Georges Bensoussan. Un exil français. Un historien face à la justice, Editions L’Artilleur, 2021. 378 p., 20€
Georges Bensoussan, connu surtout en tant que coordinateur d’un ouvrage de référence paru en 2002, Les territoires perdus de la République, retrace les quatre années de procédure judiciaire qu’il a subies entre 2015 et 2019, accusé de « provocation publique à la discrimination, à la haine et à la violence à l’égard des musulmans ». Il en est sorti relaxé, mais meurtri et, aux yeux de certains, dévalorisé en tant qu’historien1.
L’affaire commença lors de l’émission Répliques d’Alain Finkielkraut du 10 octobre 2015 où étaient invités à dialoguer Patrick Weill et Georges Bensoussan, tous deux historiens, sur le thème du « sens de la République » – titre d’un ouvrage de Patrick Weill.
Le débat devint houleux lorsque fut abordée la question de l’antisémitisme en France, Bensoussan affirmant l’existence d’un antisémitisme venant des populations immigrées originaires d’Afrique du Nord. Pour étayer ses arguments, il voulut s’appuyer sur les propos du sociologue algérien Smaïn Laacher, et pour cela le cita mais de façon très approximative, disant que dans les familles musulmanes on tétait l’antisémitisme « avec le lait de la mère ».
Cette expression déclencha un tollé dans l’extrême gauche « antiraciste » et provoqua une affaire judiciaire interminable. Bensoussan fut taxé d’islamophobie. L’expression utilisée était en effet interprétée comme le signe d’un racisme viscéral à l’égard de tous les musulmans et de tous les Arabes.
Puisqu’il s’agissait de lait, c’est donc que selon Bensoussan l’antisémitisme était génétique ! Puisqu’il était dans les gènes, tous les Arabes étaient antisémites !
En tout cas, Smaïn Laacher lui-même fut choqué par cette interprétation de ses propos (pourtant bien plus critiques encore que ceux de Bensoussan, mais le lait n’y était pas), s’en désolidarisa puis porta plainte (une plainte qu’il retira plus tard).
Toute l’extrême gauche « anti-raciste » se mobilisa contre Bensoussan.
Dès le 14 octobre, une pétition, initiée par le professeur d’histoire d’extrême gauche Laurence de Cock, fut publiée, accusant l’historien de reprendre à son compte « les discours les plus simplistes et les plus nauséabonds ».
Un certain nombre de militants « antiracistes » firent alors un signalement au CSA. Puis le CCIF (Collectif contre l’islamophobie en France)2 fit appel au Parquet en mars 2016, lequel lança en octobre une procédure judiciaire contre Bensoussan. Le CCIF fut bientôt rejoint par la LDH (Ligue française pour la défense des Droits de l’Homme), le MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples), SOS racisme, Touche pas à mon pote et même la LICRA (Ligue nationale contre le racisme et l’antisémitisme). Plus tard, ce sera aussi le cas de SOS soutien Ô sans-papiers.
Il y eut donc un procès et Bensoussan fut relaxé. Mais les associations (sauf la LICRA et SOS racisme) firent appel. Le second procès eut lieu de mars à mai 2018 et se termina aussi par une relaxe. Puis en septembre 2019, le pourvoi en cassation demandé par trois associations fut rejeté par la Cour.
Bien évidemment, jamais Georges Bensoussan n’a affirmé que TOUTES les familles musulmanes étaient antisémites. Cette image du lait, comprise comme l’affirmation d’un racisme biologique, faisait en réalité référence à un phénomène culturel, au climat familial. Il s’en expliqua sans réussir à convaincre ses adversaires.
Taxé d’islamophobie, il devint l’objet d’une bataille d’opinion et judiciaire. Mais quel était le véritable enjeu de ces différents procès?
Il faut se référer aux analyses des associations accusatrices concernant l’antisémitisme présent chez les populations émigrées originaires du Maghreb. Or, soit elles nient son existence, soit elles l’excusent.
