Élections legislatives 2024 : Une Analyse des Enjeux Politiques en France

Cher Pierre, ce que je pense de l’effarante situation actuelle vient d’être implacablement exposé par Nicolas Baverez(biographe de R.Aron, qui n’a rien d’un excité sympathisant de l’extrême-droite canal historique!) dans son papier du « Figaro » d’hier (avant-dernière page) et je ne saurais mieux dire: état des lieux régalien et financier cataclysmique, responsabilité extrême de Macron dans cet état de choses, impossibilité désormais d’établir une équivalence des dangers représentés par l’islamo-stalinisme de LFI et ses complices avec ceux du RN, dont les désastreuses ambiguïtés (Le Pen n’est pas G. Meloni!) sont bien rappelées…J’ajoute que je me retrouve tout autant dans les éditoriaux de Franz-Olivier Giesbert dans « Le Point ». Ce qui m’épargne de le redire moi-même moins brillamment…

Alain Laurent (18 juin 2024)

Une chose me chiffonne, bien que le papier de Pierre soit tout à fait judicieux, c’est qu’à la fin, cela sonne comme l’appel de Kylian Mbappé à voter au centre. On écrit LFI mais c’est le front de gauche avec Sandrine Rousseau, Manuel Bompard, d’autres crétins et Raphaël Gluksmann (mais qu’allait-il faire dans cette galère?), donc , à l’exception de R.G. un ramassis de criminels, alliés aux assassins du Hamas, du Hezbollah, antisémites et antidémocratiques.Qu’avons-nous à renvoyer dos à dos LFI et RN. Que je sache le RN s’est joint à la manif contre les crimes du 7 octobre, et demande pas la révolution. Ils peuvent évoluer comme Georgia Meloni devenue atlantiste, proeuropéenne et alliée des Ukrainiens.

C’est ma modeste contribution après notre réunion au Pont Neuf. Si nous devons écrire un manifeste centriste je ne signerai pas.

Ceci en toute amitié.

Claire  Brière (18 juin 2024)

Chère Claire

Préférer le centre aux deux mouvances placée aux extrêmes de l’hémicycle ce n’est pas les renvoyer dos à dos. L’actuel parti situé le plus à droite n’est pas révolutionnaire tandis que le Front populaire est sous l’emprise d’une idéologie en guerre contre la démocratie représentative. La présence en leur sein du N P A qui fait l’apologie du 7 octobre suffit à mes yeux à estimer qu’entre les deux extrêmes le RN est de loin le moins à redouter. Mais le repli national populiste n’est pas mon premier choix.On peut faire toutes les critiques au style de Macron mais sur l’Europe et donc sur La Défense du monde libre, le national populisme du RN est un danger à l’intérieur comme Orban.

André Senik (18 juin 2024)

Pour aller plus loin…Je pense que l’ennemi  N*1 c’est tout simplement LFI, Le NPA et autres trotskistes…Et autres écolos, les pauvres…

C’est pourquoi, évidemment le RN n’est pas mon premier choix, mais je pense qu’il faut avoir le courage comme Serge Klarsfeld, comme Finky, Michel Onfray expliquer qu’il faut, lorsque l’on se trouve face à ce type de choix voter RN. Il faut un maximum de voix pour édifier un vrai barrage contre les fachos d’aujourd’hui. Ils me rappellent toute cette gauche d’avant-guerre, années 30-40 , responsables de la LICA la ligue « contre l’antisémitisme », tous passés au service de Vichy!!!

A mes yeux, sauf pour quelques personnes que je trouve respectables, il est hors de question de voter pour Renaissance et consorts. Cela revient à voter pour le pompier pyromane.  Le ni…ni.. en même temps et autres dénis et dérobades. 2015 le Bataclan, puis Nice etc…profs trucidés, mais depuis longtemps menacés etc…Il eut fallu de la poigne, de la détermination, une politique de fermeté par rapport aux incivilités. Et quoi? face à la propagande effrénée des Furieux de la gauche, nous avons opposé, comme d’habitude cette indulgence si démocratique, si pleine de vertus que les criminels ont pu continuer à sévir.

Notre président, combatif sur la question de l’Ukraine (mais ne vise-t-il pas la présidence de l’UE?) s’est s’emmêlé dans ses déclarations sur Israël, se lançant dans de lyriques discours sur absolument tout et…tout. Pas de vision, pas de cohésion, donc pas de nation. Nous y sommes. Je vois venir un futur (depuis longtemps) mâtiné de guerre civile. Nous n’aiderons pas l’Ukraine de cette façon. Ce pays formidable a besoins d’alliés solides et armés.

Et les RN feront comme Meloni. Cela a déjà commencé pendant cette campagne.

Toujours avec amitié

Claire Brière (19 juin 2024)

Mon hostilité aux islamisto-gauchistes complices des atrocités du Hamas est totale. L’islamisme mondialisé, barbare et archaïque, est le nouveau nazisme que le monde libre doit vaincre à l’échelle mondiale. Quant au prétendu antifascisme des héritiers du communisme d’hier. il joue sa dernière comédie. François Furet a longuement démontré que l’antifascisme brandi par le mouvement communiste n’était qu’un leurre cachant la similitude entre nazisme et communisme. Les islamisto-gauchistes d’ascendance trotskiste de LF I et du NPA sont les véritables fascistes qu’il faut battre aux élections.

Nous verrons si les électeurs de gauche non fascistes sauront faire le tri entre les candidats présentés par le N F P.

André Senik (19 juin 2024)

Pourquoi rejeter le RN et LFI ?

Après le tsunami intervenu le 9 juin 2024 et le bouleversement politique qui l’a suivi (la dissolution de l’Assemblée, l’éclatement de LR et la reconstitution d’une union des gauches sous la forme du Nouveau Front Populaire (NFP)), une leçon s’impose : les dirigeants politiques hors RN (et ceux de la gauche tout particulièrement) n’ont toujours ni compris ni admis ceci :  le succès électoral croissant du RN s’alimente essentiellement à ce que le flux migratoire vers la France reste trop important depuis trop longtemps. 

Une preuve parmi d’autres :  ce n’est pas seulement en France mais dans tous les pays d’Europe (y compris au Royaume-Uni) qu’une même montée des partis d’extrême-droite s’alimente à des flux migratoires excessifs et à leurs multiples conséquences.

Si la France précède (de peu) les autres pays européens, c’est que chez nous, l’immigration s’accompagne plus qu’ailleurs d’un terrorisme islamiste récurrent, de graves révoltes violentes dans les banlieues (juin 2023 en particulier) et de campagnes islamiques répétées contre notre laïcité…On ne combattra pas efficacement le RN si on reste aveugle quant à l’origine de ses succès électoraux répétés, si on continue à prétendre que ce seraient principalement les préoccupations de pouvoir d’achat qui conduiraient tant d’électeurs à voter pour le RN. 

Il est évident que, si on ne prend pas davantage de mesures pour freiner l’immigration, on s’expose à ce que la montée du RN se poursuive encore d’ici la présidentielle. L’immigration doit cesser d’être le débat interdit qu’il est depuis 40 ans en France. 

Depuis 40 ans, la gauche extrême et quelques ONGs se sont employées à faire admettre aux partis de gouvernement de notre pays que toute limitation de l’immigration relèverait d’une démarche raciste. Or l’immigration, en France comme ailleurs, est un sujet qui mérite pleinement un débat démocratique sans que les personnes qui en souhaitent une limitation soient immédiatement taxées de racistes 

Un exemple parmi d’autres. Lors des élections de décembre 2023 en Pologne, l’alliance pro-démocratique autour de Donald Tusk a réussi à renverser la majorité parlementaire dont disposait le parti Droit et Justice, un parti d’extrême-droite qui de longue date est un proche allié du RN. Cela n’a pas empêché Donald Tusk d’entamer sans tarder la construction d’un mur avec la Biélorussie ; il s’agit pour lui de s’opposer à l’afflux d’immigrants que Poutine fait venir du Sahel en Russie pour ensuite les envoyer manu militari vers la Pologne (ou vers la Finlande) dans le but avoué de  déstabiliser ces pays.

LFI, une fois de plus, tourne le dos à ce qu’il conviendrait de faire : il a exigé et obtenu de ses alliés du Nouveau Front Populaire d’inscrire à leur programme commun des mesures qui faciliteraient davantage encore l’accès de notre territoire aux migrants (un élargissement en particulier de l’accès à notre droit d’asile).C’est ahurissant. Une nouvelle fois, LFI contribue ainsi, indirectement mais assurément, à la montée du RN. Plus les dirigeants politiques hors RN s’avèrent laxistes en matière migratoire, plus cela contribue à propulser le RN vers le pouvoir suprême. De la même façon que les déclarations de Mélenchon autorisant les émeutiers de juin 2023 à « brûler tout sauf les bibliothèques et les écoles » ou que son slogan « tout le monde déteste la police » contribuent directement à renforcer le RN.

Ce comportement irresponsable de LFI tient à ce qu’il est un parti qui est en même temps pro-islam et révolutionnaire. En tant que parti pro-Islam, il estime de son devoir de faciliter l’immigration en France ; en tant que parti révolutionnaire, misant sur un mécontentement croissant, il pratique la politique du pire dans l’espoir qu’un jour, la colère de la rue le porte au pouvoir. C’est pour ces deux raisons auxquelles il faut ajouter un antisémitisme de moins en moins voilé que je souhaite un nouveau désaveu électoral de LFI.

La menace la plus immédiate, comme on le sait, est celle qui vient du RN. Un RN qui se singularise par son opposition totale à l’immigration mais qui présente bien d’autres particularités extrêmement inquiétantes qui ne sont généralement pas assez connues ou pas assez mémorisées par le public. Enumérons les ici :

  • Une volonté d’accroître encore l’empire médiatique de Bolloré. C’est en tout cas le sens que les commentateurs objectifs accordent à son projet de privatiser plusieurs médias d’Etat.
  • Une alliance intense avec Poutine qui va bien au-delà du prêt que consentit Moscou au RN. Beaucoup de commentateurs semblent oublier que Marine Le Pen s’était déplacée en Crimée en 2015 pour y approuver l’invasion de la Crimée par la Russie et pour en féliciter Poutine ; elle refuse encore de s’en auto-critiquer. Beaucoup semblent avoir aussi oublié que Marine Le Pen avait été solennellement reçue à la veille de la Présidentielle de 2017 par Poutine pour tenter de renforcer son image internationale.
  • Une réticence au soutien à l’Ukraine (ce qui est cohérent avec le point précédent). Si Marine le Pen n’a pas commis l’erreur commise par Eric Zemmour lors de l’invasion de l’Ukraine par Poutine, elle a par la suite marqué un manque d’enthousiasme évident à soutenir l’Ukraine, tant à Paris qu’à Bruxelles.
  • Une hostilité à l’OTAN alors que, plus que jamais, depuis février 2022, les démocraties européennes ont besoin de ce qui reste leur principal bouclier face à Poutine et à ses alliés (un bouclier qui s’était déjà avéré très utile face aux lance-missiles que Brejnev pointait sur l’Europe de l’Ouest à la fin des années 70 et au début des années 80).
  • Une hostilité à l’Union Européenne qu’elle affichait ouvertement jusqu’en 2017 et qu’elle a entrepris tactiquement de dissimuler depuis 2022 (comme les autres partis européens d’extrême-droite d’ailleurs).
  • Une complicité marquée avec Orban, le dirigeant hongrois qui a fait basculer la Hongrie dans une démocratie illibérale (une démocratie dans laquelle celui qui gagne l’élection s’octroie tous les pouvoirs et se permet de ne pas respecter les limitations constitutionnelles). Cette complicité du RN avec Orban est attestée par la participation de Marine le Pen aux réunions de l’extrême-droite européenne (et de Jordan Bardella à leur sommet de Budapest en 2022).
  • Une jonction avec Trump. Trump et Marine Le Pen sont en réalité, avec Orban et Nigel Farage (Monsieur Brexit au Royaume-Uni), les pions majeurs dont s’est doté Poutine au sein même de nos pays démocratiques. Après que Trump eut été élu fin 2016, Marine Le Pen avait sollicité d’être reçue par lui. Si cela n’eut pas lieu, ce fut uniquement parce que Trump jugea que cela ne correspondait pas à son agenda. Et à mesure que le scrutin de début novembre s’approche, Trump nous annonce à la fois qu’il n’entend pas respecter totalement les institutions républicaines des Etats-Unis et il nous annonce aussi qu’il entend abandonner l’Ukraine à son ami Poutine.

