13 novembre: «Le grand absent de ce grand procès, l’idéologie islamiste»

Les coupables des attentats islamistes du 13 novembre ont été jugés. Ils l’ont été d’une façon irréprochable, et la justice française s’est montrée digne de ce qu’est un État de droit. Personne d’ailleurs n’y trouve rien à redire. Ce procès a apporté aux victimes, à la société française tout entière, et même aux accusés, tout ce qu’on pouvait attendre d’un tel procès.

Et pourtant, la cause première de la tragédie dont on a jugé les coupables humains, la responsabilité première de ces crimes aveugles n’a été ni mise en examen, ni jugée, ni condamnée. La responsabilité première de ces crimes sans justification incombe entièrement à l’idéologie islamiste conquérante, qu’il faut appeler par son nom. Sans elle, aucun des assassins qui ont été jugés ne serait devenu un criminel de masse. Les humains qui commettent ces crimes monstrueux ne sont devenus des criminels que sous l’emprise d’une des idéologies qui poussent leurs fidèles aux crimes les plus inhumains.

Au-delà du cas de l’islamisme terroriste, le rôle des idéologies totalitaires et terroristes dans les crimes de masse des XXe et XXIe siècles doit être reconnu parce que seul ce rôle permet de comprendre comment des humains ordinaires peuvent commettre des actes monstrueux qui nous paraissent impensables. Le rôle des idéologies n’est ni une circonstance aggravante, ni une circonstance atténuante dans le jugement des auteurs, mais il doit être reconnu, parce que ces idéologies doivent être condamnées et combattues en raison de leur criminalité.

Or ces idéologies ne sont ni mises en procès ni condamnées en justice, parce que les tribunaux ne sont habilités à juger que des humains. À Nuremberg, on n’a pas jugé et condamné l’idéologie nazie. La dénonciation des crimes du communisme n’a pas débouché sur le procès en bonne et due forme de l’idéologie de ce système. Mieux vaut dire que la condamnation des crimes de masse du communisme n’est pas remontée jusqu’à la source idéologique qui a rendu possibles ces crimes impensables.

Voilà pourquoi nous avons collectivement le sentiment que le procès des assassins du 13 novembre n’est pas allé jusqu’au bout, et que la condamnation des coupables humains ne suffira pas à nous faire tourner la page en nous disant que justice a été faite.

Pour que justice soit faite, il nous reste à poursuivre le combat contre l’idéologie islamiste barbare qui a mené à cette tuerie. Il nous reste à mener le combat au grand jour contre l’islamisme, en France même, avec pour objectif de faire reculer la séduction de cette idéologie parmi ceux des jeunes musulmans de France qui peuvent être tentés par une vision radicalisée de leur identité, une vision d’autant plus exaltante qu’elle est archaïque et mortifère.

Le combat culturel contre l’islamisme conquérant doit être mené dans l’École, parce qu’il est la condition de l’intégration de tous les jeunes de France à notre culture.

Le jour où le combat contre l’islamisme conquérant et pour l’intégration à notre culture sera officiellement déclaré, le procès exemplaire des assassins du 13 novembre ne nous laissera plus un arrière-goût d’inachevé.

ANDRE SENIK (FIGAROVOX/TRIBUNE le 1er juillet 2022)

André Senik est agrégé de philosophie. Il a notamment publié Le Manifeste du parti communiste aux yeux de l’histoire, éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2015.

Crédit photo: Rawpixel

6 Juil 2022


Afghanisan : après la victoire des talibans

Passionnante conférence organisée par le Club France-Afghanistan que préside Françoise Hostalier à la mairie du X e arrondissement lundi 15 novembre. Pas d’envolées lyriques, pas de tremolos dans la voix. Des informations et des avis de la part d’un enseignant chercheur de Paris I Sorbonne, Gilles Dorronsoro, et d’un journaliste du Monde, Jacques Folloru, spécialisé dans les questions de Renseignements et tourné, ces dernières années, sur l’Afghanistan. Leur bonne connaissance du dossier afghan et leur expérience du terrain touchèrent vivement un public de connaisseurs.

Une des grandes questions, pour Gilles Dorronsoro, est de comprendre pourquoi l’armée américaine a, en quelque sorte, sous-traité cette guerre de 20 ans en s’appuyant sur des gens peu fiables, souvent corrompus et/ou trafiquants de drogue. Il était prévisible dans ces conditions que la situation irait en se détériorant jusqu’à ces dernières négociations où au fond, il ne fut question que des modalités du retrait sans la moindre exigence adressée aux talibans.

D’autres choix stratégiques ont conduit à l’abîme actuel. On n’a rien fait pour reconstituer l’Etat afghan ni pour agir en coordination avec lui. On ne se coordonna pas avec lui : on le contourna plutôt. Les talibans ont d’une certaine façon répondu à une demande d’Etat de la part des Afghans qui tout en étant très divers souhaitent un ordre légal, une institution judiciaire ainsi que des initiatives en faveur du développement économique du pays.

Comment un tel aveuglement américain a-t-il été possible? Qui sont les conseillers de l’armée américaine ? Comme sont-il formés? Voilà un point particulièrement important à « creuser »…

Une autre affirmation paradoxale frappa bien des auditeurs : les Américains n’ont pas fait la guerre (on compte moins d’une centaine de morts en 20 ans!) mais ont mené des opérations d’éliminations individuelles incontrôlées qui n’ont pas suscité – c’est le moins qu’on puisse dire – le soutien de la population.

Les deux conférenciers insistèrent sur le fait qu’à leurs yeux la situation humanitaire actuelle était très grave et qu’on risquait une crise majeure dans les prochaines semaines. Le froid est déjà vif en novembre en Afghanistan. Il serait donc utile de discuter avec eux. Certes, le dialogue est difficile puisqu’on ne veut pas reconnaître leur régime et il est en particulier difficile de parler de « droits de l’homme » puisqu’ on ne veut pas les accueillir et qu’on ne peut, pour améliorer la situation des droits de l’homme, faire pression sur eux par des sanctions car elles risqueraient de faire crever de faim une partie d’entre eux.

Aujourd’hui, les talibans sont seuls ou presque. Ils dépendent moins qu’on l’a dit des Pakistanais. Ces derniers n’ont d’ailleurs pas encore reconnu le nouveau régime de Kaboul. Et les talibans doivent attendre moins des Chinois qu’ils pourraient le souhaiter.

Comme ils sont Isolés, menacés d’une grave crise alimentaire, l’Occident pourrait négocier leur aide. mais rien n’est fait dans cette optique. On pourrait discuter aussi de la drogue produite dans le pays, de l’immigration et du terrorisme. il faudrait échanger des concessions de la part des talibans dans ces domaines contre de la nourriture. Sans doute, ce n’est pas facile : les talibans ne veulent pas voir de femmes actives dans la vie sociale. Mais cette présence est aussi une question négociable ! Après tout, la situation des « vainqueurs »est si grave qu’on peut envisager des négociations sur des thèmes très divers.

