6 Août 2021
Le Monde Diplomatique et le Parti Communiste Chinois
Chose étrange, le Monde Diplomatique, qui s’exprime très volontiers sur la plupart des pays de la planète, s’exprime très peu souvent sur la Chine (pourtant le plus grand pays de la planète par sa population et par son PIB depuis 2014). Le Monde Diplomatique lui-même reconnaît avoir publié seulement cinq articles importants à ce sujet depuis 1999.
Un tel comportement d’abstention n’est sans doute pas fortuit. La Rédaction du Monde Diplomatique n’est pas à l’aise dès lors qu’il s’agit de reprocher publiquement au Parti Communiste Chinois ses exactions dans de multiples domaines. C’est sans doute son antiaméricanisme, bien connu et presqu’obsessionnel, qui l’amène à évoquer le moins possible le Parti Communiste Chinois, en sorte de ne pas avoir à lui adresser de reproches.
Néanmoins, le Monde Diplomatique ne pouvait pas laisser passer le centenaire du Parti Communiste Chinois sans en prononcer le bilan qu’il retirait. On trouve en tout cas dans son numéro daté de juillet 2021 un grand article qui en tient lieu et qui est intitulé : « De Mao Zedong à Xi Jinping, un parti pour le renouveau national ». C’est un professeur de Sciences Po, Monsieur Jean-Louis Rocca, que le Monde diplomatique a chargé de l’exercice.
Compte tenu de ce que le Parti Communiste Chinois a défrayé l’actualité internationale par ses multiples exactions, on se serait attendu à ce que son bilan soit établi au regard de sa contribution (positive ou négative) aux droits de l’homme en Chine au cours des 100 années qui ont séparé 1921 et 2021 avec un accent particulier sur les 72 années (1949 à 2021) au cours desquelles le Parti a exercé sans interruption, le pouvoir – tous les pouvoirs.
Point du tout. Monsieur Rocca a délibérément choisi de juger le Parti Communiste Chinois au seul regard de sa fidélité à ses origines et en particulier au marxisme-léninisme qui était, initialement en tout cas, sa doctrine de référence. Monsieur Rocca nous déroule ainsi les quelques contorsions du Parti à l’égard de sa doctrine : dans sa période d’opposition, celui-ci, conformément à sa doctrine, s’adresse initialement aux ouvriers (alors très peu nombreux, trop peu nombreux à son goût) puis il s’en détourne pour cibler sans succès les paysans pauvres ; dans sa période au pouvoir, le Parti, à partir de 1978, effectue de nouveaux virages en accueillant dans ses rangs beaucoup de diplômés et même de chefs d’entreprise et surtout en basculant du collectivisme au capitalisme.
Chose incroyable, dans son rappel historique, Monsieur Rocca se dispense de rappeler que c’est par un coup de force militaire que le Parti Communiste Chinois s’est emparé du pouvoir en 1949 et s’est imposé immédiatement comme Le Parti Unique.
Mais Monsieur Rocca a sans doute conçu son article pour ne jamais avoir à recourir aux mots qui fâcheraient Pékin.
Jamais dans l’article, le régime que le Parti impose à la population chinoise n’est caractérisé comme totalitaire.
Jamais dans cet article, il n’est procédé non plus à une énumération, même embryonnaire, des très graves exactions que ce régime a commises. Ainsi ne sont mentionnées :
- Ni les victimes de la grande famine que Mao imposa aux paysans (comme avant lui Staline aux paysans russes et surtout ukrainiens) ;
- Ni les persécutions à grande échelle infligées pendant la Révolution Culturelle à certaines catégories sociales (aux intellectuels en particulier);
- Ni l’imposition de la politique de l’Enfant Unique (pour les habitants des zones urbaines) ;
- Ni le chômage imposé brutalement (après 1978) par le Parti aux populations des provinces intérieures assorti d’une interdiction pour elles de migrer vers les provinces côtières en sorte que se constitue, de 1978 à aujourd’hui, une population de 288 millions de mingong (qui représentent un tiers environ de la population en âge de travailler et qui constituent un segment totalement séparé du reste de la population chinoise) qui sont, pour la plupart, des ouvriers d’usine sans aucune défense sociale surexploités par les entreprises manufacturières de la zone côtière ;
- Ni la répression brutale et sanglante d’un immense mouvement populaire qui avait pris le risque immense de sortir dans la rue pour réclamer la démocratie (Tian An Men, juin 1989) ;
- Ni l’emprisonnement soudain (sans motif annoncé, sans procès ni recours) assorti de tortures (physiques et mentales) pour de très nombreux militants prodémocratie ou même pour des citoyens que le Parti juge non conformes à ses normes ;
- Ni la répression, atroce et sanglante, (principalement entre 1949 et 1969) de la minorité tibétaine (minorité à la fois ethnique, linguistique et religieuse) ;
- Ni l’introduction de la reconnaissance faciale généralisée et l’institution du score social qui introduit un système de punitions automatiques pour les Chinois qui dévient des normes de conformité imposées par le Parti ;
- Ni l’abolition unilatérale (juin 2020) par Pékin du traité anglo-chinois qui instituait, de 1997 à 2047, un minimum de vie démocratique pour les habitants de Hong Kong ni la répression sévère qui s’abat sur les nombreux militants qui, avec le soutien quasi-unanime de la population, cherchent à résister à cette décision ;
- Ni la répression, atroce et sanglante, au Sinkiang, principalement depuis 2014, de la minorité ouïghoure (à la fois ethnique, linguistique et religieuse) ; dans ce dernier cas d’ailleurs, le Parti Communiste Chinois se défend de l’accusation de génocide qui est portée contre lui, en invoquant, très spécieusement, que le nombre officiel des victimes décédées reste limité et en omettant, délibérément, de prendre en compte les très nombreuses victimes qui ne survivent que très difficilement après qu’il leur ait fait subir un emprisonnement et un travail forcé accompagnés de tortures physiques et mentales, ou encore de viols ou de stérilisations forcées.
