Nicolas Revel, Ève Ricard et Matthieu Ricard ont décidé d’engager une action judiciaire contre le journal Libération qui, le 2 avril 2025, a repris les accusations qu’il avait déjà portées contre leur père, Jean-François Revel, L’article qui a provoqué leur indignation n’apportait pourtant aucun élément nouveau probant en réponse à la contre-enquête publiée le 12 mars précédent par Le Figaro.

Rappelons que Jean-François Revel fut pendant plusieurs années et jusqu’a sa mort en 2006 le président irréprochable de l’Institut d’histoire sociale.

« Lorsque nous avons pris connaissance, en juin dernier, des allégations publiées dans Libération contre notre père, Jean-François Revel, accusé d’avoir participé dans les années 1970 à des réunions pédocriminelles, nous nous sommes exprimés pour dire notre respect pour la parole de la victime, notre espoir que la justice puisse établir la vérité, mais aussi notre effroi et notre incrédulité.

Près de neuf mois plus tard, nous n’avons pas varié : nous espérons plus que jamais que la justice éclaire la réalité des faits, nous continuons de croire en la sincérité d’Inès Chatin, mais notre incrédulité s’est muée en une certitude : nous sommes maintenant convaincus que les accusations portées contre notre père sont dénuées de tout fondement et que Libération s’est livré à un travail journalistique construit sur l’insinuation, le mensonge et la manipulation. Le dernier article paru la semaine dernière nous en a persuadés définitivement et nous conduit à nous exprimer à nouveau aujourd’hui.

Il serait difficile dans ces quelques lignes de démêler tous les fils des raccourcis et amalgames dont sont tissés les articles de Libération. Pour ceux qui les liront, ils comprendront que notre père est accusé d’avoir participé à des réunions pédocriminelles qui se tenaient dans un appartement vide situé au 33-35, rue de Varenne autour des années 1977 à 1980. L’accusation se fonde sur un élément et un seul : le souvenir d’Inès Chatin. En soi, un seul témoignage pourrait suffire mais celui-ci a ceci de particulier que ce témoin avait entre 4 et 7 ans au moment des faits, indique que les auteurs de ces actes abominables étaient masqués, mais se dit pour autant certaine d’avoir reconnu parmi eux notre père à son odeur, sa corpulence et sa transpiration.

Libération n’apporte aucun élément, aucun document, aucun témoignage pour corroborer le fait que notre père ait en effet connu Jean-François Lemaire et plus encore fréquenté sa famille au moment des faits.

Une évidence s’impose : pour qu’une aussi petite fille puisse identifier nommément un homme masqué, sur la base de son odeur, elle doit forcément le connaître et le fréquenter d’une manière particulièrement proche. C’est précisément ce que Libération affirme : notre père aurait été un ami intime de Jean-François Lemaire, le père adoptif d’Inès Chatin, passant sa vie chez eux, débarquant à tout instant, comme s’il s’agissait d’une sorte de deuxième famille.

Et c’est à partir de là que la démonstration ne repose plus sur rien. Libération n’apporte aucun élément, aucun document, aucun témoignage pour corroborer le fait que notre père ait en effet connu Jean-François Lemaire et plus encore fréquenté sa famille au moment des faits. Au contraire même, comme Le Figaro  l’a montré dans sa contre-enquête publiée le 12 mars dernier, ni la lecture des agendas de notre père, fort renseignés et consultables à la BNF, ni les témoignages de ses amis proches, ni aucun autre document porté à notre connaissance, ne font état d’un quelconque lien entre les deux hommes avant le début des années 1980.

On peut en effet reconstituer qu’ils ont dû faire connaissance par la fréquentation du même club gastronomique que notre père a rejoint en mars 1980. Puis ils se voient une première fois dans un cadre privé pour un déjeuner organisé chez Lemaire en présence d’autres invités. L’agenda de notre père fait ainsi mention pour la première fois de Lemaire, à la date du 21 juin 1983 à 12 h 30 : « Dej. Dr J.F. Lemaire, 97 rue du Bac » (rappelons que Jean-François Lemaire était médecin). Drôle de formulation pour des amis supposés intimes de longue date ! Notre père a même noté méticuleusement l’adresse à laquelle il est supposé se rendre depuis des années.

