Un monument aux victimes du communisme

Le 23 août dernier, date anniversaire de la signature du pacte germano-soviétique de 1939, Frédéric Mercadier, maire de Saint-Raphaël, a présidé une cérémonie accompagnant l’inauguration d’un monument aux victimes du communisme. Son discours fut remarquable de nuances et de contextualisations, mais aussi de distinctions entre militants communistes, persuadés de s’engager pour un monde plus humain et fraternel et une doctrine marxiste-léniniste – et pas seulement stalinienne – engendrant inexorablement des régimes totalitaires.

Quelques réactions venimeuses sont venues du Parti communiste et notamment du sénateur Ian Brossat qui conduisit une manifestation de protestation et trouva ensuite dans Le Monde du 25 août une oreille pour le moins attentive.

On lira dans Figarovox du 27 août une tribune signée Pierre Rigoulot apportant son appui à l’initiative de Frédéric Mercadier et, ci-après, une lettre d’André Senik, qui appuie, lui aussi, l’initiative du maire de Saint-Raphaël en remontant aux racines de la pensée communiste moderne et notamment à deux textes de Karl Marx : Sur la Question juive, de 1843 et Le Manifeste du Parti communiste, de 1848.

On trouvera enfin quelques mots saluant la publication (il y a 9 ans, déjà) de l’ouvrage d’André Senik consacré à l’étude du dit Manifeste.

H&L

En tant qu’ex-stalinien ayant viré sa cuti et prof de philo sachant lire le jargon marxiste, j’ai décidé un jour de remonter ma relecture jusqu’à Marx, alors qu’il reste massivement hors de cause chez les critiques du communisme

Le hasard a voulu que je commence à relire Marx par son commencement, l’article « Sur la question juive » paru en 1843

J’y ai découvert qu’au-delà de la judéophobie pathologique de Marx (« Marx était un Juif pur sang » écrira Engels seulement en 1890, après la mort de Marx) sa cible était la Déclaration des droits de l’homme, et plus précisément l’individu humain.

Le noyau dur initial de la pensée de Marx est l’hostilité à la démocratie libérale, c’est-à-dire au socle actuel du monde libre. Et cela en l’absence de la moindre allusion à la lutte des classes, au prolétariat et au capitalisme.

J’ai ensuite compris son refus de l’humanité de tout homme dans les Thèses sur Feuerbach, (1845). L’anti-humanisme fait partie du noyau dur initial de la pensée de Marx.

Quand je me suis mis à relire le Manifeste, j’y ai découvert que Marx avait recouvert (et maintenu au niveau de son soubassement) son hostilité à la démocratie libérale fondée sur les droits de l’homme au moyen d’un grand récit mythologique conduisant à la dictature du prolétariat, présenté comme réduit par le capitalisme à une forme moderne d’esclavage.

Cette réécriture opportuniste et ce déguisement expliquent que le communisme de Marx ait été reçu comme porteur des idéaux humanistes (voir par exemple la préface d’Humanisme et Terreur de Merleau-Ponty, paru en 1947).

Ma conclusion est que le communisme de Marx doit être combattu comme idéologie totalitaire et terroriste.

André Senik, le 29 août 2025

*

A lire ou à relire : Le Manifeste du Parti communiste aux yeux de l’histoire

Responsables de millions de morts, Staline, Mao et Lénine ont fini par être discrédités. Pour autant, une question reste posée: Staline, Mao et Lénine ont-ils trahi la pensée de Karl Marx ou bien les catastrophes qu’ont engendrées tous les régimes communistes sont-elles en germe dès le Manifeste du Parti communiste pourtant souvent qualifié d’œuvre «visionnaire», d’« appel à la justice sociale » ou d’ « hymne à l’humanité».

Divers auteurs avaient déjà démontré que la prophétie marxiste sur l’écroulement de la société capitaliste avait été démentie ; que la théorie marxiste de l’appauvrissement continu de la classe ouvrière, qui finirait par absorber les classes moyennes et lutterait finalement avec elle contre un seul adversaire (la bourgeoisie), était un conte à dormir debout ; et que la promesse d’une société communiste permettant le plein développement de chacun et de tous représentait une sinistre plaisanterie.

Senik, lui, dans son étude critique du Manifeste Communiste parue en 2015, reconnaît que si l’on a pu lutter sous la bannière du marxisme pour une société idéale, juste et fraternelle, ce n’est pas dans le Manifeste qu’on en trouvera la promesse. L’ouvrage de Marx préconise au contraire d’accorder le monopole du pouvoir politique au Parti communiste, détenteur d’un savoir absolu sur l’histoire, et de conférer à l’État tous les moyens coercitifs nécessaires pour faire triompher ses vues et contrôler toutes les activités économiques. Il n’y a là rien de sublime: juste les éléments nécessaires à l’établissement d’un État totalitaire.

