25 août 2021

Comprendre la Politique Extérieure Du Parti Communiste Chinois

Plus que jamais, il nous faut relire 1984 de George Orwell. Le principal message qui émane de la célèbre fiction me semble être le suivant : une fois qu’un régime totalitaire est installé, il est vain de croire et d’attendre que des héros individuels puissent se mettre en réseau et organiser valablement un mouvement intérieur de résistance qui devienne ensuite assez significatif pour obtenir in fine le renversement de ce régime totalitaire.

S’il fallait des vérifications supplémentaires de la validité de ce message d’Orwell, il suffit de se référer au sort tragique que le régime totalitaire chinois réserve non seulement aux personnalités et aux militants pro-démocratie mais aussi aux personnages simplement susceptibles de porter ombrage au pouvoir monopolistique du Parti Unique ; il suffit de se référer à l’ impuissance relative que connaissent malheureusement les résistants ouïghours face au rouleau compresseur que le Parti Communiste Chinois déploie au Sinkiang contre leur population ; il suffit de se référer à la chape de plomb que, depuis le 30 juin 2020, en abolissant brusquement le statut spécial de Hong Kong, le Parti Communiste Chinois a fait tomber sur le territoire, transformant les millions de Hong-Kongais, qui avaient pendant plusieurs mois manifesté héroïquement dans la rue pour la démocratie, en autant de personnes atomisées et terrorisées parce que désormais menacées arbitrairement de lourdes années d’emprisonnement.

En réalité, Orwell a raison : une fois qu’un régime totalitaire est installé, il est quasiment « indégommable » par un mouvement intérieur.

C’est donc préventivement que les populations concernées doivent agir pour empêcher que des minorités significatives, radicalisées et organisées autour d’une idéologie particulière, n’installent un régime totalitaire.

Rappelons à ce sujet que juste après le Coup d’Etat opéré par Lénine en octobre 1917, les Bolcheviques ne recueillirent que 23 % des suffrages à l’élection Constituante de Russie de novembre 1917 (ce qui vérifie le manque d’adhésion populaire aux Bolcheviques et à leur putsch). Rappelons aussi qu’aux élections législatives de novembre 1932, peu avant son Coup de force de mars 1933, Hitler n’avait recueilli que 33% des suffrages.

Un tel manque initial d’adhésion populaire n’a pourtant empêché ni l’instauration par les Bolcheviques de leur régime totalitaire en URSS (il aura duré 74 ans), ni l’instauration d’un autre régime totalitaire par Hitler en Allemagne (un régime que la majorité de la population allemande défendit jusqu’au bout face aux armées alliées).

Pour aller plus loin dans l’appréhension de la solidité ou, au contraire, de la vulnérabilité des régimes totalitaires, il faut prendre en compte deux observations majeures depuis que le phénomène totalitaire est apparu (au début du XXème siècle).

Première observation : nombre de régimes totalitaires restent durablement en place et n’ont même jamais été renversés depuis leur instauration (Chine depuis 1949, Corée du Nord depuis 1953, Cuba depuis 1965, Syrie depuis 1970, Vietnam depuis 1975, Iran depuis 1979, Venezuela depuis 2000). Cela confirme, hélas, la robustesse des régimes totalitaires une fois qu’ils sont installés.

Deuxième observation. Il se trouve que quelques régimes totalitaires, même très importants, ont quand même fini par chuter : l’Allemagne nazie et le Japon de Hiro Hito en 1945, les Khmers rouges au Cambodge en 1979, l’Argentine des colonels en 1982, l’URSS en 1991. Mais si ces quelques régimes totalitaires ont fini par chuter, ce ne fut pas principalement en conséquence d’un mouvement intérieur de résistance mais principalement en conséquencede leurs échecs en politique extérieure :respectivement, la défaite en 1945 de Berlin et Tokyo dans la Deuxième guerre mondiale, l’intervention en 1979 de l’armée vietnamienne au Cambodge, la défaite en 1982 des colonels argentins aux Malouines, la défaite de l’URSS en 1991 largement imputable à deux facteurs de politique extérieure (l’enlisement de l’Armée Rouge en Afghanistan et ce qu’on a appelé la Guerre des Etoiles).

Si l’on conjugue ces deux observations distinctes, on en conclut que la vraie vulnérabilité qui pèse sur les régimes totalitaires avérés provient de leur environnement extérieur.

C’est précisément parce qu’il est conscient que subsiste une vulnérabilité extérieure (pour son régime totalitaire comme pour les autres) que le Parti Communiste Chinois a adopté autour de 1990 une stratégie ambitieuse qu’il déroule méthodiquement depuis plus de 30 ans.

De quoi s’agit-il ?

En 1989, le Parti Communiste Chinois s’employa à réprimer dans le sang, à Tian Anmen, le mouvement pro-démocratie le plus important qu’ait connu la Chine. Ne se contentant pas d’avoir surmonté ce mouvement pro-démocratie par une répression sanglante, le Parti Communiste Chinois a tenu à analyser et a conclu ceci : pour garantir totalement la pérennité de son régime totalitaire, la répression intérieure ne suffit pas ; il lui faut aussi « se protéger de l’extérieur ».

