Philippe Buton : Histoire du gauchisme, l’héritage de Mai 68, éd. Perrin, 553 p. 26 euros

Il existait déjà un certain nombre d’ouvrages consacrés à l’histoire du « gauchisme » français pendant les années qui suivent Mai 68. Christophe Bourseiller, en particulier, avait épluché la presse et s’était intéressé à des personnages originaux, voire étranges.

Philippe Buton, me semble-t-il, est le premier à en proposer une vue d’ensemble après un énorme travail d’enquête global : la presse, sans doute, mais aussi les études qui l’ont précédé, les archives – notamment celles de la police – les entretiens avec les acteurs, enfin, ont été sollicités. Avec un sérieux, une méticulosité, très professorales, il développe ses propos et les avance preuves à l’appui. Certes, quelques aspects auraient pu être plus développés ou du moins interrogés. Mai 1968 n’engendre pas seulement des militants persuadés d’une révolution radicale prochaine. Des vies ont été changées, le rapport à la loi a été changé. Les organisations sont plus étudiées que ce bouleversement là, qui installe au quotidien des milliers de jeunes dans le rejet ou la dépréciation de l’Ecole, de l’Armée, de la Famille. Le slogan « Jouissons sans entrave » badigeonné sur les murs du Quartier latin et ailleurs, a laissé des traces. Le raisonnable et le rationnel en ont pris un coup et les antivax d’aujourd’hui seraient sans doute étonnés de se voir qualifier d’héritiers de Mai 68. Et pourtant…

D’autres aspects, dans un ouvrage si savant, auraient peut-être mérité aussi un peu plus d’attention, comme le rapport avec le monde communiste, alors en pleine scission, on s’en souvient. La tenue du congrès de constitution du parti communiste  « marxiste-léniniste » avait été payé par les camarades albanais et Pékin finançait la diffusion de ses thèses via les nains politiques qu’étaient Jacques Jurquet et Régis Bergeron, deux dirigeants du PC(ml)F. Entre parenthèses, aussi souples soient-ils aujourd’hui dans leurs efforts pour accroître leur influence, leur soft power comme on dit, les communistes chinois n’ont guère changé et c’est un Fabien Roussel, secrétaire du PCF réduit à peu de choses et discrètement pro-chinois, qui, mutatis mutandis, bénéficie actuellement de la sollicitude communiste chinoise. Bis repetita placent ? Les montagnes n’accouchent pas toujours de souris mais elles peuvent croire que les souris accoucheront de montagnes !

Il faut lire cet ouvrage, moins épais qu’il y paraît du fait de dizaines de pages de notes et d’annexes, témoignant du sérieux de l’entreprise. Il faut lire en particulier ce qui concerne la problématique de la lutte armée, au bord de laquelle le gauchisme français et en particulier la Gauche prolétarienne (maoïste) s’est arrêtée, au contraire de ce qui se passa en Allemagne avec la Fraction Armée Rouge et surtout en Italie.

Il faut lire aussi les réflexions de Philippe Buton sur ce qui motivaient les jeunes gauchistes français, sur leurs espoirs d’une vie autre – et sur leur fonction sociale in fine, pour le moins paradoxale, de facilitation de l’émergence d’une société plus libérale et d’une économie capitaliste plus efficace.

Eric Zemmour a lu rapidement ce livre et en a rendu compte dans Le Figaro le 17 juin dernier. Le commentaire de ce commentaire ne serait pas sans intérêt car il illustre la méthode du polémiste. Il n’apprend rien en lisant l’ouvrage, qui est seulement convoqué pour illustrer ce que lui, Zemmour, soutient depuis longtemps. Il voit dans cette Histoire du gauchisme une manifestation de ce que l’histoire est écrite par les « vainqueurs ». Buton, collaborateur de la revue Communisme, l’aurait donc écrit ad majorem revolutionis gloriam, alors qu’en réalité cette revue savante dirigée par Stéphane Courtois était tout sauf une publication complaisante envers le communisme et le gauchisme. Le reste du compte-rendu est à l’avenant : polémique first ! Les gauchistes de 68 ont fait le lit de l’islam (n’appuyaient-ils pas les immigrés maghrébins?) et de l’homosexualité triomphante (ne préférèrent-ils pas les chars de la Gay Pride à ceux qu’avaient utilisés par exemple les Soviétiques à Prague)  ?

Mieux vaut lire Buton que Zemmour pour connaître notre histoire récente.

Pierre Rigoulot

25 Oct 2021

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