Les ingérences de Cuba en Colombie – par Jacques Carbou (Partie 1)

L’hebdomadaire Semana de Bogota, publie un article qui fait la couverture du numéro 2018, du 17 au 24 janvier 2021 : « Cuba, le dossier secret ». La revue révèle un rapport officiel sur la stratégie d’ingérence de Cuba en Colombie. Alors que les Etats-Unis viennent de requalifier Cuba comme un pays qui appuie le terrorisme, le malaise augmente en Colombie. Depuis plusieurs mois, les autorités ont détecté plusieurs activités inusuelles et suspectes de la part de diplomates cubains en poste dans le pays, selon ce rapport dont la revue Semana a pu prendre connaissance. Il y aurait des plans cubains pour intervenir dans les élections présidentielles de 2022, déstabiliser le pays et même d’attenter à la sécurité nationale. Le titre du rapport est explicite : « Stratégie d’ingérence cubaine dans l’indépendance et la souveraineté de la Colombie ». On peut lire : « Cuba exerce une stratégie d’ingérence, menée sous couverture diplomatique, par des Cubains dans les organisations sociales d’aide eux populations en difficulté, l’infiltration dans les programmes de coopération avec les autorités locales, actions financées par l’ELN » (Ejercito de liberacion nacional, Armée de libération nationale), un mouvement de guérilla – moins connu que les FARC mais tout aussi criminel . L’ELN a revendiqué l’attentat du 21 janvier 2019 à l’Ecole des cadets de la police General Santander, à Bogota qui a tué 22 personnes, dont l’un des auteurs de l’attentat, et blessé plus de 70 personnes. Pour cette raison le Président de la Colombie, Ivan Duque avait demandé l’extradition des chefs de l’ELN qui se trouvent a Cuba.

Il faut savoir que l’actuel ambassadeur de Cuba en Colombie, José Luis Ponce Carabello, aurait été expulsé des Etats-Unis pour espionnage en 1996. En outre, Cuba a refusé l’extradition des auteurs de l’attentat de l’ELN à Bogota et le gouvernement du Président Duque a donc rompu les négociations de paix avec l’ELN qui se déroulaient à Cuba, comme précédemment les négociations de paix avec les FARC. Ainsi les tensions qui existaient entre la Colombie et Cuba pourraient empirer et aller jusqu’à la rupture des relations, dans la mesure ou le gouvernement colombien a perdu confiance dans l’ambassadeur cubain.

Le rapport fournit des données précises en indiquant que les activités d’ingérence se camouflent derrière le Mouvement Colombien de solidarité avec Cuba (MCSC) qui entretient une relation étroite avec l’Institut cubain d’amitié entre les peuples (Icap), dirigé par deux responsables du scandale d’espionnage aux Etats-Unis a la fin des années 1990. Les activités parallèles de cette organisation comprennent le recrutement et l’endoctrinement de jeunes en situation de vulnérabilité, l’organisation de manifestations contre le gouvernement colombien pour générer plus d’instabilité et de chaos dans le pays.

A l’évidence, Cuba n’a pas renoncé aux actions subversives menées du temps de Fidel Castro. A l’approche d’élections présidentielles en Equateur, au Pérou et au Chili, le rapport avertit que de semblables actions pourraient être menées dans ces pays pour favoriser les partis de gauche qui ont perdu du terrain ces dernières années en Amérique latine. L’axe Cuba-Venezuela vise à redonner le pouvoir a ces partis dans la région. La Colombie ne veut pas voir se reproduire les nombreux incidents à la frontière colombo-vénézuélienne ou s’abritent les dissidents des FARC, les guérilleros de l’ELN, sans parler de la délinquance, avec le consentement du gouvernement vénézuélien. Il faut noter que l’Equateur, le Pérou et le Chili viennent d’interdire l’entrée de réfugiés vénézuélien dans leurs pays respectifs.

En conclusion, le magazine Semana s’interroge sur les conséquences possibles de ce rapport : les relations diplomatiques et politiques entre les deux pays vont-elles se détériorer jusqu’à la confrontation ? Que va faire le gouvernement Duque de ce rapport élaboré par les propres services de l’Etat Colombien ? Comment va réagir Cuba face à ces graves accusations ? Est-ce que, tout simplement, il ne se passera rien parce que la prudence et la diplomatie s’imposeront aux deux nations qui continueront leurs relations dans un climat de suspicion accru ?

