Tout faire pour que Poutine ne gagne pas la guerre
(extraits d’un entretien avec Nelly Didelot, Arnaud Vaulerin et Sonia Delesalle-Stolper à consulter dans Libération du 6 avril 2022, de Kaja Kallas, Premier Ministre de l’Estonie).
(…) Qu’espérez-vous de l’Union européenne ?
« L’Union européenne est une union de valeurs. En Ukraine, et à Boutcha en particulier, des crimes de guerre ont été commis, des crimes qui visent les civils. Il nous faut garder en tête ces crimes et nos valeurs quand nous abordons la question des négociations de paix. Nous ne pouvons pas les laisser impunis. L’outil dont dispose l’Union européenne, c’est bien sûr les sanctions. Nous devons continuer à les durcir. Nous savons qu’elles ont un effet, sinon Poutine ne parlerait pas en permanence de les lever. Quand on parle d’énergie, il ne faut pas non plus perdre nos valeurs de vue. Le gaz peut être cher, mais la liberté n’a pas de prix ».
Après avoir proposé un fonds commun qui permettrait de tenir compte de la dépendance énergétique propre à chaque pays, Mme Kallas en appelle aux grands pays de l’UE, qui « peuvent faire vraiment beaucoup plus ».
Que doit accepter l’U.E. ?
C’est dans l’intérêt de tous que Poutine ne gagne pas cette guerre et l’Ukraine doit recevoir toute l’aide militaire dont elle a besoin afin de l’emporter. Si Poutine gagne ou pense qu’il a gagné, il aura plus d’appétit et s’attaquera à d’autres zones. Si nous pensons, maintenant, que nous pouvons parvenir à une sorte de paix, mais que les territoires conquis par la Russie ne sont pas restitués, que ses troupes ne se retirent pas complètement, alors tout cela voudrait dire que la Russie a obtenu des choses qu’elle n’avait pas avant cette agression. On ne peut pas laisser Poutine s’en tirer comme ça.
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La « no fly zone »
Kaja Kallas évoque la difficile question de la zone d’interdiction de vols et conclue :
« Si s’engager dans la guerre signifiait avec certitude mettre fin à tout ce qu’endure le peuple ukrainien, alors le choix serait clair. Mais si cela mène à une extension des combats à d’autres pays, pour le moment en paix, cela change la donne. C’est une question qui me réveille la nuit. Y a-t-il quelque chose à faire pour empêcher toutes ces atrocités ? Mon pays les a déjà connues [pendant l’occupation soviétique] et nous ne souhaitons à personne de devoir y faire face. C’est pour cela que nous avons envoyé toute l’aide militaire, humanitaire et politique possible pour aider l’Ukraine à se défendre. C’est aussi pour cela que je répète que la paix à tout prix n’est pas la solution. Si un accord de paix laisse aux mains des Russes toutes les régions qu’ils occupent aujourd’hui, les atrocités ne s’arrêteront pas pour les personnes qui y vivent. Nous le savons, ils ont fait la même chose à notre peuple
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Pensez-vous qu’il y ait une différence de perception de la menace, entre les pays d’Europe de l’Est, en particulier les pays Baltes, et ceux d’Europe de l’Ouest ?
Je pense que nous comprenons mieux le fonctionnement de l’opération russe, et le raisonnement qui l’anime, parce que nous avons aussi subi l’oppression. Les pays plus à l’ouest ne comprennent peut-être pas que le rayon d’action des missiles russes est suffisant pour les toucher eux aussi. La menace est la même. Aujourd’hui, nous ne voyons pas de menace militaire imminente à nos frontières, nous ne pensons pas que les Russes s’aventurent à attaquer un pays de l’Otan. Mais il faut que les grands pays d’Europe occidentale comprennent que c’est la sécurité de toute l’Europe qui est menacée, pas seulement celle des pays proches de la Russie.
Après avoir insisté sue la volonté estonienne d’être membre de l’OTAN, La Premier Ministre revient sur les visées de Poutine :
« Il y a un livre très intéressant de Timothy Snyder [The Road to Unfreedom], dont la thèse s’applique aussi à la France. Il explique que lorsqu’il a compris que la Russie ne deviendrait jamais l’Europe ou l’Occident, Poutine a décidé que l’Occident deviendrait russe. Et c’est ce qu’il fait depuis vingt ans, construire des liens avec l’extrême droite en Europe et aux Etats-Unis. Ces partis d’extrême droite ont répandu la même narration, que l’Occident est moralement corrompu et sous une pression migratoire immense. Aujourd’hui, il crée d’un côté une pression migratoire en déclenchant une guerre en Ukraine, comme en intervenant en Syrie ou en plaçant des mercenaires au Mali. Il crée ou entretient des conflits pour pousser des réfugiés vers l’Europe. Leur narration est que nous sommes sous une terrible pression migratoire. Nous voyons, au moins dans notre pays, que toute l’extrême droite dit que les réfugiés de guerre sont le problème. Le problème n’est pas ces réfugiés. Poutine est le problème.
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Photo: Alexis HAULOT, EURANET Citizens Corner debate