Chers amis,
Une vingtaine de personnes ont participé, à l’invitation des Amis d’Histoire & Liberté à la réunion du 9 mars dont, évidemment, l’ordre du jour avait été bouleversé depuis l’invasion de l’Ukraine. Lors de la dernière réunion, du 25 février, nous imaginions pouvoir parler posément de la Chine. Cela n’a pas été le cas, même s’il en fut question, la Chine étant une donnée à prendre en considération, notamment quand on réfléchit aux dommages des sanctions occidentales sur l’économie et les finances russes. la Chine ouvrira-t-elle – ou non – une porte de sortie à l’économie russe affaiblie par les sanctions?
Plusieurs thèmes de discussions ont été abordés et doivent être repris en vue d’une publication sous des formes à déterminer :
-les motivations de Poutine,
-les effets de son invasion
-les enjeux qu’implique l’invasion poutinienne de l’Ukraine et la résistance qui lui est opposée.
1- Les motivations de Poutine
Il y a les motivations affirmées par Poutine lui-même : la nécessité de lutter contre les « drogués nazis » qui règnent à Kiev. Derrière ces absurdités, deux sous-thèmes :
– le fait qu’il s’agisse de préserver l’unité des Ukrainiens et des Russes, au fond un même peuple, que seul l’appel des sirènes occidentales divise et pousse à diviser.
– les Russophones du Donbas et de Lugansk ou de Crimée ayant été mis à l’abri des « séparatistes » de Kiev et des décadents ouest-européens continuant de tisser des liens avec le reste de l’Ukraine, le « travail » doit être poursuivi et l’entreprise séparatiste du gouvernement Zelenski mise hors d’état de nuire.
Au fond de cette politique et de cette guerre poutiniennes, il y a donc l’idée que L’Ukraine séparée n’a pas d’existence légitime et que son séparatisme est le fruit des illusions créées par l’Union européenne et par ses ambitions.
Une question grave doit ici être posée : Poutine veut-il « récupérer » l’Ukraine ou porter le fer jusqu’au sein de l’Union européenne?
La question se pose d’autant plus qu’un texte décrivant les objectifs finaux de la Russie a été accidentellement mis en ligne le 26 février dernier par l’agence russe Ria Novosti, agence de presse russe d’État. Ce texte qui a été sauvegardé aux Etats-Unis puis traduit par la Fondation pour l’innovation politique, avant qu’il soit retiré, en dit long sur les intentions de Vladimir Poutine.
On y comprend que si son but a été d’emblée d’envahir l’ensemble de l’Ukraine pour récupérer un territoire considéré comme perdu depuis 1991, il s’agit au-delà pour lui de redéfinir l’espace mondial en récupérant les territoires perdus au moment de l’effondrement du bloc soviétique et de « revenir aux anciennes frontières qui allaient anciennement jusqu’au mur de Berlin. »
Avec l’entreprise guerrière de Poutine, nous assistons ainsi à « la construction véritable d’un nouvel ordre mondial dans la perspective de la russification totale de l’Ukraine et de la Biélorussie. » L’unification de l’Europe de l’est et de l’Europe de l’ouest, ajoute le texte, n’a été rendue possible que par celle de l’Allemagne. Autant dire que la partie est de l’Allemagne aurait pu et dû être conservée par les Soviétiques !
Quoiqu’il en soit, et comme souvent avec Poutine, une double lecture est possible selon qu’on retient sa dimension autoritaire voire fasciste, d’une part, ou sa dimension communiste d’autre part.
Dans le premier registre, la Russie cherche à réaffirmer sa position dominante sur les populations russophones, voire slaves. Dans le second registre, il s’agit de récupérer (au moins) une partie de ce que l’URSS a perdu en territoires et en population.- lors de son effondrement de 1991, une immense catastrophe, comme Poutine l’a toujours dit.
Ce n’est pas de folie qu’il s’agit – en tout cas pas de folie plus grande que celle de Brejnev, de Khrouchtchev, de Staline ou de Lénine. Les dirigeants soviétiques et même les dirigeants russes antérieurs à l’URSS ont une vision de leur pays quelque peu mégalomaniaque.
Il y a un peu moins de 200 ans, en 1831, le Tzar réprimait dans le sang le mouvement national polonais et provoquait en France un flot de réfugiés. Pour la Russie puis l’URSS les Slaves doivent être unis sous la tutelle russe – sur ce point, le rapprochement avec Hitler, protecteur des Allemands d’Europe centrale et particulièrement des Suèdes, est parfaitement légitime. Mais le texte porté à notre connaissance par la Fondation pour l’innovation politique évoqué plus haut va même plus loin puisqu’il diagnostique la fin de la puissance occidentale à qui il s’agit au fond de donner le coup de grâce. La fin du monde occidental, dont la faiblesse se manifeste par son incapacité à faire la guerre, est à l’ordre du jour, voilà de quoi réjouir un communiste qui y verra facilement une transposition du Grand Soir et de la défaite du capitalisme.
Cette réflexion sur les motivations de Poutine doit être poursuivie., notamment avec la lecture de l’ouvrage de Michel Elchaninoff, Dans la tête de Poutine (Solin-Actes sud 2015). Approfondir en particulier la dimension communiste des ambitions poutiniennes tout en sachant qu’elle n’est pas la seule devrait motiver notre groupe étant donné son expérience d’étude de l’idéologie et de la pratique communistes. La dimension religieuse est intéressante aussi comme le montre le portrait du patriarche Kirill en oligarque et idéologue, par F. Thom dans le N°154 de la revue Commentaire.
2- Les effets de l’invasion
Ceux-ci sont dramatiques :
-2 millions de réfugiés auraient déjà fui l’Ukraine, 20 000 morts et blessés, civils et militaires, partagés dans les deux camps constituent une estimation qui n’est pas dénuée de fondement.