Certes, on n’y trouve «l’annonce d’aucun des crimes commis en son nom» et seulement «les prémisses de ces crimes et leur justification». Aussi se trouve-t-on plus à l’aise chez un certain nombre d’intellectuels de gauche pour continuer d’opposer systématiquement un pôle négatif (patronal, exploiteur, dominant) et un pôle positif (travailleur, exploité, dominé). Pour eux, ces oppositions sociales et économiques expliquent tout, «comme si la culture, la religion et les passions n’étaient pas, elles aussi, des facteurs déterminants des conflits qui déchirent la société et le monde» Incapables de mettre à distance le matérialisme historique du Manifeste, nombre de nos experts en sociologie sont ainsi persuadés que les difficiles conditions matérielles d’existence des jeunes issus de l’immigration constituent le facteur primordial de leur hostilité à notre société et de l’attirance de certains pour le djihadisme.

Les communiste n’avaient pas revu leur copie après cette remise en cause radicale et pertinente du «logiciel» de Marx. Neuf ans plus tard, Ian Brossat, ne fait que répéter les mêmes arguments que ses coreligionnaires ( j’emploie le mot à dessein) d’hier, quand parut le Livre Noir du Communisme, et d’avant-hier quand fut publié le premier tome de L’Archipel du Goulag. Il est vrai que les communistes sont de moins en moins nombreux. Le religion se fait secte peu à peu.

PS : Ce texte reprend quelques lignes d’un article que j’avais publié dans Le Figaro le 14 janvier 2016 pour souligner l’importance de l’ouvrage d’André Senik : Le Manifeste du Parti communiste aux yeux de l’histoire, Éd. Pierre-Guillaume de Roux, 2015

Pierre Rigoulot, le 27 août 2025

29 Août 2025


De Karl Marx au wokisme et à la cancel culture, la filiation est bonne

Karl Marx a construit sa vision de la société et de l’histoire au moyen d’un syllogisme en trois temps.

Son postulat de départ est que l’histoire des sociétés est caractérisée par l’antagonisme irréductible entre les classes exploiteuses (qui sont dominantes) et les classes exploitées (qui sont dominées).

Ce postulat est suivi par un corollaire : la domination générale des dominants s’impose aux exploités qui lui sont soumis au moyen de la culture dominante.

La conséquence logique de ces deux prémisses est que les dominés qui veulent en finir avec la domination qu’ils subissent doivent abolir la culture passée.

Sur ce sujet, voici ce qu’on lit dans le Manifeste du parti communiste :

« L’histoire de toute la société jusqu’à nos jours était faite d’antagonismes de classes, antagonismes qui, selon les époques, ont revêtu des formes différentes. 

Mais, quelle qu’ait été la forme revêtue par ces antagonismes, l’exploitation d’une partie de la société par l’autre est un fait commun à tous les siècles passés. 

Donc, rien d’étonnant si la conscience sociale de tous les siècles, en dépit de toute sa variété et de sa diversité, se meut dans certaines formes communes, formes de conscience qui ne se dissoudront complètement qu’avec l’entière disparition de l’antagonisme des classes.

La révolution communiste est la rupture la plus radicale avec le régime traditionnel de propriété ; rien d’étonnant si, dans le cours de son développement, elle rompt de la façon la plus radicale avec les idées traditionnelles. »

Ce texte nous montre ce que le mouvement déconstructionniste, le wokisme, et la cancel culture doivent au marxisme.

Ils en sont des résurgences et des métastases qui vont au-delà des seuls conflits de classes. 

Vivement donc que cette envie de tout déconstruire et de faire table rase de la culture finisse par passer de mode et que les jeunes intellos qui en sont affectés retrouvent leur bon sens, à l’exemple de leurs ainés qui en France sont tous revenus de leur délire maoïste, à l’exception de l’imperturbable Alain Badiou.

André Senik

« Que le marxisme prépare les esprits au wokisme, lui fournisse quelques uns de ses termes voire  de ses  concepts et soit une de ses conditions nécessaires  pour ces trois raisons, il faut le rappeler, et,  texte  à l’appui ainsi que vous le faites, c’est encore mieux.

Ce rapport de filiation doit-il nous empêcher de distinguer ce qui  différencie la pensée marxiste de son possible « avatar » wokiste ?  

Voici ceux que je discerne en tout cas.

Est-ce que j’en oublie ou me trompe ?

A vous et aux autres de me le signaler, le souhaiteriez-vous.

– La pensée marxiste est européenne  et elle se conçoit comme  européenne même si elle se veut prolétarienne. Elle croit à la supériorité de la culture prolétarienne sur la culture européenne bourgeoise  et à la supériorité de la culture européenne bourgeoise sur les cultures pré-capitalistes des pays déjà colonisés à l’époque ou colonisables ; le wokisme est une pensée occidentale, qui se veut non occidentale, qui croit à l’infériorité morale et intellectuelle de l’Occident et qui, comme le marxisme, cherche à conquérir les esprits

– Le marxisme est étatiste (« léniniste » ?) en ce sens qu’il fait de la conquête de l’Etat la condition de la conquête de la société et de la transformation des mœurs par la dictature juridique du prolétariat ;  le wokisme agit par la base et vise (à la manière de Gramsci ?)  à transformer l’Etat et le droit par une dictature morale (mœurs).