Contacté par la rédaction du magazine qui souhaitait lui poser plusieurs questions à ce sujet, l’ambassadeur cubain s’est contenté de dire qu’il ne répondrait à aucune question.

Jacques Carbou

Le 30 janvier 2021

1 Fév 2021


Dévaluation à cuba – par Jacques Carbou

Le premier janvier 2021, Cuba a fortement dévalué le peso cubain. La dévaluation fut annoncée à la télévision cubaine le 10 décembre 2020, par le président Miguel Diaz-Canel, en présence de Raul Castro.

Cette mesure va être un remède très amer pour la population et le pays qui traverse la pire crise économique depuis la chute de l’Union Soviétique. Le taux de change du peso cubain est fixé à 24 pesos pour un dollar. Pendant presque 30 ans, deux monnaies ont circulé à Cuba : le peso et le peso convertible (CUC), arrimé au dollar.

Les taux de change variaient de 1 pour 1$ pour les entreprises d’Etat à 24 pesos pour 1 CUC pour les entreprises privées et la population. Cuba avait dévalué le CUC en 2011. Mais le taux principal n’avait pas été modifié depuis 1959. Il s’agit donc de la première dévaluation en 60 ans.

Miguel Diaz-Canel a simplement annoncé qu’il y aura un seul taux de change à partir de janvier 2021, ajoutant « qu’il n’y a pas de solution miracle pour affronter les problèmes économiques ». Les économistes s’attendent à une inflation a 3 chiffres. La mesure s’accompagne d’une augmentation des salaires d’Etat et des retraites des 7 millions d’employés d’Etat, mais celle-ci ne s’applique pas aux 2 millions de travailleurs du secteur privé et du secteur informel, ni bien entendu aux chômeurs. Selon Carmelo Mesa-Lago, professeur émérite de l’université de Pittsburg, cela va entrainer « une réévaluation de 2400% du prix du dollar et une dévaluation de 99% de la monnaie cubaine. Les économistes cubains estiment à 40% le nombre d’entreprises qui sont en déficit et travaillent à perte.

Que signifie cette première dévaluation à Cuba ?

Il s’agit d’abord d’un remède de cheval pour les Cubains, un ajustement drastique de l’économie cubaine – oxymore douloureux pour les admirateurs de la révolution cubaine. L’idée est de s’ouvrir à des capitaux étrangers dont l’île manque cruellement. Dès janvier, la participation majoritaire de capitaux étrangers sera possible dans les entreprises mixtes pour améliorer le climat des affaires. Il s’agit d’un changement dont les énormes risques expliquent qu’il ait été reporté depuis plusieurs années par la gérontocratie castriste qui refuse de suivre les ouvertures de Raul Castro.

Après la chute du communisme en Union Soviétique, Fidel Castro avait décrété un « periodo especial » ou « période spéciale », car la fin de l’aide russe a désintégré l’économie de l’Ile. Avec l’apparition de Chavez, Cuba a bénéficié des largesses du Venezuela – pétrole et autres financements et dons autorisés par Chavez. Depuis 2010, l’effondrement du Venezuela a mis en péril l’économie cubaine qui vivait, outre l’aide vénézuélienne, notamment de la vente du pétrole vénézuélien à différentes iles des Caraïbes et quelques pays d’Amérique centrale ; les « remesas », c’est-à-dire l’envoi d’argent des Cubains principalement installés aux USA, constituaient aussi une importante source de revenu, tout comme le tourisme.

La crise vénézuélienne, à l’origine du peso convertible, n’a fait qu’aggraver la situation à Cuba. Avec la pandémie, les « remesas » et le tourisme ont considérablement baissés. La situation est aggravée par le fait que Cuba importe 60% de sa nourriture. Les touristes européens, espagnols mais aussi allemands, belges, français apportaient les devises qui manquaient. Depuis quelques années, ce sont surtout les Canadiens et les Américains ( il y a annuellement 600.000 touristes américains constituant le deuxième contingent de touristes après le Canada). Mais on a observé une chute de 15% du tourisme avant même 2020. Selon la CEPAL, un observatoire économique des pays d’Amérique Latine, la croissance de l’économie cubaine était de 1% en 2015 ; elle sera négative – -8%, en 2020. Le dollar est rare à Cuba ; le marché noir s’est développé ainsi que les opérations de dessous de table, réalisées par « las mulas », comme on appelle les intermédiaires cubains de ces tractations illégales. On observe aussi le phénomène de la « pyramide inversée » selon lequel les travailleurs les moins formés, ceux qui « travaillent » dans le tourisme, par exemple, gagnent plus que les professionnels payés par l’Etat.