Au total, une machinerie diabolique est en place : en s’obstinant à refuser toute limitation des flux migratoires, on propulse le RN qui, s’il parvenait au pouvoir, s’emploierait assez vite à séparer la France de ses alliés naturels (les autres pays de démocratie libérale), pour la rapprocher de l’axe des dictatures totalitaires « Moscou-Pékin-Téhéran-PyongYang » (comme cela est déjà le cas depuis plusieurs années pour la Hongrie de Orban). 

Voilà pourquoi au premier tour, il s’agit de rejeter le RN et LFI et pourquoi le vote en faveur des partis du Centre est la meilleure option.

Jean Francart (20 juin 2024)

Chère Claire, 

Merci pour tes remarques. Merci à tous ceux qui ont pris aussi la peine de faire connaître leurs position. Le résultat de ce dialogue est de m’obliger à plus de précisions.Oui, j’ai appelé à voter au centre. Mais au 2 ème tour des prochaines législatives, certains cas particuliers me pousseraient à voter différemment.

Je pourrais par exemple voter pour un candidat du Front Populaire comme Glucksmann malgré la grande déception qu’il a suscitée en moi. Plus généralement, s’il s’agit d’un de ces réformistes naïfs qui ont accepté l’étiquette et le programme « Nouveau Front populaire », je pourrai voter pour lui, s’il fait face à certains candidats RN, même si je trouve moralement honteux, économiquement délirant et politiquement dangereux de faire alliance avec LFI.

A l’inverse je pourrais voter pour un candidat du RN qui se présenterait contre un candidat LFI (au sens strict, et pas le rassemblement Nouveau Front populaire). André a raison : le RN n’est pas révolutionnaire. LFI, l’est. Mon texte ne vaut donc que pour le premier tour. 

Au 2 ème tour, je ne voterai donc en aucun cas pour un candidat LFI représentant dans ma circonscription le « Nouveau Front populaire ». J’examinerai son cas particulier et, malgré mes réticences, je pourrai donc voter RN – et pas seulement m’abstenir –  pour signifier que je refuse le  projet révolutionnaire de LFI en France, sa complaisance avec l’islamisme politique et avec l’agression russe de l’Ukraine.

(Pierre Rigoulot 21 juin 2024)

Depuis que je m’efforce de redéfinir le concept de « raison » pour tenter d’en ressusciter, ne serait-ce que sur le papier,  l’impérativité cognitive et morale,  je m’astreins à faire la différence entre ce qui est raisonnable et ce qui est rationnel.

A ce stade de mes réflexions, la décision de Pierre de soutenir  aux  prochaines législatives le parti centriste plutôt que le gauchiste ou le droitiste me paraît plus raisonnable que rationnelle.

Sa balance des bénéfices/risques me semble en effet incomplète : 

— s’il a raison de faire valoir que la survie du macronisme aurait un moindre coût que l’arrivée au pouvoir du Rassemblement National ou du Nouveau Front Populaire,  il oublie de se demander si ce faible coût ne suffirait pas à nous être fatal : lente submersion démographique et culturelle de l’Europe par l’islam ; perpétuation du macrono-islamo-gauchisme que le « en-même-temps » centriste engendre ;  renforcement de l’islamo-gaucho-centrisme si,  pour gouverner, le tandem Attal-Macron doit pactiser avec tout ou partie du N.F.P. ; 

— peu ou prou il surestime les risques que le R.N. fait courir à la France et à l’Europe : poids des gudards, des nazis et des fascistes dans le R.N. ? poids du R.N. dans l’appareil d’Etat ? culture anti-totalitaire des derniers et nouveaux électeurs du R.N. ? contre-pouvoirs du Président de la République et des juges ? 

— Il tend à ignorer ou sous-estimer les bénéfices politiques et culturels que peut occasionner l’arrivée au pouvoir d’un parti capable de réunifier une partie des anciens électorats gaulliste, communiste et divers droite ou gauche et capable, pour cette raison,  de privatiser la radio-télévision publique (qui me paraît être la plus importante base arrière de l’islamo-gauchisme) et d’entraîner le ralliement d’une partie des musulmans traditionalistes au panache blanc d’une France à nouveau fière de son passé, sûre de son identité et bravache.

L’homme raisonnable minimise par habitude ses risques de crainte de perdre plus qu’il ne peut gagner.

L’homme rationnel opte pour le risque à chaque fois qu’une analyse méthodique concrète de sa situation concrète (et s’appuyant sur une analyse critique des concepts avec lesquels il analyse sa situation concrète) le persuade qu’il court plus de risques à éviter les risques qu’à les calculer et qu’à les prendre.

Est-il raisonnable ou rationnel  d’appeler à voter Attal-Macron plutôt que N.F.P. ou R.N. ?

A chacun d’en juger en faisant le calcul exact, complet  et sincère de sa balance bénéfices/risques d’homme, de parent, de grand-parent mais aussi de citoyen.

(Jean-Pierre Airut, 25 juin 2024)

22 Juin 2024


Le RN: un parti républicain mais aussi un adversaire politique  majeur, comme l’est LFI

La décision du Président de la République  de dissoudre l’Assemblée nationale et les conséquences possibles de cette décision, parmi lesquelles la victoire électorale du Rassemblement national, nous poussent à examiner la nature du parti que dirigent Marine Le Pen et Jordan Bardella. S’agit-il, comme certains n’hésitent pas à le dire, d’un parti« fasciste », « raciste » et par conséquent un ennemi de la démocratie libérale ?

Ne s’agit-il pas plutôt d’un adversaire politique (avec lequel on peut  être en accord ou non) dont l’existence et même la victoire sont compatibles avec la vie de notre démocratie libérale?

Ne s’agit-il pas plutôt d’un adversaire politique (avec lequel on peut  être en accord ou non ) dont l’existence et même la victoire sont compatibles avec la vie de notre démocratie libérale?

On remarquera en passant que durant des décennies, le parti communiste français a participé à la vie démocratique, débattant à l’Assemblée nationale et se soumettant à ses votes alors qu’on savait:

1 que sa présence au sein d’une institution parlementaire démocratique était, conformément aux thèses de Lénine, d’abord un moyen de faire connaître ses positions en faveur d’une révolution et d’affaiblir ceux qui souhaitaient s’y opposer.

2  que la victoire dudit PCF conduirait à la mise sur pied d’un nouveau régime politique de type totalitaire, adossé à des Etats ennemis des démocraties. 

Le PCF a pourtant été autorisé. 

Sommes nous devant le même cas de figure? Le RN a participé à la vie parlementaire sérieusement, s’est incliné devant les votes de la majorité. Son comportement a été en conformité avec les règles démocratiques. Comme jadis le PCF. Mieux : il n’a pas, lui, de projets révolutionnaires. Cependant, à considérer ses valeurs et les effets qu’aurait la mise en application des solutions qu’il propose aux problèmes du pays, le RN apparaît indéniablement comme un danger sérieux pour la démocratie libérale. 

Sur le plan extérieur on peut craindre qu’il s’oppose à la poursuite de l’aide à l’Ukraine et continue d’agiter la menace d’une troisième guerre mondiale du seul fait de s’opposer à la puissance expansionniste russe. On peut aussi s’interroger sur la volonté du RN de poursuivre la décolonisation de la Nouvelle Calédonie. 

En ce qui concerne l’Europe, le RN s’oppose toujours à bon nombre des compétences de Bruxelles, au nom de la souveraineté nationale. Or affaiblir l’Europe et ne pas la doter progressivement d’une puissance militaire complémentaire de celle de l’OTAN, face notamment à la Russie poutinienne, est un choix dangereux pour la France.

En ce qui concerne la politique intérieure, le RN se fait le champion de la lutte contre l’immigration. Mais s’il faut en effet tenter de s’opposer à l’immigration clandestine, refuser toute forme d’immigration en Europe alors que celle-ci manque de main d’oeuvre est une absurdité.

Sur le plan intérieur encore, la direction du RN promet de réindustrialiser le pays, de faire baisser l’inflation et le chômage et de restaurer la sécurité. Belles promesses inapplicables. Le coût des différentes mesures proposées par le R.N. se monterait à 120 milliards d’euros par an ! Le déficit public exploserait. Les 30 milliards d’euros que coûterait sa nouvelle réforme des retraites fait d’ailleurs réfléchir les dirigeants du Rassemblement national eux-mêmes, qui ont en conséquence annoncé qu’ils en repoussaient l’application. Il en est de même en ce qui concerne la diminution importante de la TVA sur les carburants, l’électricité, le gaz et le fuel, les exonérations d’impôts sur le revenu pour les moins de 30 ans ou encore la nationalisation des autoroutes. Toutes ces mesures feraient s’envoler la dette. Par celles-ci, le RN répond au mirage d’un (trop) grand nombre de Français  confondant l’Etat et une poule aux oeufs d’or qui refuserait injustement de répondre à toutes leurs demandes.

Les difficultés économiques qui s’en suivront auront pour effet de provoquer rapidement colère et incompréhension. LFI tentera de capitaliser cette colère et l’on peut prévoir de forts mouvements sociaux avec manifestations violentes et grèves, d’autant plus que LFI jouera la carte d’un anti-fascisme obsolète, tout comme elle joue actuellement la carte du concept creux de  l’islamophobie. Dans ces conditions, conformément à ce qui constitue notre référence majeure, la  défense de la démocratie libérale, nous en appelons au ralliement des électeurs au candidat le mieux placé pour n’envoyer à l’Assemblée nationale ni LFI, dont les tentatives d’agitation révolutionnaire, le refus de s’en prendre à la politique poutinienne et le soutien au Hamas nous opposent à lui depuis longtemps, ni le Rassemblement national, dont les propositions conduiront le pays au chaos.