–  Le marxisme idéalise et neutralise la science, pas le wokisme qui, sous l’influence peut-être de Foucault et de Staline (« science prolétarienne »), fait du savoir le plus scientifique une expression de la « domination » sociale.

–  Le marxisme est constructif ;  le wokisme déconstructif : il me paraît déconstruire la société sans donner à voir un modèle de société alternatif au complet.

–  Même si, sous le nom de « matérialisme dialectique » et de « socialisme scientifique», Marx & Engels  promeuvent une rationalité distincte de la rationalité commune afin de ne pas avoir à lui rendre des comptes, Marx se veut et se croit rationnel. Recourt-il à des paralogismes, il se les cache à lui-même autant qu’aux autres. Rien à voir avec le wokisme qui  bafoue les règles les plus élémentaires de la logique sans en éprouver la moindre gêne …  Son sur-moi n’est pas judéo-chrétien ou rationnel mais « primitif » il fait régresser la gauche non seulement du «socialisme scientifique» au « socialisme utopique » mais du « socialisme utopique » à l’ « ethnicisme » le plus obscur, le plus confus et le plus irrationnel « .

Jean-Pierre Airut

D’accord sur les différences signalées entre le marxisme d’un côté et de l’autre le wokisme et la cancel culture, laquelle n’ose pas aller jusqu’à défendre une contre-culture positive.

Mais en réalité, Marx insiste surtout sur l’idée que toute la culture passée est au service d’une société fondée sur l’exploitation et qu’il faut s’en libérer.

Contrairement à Gramsci (et déjà à Engels dans son introduction  de 1895 aux Luttes des classes en France) Marx non plus ne propose pas une culture communiste à la place de l’actuelle culture. Il compte exclusivement sur l’évolution de l’économie pour pousser le prolétariat à la révolution.

André Senik

18 Déc 2023


Marxisme et idéologie – par Pierre Druez (Partie 2)

On trouvera ci-dessous la 2ème partie de la réflexion de notre ami Pierre Druez sur l’idéologie marxiste.

Ce qui empêche les masses populaires d’emprunter le chemin qui nous mènera au nouveau paradis terrestre, à Utopia, ce sont les gens choisis comme supports de projection. Pire que des boucs-émissaires, leur seule existence est une injure au camp du Bien. Le fonctionnement mental des écologistes, altermondialistes, woke, décolonialistes et autres bien-pensants à la mode rejoint ici celui des marxistes. On trouve des supports de projection, on les désigne et on y fait croire facilement car tous nous nous débarrassons des pulsions et tendances que nous ne supportons pas en nous sur des objets extérieurs. Chacun a les siens : pour le nazisme, c’était les Juifs et quelques autres. Pour le communisme, c’est très particulier : le support de projection, c’est TOUT LE MONDE. Pas seulement les bourgeois, les patrons, les nantis, les dominants, les privilégiés etc. Car celui qui fait obstacle à la pertinence de l’idéologie et à son triomphe, c’est l’humain, l’humain tel qu’il est; c’est celui qui pense librement en dehors des dogmes de l’idéologie, c’est celui qui entend défendre ses intérêts et ceux de ses proches davantage que ceux du Parti, c’est tout un chacun qui conserve un instinct de propriété et d’aspiration au bonheur individuel, c’est chacun qui ose exister tel qu’il est en propre.

Ne pas croire et ne pas servir l’idéologie marxiste, c’est être constituant de sa négation, c’est être un obstacle à éliminer. Pour être éliminable par le Parti-Etat (Parti>Etat), gardien du dogme, il ne faut pas nécessairement être opposant mais seulement non partisan, et même en se comportant comme un serviteur sincère, fidèle, parfaitement obéissant, on peut être éliminé dans l’intérêt supérieur du Parti (procès gags, auto-confessions publiques, etc). Pour un objectif aussi grandiose que l’instauration du paradis sur terre, tout est permis, même le pire. « Du passé faisons table rase » = Du réel et de l’humain faisons table rase. Du réel et de la vérité faisons table rase.

Pour y arriver, Lénine a mis en place une machine géniale, invention sans précédent, appelée le centralisme démocratique. Un Parti-Etat tout puissant doté de tous les pouvoirs, strictement hiérarchisé qui tente incessamment de contrôler tout, tous et chacun du sommet à la base. La tête du Parti est censée représenter la Volonté du prolétariat, de l’humanité en marche vers l’avenir radieux, du Peuple, peuple concret encore trop aliéné, trop stupide ou trop obscurantiste pour avoir droit à la libre parole, à l’autonomie, pour être capable de décider lui-même de son destin.

Néanmoins, comme le système se nourrit du réel, et s’entretient via des humains humains bien réels, il doit faire des concessions au réel et à la nature humaine, comme l’explique Alain Besançon : de la NEP de Lénine au capitalisme de l’Etat-Parti en Chine depuis Deng Xiao Ping. 

