Éric-Emmanuel Schmitt : La Traversée des Temps, t. I Paradis perdus, Albin-Michel, Paris 2021
Quand j’ai entendu qu’Éric-Emmanuel Schmitt se lançait dans une écriture romanesque de l’Histoire de l’humanité en 8 volumes et 5000 pages, je me suis immédiatement attendu au pire et je ne suis pas déçu par la lecture de l’interview parue dans La Libre Belgique d’aujourd’hui. En gros : nous vivions au paradis du temps où nous étions chasseurs-cueilleurs, égalité homme femme, pas de hiérarchie, chacun savait tout ce qu’il y avait à savoir, abondance, harmonie et bonheur. Avec l’agriculture, sont arrivées la propriété et la spécialisation et avec elles la violence, le vol, la perte d’autonomie, la dégradation de la condition féminine. Maintenant nous prenons conscience de l’impasse où nous nous sommes nous-mêmes menés, mais il est peut-être trop tard car nous sommes à la veille d’un nouveau déluge causé cette fois par l’homme et son orgueil.
Ces inepties à la mode, contredites, entre autres, par les dernières découvertes archéologiques et anthropologiques, renforcent les grandes ignorances et distorsions mentales sur l’évolution, l’histoire, le monde et la nature humaine. Elles évacuent encore et encore les progrès, en accélération rapide, accomplis en matière de bien-être et de qualité de vie selon tous les critères mesurables : pauvreté, faim, maladies, accidents, guerres, autres violences, conditions de travail, libertés réelles, espérance de vie en bonne santé, possibilités culturelles, d’échanges, d’épanouissement personnel et collectif. Et, bien sûr, attendons-nous à un volume où il sera beaucoup question de nazisme et à l’inexistence du communisme !
Les romans de ce type, parfois d’une haute valeur littéraire, se fondent sur une réalité fictive et dès lors renforcent les grandes ignorances, nourrissent la sinistrose, le pessimisme, l’angoisse, démotivent nombre de jeunes, nous affaiblissent face aux menaces et enjeux bien concrets. Ils contribuent indirectement aussi à des décisions politiques débiles comme l’abandon du nucléaire.
Pierre Druez