Florence Grandsenne

Vincent Laloy

Pierre Rigoulot

André Senik

13 Juin 2024


Jacques Broyelle (1943-2024)

Jacques Broyelle vient de mourir en silence. Le silence des autres. Car qui se souvient aujourd’hui des retours de Chine de Jacques et Claudie Broyelle  ? C’était il y a un demi-siècle il est vrai. Une vieille histoire ? On a pourtant rappelé, il y a peu, à la télévision, le rôle qu’avait joué le sinologue Simon Leys dans la critique du maoïsme. Rappelé aussi l’engagement enthousiaste de nombre d’intellectuels européens derrière Mao et sa violente et fanatique pseudo-« révolution culturelle ». Pour nous contenter de quelques noms, Roland Barthes, Philippe Sollers. Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir. Maria-Antonietta Macciochi – oui, celle qui s’était fait moucher par Simon Leys lors d’une émission d’Apostrophes – étaient tombés dans le panneau.

Jacques et Claudie Broyelle avaient d’abord, avec Evelyne Tschirhart, une amie qui travaillera plus tard sur les questions éducatives, publié Deuxième retour de Chine aux éditions du Seuil en 1977. Eux qui avaient chanté les louanges de la Chine après un premier et rapide séjour, brulaient fort heureusement ce qu’il avaient adoré. Après avoir travaillé deux ans aux Editions de Pékin et  dans un institut d’enseignement des langues étrangères, ils ruinaient l’idée d’une démocratie chinoise nouvelle équilibrant les aspirations de la population et la direction du parti communiste et soulignaient les ressemblances institutionnelles de la « République populaire » de Chine avec l’URSS : réseau de camps de concentration, parti unique et tout-puissant haïssant  la liberté individuelle, contrôlant étroitement la vie quotidienne, la presse, l’éducation des enfants, imposant une impitoyable justice dite « de classe », favorisant le culte du numéro 1, Mao Tsetoung, imposant référence et révérence au marxisme-léninisme, engendrant des luttes au couteau au sein de l’appareil politique dirigeant.

Lors d’une rencontre organisée par la revue Les Temps Modernes  quelques uns de ceux qui avaient longuement travaillé en Chine comme Michel Magloff, rentré d’une institution de langues étrangères à Shanghai, Xavier Luccioni qui, après avoir enseigné le français avait travaillé à Pékin-information, Roland et Annette Trottignon (née Wieviorka), eux aussi revenus d’un long séjour en Chine où ils avaient enseigné, manifestèrent leurs désaccords avec les époux Broyelle. Contrairement à ces derniers, ils n’avaient pas encore remis en cause aussi radicalement qu’eux le « maoïsme ». Claudie et Jacques Broyelle découvraient en revanche, sans en employer le terme, le totalitarisme.

Le moins qu’on puisse dire était que les expériences des uns et des autres ne se recoupaient pas. Les Broyelle furent accusés de ne s’être imprégnés ni des réalités tiers mondistes de la Chine d’alors, ni de son histoire. Leur vision ô combien discutable avait conduit à cette conséquence affreuse que les Broyelle rejetaient même le socialisme, chinois ou pas ! Ils niaient l’opposition des systèmes chinois et soviétique (alors que leurs interlocuteurs opposaient l’URSS, société bloquée, à la Chine, dont la vivacité et l’originalité étaient confirmées par la Révolution culturelle des années précédentes).

Pour les Broyelle, la Chine avait certes changé mais pour le pire – les camps, les prisons, les déportations déguisées de centaines de milliers de jeunes, les humiliations publiques, l’exigence fanatique d’une soumission aux partisans de Mao, tels avaient été les fruits de la « révolution culturelle ». Et si on laissait la bride sur le cou de quelques uns , c’était purement conjoncturel et comparable à ce que Khrouchtchev avait fait avec Soljenitsyne quand celui-ci avait pu publier Une journée d’Ivan Denissovitch dans la revue Novy Mir.

Suivirent d’autres livres  comme Le bonheur des pierres, (Seuil 1978) une sorte de journal, de recueil de réflexions sur leur engagement politique et leur part de responsabilité :  ils s’étaient trompés et l’assumaient. Ils s’étaient trompés et n’avaient pas été trompés (Huis Clos à Pékin, Le Monde 25 mai 1978)

Deux ans plus tard, Apocalypse Mao (Grasset,1980) réintroduisait une dimension historique dans cette réflexion sur le « legs maoïste qui se résumait en quelques mots simples : la terreur, la faim, le saccage de la jeunesse ». Un document interne au PCC allait jusqu’à estimer à 100 millions le nombre de victimes, brutalisées, mortes, jetées en prison, envoyées au laogai (l’équivalent du goulag) ou réduites au chômage et à la mendicité..Le « Grand bond en avant », avait quant à lui, causé trois ans de famine et 20 millions de morts. Quant à la jeunesse saccagée, elle le fut en effet avec des études « sacrifiées sur l’autel des utopies ». Quelques religieux exaltés ou naïfs comme le Père Cardonnel protestèrent. Le Monde, 15 mars 1978). Mais la rupture se consommait entre la majorité des intellectuels français et le marxisme-léninisme L’anti-communisme était revendiqué et …documenté. Le mouvement qui y avait mené passait aussi par une meilleure compréhension du marxisme, qui, bien que coupable innocentait le marxiste et était aveugle au rapport particulier qu’eux-mêmes, les Broyelle et leurs jeunes amis maoïstes, avaient entretenu « dans et par le marxisme avec une certaine idée de l’absolu », comme l’écrivirent Claudie et Jacques Broyelle(Le Monde, 20 janvier 1978). C’est ainsi, contre le relativisme historique marxiste, qu’ils redécouvrirent le Bien et la Mal.

On les vit ainsi avec André Glucksmann et Bernard Kouchner appeler à l’aide aux boat-people vietnamiens.

On les vit honorer la pensée d’Albert Camus et se ranger rétrospectivement à ses côtés dans sa polémique avec Sartre sur les camps de concentration soviétiques. En 1982, Les Illusions retrouvées (Grasset), Sartre a toujours raison contre Camus, Jacques et Claudie Broyelle réagissaient à la victoire de l’Union de la gauche, dénonçaient ses illusions retrouvées envers le camp socialiste porteur d’une société totalitaire pourtant depuis longtemps dénoncée aussi par Raymond Aron, Arthur Koestler et Manes Sperber.

Plus de quarante ans se sont écoulées depuis la parution de ce livre. Ce n’est pas une vieille histoire comme on se le demandait plus haut. Et pour son rôle de précurseur, donc, et pour son actualité brulante – car s’ils changent d’allure, les totalitarismes et les illusions dont on les pare continuent d’exister – il faut saluer le travail accompli par Jacques Broyelle aux côtés de son épouse. J’adresse à celle-ci et à toute sa famille nos condoléances les plus sincères.

Pierre Rigoulot

15 Mar 2024


Le défi laïque de l’intégration 

Ces toutes dernières années, un certain nombre d’alertes ont été lancées, et des mesures ont été prises en réponse à la poussée de l’islamisme politique  au sein même de l’École.

Comment celle-ci peut, non seulement se défendre, mais mener une bataille culturelle en vue de réussir l’intégration de ceux qui refusent la conception française de laïcité et de la société ?

Car il s’agit bien de penser une laïcité à la française, qui ne se réduise pas à la neutralité idéologique des représentants de l’État, mais concerne aussi les élèves que l’École doit « intégrer » dans le respect conjoint des croyances particulières et des principes de la République.

L’affaire est délicate car jusqu’à présent les enseignants étaient formés à transmettre des connaissances et des capacités, sans pouvoir aborder les convictions religieuses et culturelles qui sont incompatibles avec notre société, une société qui est libérale sans être multi-communautaire.

Le politique peut-il donner explicitement mission aux enseignants de mener cette bataille culturelle, en les formant à cette très délicate mission ? 

Linstitut dhistoire sociale vous invite à en débattre avec Pierre-Henri Tavoillot, président du Collège de philosophie, le jeudi 7 mars à 18h, au Café du Pont-Neuf, de  18h à 20h, 14 Quai du Louvre (Paris 1er)

2 Mar 2024


Lu dans Le Figaro l’article ci dessous. Il mérite d’être porté à la connaissance de tous. Cette prose effarante peut en effet servir à rappeler et à mesurer la profondeur et la gravité du fossé qui existe entre la culture islamiste et la notre. Elle peut aussi contribuer à mettre les néo-féministes et les « intersectionnalistes » devant leur silence complaisant.

André Senik

Entre deux vidéos sur le football, un influenceur de religion musulmane a tenu à expliquer à ses 780.000 abonnés TikTok les règles auxquelles devra se plier sa future femme. Dans la vidéo publiée samedi intitulée «Ma femme naura pas le droit», Adel Sidi Yakoub, joueur au sein de l’Entente Sportive Pays d’Uzès, dans le département du Gard, liste cinq interdictions qu’il juge «très raisonnables».

À commencer par celle « d’avoir des amis garçons ». « Cest moi ton ami, cest moi ton confident, cest moi ton pire ennemi… Ya pas damis. Ça nexiste pas chez moi», assène le jeune sportif d’un ton catégorique.

Sa femme aura également interdiction de «travailler avec des hommes», quitte à «rester à la maison».

Elle ne pourra pas plus «partir en voyage sans moi», continue Adel. «Les voyages avec ses potes, elle oublie (…) Cest moi qui la protège», estime le jeune homme qui admet toutefois une exception pour «les hommes de sa famille», frère ou père.

Adel, qui compte également une communauté importante sur Instagram avec plus de 83.000 abonnés, annonce encore que sa femme se verra interdire tout «habit moulant». «Voilà, cest pas compliqué (…) le corps de ma femme il est à moi», étaye-t-il. L’influenceur estime que «le mieux serait le voile», «mais je ne veux pas forcer», concède-t-il, bon prince.

Enfin, celle qui partagera la vie du Tiktokeur aura interdiction de s’exprimer sur les réseaux sociaux. « Moi jai le droit car cest mon travail», explique Adel, «cest comme ça que je la nourris». Et de se féliciter, en légende de sa vidéo, qui a fait en 24 heures quelque 16.000 vues : « Je trouve que mes règles sont très raisonnables».

14 Jan 2024


De Karl Marx au wokisme et à la cancel culture, la filiation est bonne

Karl Marx a construit sa vision de la société et de l’histoire au moyen d’un syllogisme en trois temps.

Son postulat de départ est que l’histoire des sociétés est caractérisée par l’antagonisme irréductible entre les classes exploiteuses (qui sont dominantes) et les classes exploitées (qui sont dominées).

Ce postulat est suivi par un corollaire : la domination générale des dominants s’impose aux exploités qui lui sont soumis au moyen de la culture dominante.

La conséquence logique de ces deux prémisses est que les dominés qui veulent en finir avec la domination qu’ils subissent doivent abolir la culture passée.

Sur ce sujet, voici ce qu’on lit dans le Manifeste du parti communiste :

« L’histoire de toute la société jusqu’à nos jours était faite d’antagonismes de classes, antagonismes qui, selon les époques, ont revêtu des formes différentes. 

Mais, quelle qu’ait été la forme revêtue par ces antagonismes, l’exploitation d’une partie de la société par l’autre est un fait commun à tous les siècles passés. 