Tout va donc dépendre de la crédibilité des mesures annoncées. Sinon, Cuba connaitra le sort du Venezuela, c’est-à-dire un cycle inévitable de rareté et de pauvreté. Alejandro Gil, ministre de l’économie de Cuba, a dit qu’il s’attendait à d’autres dévaluations dans le futur. Selon John Kavulich, Président du Conseil économique et commercial Etats-Unis-Cuba, « si l’administration de Diaz-Canel concrétise l’unification des monnaies et la dévaluation, l’investissement étranger sera encouragé et les Gouvernements seront plus attentifs aux mesures d’ouverture ».

Jacques Carbou

Le 10 janvier 2021

20 Jan 2021


Pascal Fontaine, « Les Murmures d’une île enchaînée » – par Benoît Villiers

Viennent-ils surtout de l’île, ces murmures, ou de l’auteur? Et sont-il des murmures littéraires ou politiques? Telle est peut-être la première question que se pose le lecteur.

Pascal Fontaine a contribué au Livre noir du communisme pour ce qui concerne l’Amérique latine. Il connait intimement le castrisme et l’on pouvait s’attendre à une nouvelle offensive explicite contre le communisme cubain.

Une « chronologie », chargée d’ordinaire d’éclairer les ouvrages historiques ou politiques, mentionne d’ailleurs des noms qui sentent le souffre chez les castristes : José-Antonio Echevarria, par exemple, ou Huber Matos.

Les Comités de défense de la Révolution sont désignés pour ce qu’ils sont : des organismes de quadrillage et de contrôle.

Les guérillas, urbaine du début des année 60 ou paysanne dans les hauteurs de l’Escambray, sont mentionnées aussi et leur répression féroce rappelée, tout comme les violences, les tortures et les suicides dans les camps joliment baptisés « Unités militaire d’aide à la production ».

Le soutien de Castro à l’invasion de la Tchécoslovaquie par l’URSS en 1968 ou de l’Afghanistan en 1979 est souligné. L’engagement dans l’Angola nouvellement indépendant pour que le pays bascule dans le camp soviétique, aussi.

Au prix de 12 000 morts cubains au moins.

Les formes diverses de résistance et de fuite hors du pays, enfin.

Chacun de ces rappels constitue autant d’aides pour mieux saisir et comprendre ces murmures que nous livre Pascal Fontaine, murmures d’un pays où tous ont été intimement marqués et « transformés en une masse informe »  par « l’obsession criminelle » de Fidel Castro « d’imposer un bonheur ordonnancé par un parti unique ».

Cette souffrance imposée, ce repli dans les bras des divinités de la santeria – la religion syncrétique afro-cubain – cette capacité de violence suscitée par les réalités du régime en dépit de son idéologie bavarde et superficielle en faveur du « socialisme » et de la « patrie », ont produit les personnages des huit nouvelles du recueil.

Volonté chez certains de réussir à tout prix – jusqu’à la mort cruelle d’un enfant – dans un monde où l’individu n’a aucun prix; liquidation physique par le régime de ses premiers soutiens, naïfs rêveurs d’un monde meilleur pourtant promis dans les discours du Jefe, le Chef; dissidence héroïque ponctuée d’une condamnation à 25 ans; souvenirs qui pèsent des tonnes égrenés par un ancien combattant d’Angola; escrocs assassins, passeurs prétendus d’une filière « vers le Nord » – entendez les diaboliques Etats-Unis; tentatives de traversée du détroit de Floride des balseros ( la balsa, c’est un radeau) malgré les requins, tels sont quelques uns des thèmes évoqués par Pascal Fontaine en un langage clair, en des des scènes souvent crues et brutales, et avec un art indéniable du dialogue réaliste.

Sans doute, peut-on regretter quelques expressions répétées, quelques mélanges des genres comme le rappel au milieu d’une nouvelle, statistiques à l’appui, de la situation complexe et non catastrophique, de Cuba avant le castrisme. Mais ce recueil, exceptionnel en français, touche au coeur, trouble le lecteur et lui fait sentir le goût si particulier de l’horreur totalitaire.

On attendra avec impatience une suite, d’autres nouvelles peut-être, à l’écoute d’autres « murmures ».

Benoît Villiers

Pascal Fontaine : Les murmures d’une île enchaînée, éd. Persée, Sainte-Lice sur Loire, 124 p., 12,70 euros

4 Jan 2021