La création de la surréalité ne se fait pas qu’en mots. Elle tente de s’inscrire dans le réel par la  violence et le viol permanent au sens large. Elle se réalise surtout en spectacle, en images, par une mise en scène, un théâtre, une désinformation, sans précédent dans l’Histoire et de très loin supérieurs à la propagande et aux mises en scène nazie et fasciste, par son ampleur, ses domaines d’application, son caractère incessant et son efficacité sur les esprits y compris en dehors des nations occupées.

La mise en pratique du dogme a permis d’atteindre des résultats « fantastiques » : par exemple, les premiers Etats entourés de défenses non tournées vers un agresseur extérieur éventuel mais installées avant tout pour empêcher les gens de fuir le paradis en construction,  des Etats transformés en prisons à ciel ouvert, un quadrillage et un contrôle de la population inédits dans l’Histoire, une subordination de tout au pouvoir central sur tous les plans et dans tous les domaines, un lavage de cerveau à nul autre pareil, un arbitraire absolu sur la vie, les déplacements, les relations, les communications de chacun, la culture et les richesses en expansion accélérées de maints pays détruites (tous les pays communistes et marxisants), la dernière grande famine de l’Europe dans ses terres les plus riches (Ukraine, la Russie était le premier producteur et exportateur de céréales du monde avant la Première guerre mondiale), la croyance pendant des décennies de presque tous les non-soviétiques au progrès réel engendré par l’Etat-Parti (même Raymond Aron y a cru !). Et puis l’extension au centre et à l’est de l’Europe, en Corée du Nord, au Nord-Vietnam, en Chine, à Cuba, au Sud-Vietnam, au Laos et au Cambodge (premier Etat de l’Histoire à être transformé en quelque chose de pire qu’un camp de concentration à ciel ouvert) et l’extension aussi en pseudo états marxisants imparfaits, par exemple en Ethiopie, au Zimbabwe ou au Venezuela, le plus riche Etat pétrolier dont l’exode de la population a été la plus grande et rapide vague d’émigrés en temps de paix. Imaginez que ce soit le fait d’une dictature militaire latino-américaine …

La grande majorité des étudiants occidentaux semble ignorer le nom de Pol Pot mais connaît celui de Pinochet alors que le Cambodge a connu le régime le plus psychopathe de l’Histoire, créé par des gens formés par les marxistes français, et qu’Hun Sen, dictateur actuel depuis 35 ans et ancien Khmer rouge, puis collaborateur des envahisseurs et occupants vietnamiens, écrase toute contestation et vend son pays à la Chine. Où entend-on les cris d’orfraie des nobles consciences et autres indignés ? 

La dernière grande famine du monde en Corée du Nord en 94-96, laquelle est toujours victime de malnutrition et a longtemps absorbé la majorité de l’aide du FAO (comme le Zimbabwe en un autre temps proche) pendant que la Corée du Sud, historiquement plus pauvre que le Nord, l’un des pays les plus pauvres de la planète au début des années 60, nous rejoint ou nous dépasse en tous domaines tout en préservant sa culture.

La plus grande famine de l’histoire de l’humanité en Chine lors du « Grand bond en avant » alors que, souvenons-nous (pour les plus âgés), tout le monde pensait que le communisme avait non seulement apporté son bol de riz à chacun mais bien au-delà. Il a fallu 40 ans pour qu’émerge le savoir, sans images, de ces dizaines de millions de morts de faim provoqués par le maoïsme et ses « communes populaires ».

La RPC utilise depuis Deng Xiao Ping la stimulation par l’intérêt personnel, le libre-échange contrôlé et les recettes économiques dites capitalistes avec de superbes résultats mais le pouvoir, fort de l’expérience de la chute de l’URSS, y met au point un système de contrôle de la vie et de la pensée qui fait ressembler les écrits d’Orwell à des contes pour enfants. Orwell visait le communisme tel qu’il l’a vécu en Catalogne et en URSS. Récemment dans Le Monde, les 3 premières pages du supplément littéraire étaient consacrées à George Orwell. Pas une seule fois on y lit les mots communisme ou marxisme !

Partout, en régions occupées par le marxisme : abominations, malheur, l’horreur, gratuites, bien pires que le négatif éternel qui se produit forcément partout où il y a vie, mensonge omniprésent obligatoire, double pensée comme mode de survie psychique,  etignorance du reste du monde quant à l’étendue des désastres en raison des distorsions systémiques dans la production de matière informative et aussi de l’a priori encore majoritairement favorable chez les intellectuels, dès qu’il y a une étiquette de gauche ;  et surtout : sous-estimation systématique des tragédies vécues par les nations soumises à un Parti-Etat communiste par nos médias, notre enseignement et nos productions culturelles. Cette édulcoration et cette complaisance sont aussi le fait des esprits les plus brillants, eux-mêmes confrontés à l’absence d’images à fort impact émotionnel, à l’inverse de celles des camps nazis par exemple.