De ce point de vue, il lui devenait en particulier insupportable que les Etats Unis puissent continuer à démontrer concrètement, à la population chinoise et aux autres populations du monde, que la démocratie était parfaitement compatible avec la prospérité économique et la puissance géopolitique ; le Parti Communiste Chinois considérait (sans doute à juste titre) que cet exemple américain avait même beaucoup contribué à ce que la jeunesse chinoise ose prendre le risque en 1989 de réclamer la démocratie par des manifestations de rue prolongées.

Depuis lors, l’objectif prioritaire du PCC en politique extérieure consiste à éradiquer de la planète les régimes démocratiques et l’idée même de démocratie.

Cela se traduit par une politique extérieure qui revêt trois dimensions complémentaires :

Première dimension : la Chine soutient systématiquement les régimes totalitaires et les régimes dictatoriaux et les aide à réprimer et à vaincre les mouvements pro-démocratie, très importants et très héroïques, qui prennent le risque de manifester et de lutter contre eux. C’est ce que l’on a vu dans les dernières années en Iran (2009 puis 2017/2018 et encore 2019/2020), en Syrie (2011/2016), au Venezuela (2015/2019), au Zimbabwe (2019), au Soudan (2019), en Algérie (2019), en Thaïlande (2020/2021), en Birmanie (2021), en Biélorussie (2021). Dans tous ces pays évoqués, le Parti Communiste Chinois s’est tenu et se tient encore contre les populations et derrière les régimes antidémocratiques (qu’ils soient dictatoriaux ou totalitaires) et leurs forces de répression.

Deuxième dimension : la Chine s’active à resserrer les liens entre les régimes totalitaires avérés. On voit ainsi se constituer sous nos yeux un véritable Front des Régimes Totalitaires dont le noyau dur est la Chine et qui regroupe autour d’elle la Corée du Nord, Cuba, le Venezuela, la Russie, la Biélorussie et ce régime totalitaire théocratique qu’est l’Iran avant d’accueillir probablement en son sein un autre régime totalitaire théocratique, celui des Talibans. Ce Front bien entendu a vocation à admettre aussi des régimes dictatoriaux qui ne sont pas (ou ne sont pas encore) des régimes totalitaires avérés.

Troisième dimension : la Chine vise à infliger une défaite définitive aux Etats Unis. Si l’ensemble de la planète devait passer sous le joug de divers totalitarismes selon le souhait de Pékin et de Moscou, le Parti Communiste Chinois serait pleinement rassuré : il n’y aurait plus d’environnement extérieur à partir duquel son régime totalitaire ou les autres régimes totalitaires pourraient être déstabilisés. Le jour où le monde entier serait entièrement soumis à divers régimes totalitaires, les libertés individuelles et les droits humains seraient éradiqués partout et définitivement. C’est dans cette optique que la Chine et ses alliés sont décidés à infliger une défaite définitive aux Etats Unis.

Une défaite géopolitique majeure des Etats Unis serait en effet aussi une défaite de tous les pays démocratiques. A part les Etats Unis, aucun autre pays démocratique n’a la capacité militaire de s’opposer valablement à l’Armée Rouge ou à l’Armée Populaire de Libération. Si les Etats Unis étaient vaincus par la Chine et le Front des Régimes Totalitaires, ce serait donc un triomphe planétaire pour le camp totalitaire et un effondrement dramatique de tout le camp démocratique. Depuis que, fin juin 2021, à l’occasion du centenaire du Parti Communiste Chinois, Xi Jinping a déclaré, devant les millions de militaires de l’Armée Populaire de Libération réunis au garde à vous devant des écrans géants décentralisés, qu’il leur fallait préparer la guerre, il est devenu encore plus évident que la Chine et le Front des Régimes Totalitaires visent désormais à infliger une telle défaite décisive aux Etats Unis.

Ces trois dimensions de la politique extérieure du Parti se complètent pour réaliser les deux objectifs jumeaux qu’il poursuit depuis 1989 : instaurer une hégémonie impérialiste de la Chine sur le monde mais aussi et surtout détruire tout fonctionnement démocratique sur la planète afin de préserver définitivement son régime totalitaire en Chine. Ce sont ces deux objectifs jumeaux que Xi Jinping résume d’ailleurs par une formule hypocrite, celle du « rêve chinois ».

Face à cette redoutable stratégie du Parti Communiste Chinois, la responsabilité qui incombe aux pays démocratiques et aux démocrates, c’est de tout mettre en œuvre pour y faire obstruction, c’est en particulier d’organiser, autour des Etats Unis, l’alliance, politique et militaire, la plus large possible et la plus solide possible, des pays démocratiques.

Dominique Duel

(crédit photo : https://www.flickr.com/photos/remkotanis/8165922995)

27 Août 2021

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