La crise, la crise, vous dis-je!
La crise parlementaire qui s’est ouverte dans notre pays, du fait de l’absence d’une majorité absolue favorable au président Macron, est curieusement traitée par les médias. C’est à qui dramatisera le plus. Et déjà l’on entend parler de blocage, de dissolution de la nouvelle Assemblée, de tsunami terrible, etc. On n’envisage guère des hypothèses plus riantes. Le pire est envisagé avec faveur. Il est vrai que la presse se voit ainsi plus consultée, davantage interrogée. Les taux d’écoute en hausse réjouissent les directeurs de chaînes !
Premier motif de dramatisation : le taux d’abstention
Sans doute, le taux d’abstention auquel nous sommes parvenus lors de ces dernières élections législatives, ne plaide pas en faveur de la lucidité ni du sens de la responsabilité de la moitié – et même un peu plus – de nos concitoyens. Mais comment se peut-il que personne n’ait reconnu ce que peut avoir aussi de rassurante l’insouciance avec laquelle des millions de Français aient décidé, ce 19 juin, d’aller à la plage, de se promener ou de rester tranquillement chez eux? Cette insouciance vient aussi de ce qu’il fait bon vivre dans cette société française ! On n’y est ni en Russie, ni en Erythrée ni au Bangladesh. Oui, il eût mieux valu recenser moins d’abstentionnistes. Mais n’est-ce pas aussi un bon signe que de pouvoir s’occuper de ses propres affaires sans craindre un grand bouleversement? Sans se départir de sa confiance? Le Grand soir ne tombera pas. Tout juste adviendront quelques nuances de gauche ou de droite. Le monde français ne s’écroulera pas. On fera une petite place aux extrémistes mais la vie démocratique, libérale et au fond agréable d’un pays prospère continuera…
Au secours! Le cordon sanitaire anti-Le Pen s’est rompu!
La deuxième dramatisation concerne le Rassemblement national qui a plus que décuplé le nombre de ses députés, au nombre désormais de 89. Sur presque toutes les chaînes et dans bien des journaux, on a insisté, un trémolo dans la voix, sur le « front républicain » qui ne fonctionne plus désormais. La vérité est qu’on n’en a plus besoin. Le Rassemblement national est un parti de la République. Il n’est pas hors la République. On peut y être opposé, comme je le suis, moi, démocrate et libéral, parce que je sais la promotion de l’autoritarisme, de l’illibéralisme qu’ont illustré les visites respectueuses au Hongrois Victor Orban et au tenant russe d’un ordre totalitaire, Vladimir Poutine, dont l’agression contre l’Ukraine et les atteintes systématiques aux accords internationaux, aux droits de l’homme et aux valeurs démocratiques ne sont pas dénoncés. Malgré les réticences évidentes du RN à le condamner, malgré sa mise en cause de l’OTAN jugée responsable de la crise autant que le n°1 du Kremlin, relancer le vieil appel « No Pasaran! » et faire du parti lepéniste un parti fasciste est une absurdité. Sans doute, parmi les 89 députés, il en est qui ne portent pas la gueuse républicaine dans leur coeur. Mais la direction du RN se dit prête à jouer le jeu démocratique. Combien de temps? Il faut ne pas baisser la garde car le risque existe d’une respectabilité de façade recherchée pour mieux s’implanter avant de tenter un jeu moins démocratique. Mais les regards sont moins méfiants concernant la fameuse « France insoumise » chère à Mélenchon qui, elle, continue de jouer la petite musique révolutionnaire, rêve d’un autre monde et – après destruction de l’ancien- d’un « avenir radieux »…
Le risque encouru par la démocratie est d’ailleurs moins grand qu’il n’y paraît. Le programme des deux extrémismes comptait moins aux yeux de bien des électeurs de 2022 que la force du mécontentement qu’ils exprimaient et leur rejet déterminé du Président Macron.
Drame 3 : L’absence de majorité absolue.
245 députés contre 90 (RN) ou 130 pour l’association des groupes parlementaires constituant la Nupes : les données chiffrées sont claires et il n’y a pas de défaite présidentielle. Il y a une majorité présidentielle relative. Le parti présidentiel va donc devoir discuter, négocier pour obtenir un accord sur certains objectifs, voire des accords au coup par coup. Osons le dire : c’est tant mieux! C’est l’assurance d’un Parlement français débarrassé d’un parti « godillot », un Parlement qui retrouve la vie et qui devra, comme en Allemagne, comme en Belgique, comme en Israël, trouver des compromis avec d’autres forces politiques et susceptibles de satisfaire le plus grand nombre de Français.
Pierre Rigoulot
(crédit photo: Mathieu Delmestre, 23 octobre 2013, https://www.flickr.com/photos/partisocialiste/10437285694)