Et ce, alors que nous, et pas seulement les médias, ne manquons pas de sauter avidement sur tout le négatif (biais cognitif naturel de négativité) qui advient, surtout chez nous, en Occident « capitaliste » et encore davantage aux USA, Etat le plus ouvert à l’exposition de ses manques, tares et défauts. Nous traquons le négatif dans le passé, le présent ou le futur supposé, de préférence si l’on peut en attribuer la « faute » à l’Occident et surtout aux USA. Cette distorsion s’accentue encore davantage dans les milieux académiques américains qu’ailleurs. Les quelque 400.000 étudiants chinois actuellement aux USA ne doivent pas se sentir trop déconnectés d’avec ce que le Parti leur a appris !

Tel est l’air du temps que l’interaction cumulative médias/enseignement/opinion publique dominante/politiques ne cesse de renforcer. Jusqu’à l’absurde, commenterait un observateur objectif extra-terrestre doté d’une macro vision évolutive complète.

Je crois que le relais idéologique du marxisme chez nous est maintenant l’écologisme. Il n’est heureusement pas représenté par des Partis totalitaires mais les motivations sont du même ordre : sous prétexte de sauvetage de la terre, on fait appel aux pulsions de haine, d’envie, de jalousie, à l’égard des plus privilégiés ou soi-disant tels, contre le « capitalisme », le « libéralisme », la « mondialisation », le « consumérisme » sans rien comprendre ni connaître des réalités socio-économiques et de l’évolution positive accélérée de la vie réelle concrète moyenne des gens à l’échelle de la planète. 

L’idée de fond de départ  de l’écologisme trouve aussi  sa source inconsciente dans le fantasme d’assomption narcissique et  ressemble à l’utopie marxiste : la Mère-terre qui serait paradisiaque sans l’action humaine, la bonne Nature, la dénonciation d’un « capitalisme » en grande partie imaginaire, le dogmatisme, le refus du réel, le rejet du nucléaire alors que forcément la fusion thermonucléaire est l’avenir de l’humanité, le déni du progrès, parfois même le rejet de la science et de la technologie, et toutes ces exacerbations d’antagonismes qui font fi de la réalité historique : accroissement des inégalités, pauvres de plus en plus pauvres/riches de plus en plus riches, anciens colonisés et esclaves versus anciens esclavagistes blancs (rien sur les  esclavagistes arabes, noirs, jaunes), hommes versus femmes, LGBT versus hétéros  et autres caricatures émotionnelles surréelles sinistrogènes, conflictuelles, dépressives, démotivantes, mortifères, désespérantes.

Oui car ils ne promettent plus le paradis mais les catastrophes, l’apocalypse, la mort de la Mère-terre. Ils rejoignent aussi les marxistes, me semble-t-il, par un singulier manque d’humour et d’autodérision ainsi que par la détestation du bonheur des gens ordinaires.

La recette, la solution, le traitement recommandé font aussi penser aux marxistes : Mort aux possédants ! A bas les heureux et les optimistes ! Vive les illusions ! A bas le réel ! Et finalement : Mort à l’humanité !

Pierre Druez

10 Fév 2021


Marxisme et idéologie – par Pierre Druez (Partie 1)

Notre ami Pierre Druez, de Bruxelles, nous adresse cette longue réflexion sur l’idéologie en régime capitaliste et dans le système marxiste. Nous en publions aujourd’hui la première partie.

Nos sociétés ne sont pas fondées sur une idéologie au sens où le marxisme est une idéologie. A savoir idée-mot versus réel. En langage normal, les mots ne sont jamais supérieurs au réel qu’ils sont censés désigner, ils cernent à peu près, imparfaitement, sans englober et totaliser, ce à quoi ils renvoient. Dans l’idéologie marxiste les mots sont censés représenter la totalité et l’essence du réel, comme le souligne Hannah Arendt. Ce qui n’est pas nommé par l’idéologie n’existe pas. Ce qui est nommé par l’idéologie existe dans le sens, extrêmement péjoratif ou laudatif, fixé par l’idéologie : bourgeois, koulak, progressiste, peuple, etc. Seuls les mots de l’idéologie importent, le réel doit s’y conformer, le réel qui n’est pas assimilable par l’idéologie constitue un obstacle en soi et doit être éliminé.

Sans doute, il existe une idéologie capitaliste ambiante qui nous incite à gagner plus, à dépasser autrui, à consommer plus mais elle ne fait qu’accentuer des tendances primitives naturelles dont nous sommes tous l’objet. Ne pas les reconnaître ne les supprime pas mais au contraire les exacerbe : les peuples sortis du communisme s’avèrent en moyenne nettement plus avides de biens matériels et de démonstrations de richesse matérielle que les autres.  L’idéologie capitaliste, ni aucune autre, ne ressemblent à l’idéologie marxiste – totalisante et totalitaire à un degré infiniment supérieur à tout ce qui l’a précédé sur terre, et à ce qui l’a suivi, durable ou éphémère, comme fascisme et nazisme.

L’islamisme c’est autre chose, plus secondaire selon moi, qui a des équivalents très anciens liés aux sociétés traditionnelles,  bien plus contraignantes et étouffantes que celles dites – avant la mode d’auto-dépréciation en vogue – civilisées.

