Mélenchon fasciné par les Etats totalitaires
On trouvera ici l’ensemble des réponses faites par Pierre Rigoulot, interrogé la semaine dernière par l’hebdomadaire Valeurs actuelles sur la manière dont Jean-Luc Mélenchon traitait de la question de Taïwan et d’autres conflits internationaux.
Mélenchon a suscité la polémique il y a quelques jours suite à ses propos sur Taiwan et le partage de ces derniers sur le compte de l’ambassade de Chine en France qui s’en est félicité. La polémique est-elle justifiée ?
A mes yeux, elle est justifiée dans la mesure où Taïwan est une démocratie et la Chine un Etat totalitaire. Ce n’est pas une mince affaire mais un choix grave.
Mes sympathies – et celles d’une grande majorité de mes concitoyens – vont spontanément aux démocraties. Le choix est donc très simple au premier abord. Mais la situation juridique de Taïwan complique les choses : après tout, le Chine de Pékin, la Chine communiste a été reconnue par la France en 1964 comme la seule Chine. Taïwan en fait donc partie si l’on s’en tient aux déclarations officielles. Mais personne n’ignore que Taïwan est de facto indépendante de Pékin et que son régime est à l’opposé de celui de la république dite « populaire » en place sur le continent. La montée en puissance de la Chine – sa mise en cause progressive du leadership américain dans le monde et de sa défense de l’indépendance taïwanaise en est une illustration claire – rendent toute déclaration sur ce fragile équilibre potentiellement explosive. D’autant que la France, en tant que démocratie alliée des Etats-unis, s’est employée elle aussi, à ne pas remettre cet équilibre en cause tout en faisant savoir où allaient ses sympathies politiques.
Comment comprendre les récentes positions internationales de Jean-Luc Mélenchon, notamment vis-à-vis de l’Ukraine, la Russie, de Taïwan et la Chine ?
Mélenchon est avant tout un homme ambitieux. Il a réussi grosso modo à devenir un des personnages clés de la vie politique française. Avec ses déclarations sur Taïwan, il a voulu compléter ce succès personnel au plan national par un succès au plan international. Ce que les Chinois se sont empressés de lui apporter en le remerciant publiquement. Il y a sans doute d’autres raisons plus médiocres, en tout cas plus terre à terre, comme la volonté de s’affirmer comme le patron de la Nupes et pas seulement de la France Insoumise. C’est Fabien Roussel qui jusqu’ici était l’homme des Chinois. La déclaration récente sur Taïwan est aussi un pavé dans la mare du n° 1 du PCF : les Chinois sont invités à le soutenir, lui Mélenchon, le premier. Le comprendront-ils? C’est une autre affaire.
Quant à sa position sur l’Ukraine, elle peut, comme la précédente, être analysée à deux niveaux : un niveau international où suinte la haine de l’Amérique, la haine de l’OTAN et de la démocratie telle qu’elle fonctionne sous ce parapluie militaire, et un niveau d’ambition personnelle : il ne veut pas laisser à Marine Le Pen l’exclusivité des réserves envers la politique française de sanctions et de soutien militaire à l’Ukraine.
Venezuela, Cuba, ex-URSS, Chine, ses récentes tournées en Amérique du Sud… Comment expliquer l’étrange fascination de Jean-Luc Mélenchon pour des régimes autoritaires et des dictatures (majoritairement communistes)
Vous avez raison de parler d’étrange fascination. Après tout, un certain nombre d’étudiants et d’intellectuels de ma génération se sont enthousiasmés pour une Chine ou une Cuba imaginaires. Les bureaucrates étaient rejetés, l’enthousiasme des populations brisait le carcan marxiste, léniniste et stalinien ! C’était leur fantasme, mon fantasme aussi. Mélenchon, lui, approuve les mesures qui sont prises sans fard par le PC chinois tel qu’il est, tout puissant, et par la dictature poutinienne ou post-castriste, telle qu’elle est. Tous ces systèmes politiques ont en commun d’être hostiles à la démocratie libérale, à ce qu’il appelle le « système », cela suffit à Mélenchon! On a les alliés, les soutiens, les amis qu’on mérite! Mélenchon rêve de voir s’effondrer la démocratie libérale. Il cherche à en ridiculiser l’institution parlementaire, à déplacer le centre de gravité des décisions du parlement à la rue et soutient aussi à l’international tous nos ennemis. On ne peut lui reprocher d’être incohérent…
Comment qualifieriez-vous ces différents régimes ? De Cuba en passant par le Venezuela et la Russie ?
Je parlerais volontiers de régimes totalitaires, bien que les différences soient fortes d’un pays à l’autre et bien que des traits plutôt dictatoriaux que totalitaires soient perceptibles ici ou là. On n’est plus à l’époque de Staline ou de Mao. Mais les dictatures peuvent ensanglanter plus que les Etats totalitaires. L’important, pour Mélenchon, c’est la haine partagée de tous ces Etats pour la démocratie libérale.
Plus largement, la FI poursuit-elle un idéal communiste ?
Indéniablement, mais au sens du Grand Partage, de la Grande Egalité, de la Justice sociale pour tous. C’est comme cela que bien des militants communistes ont rêvé de l’avenir radieux, celui d’après le Grand Soir. Les militants de la France Insoumise ne pensent pas au pouvoir sans rivage du Parti, de son dirigeant, ni à l’incapacité qu’a une société de se développer dans de telles conditions. Mélenchon leur vend du rêve et la légitimité de la haine contre les dirigeants élus du régime démocratique libéral qu’est le notre. Il faut leur rappeler ce qu’ont donné les révolutions, les partis uniques, les Chefs auréolés. Il n’est pas sûr que l’Ecole leur ait appris…
De quoi ses positions sont-elles le nom ? De quoi sont-elles symptomatiques ?
J’ai commencé à vous répondre, je crois : de l’ignorance d’abord, mais aussi des frustrations. Dans le type de société où nous vivons, on veut toujours plus et encore plus. Et comme on a aucune intention de se remettre en cause, on s’en prend aux dirigeants, jugés systématiquement méprisants, vivant dans un autre monde que le vrai. Plus grave encore : on est sans doute à un tournant civilisationnel avec des croyances collectives (religions, patriotisme) affaiblies, des données techniques encore mal maitrisées (« réseaux sociaux »), des conditions climatiques nouvelles. Ces problèmes gigantesques sont encore loin d’être réglés…Ce monde ci est-il insatisfaisant? On imagine alors que l’herbe est plus verte ailleurs.
Pierre Rigoulot
(Photo: The Left, https://www.flickr.com/photos/theleft_eu/48013274416)