« Les quatre guerres de Poutine » de Sergueï Medvedev. Traduit et annoté par Galia Ackerman. Buchet-Chastel 2020, 398 pages, 24 euros.
Sergueï Medvedev est historien spécialiste de la période postsoviétique et cible 4 combats de Poutine : pour l’espace (vital), pour les symboles, pour la sphère de la vie privée et pour la métamorphose du passé.
L’auteur nous offre un panorama jubilatoire et inquiétant, savoureux et répugnant, de la pathologie collective dont est victime la Russie poutinienne, notamment quant à sa (ré)vision de l’Histoire et la place « légitime » de la Russie dans le monde contemporain.
A l’instar de la Chine actuelle, la réécriture de l’histoire y est conçue comme la stratégie clef en vue de gagner << la guerre pour la mémoire>>.
Y compris à l’étranger.
Outre l’occultation des pans les plus effroyables de l’histoire soviétique, la nouvelle magnification de la période stalinienne, le muselage ou l’emprisonnement de maints historiens et chercheurs honnêtes, la peur comme incitation à l’autocensure, il lance les actions désinformatives et les analogies historiques les plus hardies au point que, vues de l’extérieur, certaines peuvent prêter à rire. P. ex. L’absurde fascisation de l’Ukraine, avalée toute crue par une grande majorité de Russes ; une pétition exigeant la restitution de l’Alaska à la Russie par des activistes russes (qui n’a pas recueilli les 100 000 signatures nécessaires pour être examinée par le gouvernement américain) ; ou, pour répondre aux critiques américaines de l’annexion de la Crimée, le rappel par Poutine de l’annexion du Texas par les USA en 1845 !
La désinformation quotidienne répétitive réveille ou instille, nourrit et amplifie, un mode de pensée victimaire et binaire qui conduit à une polarisation mentale de tous les instants : une Russie mythifiée, seule face aux machinations des forces mondiales obscures menées par le grand Satan, les USA. Menace américaine cependant fortement atténuée, voire transformée en soutien temporaire, quand Trump, à la botte de Poutine, et ayant bénéficié de la très efficace ingérence russe, fut élu Président.
Ecrit avec un humour noir et une autodérision typiquement russes.
A déguster avec délice même si on ne partage pas certaines analyses de l’auteur.
Pierre Druez