En système dit capitaliste démocratique, on peut très bien vivre à « l’idéologie capitaliste », sans y adhérer mentalement et pratiquement et on ne manque pas de la contester, de chercher des alternatives, de les essayer et finalement de progresser selon un trend positif à-travers conflits, crises et renouveaux. C’est une évolution qui a quelque chose de dialectique. J’incline à croire par exemple que la démocratie américaine se renforcera après – grâce à?- sa dernière crise.

L’idéologie qui préside à nos destinées est aussi, partiellement, inspirée des Lumières, dont les penseurs divergent sur pas mal de points mais se rassemblent autour d’un essentiel dont on devrait peut-être exclure Rousseau, quelque part précurseur de l’écologisme. Le fondement de cette idéologie est le respect de la dignité de la personne individuelle, de la diversité, de la liberté de penser, de s’exprimer, de s’associer, d’innover, de créer, de vivre autrement, de circuler, de contester, de râler ouvertement ! C’est aussi la séparation des pouvoirs, la création et l’acceptation de contre-pouvoirs et de pouvoirs compensateurs. C’est la garantie du respect des libertés et droits fondamentaux. L’Etat et ses représentants ne sont pas aux dessus de toute critique; ils ne sont ni inamovibles ni intouchables. Ils sont soumis au Droit et aux institutions presqu’au même titre que tout citoyen lambda. Moins ou davantage selon les Etats. Toujours davantage avec le temps. La Justice est (imparfaitement bien sûr) indépendante du pouvoir exécutif, de même les pouvoirs législatif, médiatiques, éducationnels et informatifs en général. Les minorités sont protégées et les malchanceux, faibles, démunis, handicapés, malades pris en compte dans la mesure des possibilités économiques, pratiques, culturelles et mentales. L’avenir n’est pas écrit, il est à forger de façon à ce qu’il continue à s’avérer, globalement, meilleur, mieux vivable par la majorité, que le passé. Le système lui-même se remet en question continûment. Son autocritique permanente est inhérente à sa nature et à son fonctionnement.

Le marxisme appliqué est, à l’inverse, une application idéologique figée, à part, d’un genre radicalement nouveau. Il prétend expliquer tout de l’homme et de la société, exhaustivement, et ce aussi bien au passé, au présent que dans le futur. Y est lié un art et une technique de la dialectique qui permettent de justifier tout événement, quel qu’il soit, y compris son contraire. Procédé qui permet un prêt-à-expliquer universellement applicable qui est ultra confortable mentalement.

Sa vision de l’Histoire au moment où il a été conçu est comiquement aberrante et sa vision de l’évolution future a été non seulement démentie par les faits mais, en sus, l’évolution s’est avérée se dérouler exactement en sens inverse des prédictions marxistes. Au lieu d’appauvrissement croissant de l’ensemble et de masses de plus en plus démunies, on a assisté à l’inverse.  Au lieu du cloisonnement entre « nantis » et « exploités », on a assisté à des flux interclasses exponentiels. Au lieu de la restriction croissante du petit nombre de gens ayant à l’époque une vie satisfaisante on a assisté à tout le contraire. Malgré le pas en arrière accidentel actuel, on tend vers l’éradication de l’extrême pauvreté, en dehors de l’Afrique subsaharienne, où l’amélioration par tête reste néanmoins une réalité. N’oublions pas que la pauvreté, la précarité extrême, a été le mode de survie dominant durant les dizaines de millénaires qui nous ont précédé et que ce que nous vivons aurait été inimaginable pour nos ancêtres.

La vision marxiste de l’économie est simpliste et purement prédatrice et guerrière. Elle ignore les échanges selon les milliards d’avantages comparatifs incessants et croissants internationalement comme étant le principal facteur d’accroissement du bien-être avec les progrès scientifiques, technologiques et organisationnels. Comme s’il n’y avait qu’une tarte donnée une fois pour toutes et que, si l’un gagne dans un échange, l’autre perd. C’est comiquement absurde mais il y en a encore qui y croient surtout parmi les écologistes. Selon ces derniers notre bien-être s’améliorerait au détriment de la terre-mère, nouvelle victime surexploitée.

La vision marxiste de l’homme est encore plus réductrice que sa conception de l’économie et en outre, elle est tout simplement monstrueuse. L’individu n’a pas de valeur en soi. Il n’est que le produit de son appartenance de classe. Laquelle déterminerait toutes ses caractéristiques. N’importe qui pourrait devenir n’importe qui en fonction, non de son environnement familial initial, pourtant surdétermination majeure de chacun de nous, mais de sa situation économico-sociale, de son étiquette de classe et du conditionnement du milieu, ce qui a conduit aux gags du lyssenkisme.

Les inégalités matérielles génèreraient seules les inégalités de bien-être et de bonheur et les inégalités matérielles auraient une origine, une seule : l’invention de la propriété privée. C’est un des plus gros gags marxistes. L’instinct de propriété, de territoire, de possessivité est bien sûr, en réalité donnée, naturel, inscrit dans nos gènes, lié à notre nature d’humain, d’hominidé, de mammifère, d’animal, et d’être vivant.