Les observateurs ont insisté beaucoup sur la diversité du mouvement taliban. Mais les conférenciers insistent quant à eux sur la discipline, la hiérarchie et la centralisation de la direction. Malgré l’anachronisme, l’un d‘eux parlera même, à propos du mouvement taliban, de mouvement « stalinien » ( ce qui permet d’envisager la possibilité de retournements stratégiques brusques) dont l’idéologie, leur horizon, est la charia…

Bref, les participants à cette soirée ont eu leur content d’informations et d’ouvertures vers de nouveaux horizons. Tout n’est peut-être pas perdu à condition de prendre des initiatives et de négocier, malgré la répugnance qu’on peut éprouver à s’y résoudre…

(crédit photo: https://www.flickr.com/photos/ipostcross/49138640673/in/photolist-2hSdnUD-9WGZkw-9WEax8-9X4WLJ-9XLDXm-9X4WFh-9X4Wzy-9WH1Wh-9X4WUE-9WEbPe-fU74y-9WEaZt-9WH7hG-9XHMHR-9XHJZP-9X25SK-9WH84G-9WGZSb-9X4Wt1-9WE7He-ML3S3-ML3RY-emEX7o-oxyG4Q-fU6Nh-9WEcCg-9WH69f-fU74V-9X26cB-9WH5qw-9X25kp-9X4Wnd-9X4WZ7-9X267n-9X4Wd5-fU75s-fU73v-fU73Q-4PwcGt-fU75g-ackjad-9X25a2-fU74g-4PArbL-4PAs3j-4xPF1N-emrrqB-emrwBi-nnz1pC-5xHKD3)

18 Nov 2021


La débandade des États-Unis en Afghanistan et le droit d’ingérence

La débandade des États-Unis en Afghanistan nous oblige à affronter une situation mondiale nouvelle pour nous, nous qui avons été partisans du devoir d’ingérence contre les États criminels.

Reconnaissons d’abord que la justesse politique d’une intervention dont les intentions sont justes se mesure à ses conséquences; or en Irak et en Afghanistan, les suites n’ont pas été probantes.

si nous conservons le devoir d’ingérence, il faut en préciser la raison et les modalités, en le distinguant du « nation building » qui vient de faire naufrage.

Le devoir d’ingérence ne se justifie selon moi que si l’on place les droits de l’homme au-dessus de la souveraineté des États et même au-dessus du droit des peuples à vivre selon leurs règles et leur culture.

L’adage « charbonnier est maitre chez lui » qui justifie le principe de la non-ingérence fut affirmé par Goebbels en 1933 à la tribune de la SDN « Messieurs, charbonnier est maître chez lui. Nous sommes un État souverain et tout ce que dit cet individu ne vous regarde pas. Nous faisons ce que nous voulons de nos socialistes, de nos pacifistes, de nos juifs et nous n’avons à subir de contrôle, ni de l’humanité, ni de la Société des Nations. »

Accepter que cela ne nous regarde pas alors que nous en sommes témoins, ce serait renoncer à notre principe premier : « tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. »

Nous avons donc à faire tout notre possible pour protéger les droits et la dignité des autres humains, au nom de notre principe premier.

Exemple : la population de la Corée du Nord.

Si certaines cultures préconisent la soumission totale des femmes et même leur excision, nous devons faire tout notre possible pour protéger et défendre les droits des femmes de ces pays qui le souhaitent.

Aucune trace d’impérialisme dans cette position droit de l’hommiste.

André Senik

Crédit photo: https://www.flickr.com/photos/defenceimages/6347431323

9 Sep 2021


Les talibans au pouvoir

C’est naturellement aujourd’hui un jour de deuil pour tous les partisans d’une démocratie libérale. Triomphent à Kaboul le fanatisme religieux, le machisme le plus cruel, la haine de la liberté de critique, l’hostilité au monde qu’on dit occidental.

Nous ne sommes pas spécialistes de l’Afghanistan. C’est une bonne raison pour ne pas nous lancer ici dans des prises de position péremptoires. Pire : nous ne nous sommes pas beaucoup préoccupés de l’Afghanistan quand la lutte était encore indécise contre les islamistes qui viennent de triompher. Il est vrai que nous avions beaucoup à faire dans notre propre pays et en Europe où prospèrent d’autres formes d’hostilité à la démocratie libérale : l’autoritarisme sous la conduite d’un Chef y fait recette chez certains, les pressions et la subversion feutrée d’un communisme chinois riche et mondialement ambitieux vont grandissantes, le communautarisme islamiste tente de s’imposer, tout comme les vues étroites d’une partie de la population, globalement satisfaite de son sort mais vive à dénoncer son président, bouc émissaire des effets négatifs d’une Ecole longtemps peu exigeante, d’une Justice souvent laxiste, de réseaux sociaux moins occupés de pensée, rationnelle ou raisonnable, que de rumeurs et de soupçons.

La victoire des talibans illustre une fois de plus la difficulté à faire triompher la liberté par une intervention militaire. Les peuples suivent leur chemin, dans les conditions économiques, politiques, culturelles, qui sont les leurs. On peut les aider prudemment à privilégier la liberté de critique et la raison, ou l’égalité de droit entre les sexes. On ne saurait leur imposer ni même se substituer à eux pour les défendre.

La victoire des talibans illustre aussi la courte vue des activistes politiques ou sociaux : où sont les féministes promptes sous nos cieux à dénoncer les hommes ? Elles n’ont guère fait de bruit contre ceux qui s’apprêtent à boucler loin de la vie publique la moitié – féminine – de la population.

La victoire des talibans illustre encore la puissance du nationalisme, qu’il se vête ou non de religion. Le point commun des talibans issus des différents populations d’Afghanistan, c’est le refus d’une pensée et d’un mode de vie qui viennent d’ailleurs. Minoritaires, les Afghans qui ont soutenu les efforts du monde occidental pour changer leur pays, ont évidemment perdu.

Il faut cependant se rappeler qu’une idéologie, qu’elle soit chrétienne, musulmane ou marxiste-léniniste, ne suffit pas à nourrir des millions de gens. Les talibans ont rendez-vous une fois de plus avec les dures réalités économiques et sociales. A moins d’une aide économique substantielle, que la Chine, eh oui, est susceptible de fournir pour des raisons intéressées, leurs promesses d’un retour aux traditions d’un Afghanistan heureux, ne seront pas tenues.

L’histoire ne s’arrête pas à Kaboul. Si nous comprenons mieux le sens de cette victoire et en retenons les leçons, les malheureuses victimes des horribles attentats perpétrés par les talibans pendant des années, mais aussi les soldats gouvernementaux et américains tombés face aux combattants islamistes, ne seront pas morts pour rien.

Pierre Rigoulot

(crédit photo : https://www.flickr.com/photos/camafghanistancam/4423410154)

16 Août 2021


Qui sème le vent récolte la tempête

Une fois de plus, le Hamas, l’organisation palestinienne islamiste qui dirige Gaza, tire des milliers de missiles sur Israël.