Donc, rien d’étonnant si la conscience sociale de tous les siècles, en dépit de toute sa variété et de sa diversité, se meut dans certaines formes communes, formes de conscience qui ne se dissoudront complètement qu’avec l’entière disparition de l’antagonisme des classes.

La révolution communiste est la rupture la plus radicale avec le régime traditionnel de propriété ; rien d’étonnant si, dans le cours de son développement, elle rompt de la façon la plus radicale avec les idées traditionnelles. »

Ce texte nous montre ce que le mouvement déconstructionniste, le wokisme, et la cancel culture doivent au marxisme.

Ils en sont des résurgences et des métastases qui vont au-delà des seuls conflits de classes. 

Vivement donc que cette envie de tout déconstruire et de faire table rase de la culture finisse par passer de mode et que les jeunes intellos qui en sont affectés retrouvent leur bon sens, à l’exemple de leurs ainés qui en France sont tous revenus de leur délire maoïste, à l’exception de l’imperturbable Alain Badiou.

André Senik

« Que le marxisme prépare les esprits au wokisme, lui fournisse quelques uns de ses termes voire  de ses  concepts et soit une de ses conditions nécessaires  pour ces trois raisons, il faut le rappeler, et,  texte  à l’appui ainsi que vous le faites, c’est encore mieux.

Ce rapport de filiation doit-il nous empêcher de distinguer ce qui  différencie la pensée marxiste de son possible « avatar » wokiste ?  

Voici ceux que je discerne en tout cas.

Est-ce que j’en oublie ou me trompe ?

A vous et aux autres de me le signaler, le souhaiteriez-vous.

– La pensée marxiste est européenne  et elle se conçoit comme  européenne même si elle se veut prolétarienne. Elle croit à la supériorité de la culture prolétarienne sur la culture européenne bourgeoise  et à la supériorité de la culture européenne bourgeoise sur les cultures pré-capitalistes des pays déjà colonisés à l’époque ou colonisables ; le wokisme est une pensée occidentale, qui se veut non occidentale, qui croit à l’infériorité morale et intellectuelle de l’Occident et qui, comme le marxisme, cherche à conquérir les esprits

– Le marxisme est étatiste (« léniniste » ?) en ce sens qu’il fait de la conquête de l’Etat la condition de la conquête de la société et de la transformation des mœurs par la dictature juridique du prolétariat ;  le wokisme agit par la base et vise (à la manière de Gramsci ?)  à transformer l’Etat et le droit par une dictature morale (mœurs).

–  Le marxisme idéalise et neutralise la science, pas le wokisme qui, sous l’influence peut-être de Foucault et de Staline (« science prolétarienne »), fait du savoir le plus scientifique une expression de la « domination » sociale.

–  Le marxisme est constructif ;  le wokisme déconstructif : il me paraît déconstruire la société sans donner à voir un modèle de société alternatif au complet.

–  Même si, sous le nom de « matérialisme dialectique » et de « socialisme scientifique», Marx & Engels  promeuvent une rationalité distincte de la rationalité commune afin de ne pas avoir à lui rendre des comptes, Marx se veut et se croit rationnel. Recourt-il à des paralogismes, il se les cache à lui-même autant qu’aux autres. Rien à voir avec le wokisme qui  bafoue les règles les plus élémentaires de la logique sans en éprouver la moindre gêne …  Son sur-moi n’est pas judéo-chrétien ou rationnel mais « primitif » il fait régresser la gauche non seulement du «socialisme scientifique» au « socialisme utopique » mais du « socialisme utopique » à l’ « ethnicisme » le plus obscur, le plus confus et le plus irrationnel « .

Jean-Pierre Airut

D’accord sur les différences signalées entre le marxisme d’un côté et de l’autre le wokisme et la cancel culture, laquelle n’ose pas aller jusqu’à défendre une contre-culture positive.

Mais en réalité, Marx insiste surtout sur l’idée que toute la culture passée est au service d’une société fondée sur l’exploitation et qu’il faut s’en libérer.

Contrairement à Gramsci (et déjà à Engels dans son introduction  de 1895 aux Luttes des classes en France) Marx non plus ne propose pas une culture communiste à la place de l’actuelle culture. Il compte exclusivement sur l’évolution de l’économie pour pousser le prolétariat à la révolution.

André Senik

18 Déc 2023


LA MÉMOIRE DES ENTREPÔTS DE LA DÉPORTATION DE LA SNCF (I)

Les nazis, avec la complicité très active du régime de Vichy du maréchal Pétain, ont déporté vers les camps de la mort des dizaines de milliers de Juifs, parmi lesquels mon oncle David et mon grand-père maternel Yankel. Mais ils ont aussi pillé leurs pauvres biens matériels, tout ce qu’ils ont pu prendre, des livres aux câbles électriques qu’ils ont trouvés à leur domicile.

Un dimanche d’été, en pleine canicule, Claude (ou Sandor, son prénom d’origine hongroise) m’amène sur les lieux de ces crimes matériels : un immense territoire ayant appartenu ou appartenant encore à la SNCF, situé tout autour de la gare d’Austerlitz dans le 13ème arrondissement de Paris.

Claude est mon ami depuis qu’il participe, en même temps que moi, aux deux marches hebdomadaires organisées par les Ukrainiens de France contre la barbarie des Russes de Vladimir Poutine. C’est leur président, Jean-Pierre Pasternak, qui nous a présentés l’un à l’autre. Depuis, tout en défilant, nous passons notre temps, sauf au moment de la minute de silence en hommage aux morts ou pendant la reprise de l’hymne national, à évoquer le passé et ses combats, dans une perspective résolument libertaire, avec des éloges communs à Nestor Makhno et une grande admiration (que je ne partage pas vraiment) pour Buenaventura Durruti. Toujours est-il que nous affichons notre haine (doublée de mépris) envers le fascisme, la nazisme et le franquisme, mais aussi (ce qui est plus original car moins ouvertement proclamé) à l’égard du stalinisme et du communisme en général, trotskisme et castrisme compris.

C’est un syndicaliste ouvrier, comme il aime à se présenter. Il a travaillé pendant plus de trente ans comme chef aiguilleur aux Chemins de fer du sud-ouest, dont le siège se trouve place Valhubert, devant la gare d’Austerlitz. C’est là, en face du Jardin des plantes, que nous commençons notre périple dominical. Je lui avais glissé, en effet, que dans l’enceinte de la gare, je n’avais jamais réussi à localiser les lieux et les voies d’où partaient les déportés vers les camps de transit, direction Drancy, Pithiviers et Beaune-la-Rolande, avant Auschwitz, Majdanek ou Sobibor.

Il en restait seulement une plaque discrète, la plus discrète possible. Il avait décidé de me montrer autre chose, un aspect largement inédit : l’évidence du pillage des biens des Juifs. 

Derrière le fronton de l’administration du « chemin de fer d’Orléans », place Valhubert, un bâtiment malheureusement fermé ce dimanche après-midi, la SNCF cache un passé inavouable, comme bien des aspects qui touchent à cet « État dans l’État », comme l’affirme Claude, propriétaire, avec l’Église (les dirigeants de la Société nationale des chemins de fer étaient d’ailleurs de fervents catholiques, pour la plupart), d’un énorme patrimoine sur toute la superficie de Paris  Il y a, derrière les lourdes portes, un grand théâtre, où autrefois se produisait la compagnie « L’Équipée », devant un parterre composé non seulement des cadres de la compagnie mais aussi, pendant l’Occupation, d’officiers de la Wehrmacht, des hommes très cultivés, comme tout le monde le sait,  capables de regarder pendant des heures une adaptation de la pièce de Paul Claudel, Le soulier de satin. Les acteurs (étaient-ce des cheminots ?) n’avaient pas honte : ils offraient à leurs maîtres, les vainqueurs, une pièce emblématique du répertoire français. Je commençais à ressentir un profond dégoût mais je ne me rendais pas compte encore de la tournure qu’allait prendre cette terrible promenade. Je cherchais les traces de personnes disparues. Mais c’est des biens qui leur appartenaient qu’il s’agissait. Or, ce n’était pas moins angoissant : derrière les objets, il y avait les morts en déportation.

C’était sur les voies 5 à 7, quelque peu à l’écart des autres voies, celles qui emmenaient les voyageurs réguliers vers leurs lieux de destination, que les déportés étaient dirigés vers les camps du Loiret. Nous nous en sommes vite écartés. Tout cela était suffisamment documenté et je ne pouvais qu’imaginer les souffrances de ces pauvres gens disparus. D’ailleurs, aucun des miens, à ma connaissance, n’avait transité par là : pour eux, c’était Drancy ou avant, en zone d’abord dite « libre », Nexon.

Sur le quai d’Austerlitz, longeant la Seine, Claude m’a emmené voir d’immenses entrepôts, à présent à moitié désaffectés, sur lesquels trônait une plaque des autrefois fameux « Magasins généraux ». C’était l’un des endroits qui avait regroupé, après la rafle du Vel’ d’Hiv de juillet 1942, avec d’autres, ceux de la rue Bassano dans le 16èmearrondissement, ou le magasin Lévitan, dans le 10 ème, les meubles de toutes sortes, les bibelots, les assiettes, les couverts, les ampoules même, certaines œuvres d’art (pas les principales : celles-ci étaient entreposées au musée du Jeu de Paume, où les Allemands allaient se servir). Non, c’étaient seulement les témoignages du quotidien des Juifs de Paris et d’ailleurs. Alors, je me mis à penser à tous les membres de ma famille maternelle qui habitaient auparavant la cour du 100 rue de Charonne, dans le 11ème arrondissement, dans de petits appartements loués : eux aussi avaient été dépouillés du peu qu’ils possédaient, s’ils possédaient quelque chose. Des dizaines de milliers d’appartements avaient été pillés, une fois leurs occupants partis en fumée.

Et personne n’avait pensé à indemniser les survivants ni leurs descendants. Aucun n’avait dû d’ailleurs en faire la demande : la valeur des spoliations devait être insignifiante. Mais, tout de même, les autorités auraient pu faire un geste. Une réparation, même symbolique.

(à suivre)

Jacobo Machover

5 Nov 2023


Nicolas Sarkozy : approximations, oublis et  complaisances

L’équipe d’Histoire  & Liberté a pris connaissance avec regret et indignation des propos tenus par Nicolas Sarkozy sur l’Ukraine et la Russie dans sa longue interview du Figaro du 16 août 2023. Nous publions ici quelques unes de nos réactions.

Nicolas Sarkozy, ancien Président de la République, vient de sortir sa plume pour préconiser une politique qu’il présente comme « réaliste » en Ukraine et qui  en réalité semble bien avoir été inspirée par les écrivailleurs du KGB.

Son analyse se singularise par d’immenses lacunes : le KGB n’est jamais évoqué ; il n’est jamais mentionné que Poutine et le KGB ont, progressivement depuis 2000, rétabli en Russie un régime totalitaire (non plus sous l’égide du marxisme  mais sous l’égide d’une idéologie impérialiste cette fois) ; ne sont jamais évoquées les alliances internationales que Poutine et le KGB ont conclues avec ces autres pays totalitaires que sont la Chine du Parti Communiste Chinois, l’Iran des Ayatollahs et la Corée du nord des Kim pour former un véritable bloc des pays totalitaires…

Ce bloc des pays totalitaires cherche à se déployer à-travers la planète et a déjà infligé, au cours des dernières années, des défaites successives à la démocratie en Syrie, en Crimée, à Hong Kong, en Afghanistan. Ce bloc des pays totalitaires soutient maintenant l’invasion par Poutine de ce pays démocratique qu’est l’Ukraine et il menace par ailleurs d’envahir cet autre pays démocratique qu’est Taïwan.

