Antoine Brunet, Laurent Estachy, Alain Garrigou, Jean-Paul Richard : Ce que révèle l’invasion de l’Ukraine, L’Harmattan 2022, 138 p. , 15,50 euros

Les réflexions ne manquent pas pas autour de l’invasion de l’Ukraine. Françoise Thom et Galia Ackerman ont décortiqué méticuleusement les motivations et les ambitions de Vladimir Poutine. Qu’apporte donc de nouveau ce petit livre tout récemment paru? D’abord – c’est le thème  de Jean-Paul Guichard – le rappel de la complexité de la conjoncture historique qui préside à l’invasion de l’Ukraine par les troupes russes. Les effets de cette invasion sont de l’ordre d’un nationalisme revigoré, réanimé, exprimé face à un impérialisme russe qui s’est déjà maintes fois exprimé dans cette partie orientale de l’Europe. Mais pas que, pour parler comme certains. Comme le souligne Alain Garrigou, le n°1 russe s’appuie en effet sur une certaine vision de l’histoire ou plutôt sur des lubies et des affabulations productrices d’un nouveau, ou plus ou moins nouveau, roman national. Si nul n’échappe à la construction du fait historique, Vladimir Poutine pousse le bouchon si loin qu’on peut parler pour qualifier son entreprise dans ce registre, de « passé fictionnel ».

Le n°1 soviétique  ne se réfère pas seulement à une histoire ad hoc déjà existante. Il veut aussi faire l’Histoire, et porte son regard vers un horizon perceptible bien au delà de la seule Ukraine, comme le montre notre ami Antoine Brunet : outre la dimension  impérialiste, l’entreprise de Poutine en Ukraine met en évidence son hostilité à toute expression démocratique et libérale. En quoi il trouve l’appui – certains diraient plutôt une acceptation prudente – de la direction communiste chinoise; les difficultés rencontrées actuellement par l’Armée russe comme quelques souvenirs historiques conduisant à penser que « la principale vulnérabilité des régimes totalitaires leur vient de leur aventurisme extérieur ».

La quatrième et dernière étude, celle de Laurent Estachy, reprend le problème d’un point de vue géopolitique en examinant de près la préoccupante situation financière internationale, et en montrant qu’on ne peut réduire l’origine de l’inflation actuelle à la seule guerre en Ukraine. La relation de dépendance mutuelle sur le plan économique et financier entre la Chine et les Etats-Unis se défait progressivement au profit d’un ordre financier mondial qui se structure de plus en plus en deux pôles opposant les démocraties libérales aux Etats totalitaires, aussi divers soient-ils, comme l’illustre par exemple le repositionnement de l’Arabie saoudite refusant – à la satisfaction de la Russie – d’augmenter sa production pétrolière, ce qui aurait permis (sans doute) de freiner la spirale inflationniste nuisible aux économies de l’Occident jusqu’ici son allié..

Ces quatre textes donnent indéniablement à penser. D’autant que le pessimisme qui les habite et les certitudes apparemment définitives sur lesquelles s’appuient les analyses proposées suscitent chez le lecteur quelques interrogations. L’alliance de la Chine avec la Russie est-elle dans la réalité politique, militaire, diplomatique à la hauteur des déclarations officielles? Donald Trump constitue-t-il vraiment une menace sérieuse d’emprise totalitaire aux Etats-Unis ? La Chine, la Russie et l’Arabie saoudite sont-ils tous les trois des Etats totalitaires ? Et leur refus de la démocratie libérale les conduit-il à faire front commun face à elle?

Avant d’esquisser des réponses à ces graves questions, il convient de lire les quatre essais qui constituent Ce que révèle l’invasion de l’Ukraine.

Pierre Rigoulot

Merci Pierre pour ton commentaire dans l’ensemble positif que tu portes sur notre livre collectif. Un commentaire que tu conclues en désignant les quelques points que tu ne partages pas (ou pas pleinement) et qui répondent à celui des quatre chapitres que j’ai rédigés.

Une précision d’abord. Depuis 2008, j’ai dit, écrit et publié que le Parti Communiste Chinois avait instauré en Chine en 1949 un régime totalitaire et l’a ensuite toujours maintenu ; depuis 2012, je caractérise aussi la Russie de Poutine comme un autre régime totalitaire ; et depuis 2015, j’affirme que Pékin et Moscou se sont alliés (leur volonté conjointe de s’attaquer à la démocratie, sur leur territoire comme à l’extérieur, l’emportant nettement sur leurs quelques rivalités territoriales en Asie centrale ou en Extrême Orient). Ces trois points de vue sont hélas restés très longtemps très minoritaires et même très isolés.

Tristement, il faut constater que l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe et aussi l’initiative du Joint Statement qui l’a précédée (le 4 février 2022) viennent conforter ces trois points de vue : il devrait désormais être admis que l’on est en présence d’un axe totalitaire Pékin/Moscou qui se propose de ruiner les régimes démocratiques et d’écraser aussi les mouvements qui revendiquent la démocratie (dans les dernières années : au Myanmar, au Liban, au Venezuela, au Soudan, au Zimbabwe, en Biélorussie, au Kazakhstan, en Iran…)

Dans leur Joint Statement, Poutine et Xi Jinping ont en effet officialisé, très solennellement, leur alliance dans un texte de 16 pages en anglais : « nos relations sont supérieures aux alliances politiques et militaires de toute la période de la guerre froide » ; « l’amitié entre nos deux Etats ne connait pas de limites ; nous ne nous interdisons aucun champ de coopération ».

Et surtout, il y a deux paragraphes qui sont essentiels : celui où Poutine déclare son soutien total à Pékin sur le dossier Taïwan et celui où, parallèlement, Xi Jinping justifie et soutient la démarche de Poutine face à l’Ukraine.

Un document aussi construit que ce Joint Statement n’a pas pu être élaboré et négocié en quelques jours mais bien plutôt en quelques mois. Très probablement, après la déroute américaine en Afghanistan à l’été 2021, Poutine et Xi Jinping s’étaient imaginés que le moment était venu pour eux de capitaliser à travers de nouvelles initiatives ce qui leur paraissait un nouveau rapport de forces.

Ce Joint Statement prouve en tout cas que Poutine avait évoqué son projet d’invasion de l’Ukraine avec Xi Jinping bien à l’avance et sans doute depuis quelques mois. Il montre aussi que Xi Jinping lui avait donné son feu vert et avait même accepté de sacrifier la crédibilité de la diplomatie chinoise (qui avait longtemps prétendu être basée sur le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de chaque Etat).

Derrière tout cela, il y avait très probablement un deal : par surprise, Poutine se serait emparé très vite de l’Ukraine ; les Etats Unis et leurs alliés s’en seraient trouvés encore une fois défaits, désarçonnés et décrédibilisés ; Pékin aurait alors obtenu un contexte très favorable pour entreprendre à son tour l’invasion de Taïwan. Et ce deal, c’est la résistance héroïque de l’Ukraine, de sa population, de ses dirigeants et de son armée qui jusqu’à présent l’a mis en échec.

Plus que jamais, je persiste à penser que Pékin et Moscou sont les capitales de deux redoutables régimes totalitaires et qu’elles ont pactisé pour vaincre les Etats Unis et le camp démocratique.

J’encourage tous nos lecteurs à acheter et surtout à lire et à faire lire notre livre « Ce que révèle l’invasion de l’Ukraine ».

Antoine Brunet. 19 novembre 2022

29 Oct 2022

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s