Les mots qui manquent dans les livres récents relatifs à la Chine

La liste s’allonge de livres, francophones ou anglophones, qui traitent de la Chine actuelle. La plupart sont très intéressants parce qu’ils ont le mérite d’exposer de nombreuses réalités factuelles qui n’étaient jusque récemment pas disponibles pour le public. Regrettant de ne pas avoir l’énergie pour me livrer à une analyse comparée et approfondie de tous ces livres publiés récemment, je me permets de faire état ici du sentiment général que je retire de leur lecture.

S’il n’y a généralement pas d’omission importante dans la liste des forfaits commis par Pékin, il demeure que certains mots, qui sont très importants à mes yeux, apparaissent trop peu ou sont même absents dans ces divers livres. Je me permets d’en dresser ici une première énumération.

Le Parti Communiste Chinois (PCC). Les auteurs prononcent trop souvent « la Chine » quand il faudrait prononcer « le Parti Communiste Chinois ». En Chine, on est en présence d’un Etat qui n’est absolument pas un Etat ordinaire. Depuis 1949, le PCC a absorbé l’appareil d’Etat chinois en sorte qu’à chaque échelon de cet Etat fantôme, correspond un échelon du Parti qui lui dicte les orientations et les décisions à prendre. Le lieu du pouvoir n’est donc pas un Etat chinois assez fantomatique mais bel et bien le Parti Communiste Chinois lui-même. C’est ainsi le PCC qui est derrière les offensives de « normalisation » et de répression à Hong Kong, au Tibet ou au Sinkiang. C’est aussi le PCC qui officiellement commande directement l’Armée Populaire de Libération, cette armée qui a envahi la Mer de Chine du Sud et qui menace maintenant d’envahir Taïwan…C’est donc bien le PCC et non pas la Chine qui est l’auteur de tous ces forfaits. C’est de toute façon le PCC et non on ne sait quel Etat chinois (sans vraie substance autre que celle du PCC) qui dirige la Chine. Et c’est d’ailleurs en fonction de son intérêt propre que le PCC prend les orientations et les décisions de Pékin.

Le Totalitarisme. La Chine représente un cas historiquement extrême de totalitarisme. C’est pourtant ce mot tabou que la plupart des auteurs renoncent à prononcer sur la Chine. Certains s’autocensurent complètement et préfèrent renoncer à toute caractérisation du régime politique en vigueur à Pékin. D’autres pratiquent une autre autocensure et préfèrent prononcer « autoritarisme » ou « régime autoritaire ». Or, selon les Wikipedia (francophone ou anglophone), la seule définition qu’il serait possible de retenir pour « autoritarisme » en français ou pour « autoritarianism » en anglais ce serait un totalitarisme modéré.

Totalitarisme modéré ? Il s’agit là d’un bel oxymore. Un oxymore qui est en tout cas particulièrement non pertinent dans le cas de la Chine. En réalité, si « autoritarisme » ne se prête pas à une définition, c’est qu’il s’agit seulement d’un euphémisme, un euphémisme qui est pratiqué largement par ceux et celles qui savent très bien que le régime en Chine est totalitaire mais qui n’osent pas prononcer publiquement le mot pour ne pas déplaire à Pékin.

Ce qui est grave, c’est que cet euphémisme « régime autoritaire » évoque dans l’esprit du grand public, un régime qui est moins répressif qu’un « régime dictatorial ». (On dit d’un instituteur qui est jugé trop sévère qu’il est autoritaire ; on ne va pas jusqu’à dire de lui qu’il est dictatorial. « Dictatorial » est donc bien perçu comme plus lourd que « Autoritaire »). Quand on qualifie la Chine d’autoritaire, on laisse entendre, contre toute évidence, que le régime actuel de Pékin serait moins absolu et moins répressif que ne l’étaient le régime de Ben Ali en Tunisie ou le régime de Moubarak en Egypte.

Le Parti-Etat (et non lEtat-Parti). En Chine, encore une fois, l’Etat n’est que le paravent de cet acteur très puissant qu’est le Parti Communiste Chinois. Les deux réalités sont certes fusionnées. Mais la réalité qui préexiste, c’est celle du Parti, l’Etat chinois n’étant que son paravent extérieur.

La Torture. Une très mauvaise habitude a été prise par les analystes et les commentateurs, celle de comptabiliser « la répressivité » d’un régime totalitaire en en décomptant seulement le nombre de ses victimes, c’est-à-dire le nombre de personnes qu’il a tuées. Ce comportement trop habituel des commentateurs est inadéquat. Le PCC post-Mao juge globalement plus efficace de terroriser sa population par de longues périodes d’emprisonnement et de tortures physiques ou mentales plutôt que de procéder à de nombreuses exécutions. Si l’on néglige de prendre en compte toutes ces arrestations arbitraires ou tous ces enlèvements qui sont accompagnés de tortures, on sous-estime gravement l’intensité de la répression qui prévaut en Chine.