Loin de se référer à cet affrontement, pourtant manifeste, entre le bloc des régimes totalitaires et les pays démocratiques, Nicolas Sarkozy reprend à son compte l’argumentaire de Poutine lui-même selon lequel la Russie aurait une sorte de droit historique à replacer sous son joug les populations qui lui ont été soumises par le passé.  Dans la foulée, avec des arguments inacceptables et par des détours tortueux, il propose aux Ukrainiens (et aux pays démocratiques qui les soutiennent) de se résigner face à Poutine. Pas étonnant que Medvedev se félicite bruyamment de cet interview de Sarkozy.

La proposition de Nicolas Sarkozy est à la fois révoltante, atterrante et antipatriotique.

voltante. Nicolas Sarkozy vient donner un coup de poignard dans le dos de la population ukrainienne au moment où celle-ci résiste héroïquement depuis dix-huit mois au projet du KGB visant à s’emparer de leur territoire et à leur rétablir le totalitarisme.

Atterrante. Celui qui vient donner ce coup de poignard à l’Ukraine n’est autre qu’un ancien Président de la République française. Cela intervient après que François Filon (premier ministre pendant cinq ans de Nicolas Sarkozy) eut pactisé avec Poutine. Tout cela déshonore la France aux yeux de nos alliés et de nos amis ukrainiens. On ne peut que s’interroger sur les véritables raisons qui ont motivé Nicolas Sarkozy à écrire un texte qui réjouir aussi bien Poutine, Medvedev et le KGB. Le soupçon surgit que le KGB serait en capacité de faire basculer dans la collusion certains de nos plus hauts dirigeants (tout comme il y a réussi aux Etats-Unis avec Trump). 

Antipatriotique. Si, comme le préconise Nicolas Sarkozy,  on laissait les troupes de Poutine s’emparer impunément d’une partie de l’Ukraine (ou pire encore de sa totalité), ce seraient ensuite la Pologne, les trois pays baltes, la Moldavie, la Roumanie;;; dont les territoires et les institutions se trouveraient immédiatement menacés par Poutine et par le KGB avant qu’ultimement, ce ne soit le tour de l’Europe de l’ouest et de la France.

En Ukraine, ce qui est en jeu, c’est la souveraineté totale des Etats souverains (conformément aux statuts de l’ONU) et c’est aussi la survie de la démocratie sur notre planète. La population ukrainienne mérite le soutien indéfectible de nos pays démocratiques. Et Nicolas Sarkozy et autres influenceurs pro-Poutine ne doivent pas nous en détourner.

Jean Francart, le 19 août 2023

Sarkozy et lUkraine

Je reprends d’abord quelques propos de Nicolas Sarkozy.

L’échec (le fait que Poutine ne veut plus rien entendre) vient de loin. Il est séculaire.  

Sarkozy ignore donc la rupture radicale de 1917, la naissance d’un nouvel animal historique inconnu jusque là !  

Et je veux ici rendre hommage à Hélène Carrère d’Encausse, qui nous a hélas quittés. Elle a été une grande passeuse de l’histoire russe pendant quarante ans.  

Elle a avoué elle-même n’avoir rien compris notamment à Poutine. La nature de l’URSS (comme de n’importe quel Parti-Etat marxiste-léniniste) et celle de la mafia tchékiste actuelle est fondamentalement différente de la culture russe (comme de la civilisation chinoise, coréenne, cambodgienne, vietnamienne, laotienne, polonaise etc.)

Mais je reviens à votre question. Les Russes sont des Slaves. Ils sont différents de nous   

C’est fou ça ! Sarko croit aussi que les Chinois sont d’une autre espèce que nous ? A l’instar de tant de journalistes, intellectuels et politiciens des années 50 aux seventies ?  Il ignore vraiment à ce point à quels régimes et à quelles menaces nous devons faire face ?  

Je l’avais convaincu (Poutine) de retirer ses chars qui étaient à 25 kilomètres de Tbilissi.  

Il y croit vraiment semble-t-il ! No comment.

Il avait commencé à envahir la Géorgie. Mais dans le même temps, avec Angela Merkel, nous lui avions montré que nous étions conscients de ses lignes rouges. C’est pourquoi nous avions refusé l’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie à l’Otan et ce malgré la forte pression américaine  

Quel aveu ! 

Nous ne voulions pas laisser Poutine dériver vers une paranoïa anti-occidentale  

La même erreur qu’avec l’URSS : Sarko ignore que la paranoïa est une composante essentielle de la psychopathie de Poutine et une composante indissociable de l’essence du système poutinien et de tout système d’inspiration marxiste et/ou nationaliste ; il est vain d’essayer de l’amadouer ou de l’adoucir. Elle ne s’arrête de tuer, de violer, de faire souffrir et de détruire que face à une force et à une détermination supérieures. La peur l’excite, les concessions la font ricaner.

qui est depuis longtemps la tentation des dirigeants russes  

Et de nouveau l’abus du mot “russe” et la mise sur le même plan des tsars et des dirigeants communistes et post-communistes ! Le problème n’est ni russe ni slave, il tient à un système psychopathe dont la 1ère mouture fut installée par Lénine & Co et qui se décline actuellement à-travers Poutine, Xi, Kim etc. Sarkozy semble ignorer que le psychopathe paranoïaque n’est sensible à aucune lumière mais peut faire semblant de l’être, parfois très intelligemment. 

Le complexe d’encerclement du Kremlin est une vieille histoire  

Oui, depuis que la terre est ronde ! 

Sur ce sujet les intérêts européens ne sont pas alignés sur les intérêts américains.  

Ils n’ont jamais été alignés mais ils se rejoignent plus que jamais ! Nous défendons la liberté et les valeurs humanistes, nous avons les mêmes ennemis et, que ça nous plaise ou non, nous Européens sommes toujours incapables de nous défendre sans l’appui américain !  

Trump de retour, c’est la mort de l’Ukraine !

La Crimée était russe jusqu’en 1954. Tout retour en arrière est illusoire.  

En vérité la population ukrainienne a clairement opté pour la création d’une démocratie sociale-libérale non plus trop corrompue, pour l’UE et pour l’OTAN et rejette, maintenant plus que jamais dans sa longue Histoire, la soumission au Kremlin, c’est ce retour en arrière-ci qui serait illusoire ! Tout le contraire de l’assertion de Sarkozy !

Une Ukraine et une Crimée libres, ce serait aussi une fameuse marche en avant pour la démocratie et une défaite significative pour ses ennemis, ce qui aurait des répercussions positives à long terme dans le monde entier !   

Néanmoins, avec regret, je crois constater que l’Ukraine ne pourra pas gagner la guerre mais aussi, avec espoir, que l’édifice poutinien a des fondations bien fragiles ; quoiqu’il en soit, il faudra un jour effectivement des pourparlers, des compromis, des concessions de part et d’autre (il y a sans doute des discussions informelles et secrètes) ; mais forcer d’emblée les Ukrainiens à renoncer à leurs droits et à la liberté de choisir leur destin, comme le prône Sarkozy, serait non seulement ignoble mais aussi la manière la plus stupide d’entamer des négociations. 

Affirmer au préalable que l’Ukraine “doit renoncer” à l’UE et à l’OTAN pour être un “trait d’union entre l’Est et l’Ouest” est un non-sens ; peu importe sa situation géographique, toute population a le droit naturel d’être libre, de se développer et de se démocratiser selon sa volonté et non pas comme si elle n’était qu’un conglomérat de territoires que des puissances supérieures déplacent ou sacrifient à leur gré. 

Suggérer qu’un accord international garantisse qu’elle ne court plus aucun risque d’agression me paraît infra-débile face au système poutinien, par nature menteur, destructif et expansionniste. Qu’il suffise de rappeler le mémorandum de Budapest du 5 décembre 1994 par lequel les grandes puissances dont la Russie se portaient garantes de l’inviolabilité du territoire ukrainien et de l’intangibilité de ses frontières contre la cession par l’Ukraine, alors 3e puissance nucléaire mondiale, de toutes ses armes de destruction massive à la Russie ! 

En géopolitique, la force et la détermination, surtout face à des monstres totalitaires, primera toujours le Droit tant qu’il n’y aura pas une instance supérieure universelle dotée de la capacité de faire respecter les traités, accords et conventions, par la force si besoin est. Si l’Ukraine avait conservé son armement nucléaire, peu de doute qu’il n’y aurait jamais eu de guerre d’agression ni d’annexions illégales !   

Pierre Druez  le 20  août 2023

Vous avez dit « Slaves »?

Dans son interview au Figaro, Nicolas Sarkozy adopte une posture qu’affectionnent les anciens Présidents de la République : celle du sage conseiller, qui parle vrai. Mais n’est pas sage qui veut. Sarkozy accumule nombre de banalités affligeantes. J’en relèverai une seule mais elle est d’importance puisqu’elle prétend donner la clef de toute analyse des options politiques de la population russe et de ses dirigeants. La dite clef n’est pas le concept d’empire ni le rappel des 70 ans de communisme ni la référence à la dictature sui generis actuelle avec son bourrage de crâne systématique, son acharnement contre les opposants, les menaces contre ses voisins, ses mensonges éhontés sur son passé et son présent. La dite clef n’a rien à voir non plus avec le KGB et le FSB. Si Poutine est Poutine et la Russie actuelle une ennemie acharnée de la démocratie, c’est qu’ils sont Slaves! Oui : Slaves !Des gens comme les Tchèques et comme les Polonais mais pas comme nous ! Cette conception ethnique de l’histoire eut cours en France au XIX ème siècle, propre par Augustin Thierry. Une conception abandonnée par presque tout le monde mais pas par l’ancien président de la République. Effet du sang des Magyars qui coule dans ses veines? Ces gens-là ne sont peut-être pas comme nous…

Sur une telle conception s’étend l’ombre du Général de Gaulle dont il faudra reconnaître un jour que sa vision du monde n’a pas eu qu’un effet positif sur la vision du monde de nos compatriotes.

De lui, Sarkozy a appris aussi qu’il y avait l’Ouest et l’Est – mélange politico-géographique jamais décrit par le gaullisme en termes de valeurs et de liberté, de démocratie face au totalitarisme ou d’état de droit face aux empires.

A l’est et à l’ouest de quoi, d’ailleurs ?

Sarkozy répond comme par hasard : de l’Ukraine. Ça tombe bien, vous ne trouvez pas, pour proposer la neutralité de ce pays ?

Je ne sais si l’on a besoin des Russes comme eux ont besoin de nous. Ce qui est sûr, c’est qu’on n’a nul besoin de telles approximations – ethniques ou géographiques. Elles masquent seulement les fondements de notre vie politique, ceux auxquels on doit tenir comme à la prunelle de nos yeux : la sauvegarde de la liberté individuelle et la résistance au totalitarisme.

