La journaliste Zineb El Rhazoui et le philosophe Peña-Ruiz dénoncent la volonté de Marie Le Pen d’interdire le voile dans l’espace public. « une exigence qui vise exclusivement une partie de la population, ce qui est discriminatoire ». Ils avancent un deuxième argument : «invoquer la laïcité pour justifier une telle règle, c’est se méprendre lourdement sur son sens. En effet, la laïcité ne produit de normes concernant la tenue vestimentaire que dans certains lieux où la neutralité de la tenue est requise et dans l’exercice de certaines fonctions qui appellent cette même neutralité. Elle donne à la sphère privée, individuelle ou collective, la plus grande liberté. Le critère de la norme est simple à définir et à comprendre. Quand mon action n’engage que moi-même, elle est libre. Quand elle engage mon rapport à autrui, elle doit se conformer à l’ordre public qui le règle (Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, article 4 : «La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui»).Reste que la neutralité vestimentaire est exigible dans certains cas, comme par exemple dans l’enseignement public et les lieux officiels.
André Senik a lu cet article et nous fait part de ses commentaires :
1° Il est exact que le principe de laïcité, à lui seul, ne concerne pas l’espace public ni les vêtements des personnes privées.
Mais il est non moins exact que la laïcité et la neutralité de l’État se sont accompagnées en France, d’une discrétion généralisée dans le port des signes d’une appartenance particulariste, que celle-ci soit religieuse, politique ou ethnique.
Le respect de cette discrétion exprime notre préférence pour l’appartenance à une culture nationale commune y compris dans le domaine des moeurs
Le renoncement au port ostentatoire des signes particularistes dans l’espace public s’explique donc par le refus, très français, du multi-communautarisme, refus qui a conduit à ne pas mettre en avant dans l’espace public les signes d’appartenance particularistes et séparatistes.
Cette remarque signifie au minimum qu’on peut préférer et recommander la discrétion dans l’affichage public de ce qui distingue voire qui oppose oppose les Français qui se rencontrent dans leur espace commun.
2° Les Français qui exhibent des signes ostentatoires de leur appartenance à une religion particulière et à sa culture particulière font donc exception à la règle suivie par les autres Français, au lieu de se comporter en Romains à Rome.
Mais les signes vestimentaires d’affiliation à l’islamisme – ce qu’est le port public du voile islamique – présentent ceci d’absolument particulier qu’ils expriment un soutien à une idéologie qui veut imposer sa culture en France et qui nous fait la guerre.
Tout cela doit être pris en compte et exprimé avant d’en venir à faire une loi ou à en refuser le principe.
André Senik apporte avec subtilité et originalité sa contribution au débat toujours vif sur le voile islamique en commençant par contester qu’il se pose seulement en ces termes simples : dans les lieux officiels (école, administration, etc. ), le voile ou le foulard sont interdits. Ils ne le sont pas dans l’espace public et ne doivent pas l’être comme Marine Le Pen le propose dans son programme électoral.
André Senik, dont on connait pourtant les positions démocratiques et libérales, apporte cependant la réserve suivante : le port du voile, c’est le port d’un accessoire vestimentaire exprimant un soutien à une idéologie qui veut imposer sa vision en France et qui nous fait la guerre. Bonne raison de s’y opposer, bonne raison qui va bien au delà de la critique qu’on peut faire de l’indifférence – dont témoignent celles qui se voilent ou portent un foulard – au souci général de discrétion des Français, quant à leur culture et en particulier à leur religion.
On comprend bien l’argument et son souci de ne pas donner libre cours au multiculturalisme et, plus encore, de ne pas donner le moindre avantage au courant islamiste qui veut imposer sa présence, ses règles et ses exigences en France.
Le problème c’est que l’immense majorité des femmes qui portent un foulard ne vivent pas cette décision vestimentaire comme un soutien à l’islamisme mais comme une coutume dans laquelle elles ont été élevées, un peu comme nos mères et grand-mères ne sortaient pas « en cheveux » et à la campagne se séparaient même rarement d’un foulard. On peut admettre comme le dit André qu’il s’agit d’une indifférence à la société et à la culture où elles sont venues vivre aujourd’hui. L’islam est peut-être même ici en cause car une de ses caractéristiques, relevées par exemple par Claude Lévi-Strauss dans Tristes Tropiques, c’est sa difficulté à reconnaître et accepter l’altérité. Mais presque jamais n’est en cause l’islamisme politique ou djihadiste. Ne faut-il pas en conséquence compter sur le temps, les changements de conditions de vie, d’éducation et de culture pour voir les moeurs évoluer et le port du voile perdre de sa « normalité »? Une cinquantaine d’années ont suffi pour que la France catholique s’effondre ainsi que bien des habitudes vestimentaires et alimentaires qui l’accompagnaient. L’islam ne pourrait-il pas prendre le même chemin? Je serais donc tenté de laisser dans l’espace public les femmes libres de porter ou non le foulard. Le multiculturalisme, regrettable peut-être, mais transitoire (même si la transition dure quelques décennies) ne me semble pas le danger majeur encouru par nos sociétés.
Pierre Rigoulot
Photo de couverture : https://www.flickr.com/photos/121483302@N02/13765930124
je peux dire sans attendre où j’en suis sur ce point fort délicat.
Au début de la polémique sur le voile, j’étais totalement libéral. Je me souvenais que ma grand-mère maternelle n’avait pas quitté son shtetl pour venir visiter ses enfants en France, de crainte de ne pas pouvoir respecter toutes ses coutumes religieuses.
Avec la proposition d’interdiction du voile dans l’École, j’ai cru me retrouver devant un cas semblable et je n’avais vraiment pas envie d’emmerder des femmes comme cette grand-mère que je n’ai donc jamais vue.
Je me suis totalement trompé.
Le port du voile n’est pas une tradition chère aux femmes âgées et qui s’efface avec le temps et le passage des générations.
Il progresse partout dans le monde en signe extérieur de la progression de l’islamisation des moeurs… et des esprits.
Marine a été habile en associant voile et femme âgée. Mais c’est une esquive et rien de plus.
Conclusion : je ne suis pas du tout favorable à une interdiction qui serait violemment anti-libérale, mais je crois nécessaire une bataille culturelle contre cet étendard islamiste en défense de l’art de vivre ensemble à la française.
J’ajoute, en réponse à l’argument de la liberté de s’habiller comme on veut,
comme si le choix d’afficher un signe vestimentaire d’appartenance était
insignifiant : que celles qui portent librement un voile islamique arborent un logo défendant la liberté de le porter ou non pour toutes et partout.
André Senik