Elles le nient : les populations arabes étant par essence des victimes du racisme occidental ne peuvent être elles-mêmes racistes. C’est le discours classique du déni, que l’on a bien connu avec la question du communisme : il s’agit de rendre compte du monde tel qu’on voudrait qu’il soit et non tel qu’il est. Et même si on sait que l’antisémitisme est présent chez ces populations, il faut se taire, car le dire serait faire le jeu de l’extrême droite.
Mais comment un tel déni est-il possible ? Bensoussan rappela dans sa défense que les actes antisémites n’avaient fait que se multiplier depuis au moins une vingtaine d’années, et que la grande majorité était le fait d’émigrés d’origine maghrébine – Mohamed Merah, l’Hyper casher… Les enfants juifs quittaient les écoles des banlieues car ils étaient menacés, des familles juives partaient s’installer en Israël par peur d’actes antisémites en France. En dépit de la « rage islamophobe » censée ravager la France, notait Alain Finkielkraut3 avec ironie, ce sont les Juifs qui s’en vont et les musulmans qui arrivent !
Devant l’évidence, ces organisations se réfèrent à une idée toute faite mais fausse, censée excuser ce phénomène : si l’antisémitisme est présent dans la population arabe c’est un legs de la colonisation. L’antisémitisme est un phénomène purement occidental.
Enfin autre argument : cet antisémitisme est apparu du fait du conflit israélo-palestinien et de l’attitude négative d’Israël.
Ces différentes affirmations vont à l’encontre des conclusions d’un des ouvrages de Bensoussan : Juifs en pays arabes. Le grand déracinement 1850-1975 4 dans lequel il montre, en s’appuyant sur de très nombreuses sources, l’importance de l’antisémitisme dans le Maghreb musulman d’avant la colonisation. Et selon lui, c’est cette démonstration que les organisations dites anti-racistes veulent lui faire payer car elle va à l’encontre de la doxa sur la question. Elle détruit l’image d’une harmonie ancienne Juifs/Arabes que le colonialisme et le sionisme aurait ruinée. Mais c’est un mythe : le fait qu’il n’y ait plus de Juifs vivant dans le monde arabe montre l’absurdité de cette affirmation.
Selon ses accusateurs, que cherche Bensoussan en s’opposant à cette doxa ? Les propositions sont variées, allant de la volonté de «minorer l’antisémitisme européen » à celle de « cautionner la politique israélienne de colonisation », ou même selon l’avocat de la LDLH de « faire des musulmans les complices de la Shoah » et ainsi « poser les premiers jalon d’un génocide » !!!
Cette affaire est très significative : elle montre que la liberté d’expression est sous surveillance, minée par un terrorisme intellectuel qui paralyse la pensée et les penseurs. La stratégie menée consiste à « diaboliser l’adversaire en qualifiant d’extrême droite toute pensée dissidente. » Kamel Daoud , qui est intervenu pour soutenir Bensoussan, parle « d’une police de la pensée » pour laquelle « le verdict d’islamophobie sert aujourd’hui d’inquisition ».
« Au nom d’un combat légitime, le soupçon de racisme pèse ainsi comme une épée de Damoclès au-dessus de la liberté d’expression » conclut Bensoussan.
Un certain nombre d’intellectuels ont été victimes de cette stratégie d’intimidation menée par des associations qui cherchent en fait à tester la résistance de la justice républicaine aux pressions sur la liberté d’opinion et d’expression.
Bensoussan a été relaxé, mais il a été déligitimé en tant qu’historien et c’est ce qui l’a le plus atteint. Pour la première fois de sa vie, il a songé à quitter cette France qu’il aime tant pour s’installer en Israël.
Florence Grandsenne
1 Responsable éditorial au Mémorial de la Shoah, son contrat n’a pas été renouvelé après cette affaire.
2 Il a été dissous par le gouvernement en octobre 2020 après l’affaire Samuel Paty
3 D’ailleurs ces procès visaient tout autant Alain Finkielkraut que Geores Bensoussan
4 Ed. Taillandier, 2012.