Pierre Rigoulot, 22  août 2023

(photo: Copyright by World Economic Forum swiss-image.ch/Photo by Moritz Hager)

22 Août 2023


Défendre la démocratie à l’Ouest, aussi

Notre engagement en faveur de la démocratie libérale et notre opposition au totalitarisme se jouent aussi en France même. où il est important de rappeler les « fondamentaux » de la première et les diverses figures que peut prendre le second.  Dans la perspective des prochaines élections présidentielles, quels choix politiques ( nous ne disons pas : quels partis politiques)  peuvent être recommandés  ou au contraire exclus ? Nous lançons le débat auprès de nos lecteurs et livrons à leur réflexion un premier texte, signé André Senik, sur l’idée  d’opposition.

H&L

L’enjeu géopolitique mondial des douze prochains mois

Il faut prendre très au sérieux la relation de complicité (qui n’est plus à démontrer) entre Trump et Poutine. Le dernier livre de Raphaël Glucksman apporte encore des preuves supplémentaires à ce sujet. Cette relation est trop souvent mentionnée comme simplement « pittoresque » alors même qu’il s’agit d’un dispositif qui est certainement essentiel aux yeux de l’axe des pays totalitaires « Moscou/Pékin/Téhéran/Pyongyang ».

L’objectif final pour cet axe consiste à assurer le triomphe irréversible des régimes totalitaires sur les régimes démocratiques. Par sa tentative avérée de coup d’Etat le 6 janvier 2021, Trump a affiché très nettement sa détestation de la démocratie et son appétence au totalitarisme. Une victoire de Trump en 2024 introduirait très probablement un régime totalitaire aux Etats-Unis (ce qui permettrait à l’axe totalitaire de se débarrasser du plus puissant des pays démocratiques,sans avoir à engager un affrontement militaire avec les Etats Unis). 

Rappels. Le soutien de 22% des Russes avait suffi aux Bolcheviques pour réussir à instaurer le totalitarisme soviétique (chiffres à l’élection constituante de septembre 1917) ; le soutien de 33% des Allemands avait suffi aux Nationaux-Socialistes pour réussir à instaurer le totalitarisme nazi (chiffre à la dernière élection législative loyale avant la nomination de Hitler par Hindenburg).

Et Trump, quant à lui, dispose aux Etats Unis d’un socle électoral très solide (37,5% des électeurs américains : 75% des 50% des Américains qui votent Républicain).

C’est ce qu’a compris le KGB depuis les années 95 en s’affiliant Trump, en se le subordonnant par toutes sortes d’emprises (sexuelles ou financières), puis en l’aidant à gagner l’élection de 2016, en l’aidant à nouveau en 2020, en l’aidant à nouveau contre Biden d’ici 2024. Le redoutable KGB sait que Trump est le seul politicien américain capable de faire basculer les Etats Unis de la démocratie au totalitarisme. Entre clans dirigeants des pays totalitaires, on trouve des compromis (Pékin par exemple, en dépit de son obsession territoriale, s’interdit de revendiquer de reprendre « l’Extrême-Orient russe » à Moscou).

Si Trump était élu et si ensuite les Etats-Unis devenaient un Etat totalitaire, toutes sortes de coopérations deviendraient possibles entre les clans qui sont à la tête des Etats totalitaires. Surtout, il n’y aurait plus aucun obstacle à généraliser le totalitarisme sur toute la planète (ce qui est un rêve commun à Poutine, à Xi, aux Kim, aux Ayatollahs et peut-être aussi à des personnalités comme Donald Trump et comme Elon Musk (qui ne cache pas son soutien à Trump)).

Et pour contribuer à une victoire de Trump en 2024, le KGB et Poutine ont déjà entrepris de réveiller l’inflation aux Etats-Unis par le biais d’une deuxième vague de hausse des matières premières (le pétrole et le gaz en particulier). Poutine va tout entreprendre pour que le prix du baril dépasse à nouveau le seuil des 100 $, ce qi fera remonter l’inflation aux Etats Unis, ce qui obligera la Fed à monter ses taux, ce qui introduira le risque d’une récession, trois éléments que détestent les électeurs américains et qui pourraient contribuer à une victoire de Trump.

Pour faire monter le prix du baril, Poutine dispose d’un allié de choix : MBS, le dirigeant tout-puissant de l’Arabie Saoudite qui pactise de plus en plus avec Poutine et avec Xi depuis que fin 2016, il a décidé d’associer la Russie de Poutine à l’OPEP pour former l’OPEP+ (une OPEP qui est désormais élargie à la Russie et à quelques autres pays exportateurs) ; MBS n’hésite d’ailleurs plus à s’opposer publiquement à son allié traditionnel, MBZ (le dirigeant tout-puissant des Emirats Arabes Unis).

Trump est un agent des régimes totalitaires. Il faut tout entreprendre pour le démasquer et pour faire obstruction à ses manœuvres politiciennes.

Jean Francart

10 août 2023

Vous avez dit « opposant »?

La perspective des prochaines présidentielles pousse certains aspirants au pouvoir à se présenter comme les plus farouches opposants à la majorité relative qui exerce le pouvoir exécutif.

L’emploi de ce mot est une faute.

L’opposition est un concept anti démocratique

Une société démocratique doit certes  offrir aux citoyens des alternances au pouvoir.

Des équipes  politiques concurrentes peuvent donc  échanger des critiques et proposer aux électeurs des solutions différentes.

Mais le parlement n’est pas un ring de boxe ou de catch entre les champions de camps politiques que tout oppose.

Ceux qui pratiquent l’opposition totale à la majorité en place dans une démocratie visent au monopole du pouvoir pour eux mêmes.

 Or une société démocratique est pluraliste sur tous les plans hormis les principes constitutionnels de base.

Les partis qui se prétendent démocrates doivent donc chercher à s’entendre sur ce qu’ils ont en commun,  et ne se combattre que sur ce qui les différencie.

Les partis peuvent s’opposer sur des lois mais s’ils se définissaient par principe comme des opposants systématiques pleins de haine, il leur faudrait s’opposer aux mesures que la majorité leur aurait emprunté.

C’est ce qui a conduit une partie des Républicains à ne pas voter  pour des mesures qu’ils défendent depuis toujours.

Les démocrates ont pour opposants les anti démocrates, et réciproquement.

Si le Parlement n’était composé que d’opposants irréductibles la société serait impossible.

Il faut donc renoncer au mot « opposant » entre démocrates .

Dans un espace politique divisé en plus de deux partis la posture de l’opposition totale oblige les modérés à s’aligner sur leurs extrêmes pour finir par réduire la scène politique à une épure manichéenne et simpliste.

Les citoyens démocrates doivent exiger des politiques qui prétendent les représenter de s’accorder sur le bien commun sans mettre leur drapeau dans leur poche.

Sans quoi nous irions vers une guerre froide  civile. »

André Senik

Marine  et  Vladimir,  propos rassuristes 

Né en 1943, j’ai passé la première moitié de mon existence avec une triple épée de Damoclès sur la tête : le communisme totalitaire et expansionniste, une troisième guerre mondiale, thermonucléaire, et le « péril jaune », aggravé par la bombe ! On me l’assurait, mi-figue mi-raisin : « Profitons vite de la vie, avant la mort fatale », mort nucléaire, car « les armes, y compris atomiques, cest fait pour sen servir. » Et, pendant les quarante années suivantes (depuis Dreux 1982), on a tout fait pour m’insuffler la peur des « fascistes », ressuscités en France et campant sans cesse « aux portes du pouvoir ». Que d’angoisse !

Heureusement, pour moi les « grands » n’étaient nullement suicidaires : « politique au bord du gouffre » certes, mais très contrôlée ; et je considérais la Chine assez vaste pour sa population. Bien sûr, j’étais très impressionné par la « masse énorme qui commence à Vladivostok sur le Pacifique et s’étend jusquau cœur de Berlin » (Paul Reynaud, 9/07/1957) ; une fraternité internationaliste grâce au communisme, pensais-je candidement. Toutefois, en visitant l’Europe de l’Est, j’ai eu la révélation : des « colosses aux pieds d’argile », sans base populaire ; de même, adhérant au PCF, j’ai vite fait le constat d’une bureaucratie pusillanime, loin de la réputation révolutionnaire qui m’avait attirée.

Finalement, l’empire soviétique, miné de l’intérieur, s’est effondré de lui-même, sans guerre avec l’Ouest, où,  de leur côté, les Partis communistes périclitaient rapidement. Chez nous, François Mitterrand, machiavélique, serra, très fort, le « redoutable » PCF dans ses bras (quelle inconscience, selon beaucoup) … jusqu’à l’étouffement. C’est alors que, pour remplacer Georges Marchais comme ennemi public n°1, surgit, très opportunément, un autre bouledogue, Jean-Marie Le Pen : « le fascisme revient, fascinant et contagieux ; serrez les rangs (derrière nous) pour l’endiguer. Avant qu’il ne soit trop tard ! »

                                  La « montée des extrêmes »                         

A la présidentielle de 2002,  Jean-Marie Le Pen, avec 17% des suffrages exprimés au 1er tour, se qualifia, à la stupeur générale, pour le second. Des trotskistes à la « droite », la classe politico-médiatique embraya sur l’émotion populaire, la « gauche » poussant carrément dans la rue des foules paniquées. Paradoxe : le peuple manifestait contre … le peuple, supposé hypnotisé par le monstre ! Une peur irrationnelle : passer de 17% à plus de … cinquante en quinze jours ? Ses 17,5% obtenus, le matamore abdiqua plus tard, au FN, en faveur de sa fille et les experts politiques d’expliquer doctement qu’au fond le rôle d’aboyeur et d’histrion satisfaisait amplement son ambition. En revanche, Marine, elle, était une femme de pouvoir, redoutable (comme Marchais ?), d’où sa diabolique tactique de … « dédiabolisation ». Alerte maximum donc : « Extrême-droite, un danger pire que jamais » (« une » de Libération du 7 avril 2022).

Le 24 avril 2022, avec seulement 41,5% au 2ème tour  de la présidentielle (23,41% au 1er), Marine Le Pen n’obtenait qu’un score piteux, après tant d’années d’activisme. Et les mêmes commentateurs, qui criaient la veille encore au fascisme imminent, d’affirmer qu’en réalité M. Le Pen ne se voit qu’en cheffe de l’opposition parlementaire. Aux deux tours des législatives de juin, le RN (ex-FN) ne recueillit que 19% puis 17,3 (57% d’abstentions), démentis cinglants à la thèse de « la montée du Front national » quasi-irrésistible, colportée de part et d’autre depuis 1982. 