Encore une fois, il est proprement inadmissible de tirer le bilan de 100 ans d’existence du Parti Communiste Chinois sans porter à son passif une telle énumération de forfaits horribles. Imagine-t-on tirer le bilan du Parti Nazi sans porter à son passif le génocide des Juifs et des Tziganes ?
A dire vrai, Monsieur Rocca a choisi de s’adresser à ceux qui sont restés marxistes-léninistes (ou à ceux qui n’ont pas complètement coupé le cordon ombilical avec lui). Ce qui en réalité l’intéresse, c’est de démontrer et de conclure que le Parti Communiste Chinois est resté fidèle à sa vocation : « Loin d’avoir trahi, le Parti Communiste Chinois reste fidèle à deux principes ».
Et qu’importe si cette vocation l’a amené à devenir un Léviathan toujours plus monstrueux et toujours plus menaçant, pour sa population comme pour le reste du monde.
Laissons Monsieur Rocca à sa démarche beaucoup trop particulière. Relevons quand même qu’en choisissant la plume de Monsieur Rocca pour rendre compte du centenaire du Parti Communiste Chinois, le Monde Diplomatique, une fois encore, montre qu’il préfère défendre le marxisme-léninisme (en dépit même de ce qu’il a toujours mené au totalitarisme) plutôt que de défendre les droits de l’homme, les libertés et la démocratie libérale.
Dominique Duel
(crédit photo : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:FF_Yoga_(4197323321).jpg)
Réponses
Il n’est pas surprenant que Le Monde diplo publie un article qui préfère passer sous silence les crimes du communisme chinois. Ce qui est inquiétant, Dominique Duel c’est que, comme vous le précisez, l’auteur de l’article est professeur a Sciences Po. Cela donne une idée de l’impartialité et du sérieux des recherches qu’il doit mener et des cours qu’il doit donner a ses élèves de Sciences Po.
Le Monde diplomatique, fondé par Hubert Beuve-Mery, était destiné à ses débuts aux cercles diplomatiques et aux grandes organisations internationales. Tout change lorsque Claude Julien prend la direction du journal; c’est l’époque ou j’ai cessé de le lire. Tout comme j’ai arrêté de lire Le Monde de Jacques Fauvet lorsqu’ils ont titré en première page » Saigon libérée » en 1974. Jacques Fauvet avait reconnu du bout des lèvres, sur le plateau de l’émission Apostrophes de Bernard Pivot, que » c’était une erreur ».
Quant au Monde diplo, après sa tendance altermondialiste (Bernard Cassen) il représente maintenant le courant de la gauche radicale, la gauche de la gauche comme l’explique un article du Monde du 14/02/2017. Cet article fait l’apologie du Monde diplo qui, selon la journaliste du Monde, « dénonce les partis pris et les conformismes ». Ignacio Ramonet a été membre du journal dirigé maintenant par Serge Halimi. On voit donc les partis pris…Il est ironique de voir sur son site internet que Le Monde diplo se présente comme « un mensuel critique d’informations et d’analyse » (sous-entendant une seule critique : la critique marxiste-léniniste pour analyser le monde comme il va).
Jacques Carbou
Merci à Monsieur Carbou pour son commentaire que je partage largement. Comme lui, je n’ai pas été surpris par le fait que, une fois encore, Le Monde Diplo manifeste de la complaisance à l’égard du Parti Communiste Chinois.
Ce qui m’a surpris, c’est jusqu’où Le Monde Diplo ose aller. Faire un bilan positif du PCC sans même commencer à lister les exactions et les crimes dont il est responsable, c’est proprement ahurissant. Rappelons nous que, lorsque le PCF était sous la coupe du PCUS (PC de l’Union Soviétique), Georges Marchais, commençait par reconnaître quelques passifs de l’URSS même s’il finissait par conclure à « un bilan globalement positif de l’URSS ». Monsieur Rocca n’a même pas les scrupules qu’avait encore Georges Marchais. Encore une fois, serait-il admissible que quelqu’un fasse le bilan du Parti Nazi en passant sous silence le génocide contre les Juifs et le génocide contre les Tziganes ?
La représentante de la communauté ouighoure en France a raison lorsqu’à la télévision, elle dit que, selon la définition retenue par l’ONU, le Parti Communiste Chinois commet un génocide culturel au Sinkiang. Et ce génocide culturel succède à celui commis au Tibet. A quoi il faut ajouter une troisième persécution religieuse, celle commise par le PCC contre les membres de la religion Falun Gong (environ 95 millions de personnes avant que le PCC n’entame sa persécution contre elle). Ce sont en réalité toutes les religions qui sont menacées d’être persécutées par le PCC en Chine.
Dans sa volonté de domination, le PCC ne supporte pas le maintien des religions parce qu’elles pourraient devenir la source d’un contrepouvoir. Dans sa volonté de rendre homogène, uniforme et conforme la population chinoise, le PCC a inventé récemment « le score social » ; manifestement, la persécution de toutes les religions est aux yeux du PCC, le complément indispensable à construire »l’homme nouveau » au service du PCC et de ses objectifs.
Dominique Duel