Il n’est pas utile de chercher l’origine de cette poussée de violence (conflits immobiliers à Jérusalem-est ou autres), ni de désigner ceux qui en porteraient la responsabilité (manifestations d’utra-orthodoxes juifs, pierres jetées contre eux, ou intrusion par l’armée israélienne dans la mosquée d’al Aqsa). La vérité est que le Hamas veut « la peau » d’Israël et que si certains Palestiniens sont favorables à la coexistence de deux Etats, ( une solution qui ne sera pourtant viable qu’une fois mis sur pied un système garantissant que l’Etat palestinien ne pourra servir de base au terrorisme anti-israélien), le Hamas, lui, n’en veut qu’un : le sien, les Israéliens étant rejetés à la mer.

Les réactions de l’opinion publique, des médias et des politiques sont dans l’ensemble frileuses – n’a-t-on pas déjà assez de problèmes, pense-t-on ? Certains journalistes parlent explicitement d’« attaques des islamistes du Hamas », voire même soulignent les avertissements préalables lancés par l’armée israélienne aux Gazaouis pour que ses frappes ne fassent pas de victimes. Mais depuis qu’on est rassuré sur le sort immédiat d’Israël qui tient, malgré les milliers de missiles lancés contre elle, malgré les heurts opposant des Juifs et des Arabes d’Israël, et qui frappe à son tour sans relâche le territoire ennemi, domine une approche surtout compassionnelle, se contentant souvent d’indiquer le nombre de victimes et de souligner parmi elles la présence de femmes, et d’enfants.

La violence islamiste récolte ce qu’elle a semé. : l’horreur d’une guerre qu’on pourrait décrire d’ailleurs plus avant : combien de combattants du Hamas sont en train d’étouffer peu à peu dans des souterrains effondrés ?

Le Hamas fait le malheur des Palestiniens qu’il tient sous sa coupe. Et Israël est dans son droit quand il cherche à détruire les capacités de nuisances du Hamas, ses centres de commandement, des bases de lancements de missiles, ses souterrains. Il fait leur malheur et c’est ce que pensent nombre de pays arabo-musulmans, favorables à une solution négociée comme le montre la reconnaissance diplomatique récemment décidée par plusieurs d’entre eux.

(crédit photo : gaza strip | Flickr)

18 Mai 2021


[Point de Vue] L’islamo-gauchisme à la fac et ailleurs – par Pierre Rigoulot

L’islamo-gauchisme fait donc la une des gazettes. Le gouvernement, régulièrement accusé de se contenter de belles paroles et d’actions insuffisantes, comme ce fut le cas après le discours présidentiel de Poissy, est maintenant mis en cause pour ses mots. Il y a ceux qu’il oublie trop souvent, selon la droite, comme « islamisme » par exemple. Leur absence aurait pour fonction, selon ses soutiens, de ne pas « stigmatiser » une partie de la population mais elle a aussi pour conséquence de lui valoir le reproche de lâcheté et pour le moins d’imprécision. On a pu le constater quand une loi sur le « séparatisme » puis sur le « confortement du respect des principes démocratiques » fut préférée à une « loi contre l’islamisme ».

En dénonçant le développement de l’islamo-gauchisme à l’université, Jean-Michel Blanquer et Marlène Schiappa évitaient le premier reproche, celui de ne pas nommer l’ennemi, mais se voyaient mis en cause (par la gauche, surtout) pour le flou, l’inadaptation, voire l’origine politique du terme qu’ils employaient, celui d’ « islamo-gauchisme », par lequel ils pensaient désigner la complaisance, le rapprochement, voire l’alliance tout particulièrement dans les milieux universitaires d’une certaine extrême-gauche avec l’islamisme politique.

Huit cents enseignants et chercheurs de l’enseignement supérieur signèrent en réponse à ces mises en cause ministérielles un texte qui dénonçait la pertinence du terme et l’idée même d’un tel rapprochement : sorti des tiroirs d’une pensée d’extrême droite, l’« islamo-gauchisme » n’avait aucune légitimité scientifique. Il disait mal, en somme, ce qui n’existait pas. Pour les signataires, il n’y avait ni complaisance ni rapprochement et encore moins d’alliance de la gauche militante et radicale actuelle avec l’islamisme.

Les éclaircissements n’ont pourtant pas tardé de la part des défenseurs de l’utilisation de cette notion (il y en a, hors le gouvernement !), éclaircissements tant sémantiques qu’historiques. L’alliance entre révolutionnaires bolcheviks et musulmans hostiles à l’Occident ne date pas d’aujourd’hui : elle a été théorisée, développée et défendue il y a une centaine d’années, au Congrès de Bakou, congrès dit « des Peuples d’Orient », entièrement mis sur pied par l’Internationale communiste. L’islam, comme toute religion, restait aux yeux des communistes une illusion renvoyant dans un monde imaginaire la réalisation de la paix et de la justice entre les hommes. Mais, étant un système de croyances partagé par nombre de colonisés du monde capitaliste, l’islam devait être perçu aussi et surtout, dans cette conjoncture, comme une religion opprimée qui devait en conséquence bénéficier de l’aide des révolutionnaires. Ceux-ci partageaient – et partagent encore aujourd’hui – avec ses propagateurs les plus radicaux l’hostilité aux pays « impérialistes ». Après André Senik dans Histoire & Liberté, on peut citer l’étude historique de Matthieu Renault, L’empire de la révolution – Lénine et les musulmans de Russie, Pour le Chef des bolcheviks, « l’islam, en tant que religion d’une nationalité opprimée, devait elle-même être considérée comme une religion opprimée – thèse qu’allait bientôt retrouver et approfondir le militant bolchevique tatar Mirsaid Sultan Galiev. »1

Selon ce dernier (et ce n’était pas une simple opinion, Sultan Galiev étant un cadre communiste important , lié à Staline, « on accèderait à la société communiste en terre d’islam par la révolution nationale et le « djihad », par la lutte contre les impérialistes … »

L’islamo-gauchisme a donc bel et bien existé et s’afficha officiellement un temps.2 Reste à savoir s’il existe encore aujourd’hui en France et notamment dans ses universités. Pierre-André Taguieff a utilisé ce terme, il y a plus de vingt ans, pour désigner le rapprochement qu’il constatait entre certains courants d’extrême-gauche et l’islamisme politique dans le soutien à la cause palestinienne et dans l’hostilité à (le mot est faible : la volonté de destruction de) l’Etat d’Israël. Sans doute, le « gauchisme » que vise Taguieff n’a pas chez lui le sens péjoratif que Lénine lui donnait pour désigner des militants incapables de souplesse tactique. En parlant d’islamo-gauchistes, Taguieff désignait des courants d’extrême gauche ennemis de la démocratie libérale, opposés en l’occurrence à la critique de l’islam car désireux d’associer à leur combat global certains courants parmi les islamistes politiques. L’idée d’une convergence possible, voire d’une alliance volontaire entre les islamistes politiques et les « gauchistes » (au sens où en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis on parle de leftists, c’est-à-dire de militants de gauche et où en France, on distingue la gauche « classique » des gauchistes, méprisant la démocratie parlementaires et rejetant l’économie capitaliste) est bien présente aujourd’hui comme elle l’était hier au début des années 1920. L’expression d’islamo-gauchisme reste même valable pour désigner une certaine passivité face à la religion musulmane elle-même qu’on s’interdit de pouvoir critiquer, tournant le dos – fait gravissime – à des siècles d’exercice de la pensée critique et libre.