Au Parti communiste aussi, dans les années 60-70, les militants étaient convaincus de la progression inexorable du parti, d’élections en élections,  jusqu’à sa victoire, qu’imaginaient également ses adversaires, effrayés (beaucoup ont même redouté une insurrection communiste en mai 68 !…). Or l’Histoire est sinueuse ; la société évolue de façon imprévue ; les générations nouvelles se distinguent des anciennes ; les partis, bousculés, se transforment pour survivre ou progresser, etc. : le PC de Fabien Roussel (de Brossat, de Dartigolles …) diffère nettement de celui Maurice Thorez comme le Rassemblement national de Marine Le Pen du Front national de son père, qu’elle a, du reste, exclu. PC et RN sont donc perçus autrement. C’est pourquoi, spectaculairement, les DOM ont voté à plus de 50% (des exprimés) pour Jean-Luc Mélenchon le 10 avril 2022 (premier tour), puis, à près de 60% pour Marine Le Pen le 24 : la vieille tactique  du « faire barrage au fascisme », fascisme hypothétique et d’un temps futur, a, cette fois, échoué, le FN-RN, autrefois rejeté comme « violent, raciste, néo-colonialiste, etc. », étant absous ou jugé moindre mal par les domiens en colère contre le pouvoir macronien, très concret.

A l’inverse de ceux des médias qui ont, l’an dernier, qualifié la candidate Meloni en Italie, d’« héritière de Mussolini » (« Giorgia Meloni, la femme qui fait trembler l’Europe », « une » du Courrier international du 22 septembre 2022), on pourrait reprendre pour Marine Le Pen les mots d’un historien du fascisme sur Madame Meloni : elle est « presque tout, sauf fasciste » (Jean-Christophe Buisson, dir.-adjoint du Figaro Magazine, dans Marianne du 27 septembre 2022). D’« extrême droite » (bien proche de l’ « extrême gauche »  souvent !) si l’on y tient, mais pas … extrémiste.

                                             « Scénarios fous »

… Par contre, on a créé de l’inquiétude chez les Français en leur parlant du « retour des années trente en Europe » (tandis qu’à Moscou, on dénonçait la résilience des « nazis » en Ukraine, comme on y stigmatisait naguère les « revanchards de Bonn »). La sensibilisation à la tyrannie agressive russe a toujours été stimulée par cette représentation courante d’une armée « rouge » invincible : aujourd’hui comme en 1950, beaucoup croyaient qu’ « en cas de guerre, lArmée Rouge aurait vite fait denvahir lEurope jusqu’à Brest » (S. de Beauvoir : La force des choses, Livre de poche 1963, p. 320) ; « LEurope a exagéré la force de la Russie » (Olga Stefanishyna, vice-Première ministre ukrainienne, Le Monde du 27 mai 2022).

… L’échec de l’offensive de la Russie et l’enlisement de son armée dans l’est de l’Ukraine devraient nous rassurer. Mais non : « On pourrait en particulier craindre que, la victoire en Ukraine devenant hors de portée, la Russie décide d’élargir le champ de bataille à quelques pays voisins en Europe. Et ce serait la troisième guerre mondiale ; la vraie première guerre thermonucléaire. Lhumanité ny survivrait pas » (Jacques Attali, legrandcontinent.eu/fr/2022/04/26 ). Tout ça pour une Ukraine qui périrait elle aussi ? Sophisme particulièrement utilisé sous Staline : plus l’ennemi s’affaiblit, plus  il devient dangereux (plus il est fort, plus il est inoffensif ?)    

Envisageant, en préalable, des frappes nucléaires « tactiques », aux effets limités, en territoire ukrainien, Attali précisait : « Un tel scénario, aussi fou soit-il, est parfaitement vraisemblable, juste avant ou juste après le 9 mai prochain, date anniversaire de la victoire de l’Armée rouge sur les armées hitlériennes. » Une prédiction fort hasardeuse, mais qu’importe : « Avec la guerre en Ukraine, la menace nucléaire s’intensifie » (L’Humanité du 14 juin 2022). Ensuite, d’autres devins ont annoncé que, le 24 août, pour le sixième mois de son « opération spéciale », Poutine assénerait un grand coup ; on attend toujours. Puis, périodiquement, l’explosion possible de la plus grande centrale nucléaire d’Europe à Zaporijjia, prise par les Russes, est revenue sur le tapis : « On est passé très près de la catastrophe » (Libération du 22 septembre 2022). Sans compter les rappels de la crise des missiles de Cuba d’octobre 1962 : « au bord du gouffre » (oui, mais jamais plus loin !) Et encore, on a fait le saut, des Caraïbes à la mer de Chine, avec la question de Taïwan, revendiquée par Pékin et, à ce titre, présentée comme le nouveau foyer du feu nucléaire. Quitte à devoir reconnaître plus tard la retenue (par réalisme et calcul) de Xi Ping dans l’affaire, ainsi que son rôle modérateur sur l’Ukraine auprès de Poutine.

                                       Le pire nest jamais sûr

Poutine est un animal à sang froid, sans affects, impitoyable, assoiffé de pouvoir et sûr de lui. Il faut lui faire résolument barrage et rallier les opinions publiques. Mais il est caricatural de le présenter (avec, souvent, une bonne dose de sensationnel) comme un fou, furieux et tout puissant, à la bombe entre les dents. Et c’est démobilisateur, sachant qu’on devra « expliquer », dans un second temps, qu’avec la bombe, il pèse sagement (?) le pour et le contre, ou plutôt qu’il bluffe purement et simplement : « Il n’est pas exclu que le Kremlin fasse usage d’armes nucléaires tactiques … Poutine ne ferait que dévaster la terre qu’il cherche à s’approprier et mettre en danger son armée et son peuple avec les retombées radioactives … Le fait qu’il n’y ait pas eu recours montre qu’il est conscient de son caractère inepte. » (New York Times du 13 septembre 2022). Comme on lâchera, discrètement, l’info vraie sur les contacts permanents, même si secrets, entre les diplomates et les états-majors des deux côtés, ainsi qu’il est, prudemment, de règle. Alors, cataclysme mondial ou pas ? « … la menace d’une guerre nucléaire s’intensifie » maintiennent certains (L’Express du 31 juillet 2023), c’est tellement plus excitant.

Poutine et sa clique, c’est vrai, évoquent régulièrement le risque d’un conflit planétaire (provoqué par l’Ouest naturellement). Avec une désinvolture, apparente, qui surprend. Comme si, fanatisme ou fatalisme de l’ « âme slave », ils ne redoutaient aucunement la fin du monde, voire s’y étaient préparés, eux aussi, comme les « djihadistes », en recherche de martyre et de gloire.

C’est que les dirigeants russes, qui règnent par la peur chez eux (assassinats et arrestations, répression des manifestations …), voudraient faire naître l’angoisse dans les populations occidentales, perçues d’ailleurs comme amollies et veules. Susciter la crainte d’une guerre nucléaire, qui amènerait les Occidentaux à ménager la Russie et à multiplier les concessions sans besoin même, pour elle, de se battre. La dramatisation développée dans certains rangs occidentaux terrorise à l’instar de la propagande russe et va dans son sens.

Pourtant, les Russes ne lanceront pas leurs missiles nucléaires sur l’Ukraine et l’Europe. Ils en sont dissuadés par la riposte immédiate et foudroyante que leur vaudrait leur attaque. Les Russes ont déjà été surpris par la capacité de résistance des Ukrainiens et le haut niveau d’engagement des Occidentaux ; sur ce dernier point, les Ukrainiens aussi : « … avant ce conflit, javais déjà fait mon deuil de lOccident … Pourtant, il sest réveillé : la mort de lOccident na pas eu lieu » (Arestovytch Oleksiy, conseiller du président Zelensky, dans desk-russie.eu/2022/05/13 ). En fait, face aux dictatures, l’Occident ne dort que d’un œil. Il est fondé sur le système de liberté le plus avancé jusqu’ici, qui offre des chances à chaque tendance politique et que, dans lequel, toutes ont donc intérêt à s’inscrire. D’autre part, côté positif du tarissement idéologique actuel, l’époque n’est plus, en Occident, aux grands emballements et aux grands affrontements internes. Alors que les divers autres régimes  campent sur des volcans, à la merci des conspirations et des guerres civiles, des haines et des fanatismes.

Il se déroule dans ces régimes assez d’évènements tragiques dans le présent, pour échafauder, en totale indécence, par froideur intellectuelle ou pour l’adrénaline, des scénarios d’anticipation apocalyptiques – relativisant les horreurs actuelles, et, qui plus est, invraisemblables.  L’avenir ne sera pas radieux ni, nécessairement, un enfer.

Guy  Barbier

Réponses à André et Guy

Les deux premières contributions à cette réflexion sur la démocratie libérale et à la meilleure manière de la défendre sont importantes.

André rappelle avec raison que les défenseurs, ou les promoteurs de la démocratie doivent, avec les autres démocrates, chercher les meilleures solutions  aux problèmes posés dans le cadre qui leur est commun et d’abord dans le respect de la Constitution.

Le premier  problème est qu’on n’a jamais pu éliminer les ambitions personnelles, la volonté d’éliminer ou en tout cas de surpasser un  rival en célébrité. Le pouvoir fascine et  peut conduire à  s’opposer justement, à un concurrent plutôt qu’à collaborer avec lui tout en étant en désaccord.

Le second problème – hommage du vice à la vertu – est que même des adversaires de la démocratie libérale se font passer pour des démocrates. Mieux : pour des démocrates plus vrais, plus authentiques  que les autres.  En conséquence, ils peuvent s’opposer à d’autres démocrates parce qu’ils sont en fait des adversaires de la démocratie libérale. Les  députés de La France Insoumise par exemple s’opposeront à d’autres démocrates par haine de la démocratie libérale qu’ils jugent une fausse démocratie. Nous mêmes, ne devons-nous pas alors nous opposer à ces gens qui méprisent le parlementarisme et déplacent le centre de gravité de la scène où se joue la vie politique  démocratique, dans la rue ? Problème compliqué, on le voit : bien qu’au sein des institutions démocratiques, les démocrates libéraux ne doivent-ils pas s’opposer à ceux qui veulent dépasser ou renverser le système actuel? Le problème est encore plus compliqué lorsque des opposants au « système » se présentent en défenseurs de la démocratie libérale afin d’être mieux acceptés. Leur objectif de « dédiabolisation » appelle une conduite apparemment acceptable et, peut-être soucieuse en fait, de gagner les voix nécessaires pour gouverner selon des principes et des valeurs bien éloignées de la démocratie libérale.

Le texte de Guy Barbier est également un rappel à suivre une ligne de conduite raisonnable. Le pire n’est jamais certain en effet. La dramatisation est de rigueur chez les militants . C’est une arme, en tout cas un appel à la mobilisation.

Le problème est que l’on ne sait jamais… On ne sait pas si le  « collègue » et adversaire politique n’est pas en fait un opposant et si oui qu’elle attitude avoir envers lui.

On ne sait pas davantage si l’improbable ne peut pas advenir. On a ici et là pensé en 1933 que les nazis ne parviendraient pas au pouvoir et presque 90 ans plus tard, j’en connais qui ne pensaient pas que Poutine attaquerait l’Ukraine. Mais dans les deux cas le pire est arrivé.  Sans doute, il faut ne pas jouer les Cassandre. Sans doute, il ne faut pas agiter d’épouvantails. Mais parfois, Cassandre a raison…Et le rappel aux bons principes et à la sagesse  individuelle est moins utile qu’on pourrait l’espérer.

Pierre Rigoulot

Trump : épouvantail  ou  adversaire ?

Le texte de Jean Francart est de ceux que vise directement  Guy Barbier : le style Cassandre y triomphe. Le pire est le plus probable et diverses forces s’organisent pour qu’il advienne. On comprend qu’il s’agit de nous sortir de notre insouciance estivale. Mais les arguments avancés sont bien discutables.

