats ukrainiens et parmi les combattants étrangers qui se sont engagés pour leur venir en aide. Umland croit que les nazis sont maintenant une petite minorité dans le Régiment Azov mais ils sont les seuls à être interrogés par les médias étrangers.

Il y a également des nazis dans l’autre camp, chez les Russes, en particulier parmi les membres de l’Unité Nationale Russe (UNR), un parti néo-nazi théoriquement interdit en Russie en 1999, mais toujours actif et utilisé par les services secrets russes et très présents dans le Donbass. Un scandale a éclaté quand le premier “Gouverneur du Peuple” de la “République Populaire du Donetsk”, Pavel Gubarev, un membre de l’UNR, a été pris en photo avec une croix gammée sur la manche; la branche du Donbass de l’UNR a alors rapidement remplacé la croix gammée par une croix dans son logo.

Dans un monde idéal, le Régiment Azov devrait également remplacer son logo associé au Wolfsangel et clairement se dissocier de ses fondateurs néo-nazis. Il y a toutefois une certaine répugnance à le faire car c’était sous ce symbole et ces commandants qu’il a remporté ses succès, mythologisés mais pas imaginaires, en 2014. Et il est rare qu’on change des symboles pendant une guerre.

Massimo Introvigne

Traduction française de Willy Fautré

21 Mar 2022