La réalité et l’ampleur du phénomène Mingongs. Ils sont pourtant 288 millions d’adultes, hommes et femmes (chiffre officiel du PCC, chiffre émis peu avant la pandémie) qui sont esclavagisés parce qu’aux yeux du PCC, ils sont des « migrants intérieurs illégaux ». Des mingongs qui sont presque tous ouvriers d’usine (les ouvriers d’usine étant eux-mêmes presque tous des mingongs). Ce chiffre est monstrueux et il est lourd de toutes sortes de conséquences. Si on ne se réfère pas à l’existence de ces mingongs, il est impossible d’expliquer le surgissement de l’industrie manufacturière en Chine puis la concentration de l‘industrie manufacturière mondiale sur le territoire chinois (28,7% de l’industrie manufacturière mondiale s’y trouve localisée (chiffre ONU) pour une population chinoise qui représente seulement 17,7% de la population mondiale).

La Stratégie. La plupart des auteurs évoquent les diverses politiques engagées par le PCC : la politique diplomatique de la Chine, sa politique commerciale, sa politique militaire…Ils ne prononcent pas le mot qui est à mes yeux indispensable en cette matière : la Chine a conçu dans les années 1980 une stratégie très précise (qui est à multidirectionnelle et qui vise le très long terme) et elle s’y tient. Cette stratégie du PCC est bien plus calculée et bien plus redoutable que ne l’était celle des dirigeants de l’URSS au sommet de sa puissance.

Lalliance avec la Russie. Le mot est très rarement prononcé alors qu’il s’agit d’une réalité majeure. L’alliance que le PCC a instauré depuis 20 ans avec le KGB de Poutine pèse très lourdement dans le rapport de forces international. Beaucoup trop d’acteurs encouragent encore à penser à tort que la Russie resterait un électron libre ou qu’elle pourrait être très facilement détachée de la Chine. Ce fut le cas de Trump (même s’il fut empêché de se rapprocher de Poutine). C’est aussi le cas en France de nombreux candidats actuels à la présidentielle.

La tactique généralisée de lEmprise. Le PCC a depuis longtemps compris tout l’avantage qu’il peut retirer de l’emprise qu’il a réussi à instaurer sur une personne, sur une entreprise étrangère, sur un pays étranger, sur une organisation internationale…On ne peut pas comprendre les multiples succès diplomatiques inscrits depuis 20 ans par la Chine si on oublie de prendre en compte que la Chine se donne les moyens de « tenir », de « tordre le bras » de nombreux Etats qui en apparence restent totalement souverains. On en a eu d’ailleurs récemment une démonstration éclatante quand le PCC chercha à faire obstruction à ce que l’Australie défende Taïwan. A l’évidence, il exerça d’abord un chantage sur Canberra. Canberra eut le courage d’y résister et de ne pas céder. Ce sont alors des sanctions économiques très lourdes et très coûteuses que Pékin fit tomber sur Canberra.

Le Protectorat. Pékin ne commettra pas l’erreur de s’approprier complètement un pays souverain (sous forme de statut colonial ou d’annexion pure et simple). Il est beaucoup plus intelligent et beaucoup plus confortable pour lui de disposer d’un protectorat de fait sur un pays (et son Etat) et de laisser ensuite les populations concernées s’en prendre à leurs gouvernements locaux successifs (devenus impuissants et impopulaires parce qu’incapables de satisfaire leur population), plutôt qu’à la Chine (qui, par l’emprise qu’elle a instaurée sur le pays, le contrôle de facto et limite la capacité d’action de ses gouvernements successifs).

On aura compris que si les livres récemment publiés sur la Chine présentent l’immense mérite de délivrer une liste des forfaits commis par Pékin, ils ont quand même un défaut, celui de ne pas chercher à délivrer une grille de lecture du Parti Communiste Chinois, de sa nature et de celle du régime qu’il a instauré en Chine en 1949, de ses motivations, de ses objectifs, de sa stratégie et de ses tactiques.

Les exactions, qui sont commises par Pékin et qui désormais sont très bien documentées et récapitulées par de multiples auteurs, donnent légitimement l’intuition que le Parti Communiste Chinois constitue un adversaire redoutable pour la démocratie et pour les libertés individuelles dans le monde. Il est d’autant plus indispensable et urgent de se donner les moyens de l’analyser méthodiquement et de comprendre sa nature, son comportement et sa stratégie.

Dominique Duel

13 décembre 2021

(crédit photo: Flickr | Gauthier Delecroix)

17 Déc 2021

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