Comment ces militants d’extrême gauche justifient-ils ce rapprochement ? L’islam serait à leurs yeux  « la religion des pauvres » ou des « exclus », des « damnés de la terre » opprimés par l’impérialisme, susceptibles de remplacer un prolétariat occidental peu à peu diminué en nombre et aux aspirations révolutionnaires de plus en plus réduites. Cette dernière idée, soulignée par le conflit sino-soviétique et active dans le tiers-mondisme des années 1960, est aujourd’hui complétée par une nouvelle sensibilité hostile au racisme, se manifestant par la dénonciation de la poursuite d’une conception colonialiste des rapports avec les populations immigrées et par une certaine compréhension sinon approbation de la lutte radicale menée par les islamistes politiques. Sans doute, les gauchistes n’applaudissent pas ouvertement aux actions terroristes. Mais celles-ci sont considérées comme de mauvaises réponses ou des réponses maladroites à l’agression permanente subie par les musulmans, victimes par exemple en France d’un racisme d’Etat, d’une islamophobie rampante et de « discriminations systémiques ». L’islamisme politique qui s’y oppose serait ainsi porteur d’un « potentiel révolutionnaire » justifiant que l’on puisse passer des alliances avec certains de ses militants.

On peut même souligner, comme le fait Pierre-André Taguieff, un point commun aux islamistes et aux révolutionnaires d’extrême gauche qui rend plus plausible encore ce terme d’islamo-gauchisme : il constate chez les deux catégories de militants un vécu analogue, une certaine « préférence pour l’extrémisme », une certaine communauté de perception de notre réalité sociale, jugée « intolérable » et une aspiration à un monde juste, pour ainsi dire purifié, sans discriminations – substitut de la « société sans classes » ;–il souligne aussi la même propension même propension à idéaliser le sacrifice de soi pour une grande cause, qui nourrit l’admiration pour l’héroïsme révolutionnaire projeté sur la mort en « martyr » de l’islamiste politique. Voilà cerné un nouveau rapprochement, plus affectif, plus « moral » que les précédents.

Le terme d’islamo-gauchisme n’est donc ni une invention de l’extrême droite ni une catégorie particulièrement confuse, en tout cas elle ne l‘est pas plus que ne l’est « populisme » ou « complotisme », voire même « fascisme » ou « racisme », et il l’est certainement moins qu’« islamophobie ». Sans doute, comporte-t-il sa part d’obscurité comme tant d’autres catégories politiques et il faut continuer à l’évaluer, à le circonscrire et à l’utiliser prudemment, comme toutes les catégories politiques. Pourquoi, dans ces conditions, Le Monde dans son éditorial du 20 février 2021 affirme-t-il qu’il s’agit d’une «notion aussi hasardeuse que fourre-tout» ?

Bien au contraire, nous l’avons vu, historiquement, factuellement, et psychologiquement, cette expression d’islamo-gauchisme fait sens.

C’est l’université qui a été plus particulièrement désignée du doigt par Jean-Michel Blanquer et Frédérique Vidal, comme lieu d’épanouissement particulier de l’islamo-gauchisme. Il nous faut donc passer maintenant des lieux et des thèmes de « La France insoumise » et du NPA en général à ce qui se passe spécifiquement dans les universités. Là, les protestations du milieu ont été importantes (pas moins de 800 personnes, nous l’avons déjà souligné, ont signé un appel à la démission du Ministre de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal) et elles ne visaient pas seulement à nier l’existence de ce que pointaient du doigt les Ministres. On pouvait aussi constater un ton extrêmement violent dans ce texte (qui accusait entre autres Frédérique Vidal d’ « ânonner » ses critiques). Voilà qui montrait que les signataires avaient été piqués au vif. Même si « islamo-gauchisme » n’est pas une expression légitime, comme ils le prétendent, elle désigne une réalité problématique qu’il convient de détailler pour elle-même, même si la vieille revendication universitaire d’être un espace d’autonomie de liberté et de refus des contrôles doit être pour quelque chose dans cette vivacité du discours des enseignants et dans l’importance numérique des signataires. Ces « libertés » semblent menacées, la Ministre souhaitant « enquêter » sur le développement de cette idéologie au sein de l’Université.

En fait, même sans tenir compte des réactions aux « menaces » contre les libertés traditionnellement accordées aux campus, l’accusation a tapé dans le mille : l’islamo-gauchisme anime un grand nombre d’enseignements et de recherches qu’il faut préciser ici. Bien des « chercheurs » ou des « enseignants-chercheurs » sont des militants décoloniaux, indigénistes et pseudo-antiracistes, pro-islamistes et parfois même antijuifs, comme l’explique Taguieff, qui craignent que soit établie la médiocrité de leurs prétendus « travaux scientifiques » et dévoilées leurs actions d’endoctrinement et de propagande dans le cadre de leur enseignement ou sous couvert de colloques ou de séminaires militants. Leur confusion – volontaire, il faut le noter – entre recherche et combat idéologique les amène à refuser la liberté d’expression à leurs contradicteurs au sein du champ universitaire. Jetant aux orties les libertés académiques qu’ils revendiquent si fort face aux tentatives de contrôles, ils n’hésitent pas à empêcher les conférenciers dont ils n’aiment pas les idées de les exprimer librement .

Ce terrorisme intellectuel est clairement assumé par beaucoup, et même justifié « théoriquement » : la « cancel culture », prônée sur bien des campus américains, soutient qu’il faut annuler, supprimer (to cancel) la voix des ses adversaires. Paradoxalement, souligne encore Taguieff, on constate une inversion des accusations : les censeurs jouent les censurés, les destructeurs des libertés académiques prétendent les défendre, les vrais maccarthystes que sont les partisans du « woke » et de la « cancel culture » osent traiter de « maccarthystes » les défenseurs de la liberté d’expression.

Non seulement les adversaires n’ont pas à s’exprimer, mais ils devraient battre leur coulpe. Dans la pensée anhistorique qui est celle de nos islamo-gauchistes, une Faute morale a été commise avec la colonisation. Et tel le pêché originel, elle marque toutes les générations postérieures. Les « Blancs » de 2020 sont coupables de ce qu’ont fait les Blancs de 1830 ! Jean-François Braunstein évoque le cas de Houria Bouteldja, une des animatrices du Parti des Indigènes de la République, bien implanté à l’Université. Perçue comme «antiraciste» par de nombreux chercheurs de l’université, elle affirme que même le plus innocent devra quand même assumer « son histoire » depuis 1830. Pour elle, n’importe quel « Blanc », le plus antiraciste des antiracistes, le moins paternaliste des moins paternalistes, le plus sympa des sympas, devra subir comme les autres (…) Demain, il n’est pas dit que la génération qui suit acceptera la présence des Blancs.»

