Conforter les principes républicains ? Echange de P. Rigoulot et A. Senik autour du projet de loi dit de confortement des principes républicains
Le texte dit de confortement des principes républicains, actuellement en cours de discussion au Parlement, suscite bien des réactions. Philippe d’Iribarne, que nous avons eu le plaisir de recevoir à l’Institut d’histoire sociale, a par exemple publié dans Le Figaro un texte clair, cernant bien les problèmes en distinguant la foi de chaque musulman des prescriptions sociétales tirée du Coran. Distinction importante bien qu’on puisse lui objecter qu’une religion n’est jamais seulement une affaire spirituelle sans vision sociétale. L’Eglise catholique le prouve encore aujourd’hui.
André Senik a, le premier parmi nous, émis quelques remarques sur le texte gouvernemental comme sur celui de d’Iribarne dont il propose au fond un commentaire critique.
L’Exécutif, écrit Senik, peut sans problème se déclarer publiquement hostile à l’idéologie politico-religieuse qu’est l’islamisme. Mais il ne peut pas la nommer particulièrement, dans une loi dont la portée doit toujours être générale.
On se souvient que l’Allemagne fédérale avait interdit le KPD mais qu’elle n’avait pas interdit la propagande marxiste.
Aujourd’hui, la République française peut dissoudre les organisations islamisées, mais elle ne ne peut pas porter de jugement global sur l’Islam, pour lui donner un blanc seing, pour le rejeter, ou pour demander aux musulmans de purger leur religion. Ce serait une ingérence contraire à la fameuse ligne de séparation des religions et de l’Etat.
La nouveauté de la situation actuelle dans le rapport entre les religions et la République, c’est qu’il n’y a plus de cloison étanche : les religieux ont le droit d’intervenir dans les débats de société en tant que religieux et la République peut combattre certains aspects d’une religion quand ils sont de portée sociétale : la religion doit être alors traitée comme les autres idéologies
La République peut dire ce qui la concerne elle-même : quels sont les principes et quelles sont les lignes rouges qu’elle défend et qu’aucune religion ni aucun aucune idéologie ne peuvent franchir sans tomber sous le coup de la loi.
Ce rappel ne peut pas prendre pour cible une seule religion.
Cela ne signifie pas qu’on doive interdire le port de la kippa comme celui du voile islamique ou du burkini , car la signification du port de ces tissus n’a rien d’identique.
J’aimerais poursuivre ici cette réflexion de notre ami Senik et m’en inspirer pour apporter mon soutien au texte proposé pour conforter les principes républicains
Une majorité de Français avait apprécié que l’ennemi soit désigné lors du discours présidentiel des Mureaux, et qu’on fournisse des armes législatives contre lui en conséquence d’une perception de l’islamisme ou islam politique comme ennemi d’une démocratie comme la notre.
On reproche aujourd’hui au texte législatif de ne pas nommer cet ennemi et pire, d’avoir retiré les chefs d’accusation explicités au lendemain de la décapitation de Samuel Paty, et notamment le « séparatisme ». On ne regrettera pas ce dernier retrait qui, pour explicité qu’il soit, était en deçà des attentes. Les islamistes ne cherchent pas seulement à se séparer, en effet. Ils cherchent à vaincre et à conquérir. Le séparatisme (idéologique, culturel, institutionnel) n’est qu’un élément d’une entreprise globale de conquête.
Et puis, gagne-t-on toujours à nommer l’ennemi? Pas si sûr. Le nommer, c’est lui accrocher la médaille d’opposant majeur quand ce n’est pas celle de minorité persécutée. En tout cas, le texte législatif actuellement en discussion au Parlement ne le fait pas pour trois raisons, je pense. La première est évidente : une loi ne peut s’en prendre à une institution ou à une minorité particulières.
Deuxièmement, il est impossible en démocratie d’interdire telle ou telle foi religieuse. Ce qu’il est seulement possible d’interdire, ce sont des prescriptions sociales incompatibles avec l’ordre démocratique libéral actuel.
La troisième raison est d’ordre politique et même tactique. Faire passer une loi qui renforce des principes républicains, c’est prendre au mot des gens qui prétendent les respecter et c’est isoler les autres, sans rejeter la majorité des musulmans. Tactiquement, la manoeuvre est bonne. On ne veut pas voir cet aspect de la démarche présidentielle parce qu’on ne veut pas penser qu’elle est au fond anti-islamiste même si elle n’en a pas toutes les apparences.
Le Rassemblement national, par exemple pense non seulement qu’il faut nommer l’ennemi, mais justifier la désignation par la nature même de l’islamisme comme un totalitarisme. Nous sommes d’accord avec cette qualification. Dans Histoire et Liberté et dans nos colloques, nous l’avons répété sans cesse. Mais peut-on interdire l’adhésion à une idéologie? A une institution qui s’en réclame et qui représente un danger pour la société démocratique dans laquelle nous vivons, oui. A un groupe qui vise l’ordre public sous les pires formes (des attentats aveugles), oui également. Comme André le rappelle très justement, la République fédérale d’Allemagne avait interdit le KPD, le parti communiste allemand. Mais elle n’interdisait pas la propagande marxiste et léniniste.
On ne doit pas comme le pense Jean-Paul Garraud, l’eurodéputé RN qui présente le contre-projet de son parti, interdire purement et simplement une idéologie comme telle.
Sans doute, le contrôle des préconisations sociales, pour le coup séparatistes, comme celles qu’on peut valoriser dans le cadre d’un enseignement hors de l’Ecole de la République, gène-t-il des structures scolaires juives ou chrétiennes qui vont être davantage surveillées. Mais nous le savons : il n’y a pas actuellement d’institution scolaire subversive de ce côté-là et la dénonciation d’une atteinte aux libertés dans l’annonce de contrôle supplémentaire tombe à plat : ces contrôles ne les empêcheront pas de fonctionner. On sait qui est effectivement visé même si on ne le crie pas de manière provocatrice sur les toits.
Pour revenir au texte de Philippe d’Iribarne paru le 2 février qui reproche au projet législatif gouvernemental de ne pas bien distinguer la foi et les prescriptions d’ordre social. Il me semble qu’il n’est pas nécessaire d’évoquer une ou la religion dès lors que la pratique qu’elle inspire entre en contradiction avec les principes démocratiques et républicains. Les autorités d’un Etat démocratique n’ont pas à proposer explicitement des modifications du contenu religieux ou en tout cas de leur perception par les croyants même si l’objet de l’ « islam de France » que cherche à mettre sur pied revient implicitement à cela, en tout cas à long terme.
Pierre Rigoulot