-Menaces sur l’avenir : des prix qui vont grimper et pas seulement en France. On se demande déjà si l’Egypte et l’Algérie pourront nourrir leur population…
Mais des effets beaucoup plus positifs sont apparus. D’abord la résistance inattendue des Ukrainiens, leur patriotisme et leur courage. On voit bien qu’après 30 ans d’indépendance, une conscience nationale ukrainienne s’est formée.
Cette résistance inattendue, on la retrouve aussi dans l’ensemble de l’Europe démocratique qui a compris la menace que faisait peser sur elle un Etat russe si peu respectueux du droit international.
La crise ukrainienne est même l’occasion d’une petite révolution : l’Allemagne sort de 75 ans de pénitence et investit massivement dans les achats d’armement.
Cette unité européenne plus grande est aussi une plus grande unité nationale en France même, où les poutinolâtres, pour reprendre le terme de Franc Tireur dans con numéro du 2 mars, sont largement mis en cause.
Marine Le Pen et Eric Zemmour paient fort cher leur présentation de l’action de Poutine comme une réponse légitime à des menaces venues de l’OTAN ou inspirées par le « mauvais exemple » du Kosovo; arraché à la Serbie comme l’ont été le Donbas et Lugansk à l’Ukraine.
Cet aspect de notre travail à venir est important puisqu’il s’agit de critiquer les intellectuels, les hommes politiques, les journalistes qui soutiennent Poutine ou lui trouvent diverses excuses. On conseillera ici la lecture des Réseaux du Kremlin en France de Cécile Vaissié ( Les Petits Matins 2016).
Que faire d’autre ? Qu’est-ce que notre petit groupe peut faire? L’action humanitaire est prise en main par de nombreuses associations; le gouvernement lui-même pousse à l’accueil de réfugiés ; les préfets insistent auprès des municipalités; des vivres, des vêtements, des médicaments sont envoyés en Pologne en Ukraine et ailleurs. De ce point de vue, on a l’impression de revivre un peu la période d’aide à Solidarnosc fin des années 70, début des années 80.
Peut-on aider les opposants russes à la guerre? Les premier renseignements donnés par ceux connaissent bien la Russie étaient peu encourageants :les anti-guerres se cachent et l’aide peut difficilement leur parvenir. Mais l’expérience très positive d’un ami de Bruxelles qui adresse des textes d’information sur la réalité du front ou sur les ambitions de Poutine doit être retenue.
S’il existe des poutinolâtres en Europe occidentale, il y a aussi des poutinophobes en Russie. Il faut les aider en leur adressant par le net des textes sur la réalité ukrainienne. Nous pouvons passer pour cela par des amis sûrs.
Les enjeux
-Il y a des enjeux immédiats : gagner cette guerre paraît impossible. Mais la prolonger, mener une guérilla active peut mettre Poutine en difficulté, notamment dans les rangs de l’armée. Les étonnantes difficultés logistiques de l’armée russe, le courage des combattants ukrainiens, l’aide occidentale discrète qui leur est apportée, rendent plausible ce qui semblait tout à fait impossible au début de la guerre : un échec militaire (et je n’ai pas dit une défaite) russe.
– Il y a des enjeux intermédiaires. On se rend compte que la démocratie a besoin d’un minimum d’indépendance énergétique faute de quoi elle sera à la merci de ses adversaires. A moyen terme, tiendrons nous sans gaz russe? Sans blé ukrainien?
Le rôle de la Chine est ici important : Les sanctions européennes seront-elles efficaces ou Poutine peut-il compter sur l’aide chinoise, en tout cas sur une collaboration chinoise? L‘attitude de la Chine a été prudente jusqu’ici, et ambigüe . Elle n’a pas parlé d’invasion russe mais elle ne s’est pas rangée non plus aux côté de l’Érythrée, de la Corée du Nord et de la Syrie. Son intérêt est-il de jouer le rôle de parrain, du Maître des horloges à venir ou de soutenir la Russie dont les objectifs hostiles à l’Union européenne sont complémentaires des buts de Xi Jinping de combattre l’idéologie démocratique libérale, comme cela a été fortement rappelé dans le communiqué commun en date du 4 février 2022.
L’enjeu, ici, est la capacité de l’Union européenne à équilibrer mieux qu’aujourd’hui notre développement et notre indépendance énergétique, c’est à dire, au fond, à pouvoir se défendre quand cela est nécessaire. C’est en réglant cette question qu’on pourra choisir un mode de relation plus équilibré avec l’OTAN et les Etats-Unis
– Il y a enfin un enjeu lointain, celui de la capacité des démocraties à résister aux Etats totalitaires ou autoritaires qui leur sont hostiles. Il ne s’agit pas ici seulement de la défense de l’Union européenne mais de la démocratie dans le monde. Devant l’incapacité de l’ONU à faire respecter le droit international, notamment du fait du droit de veto communiste chinois et russe, ne faudrait-il pas oeuvrer, pour diminuer la dangerosité générale des totalitarismes, à la mise sur pied d’une large association des Etats démocratiques? Il s’agirait de se donner l’outil le plus efficace possible pour bâtir une alternative crédible à l’ordre mondial dont rêvent Poutine et Xi Jinping.
Toute objection, critique, information complémentaire sera bienvenue dès maintenant. Elle peut être adressée à notre blog <histoireetliberte.fr> et nous en tiendrons compte pour établir l’ordre du jour de notre prochaine réunion. Celle-ci se tiendra au même endroit que les deux précédentes, au Café du Pont Neuf, 14 quai du Louvre, 75001-Paris, le mercredi 30 mars de 18h à 20h.
Pour les Amis d’Histoire et Liberté
Pierre Rigoulot