Pierre Nora : Jeunesse, éd.Gallimard, 234 pages 18 Euros

Nous suivons dans ce livre la vie d’une famille et retrouvons toutes les grandes questions auxquelles doivent répondre nombre d’entre elles : que faire de la maison familiale après la mort des parents ? Que devient la gouvernante quand les enfants ont grandi ? La place de la mère dont on se demande, à sa disparition, si on l’a suffisamment aimée alors qu’elle avait été le pilier de son enfance. Le père et son statut de commandeur … Et puis, il y a le destin personnel de Pierre Nora : ses amours, ses amitiés, son parcours universitaire et professionnel qu’il construit patiemment pour mener une carrière d’historien et d’éditeur qui le mènera à l’Académie. Son petit livre, Les Français d’Algérie, l’a fait sortir de l’anonymat, puis la création de la fameuse collection « Archives » au moment où « s’opérait un profond renouvellement de la sensibilité collective au passé », a révélé ses qualités d’éditeur. C’est ainsi que Claude Gallimard lui ouvrit toutes grandes ses portes pour qu’il créé un secteur d’idées, de documents, de sciences humaines où il sera guidé par la trilogie : Présent, Nation, Mémoire.
Jeunesse fourmille d’anecdotes qui nous emmènent dans de multiples univers : d’une princesse malgache aux Etats-Unis, en passant par Cuba, le Mexique et la Chine, nous vivons avec ces jeunes intellectuels et universitaires qui ont jalonné les débats pendant un demi-siècle. Témoins de la seconde guerre mondiale, de la Shoah mais aussi du stalinisme, nous nous interrogeons au fil de ces pages sur leur adhésion au Parti Communiste : « On m’avait conseillé de m’agglomérer à un groupe. Le plus homogène et déterminé était celui des étudiants communistes qui se réunissait rue Férou… Il n’y avait là rien d’extraordinaire. L’air du temps intellectuel, à l’époque, était au communisme. Tous mes amis appartenait au Parti. Même Emmanuel Le Roy Ladurie que son naturel ne paraissait pas porter de ce côté-là. »

Nous découvrons encore l’analyse par l’auteur du rapport tumultueux et central entre les Juifs et la France : « Dans un des séminaires que nous avions animés ensemble ( Yerushalmi – grand historien du judaïsme – et moi), j’avais développé l’idée que les grands moments de la définition identitaire de la France – la Révolution, l’affirmation de la République à travers l’affaire Dreyfus, Vichy – avaient été en même temps les dates-clefs du destin juif dans le monde moderne… » Nous découvrons enfin la complexité de cette dernière époque lorsque son père accepte de témoigner en faveur de Xavier Vallat.
Que l’auteur soit rassuré, c’est justement parce qu’il nous a parlé de la gouvernante qui l’a élevé : Michelle Dupé que Jeunesse est un livre attachant. Nous attendons, néanmoins, le second tome où il nous racontera la maison Gallimard, les quarante ans de vie du Débat, les grands auteurs …
Sabine Renault-Sablonière