À partir de là, les deux hommes nouent une relation que l’on peut qualifier d’amicale sans être ni intense ni assidue puisqu’ils se verront essentiellement dans le cadre des déjeuners mensuels du Club des cent et à l’occasion d’environ une douzaine d’autres déjeuners entre eux, étalés cependant sur une période de plus de vingt années. Ni la chronologie de cette relation ni son intensité ne viennent donc corroborer le souvenir d’Inès Chatin. Sans pour autant que cela interdise qu’elle puisse être d’une parfaite sincérité, l’hypothèse la plus probable selon nous étant qu’elle ait croisé notre père bien après les faits supposés et pour peu que sa physionomie lui ait rappelé celle de l’un des auteurs des sévices qu’elle dit avoir subis, elle s’est convaincue de ce que Jean-François Revel en faisait partie.

Ce type de mécanisme de reconstruction de la mémoire ayant déjà été observé dans bien des cas analogues, Libération aurait dû ne pas se contenter de ce seul souvenir et s’attacher à rechercher des éléments objectifs pour l’étayer. Non seulement, ils ne l’ont pas fait mais ils ont délibérément mis le nom de Revel en une de Libé dans le seul souci de mettre en avant un nom connu qui attire le lecteur, comme l’un des journalistes signataires nous en a fait l’aveu, le jour de la publication du premier article en juin dernier, dans un message écrit impressionnant de cynisme et de duplicité : « Lidée qu’une une doit parler immédiatement à un lecteur passant devant un kiosque ou une gare l’a emporté. (…) Votre père paye en quelque sorte sa notoriété. »

Une fois la contre-enquête du  Figaro  parue,  Libération  aurait pu reconnaître les limites de son enquête ou se taire. Ils ont fait le choix de s’enfoncer dans le mensonge et la manipulation.

L’article paru la semaine dernière annonce en effet qu’il apporterait enfin les preuves de la relation d’amitié qui liait Revel au père adoptif d’Inès Chatin, « y compris à l’époque » des faits incriminés situés entre 1977 et 1980. Car telle est bien la question clé en effet sur laquelle nous avions d’ailleurs plusieurs fois interrogé Libération au cours des derniers mois, sans succès.

Nous invitons chacun à lire l’article : à aucun moment, n’y figure un quelconque élément, document ou témoignage nouveau attestant de cette relation au cours de la période considérée. Les lettres retrouvées datent toutes de 1984 et 1987. Elles indiquent qu’ils se tutoient, ce qui « atteste d’une vraie proximité » selon Libération. Or il se trouve qu’au Club des cent le tutoiement est obligatoire entre les membres.

Une photo de 1982 est publiée où notre père et l’épouse de Jean-François Lemaire sont assis à une même table : il s’agissait vraisemblablement d’un grand dîner donné pour les 10 ans du Point auquel participaient plusieurs centaines de convives dont les Lemaire qui étaient de proches amis du directeur de l’hebdomadaire, Claude Imbert. Si l’amitié entre les Lemaire et notre père était si vivace et ancienne, comment expliquer qu’on n’ait retrouvé aucun courrier, aucun témoignage, aucune photo, aucun livre dédicacé datant des années antérieures ?

Faute de preuve, faute de mieux, Libération se livre alors à un festival d’arguments manipulatoires.

Si on ne retrouve rien dans les agendas, c’est qu’ils auraient été tronqués. Il est vrai que tous n’ont pas été retrouvés après le décès de notre père, mais l’essentiel y est et sur une durée de près de cinquante ans. Ainsi, sur les années 1975 à 1983, il ne manque que trois carnets trimestriels sur un total de trente-six. Rien qui ne permette d’effacer toute trace d’une fréquentation supposée quasi quotidienne. Et pourquoi notre père n’aurait-il jamais noté ces rencontres avec Lemaire, ne serait-ce que les toutes premières, puis pendant des années, pour tout d’un coup les faire apparaître à partir de 1983 ?

