La Lituanie dans le viseur depuis quelques semaines
La Lituanie dans le viseur depuis quelques semaines

Quand le ministre russe des Affaires étrangères Lavrov évoque une « manipulation » et une « instrumentalisation » de l’histoire, il sait de quoi il parle. Le plus simple étant d’accuser autrui de ses propres turpitudes, il confirme qu’il est maitre en la matière.
C’est ainsi qu’en préface d’un livre consacré à l’histoire de la Lituanie qui conteste la légitimité même de l’existence du pays, il écrit « Aujourd’hui les Etats baltes y compris la république moderne de Lituanie ont fait de l’utilisation de l’histoire falsifiée une politique d’Etat visant à stimuler les sentiments anti-russes et anti-russophones dans le contexte d’une tentative de révision de l’histoire en cours. L’approche objective du passé dans son intégralité et ses interrelations acquiert alors une importance particulière ».
Ce livre, publié en mars 2025 par l’institut d’Etat des Relations internationales de Moscou et disponible en ligne est un modèle du genre.
Pour le Kremlin, la Lituanie n’existe pas
Ce livre explique que l’Etat lituanien a été créé par les Slaves et la Russie. Il affirme que la nation et la langue lituanienne n’existent pas. Il remet en cause l’histoire de la Lituanie, ses valeurs, ses symboles. Il considère la Lituanie contemporaine comme le successeur de la Lituanie de la dictature d’Antanas Smetona et l’accuse d’embrasser une idéologie pro-nazie ! ….
Chacun aura fait le parallèle avec le narratif destiné à justifier la tentative d’invasion de l’Ukraine : Moscou nie l’existence de l’Ukraine en tant que nation et accuse le pouvoir du pire.
Ce livre est une expression claire de l’impérialisme russe et de son besoin consubstantiel d’agresser ses voisins. Il représente la logique classique du narratif poutinien : « Les Baltes sont russes. Ils ont donc vocation à réintégrer l’orbite russe ». Il s’inscrit dans la si généreuse politique russe qui s’engage à « venir en aide » à tous les Russes et russophones où qu’ils soient dans le monde[1].
Les frontières de la Russie ne s’arrêtent nulle part
La menace concerne l’ensemble des pays du glacis (« les frontières de la Russie sont celles de l’Union Soviétique »), mais donc aussi tout territoire qui « accueille » des russophones. Les frontières de la Russie ne s’arrêtent donc nulle part.
C’est pas ainsi que les Russes viennent de mettre la main sur la deuxième église orthodoxe de Nice – sans parler du centre culturel russe et de la cathédrale orthodoxe russe de la Sainte Trinité du quai Branly à Paris qui constitue une enclave extraterritoriale au cœur de la capitale, une fabrique du nationalisme identitaire un relais de la politique et des narratifs du Kremlin.
Le premier ministre géorgien en écho
Dans la foulée des attaques perpétrées par Lavrov, le Premier ministre géorgien, Irakli Kobakhidze affirme que le ministère lituanien des affaires étrangères n’existe simplement pas, qu’il ne détient aucune autorité indépendante ni valeur diplomatique, qu’il est une « simple extension » d’un « Etat profond ».
Les Lituaniens ont choisi de ne pas polémiquer considérant ces propos comme le révélateurs et illustrations du recul démocratique de la Géorgie et de son alignement sur Moscou. La Lituanie exhorte, néanmoins le gouvernement géorgien à mettre fin aux répressions incessantes contre son peuple et à revenir sur leurs politiques antidémocratiques et anti-UE. Elle dénonce l’arrestation de dirigeants politiques en Géorgie exige la libération immédiate de tous les civils détenus pour des motifs politiques. Elle exprime sa solidarité avec le peuple géorgien et de sa lutte pour un avenir démocratique et européen en Géorgie.
Un besoin d’Europe
Au-delà, ces attaques claires confirment la volonté toujours vive de Poutine et son ambition non seulement de reconstruire l’empire mais sans doute aussi de l’élargir. Depuis 2002 il le dit mais nous ne voulons ni l’entendre ni le croire. Pour lui, tous les moyens sont bons, de la force à la guerre hybride.
Dans un contexte géopolitique plus incertain que jamais, marqué par une curieuse évolution des jeux d’alliance, l’Europe peut et doit prendre toute sa place et toutes ses responsabilités.