C’est ainsi que le racialisme devient une sorte de racisme à l’envers, les Blancs étant tous coupables, quoi qu’ils fassent ou disent.

Certaines universités, comme Sorbonne Paris-Nord, sont même particulièrement touchées par le prosélytisme islamiste. Ce que ne veulent précisément pas voir certains « gauchistes ». Les théories de chercheurs islamistes comme le Pakistano-américain Talal Asad ou la « spécialiste » du genre, l’Américaine Joan Scott sont leurs grandes références, explique Jean-François Braunstein et permettent d’envisager une « décolonisation de la laïcité » (sic)

Telle est la fourmilière dans laquelle le gouvernement vient de donner un coup de pied ; adepte d’un plaquage simpliste de réalités différentes, ces « indigénistes » et ces « décoloniaux » soutiennent que les immigrés ou leur enfants sont aujourd’hui encore traités en France comme des indigènes : le système colonial perdurerait dans les banlieues françaises.

Le simplisme des accusations, la violence avec laquelle elles sont formulées apportent de l’eau au moulin de ceux qui utilisent l’expression d’islamo-gauchisme et qui pensent être en droit de dénoncer son implantation et sa progression en milieu universitaire. Il y a quelque chose dans leur manière de s’exprimer qui n’est pas sans rappeler la propagande du temps de la Guerre froide. Mme Vidal « ânonne », à lire le texte des 800 universitaires ; le bestiaire communiste était seulement plus exotique. Les hitlériens américains allaient payer pour leurs crimes. Les Blancs se verront interdire d’aller et venir librement pendant des générations.

Il fut même un temps où les communistes opposaient une science bourgeoise et une science prolétarienne. De la même façon, la « vraie » science, c’est la science qui dénonce, qui milite. Elle est même une science du fait qu’elle dénonce et qu’elle milite.

Dans les nouvelles spécialités universitaires : études sur la race, études décoloniales, études sur le genre, l’ennemi (le mâle blanc hétérosexuel) est analogue au bourgeois occidental. Comme ce dernier, il est « essentialisé », c’est à dire que le fait d’être blanc est son identité dominante sinon unique – comme ses victimes le sont aussi et comme l’étaient jadis les prolétaires caractérisés par leur position sociale. La science n’a plus affaire à des objets de recherche : ce qui compte c’est l’adhésion à certains présupposés – hier la mission eschatologique du prolétariat, aujourd’hui le rôle émancipateur des femmes noires et lesbiennes, étant entendu que ne pourront parler de ces sujets que ceux qui sont en accord avec l’approche militante et victimaire de ces études, de la même façon qu’hier ne pouvaient parler de la marche de l’Histoire vers le communisme que les ouvriers « conscients » et de rares intellectuels qui étaient parvenus à se débarrasser de leur gangue bourgeoise.

Comme on le voit, l’islamo-gauchisme ne se réduit ni à une alliance volontaire ni même à une approche naïve de l’islamisme politique par une partie de la gauche et de l’extrême-gauche. C’est toute une nébuleuse qui peut s’associer (elle n’y participe pas nécessairement cependant) aux simplismes du « racialisme » (avec sa détermination de l’individu par la couleur de peau) ou du néo-féminisme agressifs et incompatibles l’un comme l’autre avec la déontologie de l’enseignement universitaire; une nébuleuse qui retrouve aussi un ton et des cibles analogues à ceux du mouvement communiste d’hier, lors de ses phases les plus sectaires.

Pierre Rigoulot

1. Alain Gresh a fait une recension de cet ouvrage dans la revue Politis

2. Quand le parti communiste privilégie d’autres alliances, l’islam est abandonné sans état d’âme : Sultan Galiev est exclu en 1923 et finalement fusillé en 1940.

24 Mar 2021


[Point de Vue] A propos de l’islamo-gauchisme : le concept de lutte des classes est le virus souche qui prolifère et qui mute – par André Senik

S’il est vrai que l’expression islamo-gauchisme mérite d’être analysée et discutée sur le plan sémantique, comme tout néologisme articulant deux termes issus de champs lexicaux différents, elle n’en désigne pas moins très clairement sa cible : ceux qui sont qualifiés de gauchistes non pas au sens péjoratif que Lénine donnait à ce qualificatif mais au sens d’ennemis de de la démocratie libérale se situant sur la gauche de la gauche et qui s’opposent à toute critique de l’Islam auquel ils veulent s’associer dans leur combat global.

Pour ceux qui connaissent l’histoire du mouvement communiste, la réalité historique et politique de cette alliance paradoxale ne tolère pas le moindre doute. Dans les années 20 du siècle dernier, à l’occasion du congrès de Bakou, Lénine en fut le premier défenseur.

Pour répondre à ceux qui récusent l’expression comme n’étant pas un concept scientifique, le mieux est de convoquer à la barre des témoins des partisans assumés de cette ligne politique marxiste-léniniste.

J’en ai repéré un dans la livraison de novembre 2020 des Nouveaux Cahiers du Socialisme. Il s’agit de Matthieu Renault, qui vient de publier L’empire de la révolution – Lénine et les musulmans de Russie. À la question  » Y a-t-il eu, chez Lénine, des différences dans la façon d’aborder les préjugés religieux orthodoxes et musulmans ? », il répond. « Oui clairement. La différence fondamentale à ses yeux peut être résumée simplement : l’islam, en tant que religion d’une « nationalité » opprimée, devait elle-même être considérée comme une religion opprimée – une thèse qu’allait bientôt retrouver et approfondir le militant bolchevique tatar Mirsaid Sultan Galiev. »

Dans la même interview, on peut lire plus bas :  « Peu de temps après la publication de mon petit livre sur Lénine, Alain Gresh en a fait une recension dans la revue Politis, sous le titre « Lénine, précurseur de l’islamo-gauchisme ». Pour ne rien cacher, j’ai pensé qu’il avait dit tout haut ce que j’avais pensé tout bas, ou presque, puisqu’il y a bien une référence à l’« islamo-gauchisme » dès la première page du livre (…). »

Si le concept ainsi assumé n’apparaît toujours pas assez clairement à certains intellects, l’illustration ci-dessous pourra peut-être ouvrir quelques yeux.

André Senik

Quand les communistes d’Iran se rallièrent à Khomeiny par hostilité aux États Unis, ils firent preuve d’un islamo-gauchisme caractérisé.

Quand Michel Foucault fit comme eux, il confirma la validité de l’expression.

Quand Edwy Plenel, Emmanuel Todd et Jean-Luc Mélenchon défendent les Musulmans qui seraient les damnés de la terre d’Occident, ils sont des islamo-gauchistes, c’est-à-dire les idiots utiles de l’islamisme qui est anti-occidental comme eux, bien que tout le reste les oppose.

