Décès d’Emmanuel Le Roy Ladurie, président de l’Institut d’histoire sociale

Le grand historien Emmanuel le Roy Ladurie vient de mourir. Il avait 94 ans et était le président de l’Institut d’histoire sociale.

La presse soulignera son brillant parcours  universitaire : Normale supérieure en 1949, CNRS en 1958, Faculté des lettres de Montpellier en 1960, soutenance de thèse de doctorat et  EHESS en 1963, élection au Collège de France en 1973.

Il fut  nommé administrateur général de la Bibliothèque nationale en 1987 et élu membre de l’Académie des sciences morales et politiques en 1993.

Emmanuel Le Roy Ladurie a derrière lui une œuvre immense et immensément variée. Il n’était pas l’homme d’un seul thème peu à peu approfondi. Son expérience et sa sensibilité – son humanité faut-il dire ? – l’avaient cependant rendu réticent à étudier les moments terribles que furent les affrontements militaires si meurtriers du XX e siècle.

Son œuvre touche aux régions, avec des études sur le Languedoc, le mondialement célèbre Montaillou, village occitan de 1975, ou l’Histoire de France des régions (2001). Elle touche aussi à l’Ancien régime, exploré des années 1420 à 1610 dans l’Etat royal de Louis XI à Henri IV, puis de 1610 à 1789, à quoi on peut associer son Saint Simon ou le système de la cour.

Le siècle des Platter, histoire d’une grande famille helvétique appartient encore à un autre domaine

Les domaines abordés furent donc variés mais aussi originaux. On notera  Médecine et épidémies, manière sans doute de rendre hommage à sa femme Madeleine, médecin de profession mais aussi indispensable assistante et bibliothécaire ; Anthropologie du conscrit français; les prestations paysannes;  L’argent, l’amour et la mort;  les sorcières; les médecins de campagne.

Et bien sûr le climat qu’on aurait tort de croire lié à la puissance  nouvelle des préoccupations écologiques : la publication de son Histoire  du climat depuis l’an mil remonte à plus d’un demi-siècle !

Tout jeune homme, il s’était engagé dans le mouvement communiste qu’il quitta en 1956 devant la répression soviétique à Budapest. Il adhéra quelques temps au PSU puis dénonça la folie destructrice de l’institution universitaire par le « mouvement de 1968 ».

Il compte parmi les fondateurs en 1978 du Comité des intellectuels pour l’Europe des libertés, le CIEL.

 On le voit aussi en février 1979, signer une déclaration qui démonte la rhétorique négationniste des Faurisson et Cie..

Son attention et son soutien aux voix qui, à cette époque, voulaient parler juste sur l’Union soviétique ne se sont jamais démentis par la suite. Il me fit l’honneur et l’immense plaisir en 1984, d’appuyer de toute sa notoriété, avec Simone Veil et Joseph Czapski à ses côtés, la sortie de mon ouvrage sur les Français au goulag Quelques mois plus tard il signait dans Le Monde un long article élogieux consacré à Boris Souvarine qui venait de mourir. Admiratif de le vie et de l’oeuvre du fondateur de l’Institut d’histoire sociale en 1935, il  assumera la présidence de ce « think tank », succédant ainsi à Jean-François Revel en 2006.

C’était un président attentif, actif, qui faisait beaucoup pour encourager la nouvelle équipe de l’IHS à en faire un lieu de réflexion sur les totalitarismes. Il donnait des articles à notre revue Histoire & Liberté et tint longtemps, avant que sa santé ne le lui interdise, à participer à nos colloques annuels. Quand il ne put plus se déplacer, il insista pour que nos réunions de bureau aient lieu à son domicile de la rue d’Alleray, dans le XV ème arrondissement de Paris, pour pouvoir y participer.

L’histoire n’était pas seulement pour Emmanuel Le Roy Ladurie une manière de savoir. C’est aussi manière de voir et d’être – et quiconque s’est entretenu avec lui a été émerveillé par l’immensité, la précision de son savoir, toujours illustré d’anecdotes et de bons mots qu’il rapportait avec à propos et qui lui permettaient de lancer, prudemment mais efficacement, des flèches à ceux qui caressaient le simplisme ou justifiaient le mensonge.

Nos plus profondes condoléances à son épouse Madeleine – elle aussi a contribué à notre revue! – à Elisabeth, sa bru, merveilleusement dévouée auprès d’Emmanuel, à François, son fils, et à toute sa famille.

Pierre Rigoulot

23 Nov 2023

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