Le marxisme nie la personne et sa spécificité propre, incite à la guerre de classes incessante et qualifie les sentiments, la compassion, l’amour individuel, la générosité, de sentiments petits-bourgeois. Alors que ce sont les forces d’attraction qui maintiennent sur orbite toute civilisation digne de ce nom (cf Arthur Koestler).

Selon le marxisme-léninisme des origines, si l’on supprime la propriété privée, au moins des moyens de production, si on met tout en commun (même les femmes au début de l’URSS… avant de bannir la sexualité plus sévèrement que les religieux intégristes(1), et si on parvient à faire travailler efficacement les gens en les motivant, non par la poursuite de leur intérêt personnel, mais par celui de l’intérêt collectif,  par la construction du communisme/socialisme, sans que le souci d’eux-mêmes et de leurs proches les écarte de la progression vers l’avenir radieux,  sous la houlette d’un Parti par définition plus infaillible que le pape, on arrivera à une société où chacun travaillera spontanément, comme il voudra et pourra, dans l’intérêt de tous et disposera à volonté de tout ce dont il a besoin pour vivre heureux. Ce sera une société d’abondance parfaitement juste et parfaitement égalitaire. Alléluia ! Sonnez trompettes !

Ce Grand Soir ressemble au Paradis des chrétiens ou des musulmans mais il sera instauré sur terre.

En attendant l’élite du Parti dispose de tout et de chacun à loisir, sans que personne n’ait les moyens pratiques de se défendre contre son arbitraire, ses oukases et ses abus… privés… les plus ignobles.

La source de la foi et de l’espérance en ces paradis futurs, religieux ou dénués de transcendance, est archaïque, inconsciente, psychologique, et c’est la même pour les religions comme pour le marxisme : il s’agit du fantasme d’assomption narcissique que nous portons tous en nous comme l’explique Janine Chasseguet-Smirgel. C’est le souvenir cellulaire inconscient du vécu intra-utéral de notre première réalité physique en devenir. In utero, celle-ci a vécu le temps d’avant le temps et l’espace; nous croyions tous alors être tout et tout-puissants; nous étions chacun à nous-mêmes notre propre fin, il n’y avait nul autre, nul antagonisme, nul supérieur/inférieur/pouvoir, nulle différence, nul extérieur. Nos besoins étaient instantanément satisfaits, nulle tension entre besoin/désir et satisfaction, un minimum de perturbations.

Ainsi au paradis communiste ou chrétien, il n’y aura plus d’insatisfaction, plus de jalousie, plus de domination, plus de frustration, plus de violence, plus d’agressivité, plus d’injustice, finie la moindre inégalité entre les hommes, plus besoin d’Etat ni de pouvoir ni d’autorité. L’homme nouveau sera advenu. Selon la légende, ce fut l’état du monde lors du communisme originel, mythe marxiste qui est l’équivalent du paradis originel chrétien. Rejoint par le mythe écologiste d’une nature paradisiaque d’avant l’apparition de l’homme.

C’est bien sûr un état fictif, fantasmatique, imaginaire, utopique dans la vie et le monde réels d’après la naissance. C’est aussi un état auquel nous aspirons tous, sans exception même si nous ne nous en rendons pas toujours compte. Nous en gardons toute la nostalgie car nous avons tous cru le vivre avant « l’atterrissage » de la naissance. En ce sens il a existé, cet état, mais illusoirement et sans possibilité de retour ni de répétition. C’est le principal facteur d’attraction des religions qui le promettent après la mort moyennant l’exigence de sacrifices préalables. Marx condamne les religions car selon lui elles conduisent à l’acceptation de l’exploitation et empêchent les croyants de croire en sa religion sans transcendance, à savoir qu’il y a moyen de réaliser le paradis sur terre et qu’il FAUT le faire…moyennant de terribles sacrifices préalables !  « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » Le marxisme est, dans ses applications, à la fois une praxis et une nouvelle religion sans transcendance, la plus dogmatique et la plus impitoyable de toutes. Et aussi la plus destructive car imposant au réel, à l’humain et à la nature, ce qu’ils ne sont pas et ne peuvent pas devenir.

(1) https://www.lemonde.fr/televisions-radio/article/2017/11/29/tv-la-double-vie-petite-histoire-de-la-sexualite-en-urss_5222308_1655027.html

9 Fév 2021


Identitarisme et marxisme-léninisme

Je regroupe ici sous le nom d’identitaristes les conceptions à l’honneur dans les courants actuels qui prétendent défendre des groupes d’individus jusque-là dominés et soumis à leurs yeux, jusque dans leur définition, à d’autres groupes d’individus dominants. Ce « déconstructionnisme », souligne Pascal Bruckner dans une interview récente1, nous vient des intellectuels français des années 1970 qui l’ont exporté outre-Atlantique sur les campus américains. « Nous leur avons fourni le virus, ils nous renvoient la maladie pleinement développée, ironise-t-il. Mais ni Derrida, ni Deleuze ni Foucault ne se reconnaîtraient dans cette bouillie idéologique réimportée des États-Unis, qui fige le monde en ethnies, en identités étanches les unes aux autres alors que l’intelligentsia française visait à la dissolution du sujet ».

