Un prix Nobel discutable aux yeux du Monde

María C. Machado

María Corina Machado, une des grandes figures de l’opposition au dictateur vénézuélien Nicolas Maduro, vient de se voir attribuer le Prix Nobel de la paix 2025. Une interview qu’elle a donnée à Guillaume de Dieuleveult en septembre pour Le Figaro éclaire sa situation – tant politique que personnelle – et celle de son pays.

Elle vit en effet cachée au Venezuela depuis plus d’un an. « Je n’ai aucun contact avec personne si ce n’est par le biais de plateformes sur internet (…) J’y suis contrainte afin de rester en vie : le régime Maduro veut ma tête, sa police est à ma recherche », précise-t-elle. Le 28 juillet 2024, l’opposition avait gagné l’élection présidentielle. Maduro ne l’a pas reconnu et a déclenché, en réaction, la pire vague de répression jamais connue au Venezuela. « Plus de 2 000 personnes ont été incarcérées, explique-t-elle encore, dont des enfants, des jeunes gens, des femmes. Deux jours après les élections, j’ai appris que le régime s’apprêtait à m’arrêter, j’ai donc dû me cacher. »

Elle insiste sur la nature particulière du pouvoir vénézuélien : une dictature totalement investie par des réseaux criminels provenant du monde entier. « Ils ont pris le contrôle de notre territoire, de nos institutions et de nos ressources, dit-elle. C’est pire qu’une dictature : c’est une entreprise criminelle qui a fait du pays un havre pour les régimes iranien, russe et cubain, mais également pour des groupes terroristes du Proche-Orient, des cartels latino-américains et des guérillas. Ils sont tous là et Nicolas Maduro est à la tête de cette structure criminelle ».

Non seulement, comme les régimes totalitaires d’aujourd’hui, le Venezuela contrefait les institutions et les procédures démocratiques, mais il nous suggère fortement de chercher sa vérité du côté de ses amitiés internationales et plus encore de la criminalité mafieuse.

Maria Corina Machado pense donc, non sans fondement, que le type de lutte le plus adapté pour faire tomber ce régime, c’est celui qu’on mène contre la pègre, et en particulier contre les trafiquants de drogue, une lutte que Donald Trump mène déjà. L’arraisonnement et la destruction de navires appartenant à la mafia par la marine américaine lui paraissent donc appropriés. « Je considère que la décision du président Trump est la bonne façon de se débarrasser de ces structures mafieuses, affirme-t-elle. D’autant que le temps presse. Notre pays est à terre. Un professeur au Venezuela gagne entre un et quatre dollars par mois. Un enfant va à l’école deux fois par semaine. Le salaire minimum est de moins d’un dollar par mois ! Les Vénézuéliens meurent de faim. Nous demandons un soutien international pour que cesse cette tragédie. C’est une question de vie ou de mort. Il y a plus de 800 prisonniers politiques au Venezuela. Les familles et les avocats de quelques dizaines d’entre eux ignorent tout de leur sort. »

Le tableau que le nouveau prix Nobel brosse de la situation est terrible : huit prisonniers politiques sont morts du fait de leurs conditions de captivité. Récemment, neuf personnes incarcérées dans la prison de Tocoron ont essayé de se suicider en raison des conditions inhumaines auxquelles elles étaient soumises ». Autre scandale : « la police, ne trouvant pas un militant de l’opposition a jeté sa mère et ses trois enfants en prison pour le forcer à se rendre. (…) La seule chose qui reste au régime, c’est la terreur et la répression, ainsi que quelques milliers d’individus utilisés pour terroriser une société. » Optimiste malgré tout, elle affirme que la peur est en train de changer de camp : « Ils savent que c’est terminé pour eux, que le changement est en cours et que rien ne pourra l’arrêter. ».

Cette opposition radicale à un pouvoir pourtant atroce ne plaît guère au journal Le Monde qui, dans un article consacré à la remise du Nobel à cette femme courageuse, a multiplié les réserves voire les suggestions venimeuses. Après avoir souligné le mécontentement de l’entourage de Trump qui regrettait un choix trop « politique » et noté que le pouvoir vénézuélien voyait dans cette attribution l’approbation de l’action d’un « instrument de l’impérialisme occidental », Le Monde insista lourdement sur la ligne « très droitière » d’une lauréate qui avait soutenu les sanctions américaines contre l’industrie pétrolière de son pays (comme si l’effondrement de la production ne remontait pas aux décisions de Hugo Chavez !) et semblait même souhaiter une intervention américaine. Pas un instant la parole n’a été donnée à Corina Machado. Seuls les opposants critiques de sa radicalité ont été invités à faire part plus ou moins discrètement de leurs réserves : n’est-elle pas une fille de bourgeois éduquée dans une école catholique, demandent certains ? N’a-t-elle pas fréquenté George Bush ? N’a-t-elle pas soutenu, contre le pouvoir de son pays, des mouvements violents coûteux en hommes, s’interrogent d’autres ? N’a-t-elle pas participé à des forums d’extrême droite ? Soutenu l’ultra libéral argentin Javier Milei ? N’a-t-elle pas ouvertement souhaité le renversement de l’actuel régime vénézuélien au moment même où l’armée américaine menaçait d’intervenir ? Ne vaudrait-il pas mieux, comme le disait un autre opposant, favoriser la voie du dialogue et de la négociation ?

Maria Corina Machado eût sans doute répondu que le dialogue et l’opposition respectueuse avaient été tentés en vain depuis longtemps. Mais Le Monde n’a pas souhaité l’entendre s’expliquer.

Pierre Rigoulot, le 21 octobre

21 Oct 2025

Laisser un commentaire