La véritable difficulté de l’expression forgée par Pierre-André Taguieff ne réside d’ailleurs pas dans la compréhension du concept – dans la définition que ses utilisateurs lui donnent – mais dans son extension, dans son application à des courants qui ne se revendiquent ni du gauchisme ni de l’Islam, mais qui font néanmoins partie d’une même mouvance victimaire agressive et anti-système. Cette mouvance disparate tente de s’unifier en invoquant l’image de l’intersectionnalité.

On ne peut pas apposer l’étiquette d’islamo-gauchistes aux néo-féministes qui mènent la lutte contre tous les hommes, ni à tous ceux qui mènent la guerre contre l’homme blanc hétérosexuel, ni aux islamistes eux-mêmes.

Ce qui permet de les ranger sous une même catégorie c’est leur commun rejet de la société démocratique, républicaine et libérale qu’ils appellent le système.

Tous mènent la guerre sociétale, culturelle et politique contre notre société, contre ce système qu’ils accusent de les dominer. Cette guerre civile, qui est culturelle et politique, est menée sur divers fronts, mais chacun des segments de cette mouvance reprend à son compte la vision de la lutte des classes qui fut conceptualisée par Marx à propos du conflit entre prolétaires et capitalistes.

Le virus souche de la guerre civile se trouve chez Marx, mais il a proliféré et il a muté.

Cela nous invite à rappeler les traits principaux qui caractérisent la lutte de classe du prolétariat selon Marx.

Cas unique dans les classifications, cette classe de la société n’existe que par son antagonisme avec celle qui l’exploite.

les membres d’une classe sociale en lutte sont entièrement déterminés par cette appartenance.

Ils n’ont rien en commun avec les autres classes et donc avec les autres humains : ni intérêts réciproques, ni intérêt général, ni patrie, ni culture, ni langage.

La société de classes qui se présente comme une association n’est en réalité qu’un théâtre d’une guerre civile sans merci et sans compromis.

l’État, le Droit, la culture, les institutions ne sont QUE des instruments au service de la classe exploiteuse et dominante.

La classe des prolétaires ne se bat pas pour l’abolition de privilèges, pour de nouveaux droits, pour l’égalité ou pour la justice, au nom d’une conception universaliste des droits des humains. Elle revendique la dictature totale et la disparition de son autre.

La classe révolutionnaire traite les autres idées que les siennes comme des ennemis avec lesquels on pratique la lutte des classes.
Enfin, quand la classe des exploités recourt à la violence, c’est par principe et toujours en réponse à la violence que la société exerce sur les exploités, que cette violence soit physique ou mentale.

Les différents segments de la mouvance qui mène une guerre culturelle contre la société démocratique reprennent à leur compte cet antagonisme total et radical qui caractérise le paradigme marxiste de la lutte des classes, tout en l’appliquant à d’autres domaines de lutte.

Le virus marxiste a viré en ceci : le critère marxiste de l’exploitation du travail a été remplacé par celui d’une domination imputée au système; la prolifération du virus à des segments totalement hétérogènes aboutit à une intersectionnalité illusoire des ennemis de la société démocratique, républicaine et libérale.

Les trotskistes du NPA peuvent laisser les filles portant le voile islamique faire de l’entrisme au sein de leurs organisations, cela ne rapprochera pas ces musulmanes respectueuses de la charia de la vision du monde trotskiste. Cela ne fera pas naître le mythique front commun – dont les trotskistes rêvent sans jamais se réveiller- unissant dans la lutte les néo-féministes radicalement misandres et les jeunes filles voilées radicalement musulmanes.

L’alliance des gauchistes avec l’Islam et les autres foyers révolutionnaires ne peut être que négative : une seule détestation , la démocratie libérale. Elle produit de l’anomie et ne peut déboucher sur aucun projet alternatif de société.

Si le virus déconstructionniste qui nous est revenu des universités américaines parvenait un jour à désagréger nos sociétés, ce ne serait ni l’islam ni le gauchisme qui ramasseraient la mise.

Quelles mesures barrières peut-on opposer à ce virus mutant et polymorphe?

À la lumière de notre expérience du communisme, nous devons défendre sans inhibition notre société, parce qu’elle est celle qui proclame et promeut plus que toute autre dans le monde et dans l’histoire les droits des groupes qui prétendent que cette société les domine et les discrimine.

Les progrès de toutes sortes que notre société doit accomplir pour éviter l’aggravation de toutes les frustrations, elle doit et elle peut les accomplir sur la base de ses propres principes.

3 Mar 2021


Le Voile dans l’espace public ?

Suite au débat entre Marine Le Pen et Gérald Darmanin, je propose à la discussion les remarques suivantes

1° Darmanin avait entièrement raison contre MLP quand il lui expliquait que si l’islamisme est effectivement une idéologie totalitaire à combattre en tant que telle, sa différence d’avec les autres idéologies totalitaires est qu’il est une idéologie politico-religieuse. Or la séparation entre l’Église et l’État est souvent comprise comme une non ingérence réciproque, comme si la religion était sanctuarisée.

2° Or, le lien entre l’islamisme et l’Islam  oblige l’État à prendre position sur les idées diffusées par une religion (ou au nom d’une religion)) et même sur la façon dont ces idées se manifestent dans l’espace public sous des formes vestimentaires.

3° D’où la question délicate : au nom de quoi a-t-on le droit de combattre le port du voile islamique dans l’espace public ? Pas au nom de la laïcité qui ne prescrit pas la neutralité vestimentaire dans l’espace public.
Est-il juridiquement possible de l’interdire en tant que signe de soumission à l’islamisme qui n’est pas imposé par l’Islam, un peu comme s’il s’agissait d’un brassard portant a croix gammée pendant la guerre ou la faucille et le marteau pendant la guerre froide?

4° le minimum possible est de dénoncer l’exception séparatiste que constitue le port du voile ostensible dans l’espace public, là où les autres religions pratiquent la discrétion. Mais légiférer parait délicat. On peut au moins sans problème faire remarquer que le port ostensible du voile  religieux est un signe d’auto-exclusion agressive.

André Senik

14 Fév 2021


Conforter les principes républicains ? Echange de P. Rigoulot et A. Senik autour du projet de loi dit de confortement des principes républicains

Le texte dit de confortement des principes républicains, actuellement en cours de discussion au Parlement, suscite bien des réactions. Philippe d’Iribarne, que nous avons eu le plaisir de recevoir à l’Institut d’histoire sociale, a par exemple publié dans Le Figaro un texte clair, cernant bien les problèmes en distinguant la foi de chaque musulman des prescriptions sociétales tirée du Coran. Distinction importante bien qu’on puisse lui objecter qu’une religion n’est jamais seulement une affaire spirituelle sans vision sociétale. L’Eglise catholique le prouve encore aujourd’hui.

André Senik a, le premier parmi nous, émis quelques remarques sur le texte gouvernemental comme sur celui de d’Iribarne dont il propose au fond un commentaire critique.

L’Exécutif, écrit Senik, peut sans problème se déclarer publiquement hostile à l’idéologie politico-religieuse qu’est l’islamisme. Mais il ne peut pas la nommer particulièrement, dans une loi dont la portée doit toujours être générale.

