De Karl Marx au wokisme et à la cancel culture, la filiation est bonne
Karl Marx a construit sa vision de la société et de l’histoire au moyen d’un syllogisme en trois temps.
Son postulat de départ est que l’histoire des sociétés est caractérisée par l’antagonisme irréductible entre les classes exploiteuses (qui sont dominantes) et les classes exploitées (qui sont dominées).
Ce postulat est suivi par un corollaire : la domination générale des dominants s’impose aux exploités qui lui sont soumis au moyen de la culture dominante.
La conséquence logique de ces deux prémisses est que les dominés qui veulent en finir avec la domination qu’ils subissent doivent abolir la culture passée.
Sur ce sujet, voici ce qu’on lit dans le Manifeste du parti communiste :
« L’histoire de toute la société jusqu’à nos jours était faite d’antagonismes de classes, antagonismes qui, selon les époques, ont revêtu des formes différentes.
Mais, quelle qu’ait été la forme revêtue par ces antagonismes, l’exploitation d’une partie de la société par l’autre est un fait commun à tous les siècles passés.
Donc, rien d’étonnant si la conscience sociale de tous les siècles, en dépit de toute sa variété et de sa diversité, se meut dans certaines formes communes, formes de conscience qui ne se dissoudront complètement qu’avec l’entière disparition de l’antagonisme des classes.
La révolution communiste est la rupture la plus radicale avec le régime traditionnel de propriété ; rien d’étonnant si, dans le cours de son développement, elle rompt de la façon la plus radicale avec les idées traditionnelles. »
Ce texte nous montre ce que le mouvement déconstructionniste, le wokisme, et la cancel culture doivent au marxisme.
Ils en sont des résurgences et des métastases qui vont au-delà des seuls conflits de classes.
Vivement donc que cette envie de tout déconstruire et de faire table rase de la culture finisse par passer de mode et que les jeunes intellos qui en sont affectés retrouvent leur bon sens, à l’exemple de leurs ainés qui en France sont tous revenus de leur délire maoïste, à l’exception de l’imperturbable Alain Badiou.
André Senik
« Que le marxisme prépare les esprits au wokisme, lui fournisse quelques uns de ses termes voire de ses concepts et soit une de ses conditions nécessaires pour ces trois raisons, il faut le rappeler, et, texte à l’appui ainsi que vous le faites, c’est encore mieux.
Ce rapport de filiation doit-il nous empêcher de distinguer ce qui différencie la pensée marxiste de son possible « avatar » wokiste ?
Voici ceux que je discerne en tout cas.
Est-ce que j’en oublie ou me trompe ?
A vous et aux autres de me le signaler, le souhaiteriez-vous.
– La pensée marxiste est européenne et elle se conçoit comme européenne même si elle se veut prolétarienne. Elle croit à la supériorité de la culture prolétarienne sur la culture européenne bourgeoise et à la supériorité de la culture européenne bourgeoise sur les cultures pré-capitalistes des pays déjà colonisés à l’époque ou colonisables ; le wokisme est une pensée occidentale, qui se veut non occidentale, qui croit à l’infériorité morale et intellectuelle de l’Occident et qui, comme le marxisme, cherche à conquérir les esprits
– Le marxisme est étatiste (« léniniste » ?) en ce sens qu’il fait de la conquête de l’Etat la condition de la conquête de la société et de la transformation des mœurs par la dictature juridique du prolétariat ; le wokisme agit par la base et vise (à la manière de Gramsci ?) à transformer l’Etat et le droit par une dictature morale (mœurs).
– Le marxisme idéalise et neutralise la science, pas le wokisme qui, sous l’influence peut-être de Foucault et de Staline (« science prolétarienne »), fait du savoir le plus scientifique une expression de la « domination » sociale.
– Le marxisme est constructif ; le wokisme déconstructif : il me paraît déconstruire la société sans donner à voir un modèle de société alternatif au complet.
– Même si, sous le nom de « matérialisme dialectique » et de « socialisme scientifique», Marx & Engels promeuvent une rationalité distincte de la rationalité commune afin de ne pas avoir à lui rendre des comptes, Marx se veut et se croit rationnel. Recourt-il à des paralogismes, il se les cache à lui-même autant qu’aux autres. Rien à voir avec le wokisme qui bafoue les règles les plus élémentaires de la logique sans en éprouver la moindre gêne … Son sur-moi n’est pas judéo-chrétien ou rationnel mais « primitif » il fait régresser la gauche non seulement du «socialisme scientifique» au « socialisme utopique » mais du « socialisme utopique » à l’ « ethnicisme » le plus obscur, le plus confus et le plus irrationnel « .
Jean-Pierre Airut
D’accord sur les différences signalées entre le marxisme d’un côté et de l’autre le wokisme et la cancel culture, laquelle n’ose pas aller jusqu’à défendre une contre-culture positive.
Mais en réalité, Marx insiste surtout sur l’idée que toute la culture passée est au service d’une société fondée sur l’exploitation et qu’il faut s’en libérer.
Contrairement à Gramsci (et déjà à Engels dans son introduction de 1895 aux Luttes des classes en France) Marx non plus ne propose pas une culture communiste à la place de l’actuelle culture. Il compte exclusivement sur l’évolution de l’économie pour pousser le prolétariat à la révolution.
André Senik
