L’Espagne Rouge, scènes de la Guerre civile 1936-1937, de Ksawery Pruszynski – par Pierre Druez

Immersion dans la guerre civile espagnole côté républicain, en 1936-1937, surtout en Catalogne, avant qu’Orwell n’écrive son hommage à la Catalogne. L’âme espagnole à la lumière de l’âme polonaise. Deux ans avant que la Pologne ne soit agressée conjointement par l’Allemagne nazie et l’URSS, puis frappée de dévastations successives pires que celles à laquelle l’auteur assiste en Espagne. Ce sont les Espagnols qui se sont entre-déchirés mais sans le ferment empoisonné venu de l’Est, la tragédie n’aurait jamais atteint cette ampleur.

Récit épique empreint d’une humanité poignante et d’une érudition rare par un journaliste polonais hors normes dont la biographie mériterait plus qu’amplement d’être écrite.

Sur un sujet depuis lors rabâché et inlassablement simplifié et instrumentalisé, surtout par la gauche.

Ici, fi des simplismes, du manichéisme, de la mythification de la République, de la diabolisation de Franco ou du renvoi des deux camps sur le même plan, confort des paresseux, des ignares ou des indifférents.  Non: les crimes et exactions ne furent pas du même ordre dans les deux camps. La république versait dans le totalitarisme stalinien et massacrait à tour de bras y compris dans ses propres rangs. On a le vertige devant ces assassinats en série, ces exécutions sommaires, ces holocaustes gratuits, ces procès-bidons à l’instar de tous les régimes communistes.

Les Soviétiques, qui avaient « mis en sécurité » l’or de la banque d’Espagne chez eux, ne fournissaient pourtant que du matériel vétuste, les militaires et les journalistes russes ne se mêlaient pas aux autres, le NKVD et les représentants du Comintern ne chômaient pas dans l’épuration interne. Cible principale des services soviétiques, à l’instar des premières victimes de la psychopathie léniniste en Russie : les gens de gauche, surtout d’extrême, d’abord les marxistes non inféodés à l’URSS, le POUP, les trotskystes, puis les anarchistes. L’auteur lui-même n’échappa que de justesse à un « entretien » avec les Russes. Entretien souvent synonyme d’une balle dans la nuque. Ce qui n’empêcha pas la plupart des plus fidèles agents du Comintern et du Parti inféodé au PCUS de se faire exécuter en URSS où ils furent rappelés ou bien se sont réfugiés après la victoire des franquistes.

Sens du détail minutieux des observations et sens psychologique profond, empathie de Pruszinki envers des combattants, des gens rencontrés ou interviewés sur le front et ailleurs. Et remarquable insertion dans le contexte historique, culturel, politique, intellectuel, économique et social global grâce à l’exceptionnelle culture de l’auteur.

On trempe aussi littéralement dans le sang et la sueur de la guerre. On la voit, on l’entend, on respire ses relents. On souffre avec les victimes. On est interloqué par l’indifférence des assassins des deux camps. On s’angoisse avec les familles décimées et prises entre les feux, parfois déchirées en leur sein entre les deux camps, parfois victimes résignées d’une réputation de « fascistes » comme cette femme soumise et terrifiée qui a assisté à l’assassinat de ses deux fils, en présence des petits frères et sœurs, aux regards désormais, à tout jamais, vides.

Le reporter fait battre nos cœurs surtout du côté des anonymes, le troisième côté, non engagé, celui des gens ordinaires et aussi celui des humanistes de gauche et/ou libéraux qui portent le regard le plus lucide sur le désastre en cours (Cf. le chapitre sur les « Conversation avec le docteur Marañon »).

On se frotte à l’essence de l’Espagne, de sa mentalité, de sa cruauté aussi, en ce qu’elle peut avoir de répulsif pour les cœurs sensibles. La bête humaine, les haineux, les sadiques et les pervers, eux, dans ce contexte, comme n’importe où ailleurs et en n’importe quelle époque, se déchaînent dès qu’ils disposent d’un pouvoir sans frein.

Les spécificités de la Catalogne et du Pays basque libre (Cf. un autre chapitre÷« La verte Euskadi ») sont bien décrites. Par exemple, le Pays basque échappe aux exactions extrêmes qui sont le lot de Madrid et de la Catalogne « libre », comme les massacres des prêtres, des religieuses et même des étudiants catholiques, le pillage et l’incendie systématique des églises, monastères et couvents, et même des maisons bourgeoises. Et pourtant il y avait aussi des curés du côté des Rouges !

Et que croyaient combattre et défendre les 5000 volontaires américains des rangs républicains ? Rien n’est simple dans cette guerre civile. Ni dans ses causes.

A des années-lumière des récits des imposteurs comme Malraux ou des récupérateurs de tout acabit, artistes, politiques, idéologues et bien-pensants. De Picasso à Hemingway en passant par la plupart des professeurs d’histoire.

Pierre Druez

PS L’ouvrage bénéficie d’une introduction et d’un ensemble de notes remarquables.

L’Espagne rouge, scènes de la Guerre civile 1936-1937, de Ksawery Pruszynski, éd. Buchet-Chastel, préface et annotations de Brigitte Gautier, 492p. 27 euros

28 Déc 2020

2 réflexions sur “[Annonce ] L’Espagne Rouge, scènes de la Guerre civile 1936-1937, de Ksawery Pruszynski – par Pierre Druez

  1. Michèle Voisin dit :

    J’ai bien aimé votre compte-rendu. Mais pourquoi ne rien dire de la méconnaissance totale de l’espagnol par la traductrice? Ses commentaires, vous avez raion, sont bons. Mais Cuartel n’est pas un lieu dit. C’est une caserne et carcel non plus. C’est une prison. Il aurait été important aussi de souligner que. l’interview du Dr Marañon est un grand moment du livre; Les lecteurs français ne connaissent pas bien la guerre d’Espagne et cela leur ferait du bien de le lire : comme le disait mon ancien professeur, Alain Besançon, la mémoire dominante de la guerre d’Espagne, c’est celle des vaincus ! Ce livre donne envie de réfléchir à cette tragédie dont l’issue était de toute façon mauvaise pour les Espagnols.

    Michèle B.

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  2. Coriolan dit :

    Fait suite à l’ouvrage de Pio Moa de 2003, sur les mythes de la guerre civile chez Tallandier, qui dénonçait déjà les exactions et provocations de la gauche. Citons les phalangistes désarmés assassinés dans la rue, ce qui amènera à des représailles. Et surtout le meurtre de José Calvo Sotelo, chef du Parti Monarchiste enlevé chez lui par des Jeunes Socialistes accompagnés par des Gardes d’Assaut, et abattu le 13 juillet 1936. Véritable détonateur de la conflagration civile.

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