La guerre en Ukraine ne prendra pas fin tant que l’OTAN n’aura pas retiré ses troupes des pays baltes, a averti Sergueï Ryabkov, vice-ministre des Affaire étrangères, on l’a dit, mais chargé plus spécialement des relations avec les États-Unis, de la non-prolifération et du contrôle des armements, a fait ces remarques au cours d’une interview accordée à l’agence de presse officielle Tass.
Newsweek a contacté le Kremlin et l’OTAN pour obtenir des commentaires par e-mail.Les commentaires de Ryabkov marquent un changement dans la position du Kremlin. Il a suggéré que les racines du conflit ne se trouvaient pas seulement en Ukraine elle-même, mais aussi dans l’expansion de l’OTAN vers l’est. Selon Ryabkov, le retrait des forces de l’OTAN des pays baltes contribuerait à mettre fin à la guerre.
L’OTAN maintient cependant une forte présence militaire dans les États baltes, avec des groupements tactiques et des brigades multinationales stationnés en Bulgarie, en Estonie, en Hongrie, en Lettonie, en Lituanie, en Pologne, en Roumanie et en Slovaquie.
L’alliance militaire a renforcé sa présence dans la région à la suite de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie. Dans une mise à jour publiée le 6 juin, elle déclarait même que les huit groupements tactiques « démontrent la force du lien transatlantique et la solidarité, la détermination et la capacité de l’Alliance à répondre à toute agression ».
De plus, on le sait, la Suède et la Finlande sont passées de la neutralité à l’adhésion à l’OTAN depuis l’invasion de l’Ukraine.
Le Kremlin et l’OTAN
Le Kremlin avait déjà déclaré que l’Ukraine devait abandonner sa volonté d’adhésion à l’OTAN comme condition pour mettre fin à la guerre, mais Ryabkov a semblé signaler à Tass que l’alliance devait également se retirer complètement des pays baltes. Selon lui,il est « impossible de résoudre le conflit tant que l’OTAN ne se retirera pas » et il a fait valoir que la résolution du conflit en Ukraine nécessitait de s’attaquer à ce qu’il a décrivait comme ses causes profondes.
« Compte tenu de la nature et de la genèse de la crise ukrainienne, provoquée par les autorités américaines précédentes et l’Occident dans son ensemble, a prétendu Ryabkov, ce conflit agit naturellement (…) comme un test, un essai, qui vérifie le sérieux des intentions de Washington de redresser nos relations ».
Le mois dernier, trois sources russes au courant des négociations menées par Washington ont déclaré à Reuters, dans les mêmes perspectives, que les conditions de Poutine pour mettre fin à la guerre en Ukraine comprenaient un engagement écrit des dirigeants occidentaux à mettre fin à l’expansion de l’OTAN vers l’est.
Demandes à Trump
Sergueï Ryabkov, vice-ministre russe des Affaires étrangères, a déclaré à Tass :que « Le retour de Trump à la Maison Blanche, s’engageant en faveur d’un règlement politique et diplomatique de la crise ukrainienne, est devenu un motif d’optimisme prudent en termes de normalisation potentielle des relations avec les États-Unis, mais aussi dans un sens plus large. C’est dans cette veine que les présidents de la Russie et des États-Unis ont eu quatre conversations téléphoniques. Notre partie a exprimé sa gratitude pour le soutien des États-Unis à la reprise des négociations directes entre la Russie et l’Ukraine, interrompues par la partie ukrainienne en 2022.
Mais Vladimir Vladimirovitch Poutine a également confirmé le principe fondamental de la nécessité d’éliminer les causes profondes du conflit dans le cadre des efforts politiques et diplomatiques. Sinon, la paix à long terme ne peut être assurée, et concrètement, il est nécessaire d’exclure toute possibilité pour les forces armées ukrainiennes de profiter de la pause pour se reposer et de regrouper leurs forces.
Telle est la position russe. Quelle sera, face à elle, la réponse de Donald Trump ?
Anne-Marie Goussard, le 23 juin 2025
[1] L’un des co-auteurs, Giedrius Grabauskas est l’ex-associé de Algirdas Paleckis condamné en juillet 2021 pour espionnage au profit de la Russie
