On vient de commémorer le 60 e anniversaire du débarquement de la Baie des Cochons. Notre ami Gustavo Sanchez nous a adressé ce très beau texte paru d’abord en espagnol dans Libre, un hebdomadaire en espagnol de Floride. Loin de la relation habituelle, hésitant le plus souvent entre l’ironie et la condamnation, l’auteur du texte qui suit revient, lui, sur sa manière personnelle de vivre l’événement.
Authentique, émouvant et même troublant tant nous sommes habitués au discours convenu, à la « légende mensongère ».
H&L
Les 60 ans de ma « Baie des Cochons »
Tous ceux qui, comme moi, étaient alors très jeunes, ont leur propre Baie des Cochons. En 1961 j’approchais tout juste de l’âge adulte et un changement total de régime s’abattait sur Cuba. Il n’était pas encore possible, en raison d’une Réforme Universitaire en cours, conçue pour bousculer l’enseignement supérieur, radier la majorité du professorat de l’avant 1959 et mettre au pas les élèves, d’entreprendre des études de Droit. En attendant, en Novembre 1960, j’ai donc commencé à travailler dans le cabinet d’un comptable. De façon temporaire, pensais-je.
Il était palpable depuis quelque temps qu’une transformation radicale était en cours dans le pays. Ni mon père ni l’un de mes professeurs de lycée ne s’étaient trompés quand, moins de deux mois après la fuite de Batista, le 31 Décembre 1958, ils avaient perçu avec certitude un tournant vers le communisme.
L’avenir allait leur donner raison.
Dans les lignes qui suivent, j’aborde des moments de ma vie, en tâchant d’exposer des faits qui eurent des conséquences importantes sur mon existence, sur l’avenir des citoyens Cubains, et sur la géopolitique continentale.
Pour ma part je peux affirmer qu’au Printemps 1961, je n’en étais plus à souhaiter un hypothétique débarquement de marines américains, mais bien à l’attendre avec impatience. Et pourquoi pas en pleine capitale ? Mais c’était ignorer que Fidel Castro et les siens savaient depuis au moins six mois de ce que la CIA, dirigée par le funeste Allen Dulles ourdissait en Amérique Centrale. Au petit matin du 15 avril, ayant entendu au loin le tonnerre des bombardements à l’aéroport militaire, un ami sportif qui ramait près du port de La Havane entendit un de ses compagnons, haut gradé dans l’armée dire : « Voilà ! Les Américains se sont enfin décidés ! ». Ils étaient pour ainsi dire attendus, les Amerloques – sauf qu’il s’agissait de Cubains venus libérer la Patrie du castrisme.
Le lundi 17, 1400 hommes d’un corps expéditionnaire parti du Nicaragua débarquaient au Sud de l’île. Là, une mobilisation générale fut décrétée. En fin de journée, en arrivant au Club où je m’entraînais quotidiennement au basket, je pus constater une véritable ébullition milicienne se matérialisant notamment par l’ouverture d’un bureau de recrutement. Je fis demi-tour et quittai les lieux.
Mon attitude ne passa pas inaperçue : Big Brother m’avait à l’œil. Je me sentais complètement extérieur à toute cette ferveur révolutionnaire. qui se manifestait autour de moi. Quelques jours plus tôt, une amie avait visité une grande exposition consacrée à la République Populaire de Chine et en sortant, elle avait écrit dans le livre d’or : « Très belle exposition, mais je n’aime pas le communisme ».
On l’avait détenue ! Un gardien de salle attentif l’avait interceptée après l’écriture de ses lignes et l’avait conduite à un commissariat où elle demeura toute la journée, bien qu’elle fût mineure et malgré la banalité évidente de son geste.
Telle était déjà en mars 1961 la « démocratie » à Castroland, celle-là même que louaient tant d’intellectuels, à commencer par Sartre qui tombait en pamoison devant la Révolution quand il se rendait dans l’île.
Du côté des Américains, les dirigeants se perdaient en élucubrations et misaient sur une rébellion anti-fidéliste massive et l’établissement d’une tête de pont préparant l’arrivée d’un nouveau gouvernement.
Du 17 au 20 avril, dans les grandes villes, la vie suivit son cours habituel, troublé seulement par les rumeurs qui circulaient et les nouvelles concernant ceux qui avaient été détenus de façon préventive en tant que potentiels représentants d’une cinquième colonne. Plusieurs de nos amis furent enfermés tandis que deux membres de la famille sévissaient comme cerbères d’un centre de détention. Si les envahisseurs avaient pu sanctuariser un secteur du territoire – ce qui n’eut pas lieu à cause de la mauvaise conduite des opérations par les Américains – les conséquences auraient été terribles : dans les rangs castristes figuraient des centaines d’officiers et un nombre indéterminé de Républicains espagnols exilés devenus miliciens. Tous, assoiffés de revanche et de sang, étaient disposés à déclencher un massacre.
