Witold Szablowski : Les ours dansants, De la mer Noire à La Havane, les déboires de la liberté, de Ed. Noir sur Blanc, 2021, 232 p. 21€

Et si les hommes n’étaient pas faits pour la liberté? Sartre avait posé la question en son temps à ses lecteurs. Et Jean-François Revel. Mais les hommes préfèrent en général ne pas trop y réfléchir. C’est si pratique, quand on lutte contre une tyrannie, de la croire condamnée d’avance tant l’aspiration à la liberté serait puissante chez nos semblables !

Pratique, sans doute mais peut-être illusoire. Car une fois qu’on l’a conquise, cette liberté, les difficultés s’accumulent, et les complications qui conduisent certains à s’interroger : a-t-on bien fait? Vit-on mieux qu’avant ? Ce qu’on a gagné compense-t-il vraiment ce qu’on a perdu ? Witold Szablowski, un quadragénaire polonais, ose même demander : au fond qu’a-t-on gagné à la chute du communisme?

Ceux qui, comme moi, espéraient ici une réflexion approfondie sur les traces que laisse le communisme dans les esprits, sur le le prix à payer pour être libre et l’impréparation dans laquelle nous a laissé sur ce point ce système totalitaire expirant, en seront pour leurs frais. Ils seront seulement invités à lire une parabole, celle des ours dansants dressés par les Tziganes en Bulgarie, et à suivre notre Polonais post-communiste enquêtant – bavardant surtout – en Europe de l’Est, à Cuba et même en Grèce, ce dernier détour étant pour le moins surprenant.

Quelques questions impertinentes mais importantes surgissent sans doute du tableau lamentable offert par les animaux dressés « invités » à reprendre leur vie sauvage. Leur retour à la normale (pour un ours sauvage) est semé d’embûches et ne se réalise peut-être jamais.

Un certain malaise nous vient même quand, dans ces considérations sur les ours ou sur la vie quotidienne des citoyens de pays communistes, on fait la somme de ce qui, selon l’auteur, relève du regrettable dans la liberté recouvrée. On y perd, dit-il, des personnages originaux, des marginaux un peu fous, une organisation défaillante au quotidien, donc plus de passe-droits, une relation passionnelle au leader déchu ou disparu. Szablowski évoque ses rencontres sans réticence, comme autant de documents, un peu à la manière de Svetlana Alexeievitch dans La fin de l’homme rouge. Un rien d’empathie en ressort, et l’on pourrait parler de nostalgie si l’auteur était assez âgé pour avoir connu ce monde.

La naïveté de l’Union européenne, le fanatisme de ses ONG animalistes bénéficient-ils du même regard? Il ne le semble pas et ce n’est plus Svetlana Alexeievitch qui vient à l’esprit mais Un cauchemar climatisé d’Henry Miller.

On gardera de ce livre la découverte dépaysante de la saga des ours dansants mais aussi l’invitation qu’il lance à prêter l’oreille à la réflexion que mènent les Polonais depuis quelques années sur la démocratie et le totalitarisme et à s’engager dans la lecture critique, certes moins plaisante qu’un voyage au pays des ours, de The Demon in democracy, Totalitarian temptation in Democracy de Richard Legutko, publié en 2016, un ouvrage majeur des tenants de la  « démocratie illibérale » aux charmes douteux de laquelle Szablowski ne doit pas être indifférent.

Pierre Rigoulot

1 Fév 2022

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