On se souvient que l’Allemagne fédérale avait interdit le KPD mais qu’elle n’avait pas interdit la propagande marxiste.

Aujourd’hui, la République française peut dissoudre les organisations islamisées, mais elle ne ne peut pas porter de jugement global sur l’Islam, pour lui donner un blanc seing, pour le rejeter, ou pour demander aux musulmans de purger leur religion. Ce serait une ingérence contraire à la fameuse ligne de séparation des religions et de l’Etat.

La nouveauté de la situation actuelle dans le rapport entre les religions et la République, c’est qu’il n’y a plus de cloison étanche : les religieux ont le droit d’intervenir dans les débats de société en tant que religieux et la République peut combattre certains aspects d’une religion quand ils sont de portée sociétale :  la religion doit être alors traitée comme les autres idéologies

La République peut dire ce qui la concerne elle-même : quels sont les principes et quelles sont les lignes rouges qu’elle défend et qu’aucune religion ni aucun aucune idéologie ne peuvent franchir sans tomber sous le coup de la loi.

Ce rappel ne peut pas prendre pour cible une seule religion.

Cela ne signifie pas qu’on doive interdire le port de la kippa comme celui du voile islamique ou du burkini , car la signification du port de ces tissus n’a rien d’identique.

J’aimerais poursuivre ici cette réflexion de notre ami Senik et m’en inspirer pour apporter mon soutien au texte proposé pour conforter les principes républicains

Une majorité de Français avait apprécié que l’ennemi soit désigné lors du discours présidentiel des Mureaux, et qu’on fournisse des armes législatives contre lui en conséquence d’une perception de l’islamisme ou islam politique comme ennemi d’une démocratie comme la notre.

On reproche aujourd’hui au texte législatif de ne pas nommer cet ennemi et pire, d’avoir retiré les chefs d’accusation explicités au lendemain de la décapitation de Samuel Paty, et notamment le « séparatisme ». On ne regrettera pas ce dernier retrait qui, pour explicité qu’il soit, était en deçà des attentes. Les islamistes ne cherchent pas seulement à se séparer, en effet. Ils cherchent à vaincre et à conquérir. Le séparatisme (idéologique, culturel, institutionnel) n’est qu’un élément d’une entreprise globale de conquête.

Et puis, gagne-t-on toujours à nommer l’ennemi? Pas si sûr. Le nommer, c’est lui accrocher la médaille d’opposant majeur quand ce n’est pas celle de minorité persécutée. En tout cas, le texte législatif actuellement en discussion au Parlement ne le fait pas pour trois raisons, je pense. La première est évidente : une loi ne peut s’en prendre à une institution ou à une minorité particulières.

Deuxièmement, il est impossible en démocratie d’interdire telle ou telle foi religieuse. Ce qu’il est seulement possible d’interdire, ce sont des prescriptions sociales incompatibles avec l’ordre démocratique libéral actuel.

La troisième raison est d’ordre politique et même tactique. Faire passer une loi qui renforce des principes républicains, c’est prendre au mot des gens qui prétendent les respecter et c’est isoler les autres, sans rejeter la majorité des musulmans. Tactiquement, la manoeuvre est bonne. On ne veut pas voir cet aspect de la démarche présidentielle parce qu’on ne veut pas penser qu’elle est au fond anti-islamiste même si elle n’en a pas toutes les apparences.

Le Rassemblement national, par exemple pense non seulement qu’il faut nommer l’ennemi, mais justifier la désignation par la nature même de l’islamisme comme un totalitarisme. Nous sommes d’accord avec cette qualification. Dans Histoire et Liberté et dans nos colloques, nous l’avons répété sans cesse. Mais peut-on interdire l’adhésion à une idéologie? A une institution qui s’en réclame et qui représente un danger pour la société démocratique dans laquelle nous vivons, oui. A un groupe qui vise l’ordre public sous les pires formes (des attentats aveugles), oui également. Comme André le rappelle très justement, la République fédérale d’Allemagne avait interdit le KPD, le parti communiste allemand. Mais elle n’interdisait pas la propagande marxiste et léniniste.

On ne doit pas comme le pense Jean-Paul Garraud, l’eurodéputé RN qui présente le contre-projet de son parti, interdire purement et simplement une idéologie comme telle.

Sans doute, le contrôle des préconisations sociales, pour le coup séparatistes, comme celles qu’on peut valoriser dans le cadre d’un enseignement hors de l’Ecole de la République, gène-t-il des structures scolaires juives ou chrétiennes qui vont être davantage surveillées. Mais nous le savons : il n’y a pas actuellement d’institution scolaire subversive de ce côté-là et la dénonciation d’une atteinte aux libertés dans l’annonce de contrôle supplémentaire tombe à plat : ces contrôles ne les empêcheront pas de fonctionner. On sait qui est effectivement visé même si on ne le crie pas de manière provocatrice sur les toits.

Pour revenir au texte de Philippe d’Iribarne paru le 2 février qui reproche au projet législatif gouvernemental de ne pas bien distinguer la foi et les prescriptions d’ordre social. Il me semble qu’il n’est pas nécessaire d’évoquer une ou la religion dès lors que la pratique qu’elle inspire entre en contradiction avec les principes démocratiques et républicains. Les autorités d’un Etat démocratique n’ont pas à proposer explicitement des modifications du contenu religieux ou en tout cas de leur perception par les croyants même si l’objet de l’ « islam de France » que cherche à mettre sur pied revient implicitement à cela, en tout cas à long terme.

Pierre Rigoulot

8 Fév 2021


Réconcilier les mémoires?

Je trouve qu’Emmanuel Macron se trompe en voulant « réconcilier les mémoires. »

Réconcilier la mémoire des partisans du FLN avec la mémoire des harkis massacrés et des Pieds noirs expulsés ?

On ne peut réconcilier les survivants et les descendants de cette histoire qu’en adoptant des deux côtés une mémoire commune fondée sur la vérité historique.

Or, ni Benjamin Stora, ni les historiens officiels de l’Algérie, ne semblent disposés à dire la vérité et les vérités d’une façon objective sur la colonisation, sur la guerre d’Algérie, et sur ses conséquences. .

Voici en quelques lignes ce que j’aurais aimé entendre dans la bouche de Macron :

Ce qu’un chef d’État devrait dire aux jeunes issus d’une immigration qui a commencé il y a plusieurs générations, c’est de se demander pourquoi leurs ascendants ont choisi d’immigrer en France

N’est-ce pas la preuve qu’elle était à leurs yeux tout le contraire d’un repoussoir : aucune religion n’y est discriminée; aucune n’y exerce sa domination ou même sa terreur; aucune forme de racisme n’y est tolérée par la loi; les droits des hommes et des femmes y sont respectés à égalité comme dans très peu de pays et les services publics sont au service de tous.

Il est vrai qu’on peut ne pas trouver aisément son identité et sa place dans la société quand on est issu d’une autre culture que celle du pays qui vous accueille. Cela suppose un effort d’adaptation.