Libération avance alors une autre hypothèse : finalement « Revel n’avait nullement besoin de Lemaire pour converger » vers ces réunions pédocriminelles rue de Varenne puisqu’il connaissait l’un des autres protagonistes supposés, en la personne de Claude Imbert. Il est exact que les deux avaient travaillé ensemble à L’Express à la fin des années 1960. Mais alors de deux choses l’une : si Revel participait à ces réunions par l’intermédiaire d’Imbert et non de Lemaire, s’il n’était donc pas un familier de ce dernier, comment expliquer alors que sa fille ait pu le reconnaître à sa simple odeur ?

Face à de telles accusations, de tels manquements à l’éthique journalistique et pour défendre l’honneur de notre père, nous avons décidé d’engager une action judiciaire contre le journal Libération

Qu’à cela ne tienne, Libération va chercher un autre lien, cette fois-ci entre notre père et Gabriel Matzneff avec pour seul élément le fait qu’ils aient été invités en 1965 à un même déjeuner, avec quatre autres convives, chez François Mitterrand, et auraient échangé quelques propos sur saint Thomas en fin de repas. Quelle proximité accablante !

Enfin, Libération abat sa carte maîtresse. Un élément matériel antérieur à 1983 aurait été trouvé dans les agendas de notre père : « Dans les pages du mois de juin 1975, soit deux ans avant les sévices qu’elle dénonce, Inès Chatin a découvert la mention de l’adresse de la cour d’immeuble où elle résidait. » Qu’est-il réellement écrit dans l’agenda ? « Mahias 32 rue de Varenne. » Notre père se rend donc bien rue de Varenne, mais à une autre adresse que celle où les réunions pédocriminelles se seraient tenues, et pour voir quelqu’un d’autre ! En l’espèce, son ami Claude Mahias, qui est aussi son collègue au sein de la maison d’édition Robert Laffont, et a habité l’essentiel de sa vie dans cet immeuble. Libération a-t-il sciemment manipulé cet élément pour voir une preuve là où il n’y avait qu’une coïncidence ?

Reste que cet élément est à l’image de tout ce travail « d’enquête » : manipulateur et fallacieux. Comme l’illustre encore un autre passage où Libération rappelle que la famille Lemaire a emménagé dans son domicile historique « racheté à la famille de Jean d’Ormesson, fréquenté aussi par Revel ». Notre père connaissait en effet Jean d’Ormesson, sans proximité particulière d’ailleurs. La famille de Jean d’Ormesson – et non lui directement si on comprend bien – vend un appartement aux Lemaire. La boucle est bouclée, l’affaire est dans le sac !

À la fin des fins, au-delà de ces multiples raccourcis, amalgames et déformations, il ne subsiste donc que le souvenir olfactif d’Inès Chatin. Nous pourrions nous situer sur ce même terrain en apportant notre propre témoignage de ce que notre père que nous avons côtoyé bien plus intimement et longtemps que quiconque, n’avait pas la moindre odeur marquée, et encore moins désagréable, que ce soit le matin ou le soir, sous tous les climats et toutes les latitudes.

Non, en tout état de cause, cela ne saurait suffire pour jeter l’infamie sur la mémoire d’un homme dont toute la vie et la personnalité, exempte de toute forme de perversité, de cruauté et de dissimulation, se situaient aux antipodes des actes abominables qui lui sont prêtés.

Face à de telles accusations, de tels manquements à l’éthique journalistique et pour défendre l’honneur de notre père, nous avons décidé d’engager une action judiciaire contre le journal Libération. »

Nicolas Revel, Ève Ricard et Matthieu Ricard, le 7 avril 2025

23 Avr 2025

Une réflexion sur “Lettre ouverte des enfants de Jean-François Revel

  1. Avatar de brigitteremi brigitteremi dit :

    Bonjour. Vous avez tout mon soutien pour lutter contre les allégations de ce torchon qu’est « Libération » qui mériterait d’être appelé « Asservissement ».

    Sincères salutations.

    Remi Aubry

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