Vous avez dit « barbares »?    

Une polémique fumeuse a éclaté à propos du qualificatif de « barbare » que le Ministre de l’intérieur a attribué aux casseurs des Champs Elysées : laissons de côté le « c’est celui qui l’dit qui y est », directement tiré de la cour d’école où son auteur aurait du rester un peu plus : M. Retailleau « déshumaniserait » une partie de la population française, rien de moins ! « Barbare », ce serait surtout un rien raciste et viserait les « étrangers ».

Je rappelle que face au lynchage en 1672 des frères De Witte, tenants du libéralisme, de la tolérance et de la liberté de conscience par une foule de partisans d’un Etat autoritaire, Spinoza avait voulu afficher sa condamnation de cette violence. Sa dénonciation commençait par ses mots : « ultimi barbarorum », les derniers des barbares… Et le philosophe juif, un émigré qui venait du Portugal, ne s’en prenait certes pas aux étrangers mais à des brutes fanatiques et violentes qui s’étaient placées d’elles-mêmes hors du champ du dialogue, du respect et du droit, hors du champ de la parole,  et préféraient celui de la haine incontrôlée et d’une violence tenant lieu de mots adressés à l’autre reconnu comme tel…

Il est un donc peu ridicule de taxer de racisme et de xénophobie un Ministre qui désigne sévèrement (mais justement) des petites brutes, des pillards acharnés à détruire des abris-bus ou des devantures de magasin pour s’emparer de quelques paires de chaussures ou de téléphones mobiles.

La barbarie est condamnée par tous ceux qui, de droite comme de gauche, reconnaissent certaines valeurs et principes qui s’énoncent autrement qu’à coups de pied dans une porte ou une vitrine. Oui, de gauche aussi, MM les députés Léaument et Coquerel. J’ai lu et aimé jadis la revue de Cornelius Castoriadis et Claude Lefort. Elle souhaitait une révolution qui ne s’enkyste pas dans la bureaucratie, ni dans la violence répressive institutionnelle et l’enfermement; une révolution au nom de laquelle on pouvait parler et non casser ou bruler. Cette revue s’appelait Socialisme ou Barbarie. Un rêve, sans doute. Mais il évoluait, croyez-moi, très loin du racisme et de la xénophobie.

Il serait temps en effet de parler vraiment, Messieurs, et de ne pas se contenter de formules toutes faites, d’accuser systématiquement les « flics » et les ministres qui les dirigent, même si c’est bien vu et même recommandé dans divers milieux. Au Musée de l’immigration de la Porte dorée, actuellement, une exposition temporaire sur la banlieue donne le la : le racisme, la violence viennent seulement de la police. Et l’Etat ne fait pas ce qu’il faut – alors même qu’il en a les moyens, je suppose.

Pas étonnant si, même au sein de la représentation nationale, on ne sait plus très bien ce que c’est qu’un barbare, qu’il soit, ou non, un jeune immigré ou issu de l’immigration.

Pierre Rigoulot, le 9 juin 2025

9 Juin 2025

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