Mais la France n’est pas responsable de cette difficulté d’insertion. À preuve les autres vagues d’immigration, et à preuve aussi les descendants de votre immigration qui ont magnifiquement réussi leur intégration, grâce en particulier à leurs efforts au sein de l’École de la République.

Votre avenir en France ne dépend que de vous. Il dépend de votre choix : soit vous choisissez de vous intégrer et de vivre comme les autres Français, soit vous choisissez de vous replier sur ce qui vous différencie et qui vous oppose aux autres Français.

Les obstacles à votre intégration et à votre réussite ne proviennent pas de la société française. Ces obstacles, ce sont la victimisation, le repli identitaire, le rejet de la culture française. En un mot : l’islamisation. Tels sont les obstacles qui peuvent vous empêcher de devenir des Français à part entière.

Si vous vous considérez comme des Français musulmans, ce qui est votre droit, alors comportez-vous comme le font les Français qui se considèrent comme des Français catholiques, protestants, juifs, agnostiques, bouddhistes ou sans religion, c’est-à-dire sans repliement communautariste. Vivez comme eux et combattez avec eux l’offensive islamiste qui veut imposer la charia à vous et aux autres Français.

L’accusation d’islamophobie, c’est-à-dire de racisme antimusulman, qui est adressée à ceux qui combattent l’islamisme conquérant, n’est qu’un mensonge.

La France, et d’abord dans l’École de la République, traite toutes les religions de la même façon, et l’Islam n’y fait pas exception. Les caricatures de nos dessinateurs n’épargnent aucune religion et ne visent les croyants d’aucune religion.

Nous ne confondons pas, et vous non plus vous ne devez pas confondre, l’Islam comme religion vécue pacifiquement, et l’islamisme conquérant qui veut nous imposer un autre type de civilisation.

L’islamisme conquérant nous combat à cause de nos valeurs de liberté et d’égalité, à cause notre mode de vie. Cet islamisme conquérant est une idéologie politico-religieuse agressive et totalitaire. C’est lui l’agresseur que les Français de toutes convictions et de toutes origines ont le droit et le devoir de combattre.

Si vous souhaitez persévérer dans le choix de vos ascendants, et si vous faites le choix de vivre en Français, vous êtes pleinement des nôtres.

Vous êtes ici chez vous, non parce que vous y êtes nés, sans l’avoir choisi, mais avant tout parce que vous choisissez librement d’y demeurer et de vous y intégrer sur tous les plans.

Si vous voulez être des nôtres, faites comme chez nous.

André Senik


Discussion Jean-Louis Carillon & André Senik

Jean Louis Carillon – Si jamais Mourad entendait vos propos, je redoute sa réponse : Pourquoi voulez-vous que nous soyons des vôtres ? Pourquoi voulez-vous que nous renoncions à être nous-mêmes ? Votre discours ethnocentrique ne s’adresse qu’à vous-mêmes, incroyants qui ignorez, méprisez et bafouez Dieu tout-puissant. La parole du Prophète ne s’use pas comme la vôtre. Votre monde scandaleux la fortifie.Mourad existe, même s’il est minoritaire, même s’il a tort, même si nous ne l’approuvons pas. Le propos d’André Senik est la voix de l’humanisme à laquelle Mourad a droit de réponse. André Sénik aura bien sûr droit de réponse à la réponse de Mourad. La question réelle est de savoir comment faire entendre notre raison à Mourad, ou comment cantonner Mourad, ou comment ignorer Mourad.S’il n’y a pas de réponse possible, encore faut-il le dire : est-il sage d’attendre la paix au Moyen-Orient ou la dissolution de la menace par elle-même ? Déjà, on ne savait pas gérer l’anarchisme qui mina la Russie ou brilla à Sarajevo. Que peuvent « Les Lumières » contre le nombre et l’économie de la drogue ?

André Sénik – J’ai effectivement écrit que j’aimerais qu’on dise à ceux qui nous viennent d’ailleurs « «  si vous voulez être des nôtres, faites comme chez nous  » », et non pas « faites comme chez vous ». L’adage « Soyez Romains à Rome » n’est pas un point de vue humaniste, c’est la moindre des exigences d’une société dont l’humanisme consiste à accueillir ceux qu’elle veut et peut accueillir sans se nuire à elle-même. Que répondre à Mourad qui veut nous imposer sa conception de la vie? Que s’il ne veut pas nous laisser vivre à notre gré, qu’il aille vivre à son gré ailleurs, car nous ne le laisserons pas nous imposer sa volonté. Nous devons plus clairement encore mettre les jeunes issus de l’immigration devant cette alternative. Je rappelle au passage que je ne suis pas partisan d’imposer le modèle assimilationniste défendu par Causeur. Je suis partisan de proposer l’intégration sans éradication des autres origines, mais seulement de ce qui est incompatible avec notre mode de vie. Bonne année.

JLC – Pieuserie !  Tout le monde intelligent pense ainsi depuis plus de 40 ans. L’état des lieux dressé par Iannis Roder (rapport dans le cadre de la Fondation Jean-Jaurès et l’IFOP – Figarovox 7/1/2021) mentionne que «  26 % Français musulmans de moins de 25 ans ne condamnent pas les auteurs de l’attentat de Charlie-Hebdo et 74 % d’entre eux font passer leurs convictions religieuses devant les lois de la République.

A.S. – Où est notre désaccord  ?

JLC – Je ne crois pas que les maîtres d’école parviendront à convaincre Mourad. Mourad n’est même plus expulsable : personne n’en veut, surtout pas les pays musulmans. Mourad risque de provoquer la cassure de la société française. La «  montée aux extrêmes  » analysée par Raymond Aron est latente, en cours. Il semble que tous préfèrent rester dans les mots.  Sans doute sont-ils incapables de faire plus, soit par ignorance, soit par facilité, soit par crainte.

A.S. – Je ne crois pas qu’on puisse faire changer d’avis  les jeunes qui sont gagnés à l’islamisme par des raisonnements.  J’ai été stalinien à leur âge est aucune argumentation rationnelle n’aurait pu me faire changer d’avis à cette époque. J’ai énoncé ce que je crois être le discours que l’École doit adresser frontalement et abruptement aux jeunes issus de l’immigration : si vous souhaitez  être acceptés par les Français, faites comme chez eux. Ne reprochez rien au pays où vous choisissez de vivre : votre avenir ne dépend que de vous, car la France ne pratique aucune discrimination à votre égard. 
Mais il ne sert à rien non plus d’accuser «  tous  » ceux qui doivent agir, car cette accusation globale n’est ni juste ni productive.

JLC – L’Ecole n’est plus capable d’adresser ce discours «  frontalement et abruptement  ». Ce discours est vain puisque  «  on ne peut faire changer d’avis les jeunes gagnés à l’islamisme par des raisonnements  ». La bonne conscience philosophique ne fait pas une politique. Je n’accuse personne. Je constate l’état des lieux

9 Déc 2020