Premièrement, il n’est pas besoin d’ imaginer un « dispositif ». Les Etats totalitaires sont là. Ils s’opposent aux démocraties et craignent pour leur survie autant qu’ils veulent nuire aux démocraties. La guerre d’Ukraine est aussi une guerre d’émancipation de la sphère totalitaire.  C’est pourquoi nous soutenons les Ukrainiens. Le monde occidental, le monde des démocraties libérales, est menacé mais il menace aussi le monde totalitaire en particulier par son attractivité. Poutine est par là lui-même menacé et l’avenir du totalitarisme russe incertain.

Deuxièmement, les appuis africains saoudiens ou iraniens à Poutine ne permettent pas de parler de « bloc ». La haine commune des démocraties occidentales n’empêche pas les fanatiques chiites au pouvoir d’être contestés chez eux et de contester la « russian and chinese way of life ». L’avenir de leurs relations avec les anciennes puissances communistes est loin d’être assuré à long terme.

Troisièmement, et c’est là le fil directeur du texte de Jean Francart, l’affirmation du caractère totalitaire des projets de Donald Trump laisse l’observateur quelque peu perplexe. L’Amérique de Trump pourrait-elle être celle d’un parti unique, de la soumission obligatoire à une idéologie et celle d’une économie étatisée ou encadrée par l’Etat? Trump s’en prendrait-il aux démocraties de l’Europe occidentale ? L’avenir totalitaire des Etats-Unis est un fantasme angoissant, sans doute, mais un fantasme dont la réalisation est peu concevable.

Reste cependant  – et Jean Francart nous y invite vivement avec raison – à comprendre les liens de Trump avec la Russie et ce qu’ils peuvent avoir comme conséquences politiques. Le rejet au sein d’une partie des extrêmes- droites occidentales d’une Union européenne visant à dépasser  peu à peu la souveraineté nationale, se traduit par un refus de soutenir l’Ukraine. Les mêmes motivations ne pourraient-elles pas animer leur favori américain  Donald Trump? Une raison de plus de suivre de près la campagne d’un éventuel candidat qui prétend régler la question ukrainienne en 24 heures.

Pierre Rigoulot

Ne pas minimiser

La réponse de Pierre Rigoulot se caractérise par le fait de minimiser les évolutions intervenues et de minimiser aussi les menaces qui pèsent sur nos pays démocratiques. Il est pourtant devenu banal de voir la presse de nos pays démocratiques constater (pour le regretter) que la démocratie est depuis plusieurs années en recul sur la planète.

Procédons ici à une énumération très incomplète : certains pays restent démocratiques mais renoncent à l’état de droit (Pologne, Hongrie, Turquie, Israël) ; d’autres pays qui étaient démocratiques basculent dans la dictature (Tunisie, Ethiopie, Mali, Centrafrique, Niger…) ;  deux pays, la Birmanie et la Syrie, ont durci leur dictature tout en se subordonnant à la Chine et à la Russie ; Pékin a contraint par la force la population de Hong Kong (pourtant massivement prodémocratie) à se soumettre à son régime totalitaire ; l’Afghanistan est retombé sous l’emprise d’un régime totalitaire théocratique, celui des Talibans ; deux grandes dictatures s’avèrent désormais s’être transformées en régimes totalitaires, la Russie du KGB et l’Iran des Ayatollahs ; la Chine, le plus ancien, le plus achevé et le plus puissant des régimes totalitaires, rivalise à parité avec les Etats-Unis en termes de puissance géopolitique ; on a vu les Etats-Unis subir (le 6 janvier 2021 et pour la première fois de leur histoire) une sérieuse tentative de coup d’état sans que s’enclenche un puissant mouvement de protestation. L’auteur ? un certain Donald Trump, celui qui célèbre régulièrement Poutine, qui accepte de rencontrer Kim Jing Un et qui, ni avant ni après le 6 janvier, n’a jamais exprimé une seule fois publiquement un quelconque attachement à la démocratie…

Pierre me reproche de privilégier « le scénario du pire ». Je lui réponds que son attitude l’amène à fermer les yeux sur la lourde tendance internationale qui prévaut depuis plus de vingt ans, celle du recul de la démocratie et de la montée des régimes antidémocratiques sous la houlette d’un bloc de quatre pays totalitaires (la Chine, la Russie, l’Iran, la Corée du nord).

En la matière, je pèse mes mots et je cherche à distinguer soigneusement les dictatures ordinaires des vrais régimes totalitaires, Je n’ai en particulier jamais affirmé que l’Arabie Saoudite était un régime totalitaire, encore moins qu’elle aurait intégré le bloc des régimes totalitaires. Ce que je pointe, c’est l’activisme agressif que déploie ce bloc pour soustraire de nombreux pays à l’influence des pays démocratiques, pour faire reculer la démocratie partout dans le monde et pour faire triompher in fine le modèle totalitaire à l’échelle mondiale.

En quoi serais-je donc excessif ? entre 1980 et 2000, nos pays démocratiques eux-mêmes ont aussi déployé beaucoup d’énergie pour étendre notre modèle démocratique à l’échelle mondiale. Depuis 2000, deux grandes organisations totalitaires se sont regimbées sans le faire savoir : le PCC en Chine et le KGB en Russie ; depuis 2005 (Instauration de BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine)), elles se sont même alliées pour, à leur tour, défendre et propager leur propre modèle, le sinistre modèle totalitaire. Une alliance qu’ils ont rendue officielle et publique tardivement avec leur long communiqué commun le 5 février 2022, juste avant l’invasion de l’Ukraine.

Mon analyse n’a donc rien de paranoïaque. Elle vise la lucidité et elle renonce à l’autocensure.

Aujourd’hui nos pays démocratiques sont hélas sur la défensive ; c’est bien pourquoi, plus que jamais, ils doivent s’unir et se soutenir mutuellement pour faire face au bloc des quatre régimes totalitaires. Il s’agit aussi de contrer leur stratégie conjointe qui est beaucoup plus construite qu’il n’est généralement admis ; en la matière, il ne faudra jamais oublier la capacité qu’a montrée le KGB à jouer « son pion Trump » pour nuire à la démocratie aux Etats Unis eux-mêmes ou la perversité qu’a manifestée le PCC au cours de la pandémie Covid.

Jean Francart

19 août 2023

Ni parano ni minimisation

Je ne minimise pas les dangers de la situation actuelle. Je ne veux simplement pas qu’on laisse entendre qu’on va de toute nécessité à la catastrophe. Je n’ai pas pour autant parlé de paranoïa. J’ai dit seulement refuser un discours du même type que celui de Cassandre, laquelle annonçait des catastrophes qui survenaient  inéluctablement.

Je n’irai pas plus loin dans cette polémique. L’avenir nous dira-t-il  qui a raison ? Même pas : tant de facteurs nouveaux et inattendus peuvent jouer ! Il y a mieux à faire, pour défendre la démocratie libérale, tant en France qu’ailleurs, que théoriser ce qui est sans doute surtout la manifestation de différences psychologiques ayant toutes deux des avantages…et des inconvénients !

Pierre Rigoulot

24 août  2023

31 Juil 2023


Alain Besançon (1932-2023)

Alain Besançon  vient de mourir. Il avait 91 ans. Il fut, comme tant d’autres de ses amis (Annie et Arthur Kriegel, Emmanuel Le Roy Ladurie par exemple) membre du Parti communiste dans sa jeunesse. Professeur de lycée à Montpellier, Tunis et Neuilly, il fut ensuite attaché de recherches au CNRS et intégra l’EHESS où il devint directeur d’études à partir de 1977.  Il enseigna aussi aux Etats-Unis, notamment à Columbia, à la Hoover institution de Stanford, haut lieu des archives du communisme, puis à Princeton. En 1987, Alain Besançon publia des  mémoires sous le titre Une génération où il raconte qu’il décida « d’explorer l’histoire de la Russie et de l’URSS afin de mieux comprendre ce qui lui était arrivé ». Il avait en effet rompu avec le communisme en 1956, mais était fasciné par les mécanismes affectifs et intellectuels par lesquels cette conception du monde s’auto-justifiait. Selon lui, le totalitarisme léniniste était une forme de gnose qui n’était pas sans rappeler le marcionisme, lequel exaltait le Dieu d’amour du Nouveau testament et dans le même temps rejetait le Dieu de la Loi, celui de l’Ancien testament. Cet examen, selon Besançon, devait « conserver son sens judiciaire » et aboutir à un jugement. Ce procès de l’histoire russe était à ses yeux une « cause capitale entre toutes ».

Ami de Branko Lazitch, qui animait la revue Est & Ouest, ancêtre des Cahiers d’histoire sociale et d’Histoire & Liberté, Alain Besançon fréquentait l’Institut d’Histoire sociale, participant en particulier à nombre de ses colloques où il nous associait avec clarté et force de conviction le Mal aux pratiques soviétiques et à l’idée même du communisme.

Membre du Conseil de rédaction de la revue Commentaire depuis 1986, Alain Besançon. fut élu à l’Académie des sciences morales et politiques en 1999.

On relira avec grand profit ses oeuvres, notamment Le Tsarévitch immolé (1967), le Court traité de soviétologie à l’usage des autorités civiles, militaires et religieuses (1976), préfacé par Raymond Aron, Les Origines intellectuelles du léninisme (1977), Présent soviétique et passé russe (1980), La Falsification du bien, Soloviev et Orwell, (1985), Le Malheur du siècle : sur le communisme, le nazisme et l’unicité de la Shoah, (1998), Sainte Russie, (2012).

Tous ses anciens étudiants, devenus souvent ses amis, pleurent sa disparition et adressent à son épouse, Maria, toutes leurs condoléances.

Pour les Amis d’Histoire & Liberté,

Pierre Rigoulot

Alain Besançon était une des personnes que je respectais le plus. « Les origines intellectuelles du léninisme » réduit ce dernier en cendres. Bien que non économiste il est à ma connaissance le premier à avoir mis en lumière l’imposture absolue qu’était la « brillante réussite économique » de l’URSS ( dans Anatomie d’un spectre, économie politique du socialisme réel que j’ajoute à la liste des oeuvres retenues par Pierre). Une surréalité construite en chiffres falsifiés, en mots, en théâtre et en images, surréalité qui, à l’époque, et encore longtemps après, trompait presque tout le monde, de gauche, comme de droite, surtout parmi les plus instruits dont la majorité des économistes les plus brillants de la planète ! En plus, un homme très humain, doté d’un sens psychologique aigu, à l’humour fin et capable d’autodérision 

Larme sincère.

Pierre Druez

J’éprouve un grand respect pour ce très bel esprit

André Senik

Un représentant authentique de l’intelligentsia en France, avec une érudition et un humour qui faisaient de lui un interlocuteur délicieux et de haut vol.

Nicolas Miletitch

C’est une grande tristesse pour moi. J’avais lu un livre de lui qui était très décapant sur le léninisme et sur l’univers soviétique. Cela m’avait bien dessillé les yeux. J’avais toujours espéré avoir l’occasion de le rencontrer. Trop tard hélas trop tard.

Antoine Brunet

12 Juil 2023