La légitimité de cette taxinomie, justifiée par la couleur de peau, le sexe, ou le statut colonial n’est pas posée ici. Je veux seulement souligner quelques rapprochements entre cette attribution d’une identité essentielle à chacun, et qu’on peut donc appeler « identitarisme », et la conception marxiste traditionnelle.

Premier rapprochement : l’idée que les maux de la société sont susceptibles d’être éliminés par…l’élimination de ceux qui portent, transmettent voire défendent des conceptions qui affirment la légitimité de la domination de certains sur d’autres (Hommes/Femmes, Blancs/Noirs, Hétero/Homo etc). On peut parler d’un objectif d’élimination d’ennemis. Comme le souligne le sociologue Olivier Galland dans une contribution récente à Telos : « En figeant ainsi les identités et en les opposant les unes aux autres, cette pensée crée inévitablement des ennemis. Si on est inscrit, presque génétiquement (…) dans une identité et un rapport de domination, si aucun amendement nest possible, la lutte contre les discriminations devient une guerre ». Une guerre contredes ennemis par nature, une guerre qui, comme la lutte des classes décrites par Marx se terminera par la victoire des « fossoyeurs » de l’ancien ordre des choses. « Inutile de chercher à les convaincre, cest peine perdue. Au minimum, il faut les faire taire car leurs propos ne peuvent être que viciés par leur essence de dominants.…»2

Comme le rappelle encore Galland. « Sylviane Agacinski a été dans cette perspective, empêchée de sexprimer à la faculté de Bordeaux à cause de son opposition à la PMA pour toutes, comme Mohamed Sifaoui à la Sorbonne pour cause « d’islamophobie ». Dans la même université, la représentation de la pièce d’Eschyle, Les Suppliantes, avait dû être déprogrammée, accusée de mettre en scène un « black face » raciste. »3.

Deuxième rapprochement : ces luttes doivent mener à la disparition de ces réalités opposées. La classe ouvrière est censée, par sa victoire contre la bourgeoisie, faire disparaître toute classe. La négation d’identités sexuellement ou racialement inégales en valeur, et même simplement différentes, est de même nature, encore que la mise en cause des différences identitaires n’est pas la conséquence de luttes victorieuses. Dans le cas des idéologies identitaristes actuelles, la négation d’une hiérarchie ou même des différences perçues comme par ses promoteurs comme un montage social (« on ne nait pas femme, on le devient ») et comme une justification idéologique, est la cause (attendue) de l’entrée dans un nouveau monde enfin libre.

Notons aussi que le marxisme, et c’est une de ses grandes faiblesses, ignore la dimension individuelle ou en nie l’importance au profit de réalités collectives. Cela ne l’oppose pas nettement pour autant aux idéologies identitaristes actuelles : les militants identitaristes posent en effet le problème de l’identité de chacun et de la valeur de cette identité d’une manière binaire, simpliste (on est Noir ou Blanc, Homme ou Femme, Colonisateur ou Colonisé). L’appartenance à ces différentes communautés (noire, hétéro, etc) renvoie donc, comme dans le marxisme, à des collectivités qui définissent entièrement ses membres. Seule ce que les identaristes appellent « l’intersectionnalité » (le croisement ou l’absence de différentes identités) introduit une certaine complexité de l’analyse.

Théoriquement, la grosse différence semble concerner l’historicité de la conception marxiste et l’absence de référence historique chez les identitaristes. La question de la colonisation, par exemple est jugée moralement, en dehors de toute contextualisation. La colonisation est une entreprise criminelle. Point final.

Pratiquement, les prises de position en faveur de la cancel culture, les opérations de boycottage et de censure, rattachent le comportement des identitaristes à celle des gauchistes du mouvement communiste.

Le Parti communiste, a, au cours de sa longue histoire, opté soit pour l’opposition frontale, soit pour le « débat démocratique »…Le mouvement actuel, exigeant, pressé et pressant est typique des groupes gauchistes un rien millénaristes, qui se vivent comme participant à la « lutte finale » : cet esprit « woke », revendiqué sur les campus américains et qu’on voit surgir en France, « cet éveil permanent aux injustices, note encore Olivier Galland, place les sentiments au premier plan. Le ressenti a plus d’importance que le fait lui-même. Être blessé devient le critère ultime qui définit les victimes et leurs agresseurs. Et ces derniers peuvent le devenir sans le savoir et sans le vouloir. ..Il n’y a même pas besoin de vérification puisque la simple expression est en elle-même une preuve. »

Des liens théoriques peuvent donc être repérés entre les thèses déconstructionnistes et le marxisme, mais aussi des pulsations comparables, qui font dans la pratique des militants qui les défendent actuellement les enfants ou les petits-enfants des gauchistes d’antan…

Pierre Rigoulot

1.Le Figaro, 21 janvier 2021

2.Olivier Galland, op.cit

3.Olivier Galland, op.cit.

1 Fév 2021