Quoi de neuf en Corée du Nord ?
Pour une fois, ne parlons pas des essais balistiques et nucléaires nord-coréens. Ce qui ne veut pas dire que nous les tenions pour négligeables. S’il n’y a pas eu depuis quelques temps d’essais nucléaires, les experts affirment cependant que le 7ème peut être effectué d’une semaine à l’autre.
Les essais balistiques n’ont jamais été aussi nombreux : pas moins d’une quarantaine en 2022 et, un rien provocateurs, les Nord-Coréens les font aboutir le plus souvent à la limite de la zone économique exclusive du Japon.
Mais il existe une autre dimension, à la fois bien connue et quelque peu effacée, des préoccupations internationales du monde démocratique face à la Corée du Nord : le sort qui y est fait aux droits de l’homme. Quelque peu effacée parce qu’on sait depuis longtemps quelles privations de liberté subit la population nord-coréenne sans qu’on ne trouve la méthode ni les moyens de l’améliorer. La lassitude gagne même certains devant cette impuissance. Quelques-uns parmi les défenseurs des droits de l’homme remettent cependant courageusement sur le métier leur ouvrage et veulent par exemple rappeler l’importance qu’a eue, il y a une dizaine d’années, le rapport de la Commission d’enquête de l’ONU sur les droits de l’homme en Corée du Nord. Sans doute, ce qu’elle soulignait dans ses conclusions n’était pas une découverte pour les observateurs et les défenseurs des libertés de par le monde : les libertés d’opinion, d’expression, d’information, de circulation, d’expression sont sévèrement et continument bafouées en RDPC depuis la naissance même du régime, et il n’y a même jamais eu de comparaison possible avec le régime politique du Sud quoi qu’en ait dit Claude Bourdet ou Jean-Paul Sartre à l’époque.
Toutefois la précision des faits évoqués par cette commission d’enquête, la prudence et le sérieux avec laquelle ils ont été établis, l’insistance systématique avec laquelle différents témoignages ont été sollicités, sans parler naturellement du respect envers l’ONU, ont fait que ce tableau dressé des manquements nord-coréens aux droits de l’homme a marqué les esprits.
Depuis cette fameuse enquête, que nous tenons à saluer dix ans après, qu’est-ce qui a changé ?
Essentiellement trois choses. Les deux premières tiennent en grande partie à des développements techniques. La troisième à des changements politiques chez les deux grands alliés de la Corée du Nord.
La première évolution perceptible, négative, est un bouclage renforcé de la frontière sino-nord-coréenne par la mise en place de moyens électroniques plus performants. Liée à ces mesures, et plus généralement à l’accroissement de la lutte contre divers « comportements anti-socialistes », le repérage des appels téléphoniques venus de mobiles est désormais plus rapide et plus précis, Le nombre de réfugiés a en conséquence baissé drastiquement. D’environ un millier en 2019, ils ne sont plus que quelques dizaines cette année, réduisant dans les mêmes proportions le niveau de nos informations. Même les médias d’Etat sont plus opaques que jamais. La Corée du Nord a rarement été aussi refermée sur elle-même et l’épidémie de Covid n’a rien arrangé : les diplomates occidentaux ont quitté le pays. Un tiers seulement des représentations diplomatiques subsistent ( et encore, en sous-activité).
Le second changement important depuis les conclusions de la Commission d’enquête compense, au moins partiellement, le tarissement des sources habituelles d’informations : c’est la mise en évidence de plus en plus nette, par un ensemble de photos satellitaires américaines, de l’existence d’un réseau de camps de concentration. Il ne s’agit plus de récits de témoins. Il s’agit d’images photographiques claires. Le goulag soviétique, les camps nazis, ont à peu près échappé aux images. Les développements techniques permettent au contraire de faire éclater à la face du monde l’évidence en quelque sorte expérimentale des camps de concentration nord-coréens. Ils confirment que plus de 100 000 hommes, femmes et enfants sont détenus dans un système qui résulte d’une conception collective de la responsabilité où la « faute » d’un seul aboutit à la punition de toute une famille; un système qui classe les individus selon leur loyauté envers le pouvoir, et qui tire le maximum de ressources de chaque individu pour développer sa force militaire, balistique et nucléaire, et procurer des produits de luxe à ses élites.
La troisième nouveauté est liée à un changement dans les sources d’approvisionnement en devises étrangères. La Corée du Nord a massivement recours actuellement à l’envoi en nombre de travailleurs à l’étranger : le Qatar, par exemple, a utilisé des travailleurs nord-coréens pour la construction des stades de football où s’est déroulée la coupe du monde. Leur nombre maximum sur les chantiers fut d’environ 2500 en janvier 2016. Travaillant dans des conditions difficiles, ils n’étaient pas après tout si mal payés selon les normes nord-coréennes, mais près de 90% de leur salaire allait au gouvernement !
En juillet 2022, on estimait à plusieurs dizaines de milliers ces travailleurs d’outre-mer, surtout en Russie et en Chine qui avaient pourtant voté en faveur d’une résolution onusienne sanctionnant la Corée du Nord pour ces essais militaires, en interdisant notamment l’envoi de ces travailleurs sur-exploités…Chine et Russie avaient voté en faveur de sanctions en représailles des essais nucléaires et balistiques nord-coréens et en 2019, un mouvement de retour des ces travailleurs nord-coréens s’était amorcé. Il ne s’est pas confirmé et pour cause : Chine et Russie contournent maintenant les sanctions en faveur desquelles elles avaient elles-mêmes voté ! On trouve aujourd’hui 20 000 de ces travailleurs nord-coréens en Russie On trouve environ 20 000 de ces travailleurs nord-coréens en Russie mais le nombre de ceux qui prennent la fuite a largement progressé ces derniers temps, surtout quand le bruit a couru parmi eux ( bruit non confirmé à ce jour) qu’ils pourraient être envoyés dans les zones ukrainiennes occupées par la Russie !
Les affaires et le commerce contrôlés par l’Etat nord-coréen continuent donc. Et tout ce qui peut rapporter des devises étrangères est apprécié de ce dernier mais de manière différente. La presse a parlé des soupçons américains quant à des ventes d’armes nord-coréennes aux Russes pour leur guerre en Ukraine. La Russie serait en particulier intéressée par l’achat d’obus de 152 mm and 122 mm. La Corée du Nord a démenti, évidemment, comme elle démentait les accusations de fabrication de fausse monnaie et de trafic de drogue ou…de déclenchement de la guerre de Corée!
Elle n’a pas encore démenti la confection d’uniformes pour les soldats russes. Trois ateliers fonctionneraient à Pyongyang, chacun abritant des centaines de couturières, et davantage en province. Celles-ci travaillent à partir de matières premières russes qui arrivent par train ou par la zone économique spéciale de Rajon à l’extrême nord-est du pays, près des frontières russe et chinoise. Dans ce cas-là aussi, une résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU avait été adoptée en septembre 2017, interdisant toute exportation de textiles par la Corée du Nord.
Mais qu’importe l’ONU ! Un véto suffit à assurer son inefficacité. Et hors du contrôle onusien, les relations russo-nord coréennes ont rarement, et pendant si longtemps, été aussi bonnes. L’Etat-voyou nord-coréen deviendrait-il un modèle pour les poutiniens?
Pierre Rigoulot
(Image: North Korea’s ballistic missile – North Korea Victory Day-2013, source: https://commons.wikimedia.org/wiki/File:North_Korea%27s_ballistic_missile_-_North_Korea_Victory_Day-2013_01.jpg)