Parmi toutes les décisions inquiétantes venues de Corée du Nord, s’en est glissée une, plutôt cocasse d’apparence, que n’a pas relevé la presse: la suppression du calendrier du Juche. Depuis 27 ans, la Corée du Nord avait comme les grandes religions son propre calendrier qui partait de l’année de naissance de Kim Il-sung, le grand-père de l’actuel dirigeant.
Certains interprètent cette mesure, prise il y a un mois environ, comme une manière pour Kim Jong-eun de ne pas avoir à partager avec son grand-père l’aura sacralisée qui nimbe le pouvoir en Corée du Nord.
On peut aussi parler, de modernité accrue. On est loin aujourd’hui d’afficher les prétendus signes de complicité et de respect que la Nature adressait à l’exceptionnelle dynastie Kim, comme cela se faisait il y a une vingtaine d’années : le brouillard enveloppant par exemple le n°1 en tournée d’inspection près du 38 ème parallèle pour le protéger des méchants Américains ou se dissipant opportunément pour permettre une belle photo souvenir avec ses soldats ! On préfère aujourd’hui l’image d’un Etat adossé à la technique et à la science plus qu’aux contes de fée pour lancer des missiles balistiques, miniaturiser les bombes nucléaires, fermer hermétiquement les frontières ou calculer quelle alliance sera la plus favorable au sommet de l’Etat totalitaire. Calcul assez simple d’ailleurs : c’est du côté de la Russie qu’il faut se tourner. La Chine n’a besoin ni d’obus ni de missiles. La Russie en a grand besoin. La Chine, première armée du monde en termes d’hommes sous les drapeaux, n’a pas besoin non plus de soldats. La Russie en a grand besoin au contraire. La Corée du Nord peut les lui fournir. Et facilement : preuve en a été à la mi octobre 2024, le flot d’environ 1,4 million de jeunes gens qui se seraient portés volontaires pour rejoindre l’armée au moment d’un incident de frontière avec le Sud !
L’aide en matériel et en hommes à la Russie peut ainsi s’effectuer moyennant une facture libellée sous forme alimentaire et technologique. On aimerait à ce sujet savoir combien sont payés les soldats nord-coréens envoyés au front. Vu les sommes rondelettes que Poutine alloue à ses propres soldats sur le front, la direction nord-coréenne qui ponctionne habituellement 90 % des gains acquis par les travailleurs qu’elle envoie à l’étranger, devrait y trouver son compte ! De quoi alimenter les caisses de l’Etat et accroître encore sa puissance militaire.
Les voisins de la Corée du Nord s’en inquiètent et les incertitudes stratégiques que peuvent apporter la présidence Trump mais aussi le retrait d’Afghanistan de Biden et les menaces d’Obama non suivies d’effets au sujet de l’usage d’armes chimiques par Bachar El Assad en Syrie, ont comme effet la montée en puissance parmi la population du Japon et de la Corée du Sud d’un souhait de mise en place d’une défense nucléaire autonome. Vu leur niveau technologique, il ne faudrait guère de temps pour que ces deux Etats y accèdent.
Pourtant, tout ne va pas bien malgré le renforcement des moyens financiers à la tête de ce délicieux pays qu’est la Corée du Nord. Le taux de fertilité des femmes du pays, par exemple, est descendu récemment en dessous de 1,8 enfant. Aussi, l’an dernier, devant le « Congrès national des mères » (sic), le génial leader avait appelé les femmes à « élever des enfants » pour pouvoir poursuivre la révolution menacée par sa démographie apathique ! Les avortements sont donc interdits (mais réalisés clandestinement moyennant finances) et la contraception découragée ( sous le manteau, les pilules se vendent très cher cependant !).
Certes, la Corée du Nord n’est pas tombée au niveau de la Russie (1,4), du Japon (1,2), de la Chine continentale (1) et de l’ennemi sud-coréen (0,7). Mais les Nord-Coréens tiennent visiblement de moins en moins à avoir d’enfants, qu’ils puissent ou non servir la « révolution » ! Certains montrent même un goût déplacé pour la culture décadente : le pouvoir doit faire la chasse aux images venues d’ailleurs pour éviter la corruption de sa belle jeunesse. Il y a quelques mois, tous les étudiants envoyés à l’étranger (surtout en Chine et en Russie) ont dû être rappelés dans leur chère patrie. Et pour renforcer la conformité de leur style de vie aux « valeurs nord-coréennes », on surveille leur tenue vestimentaire et jusqu’à leur vocabulaire. Tous les karaokés, des lieux de loisirs pourtant prisés sur toute la péninsule coréenne, ont aussi été interdits. Le style de ces établissements ne correspondrait pas avec l’éthique « révolutionnaire » telle qu’on la conçoit officiellement à Pyongyang.
Pierre Rigoulot, le 17 novembre 2024
