DIDIER RYKNER – Mauvais genre au musée (Les Belles Lettres 2024. 274 pages. 21,50 euros)

DIDIER RYKNER - Mauvais genre au musée (Les Belles Lettres 2024. 274 pages. 21,50 euros)

Didier Rykner, fondateur et directeur de la rédaction de La Tribune de l’Art, explore la manière dont sont abordés aujourd’hui notre environnement culturel et plus particulièrement les musées. Particulièrement sensible à la progressive substitution qui s’opère sous nos yeux du jugement esthétique au jugement moral et politique, l’auteur, en connaisseur, multiplie les exemples. Les grands musées d’Europe et d’Amérique du Nord connaissent tous en effet cette dérive : l’art doit être au service d’une idéologie et plus précisément de celle du wokisme.

On ne nous fera pas l’injure de penser une seconde que nous défendons le temps des colonies, du patriarcat, de la « civilisation blanche », etc. Nous partageons donc certaines des préoccupations du wokisme. Mais il y a dans cette idéologie bien plus qu’un combat contre l’arrière-garde des « suprémacistes » mâles et blancs ! Il y a une moralisation omniprésente et un refus de prendre en compte la dimension historique des idées et des oeuvres. Pour le wokisme, le musée n’abrite pas des oeuvres créées dans un monde qui bien souvent n’est plus. Il a pour mission, en s’appuyant sur les oeuvres qu’il abrite, d’agir en faveur d’un monde nouveau, débarrassé des préjugés, un monde qui exalte l’égalité hommes-femmes et Noirs-Jaunes-Blancs.

Mieux : le wokisme atteste de la conscience aiguë des réalités et des conflits de ce monde, ramenés au Bien luttant contre le Mal. Un zeste de religiosité complète le tableau car la simple vue du Mal peut ruiner une âme. La peinture, la sculpture, l’architecture ont été longtemps réservées aux hommes ? L’important n’est pas de le reconnaître. Une histoire de l’art et des oeuvres d’art sans femmes, sans gays, sans Noirs, c’est mal et pire : cela risque fort de rendre misogyne, homophobe ou raciste !

Rykner dénonce les choix, qui découlent trop souvent de cette conception, favorables à des oeuvres en fonction du sexe de leur créateur plus que de leur qualité artistique. Le marché de l’art en est d’ailleurs faussé et une oeuvre médiocre mais féminine prend souvent, désormais, une valeur marchande inattendue.

Il arrive même que des critiques d’art s’indignent en constatant le faible nombre de tableaux peints par des femmes. Ridicule indignation contre un fait historique affirme Rykner : « il y avait peu de femmes artistes avant le XX ème siècle et aucun conservateur de musée ne s’est dit : je ne vais pas acheter un beau tableau parce qu’il a été peint par une femme ». On préfère pourtant accuser les « réactionnaires » d’invisibiliser (sic) les femmes. Cette « invisibilisation» n’existe pas en fait. « Il y a eu, bien longtemps, une difficulté plus grande pour les femmes d’accéder au métier et au statut d’artiste (…) Il s’agit d’un fait historique regrettable, certes, mais qu’on ne pourra jamais corriger pour ce qui concerne l’art ancien » souligne Rykner.

Pas plus qu’elle n’est misogyne, l’histoire de l’art n’est raciste. Mais la haine de l’Occident et de nous-mêmes est telle que certains critiques passent de l’usage du marbre blanc et à la valorisation de cette couleur, au rejet des « bronzés » et plus largement de l’Autre ! Et d’affirmer que, de l’éloge par Maurras de « la blanche Athènes » au nazisme, il n’y a qu’un (petit) pas ! Tant pis si l’on prend mieux conscience aujourd’hui de la polychromie grecque antique ou médiévale. L’important est de « dénoncer le racisme structurel de l’Occident »

Le phénomène analysé par Rykner se constate ailleurs, dans la vie de tous les jours, : les objets n’y ont pas plus d’histoire que les oeuvres d’art mais seulement un sens moral encore effectif aujourd’hui. La Nègresse de Biarritz, la « tête de nègre » que vendait le pâtissier de mon quartier et « le nègre joyeux », le marchand de café de la place de la Contrescarpe du V ème arrondissement de Paris, ont été « dégagés »…Mais l’on se fâche de ne pas les voir « en peinture », respectés et respectables, comme beaucoup de gens les voient aujourd’hui. Cachez ce sein que je ne saurais voir, disait Tartuffe. Montrez cette femme ou ce Noir que je ne saurais ne pas voir, disent les wokistes…Quant aux Blancs qui ont jadis défendu les opprimés, comme Mahé de la Bourdonnais à Saint-Denis de la Réunion ou Victor Schoelcher à Fort-de-France, tous deux ayant oeuvré à l’abolition de l’esclavage, ils ont été descendus – en tout cas leur statue – de leur piédestal. N’étaient-ils pas Blancs ?

Ainsi réécrit-on l’Histoire, sans manquer de souligner ce qui lui manque – par la faute des Occidentaux, bien sûr : un cadre vide, sur une cimaise de la Manchester Art Gallery, symbolise les oeuvres d’art que les femmes noires n’ont pas pu réaliser !

La tendance ne semble pas s’inverser encore. Didier Rykner nous donne à méditer, vers la fin de son ouvrage, sur le programme d’un « événement » annuel organisé par le Musée de Rouen, que voici :

2016 : Patrimoine et diversité, la place des musées

2018 : Egalité hommes-femmes. Où en sont les musées ?

2020 : Le musée et ses contestations

2021 : Musée : lieu de domination ou d’émancipation?

2022 : Les musées face à la crise écologique.

No comment.

Pierre Rigoulot, le 16 mai 2025

18 Mai 2025

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