En 1961, alors même que l’heure était à la consolidation des changements opérés par le régime, il était déjà temps de regarder dans le rétroviseur pour essayer de comprendre: comment la génération de mes parents avait pu être assez myope pour ne pas capter ce qui se préparait avec Fidel Castro et son idéologie sous couvert de lutte contre Batista.
Moi, en tout cas, je n’ai cessé depuis lors de me poser cette question : si j’avais eu l’âge nécessaire, aurais-je pu être compté parmi ces Cubains pleins d’abnégation, tout en étant manipulés par les Américains, qui débarquèrent dans la Baie des Cochons ? Lorsque une fois faits prisonniers, je les vis exhibés comme des bêtes, j’ai ressenti une grande honte et une tristesse incommensurable. Dans la mangrove de la Ciénaga de Zapata ( le marais de Zapata, au nord de la Baie des Cochons, ndlr), une séquence de l’histoire américaine et une autre de l’histoire cubaine avaient pris fin simultanément. C’est à partir de ce moment que se structura tout ce qui advint par la suite. En 2021 le résultat lamentable est devant nos yeux : un petit pays ruiné et défait, que plus de deux millions de ses habitants ont fui, et une légende mensongère colportée dans le monde entier.
Soixante ans après la Baie des Cochons, ma mémoire flanche bien sûr mais l’amertume d’avoir été dans le camp de ceux qui mordirent la poussière alors qu’ils avaient intrinsèquement raison, ne me quitte pas.
Gustavo Sánchez Perdomo
Crédit photo : Attack near Playa Giron. April 19, 1961. – panoramio.jpg – Wikimedia Commons
Bon week-end à Montargis !

Chers lecteurs du blog, j’aimerais vous raconter mon dernier week-end. Vous levez les yeux au ciel? Vous pensez que je déraille? Et que je confonds Histoire & Liberté et un office de tourisme? Pas du tout ! Après une visite de la faïencerie de Gien ( c’est très beau et très cher ou : c’est très cher mais très beau), ma copine et moi, avons voulu passer à Montargis, où est née Mme Guyon, une mystique du XVIIe siècle, ville qui regroupe aujourd’hui près de 70 000 habitants et qui s’est rendue récemment célèbre par quelques outrances. D’aucuns par exemple la présentent modestement comme « la Venise du Gâtinais »; d’autres, en l’occurrence le maire, Benoît Digeon (LR), ont jugé tranquillement le 25 novembre dernier qu’Emmanuel Macron était « le pire président qu’ait connu la France »…Mais je m’égare : revenons aux rues de la vieille ville et à la promenade au détour de laquelle nous sommes tombés sur un très inattendu « Musée historique de l’amitié franco-chinoise! ». Habiles, les camarades chinois. Ils ne se contentent pas de rappeler qu’au début du XXI siècle, plus précisément vers 1920, de jeunes Chinois, appelés plus tard à la célébrité, sont venus travailler dans la fameuse usine Hutchinson. Il y avait là Deng Xiaoping, Chou Enlai, Liu Chaoqi et Li Lisan, tous présents sur les photos exposées. Les spécialistes s’étonneront de ce que soient présentés de manière respectueuse, comme le sont tous les autres, des gens que Mao a laissé persécuter ou mourir dans un cul de basse fosse. Habituellement, ce n’est pas le genre de la maison. Mais c’est ainsi : tous, apprend-on, travaillaient, enrichissaient leur expérience, fondaient des associations de jeunes communistes et accédaient ainsi, non pas au nirvana, n’exagérons rien, mais à la connaissance objective, guidés par le marxisme-léninisme.
Pessimiste, on peut en conclure que décidément, les communistes chinois sont partout et diffusent ouvertement leur propagande jusque dans une petite ville française. Un peu plus optimiste, on peut en conclure aussi – car nous étions seuls dans ce petit musée de trois étages – que les Montargois (je crois que c’est comme cela qu’on dit), semblent donc assez insensibles aux louanges faites à la vision communiste et chinoise des choses. Ils doivent avoir quand même quelques amis en ville : en reprenant le train, nous nous sommes laissés dire que la place devant la gare portait le nom de « Place Deng Xiao Ping ». Oui, celui qui a fait massacrer des milliers d’étudiants et d’ouvriers à Tien an men en 1989…
Benoît Villiers