Ce n’est pas une étude, un essai que je vous encourage à lire c’est un roman. Mais il m’a beaucoup plu et traite à sa façon les thèmes qui nous sont chers. Il s’agit de Le chant du genévrier, premier roman écrit par Regina Scheer, publié en 2014 en Allemagne, et en 2024 chez Acte Sud en France.
Genévrier, c’est Machandel en allemand, et c’est le nom d’un village situé dans le Mecklenbourg, dans l’ancienne RDA, à 200 km au nord de Berlin. L’auteur, née elle même en RDA en 1950, met en scène l’histoire de ce village – imaginaire -, entre 1940 et 1989, à travers celle de plusieurs familles, qui servent de prétexte à ce retour sur l’histoire tourmentée de la RDA. Le roman est centré sur deux moments forts, les années de guerre, et celles qui aboutirent à la chute du Mur.
La famille centrale est celle des Langner, qui a réellement existé et existe toujours. Le père, Hans Langner, communiste convaincu jusqu’à la fin de sa vie, fut arrêté en 1940 par les nazis, déporté au camp de Schasenhausen. Il participa à la marche de la mort mais s’enfuit et se réfugia dans ce petit village qui avait accueilli un certain nombre de « réfugiés », regroupés dans un vieux château au cœur du village. Hans Langner y assista à l’avancée de l’Armée rouge et à son arrivée en 1944. S’y installèrent ensuite des « personnes déplacées » venus de Pologne.
Hans Langner retrouva une place de choix au parti communiste puisqu’il devint ministre, et ne dévia pas de la ligne officielle, même lorsque, lors du procès Slanski, le communiste tchèque qui lui avait sauvé la vie au camp, fut mis en accusation. Les enfants Langner, Jan et Clara, sont aussi symboliques de l’histoire de la RDA : Jan, le photographe qui, persécuté par la Stasi, se réfugia à l’Ouest, et Clara qui participa aux mouvements d’opposition à la fin des années 80.
Autre personnage significatif du roman : Natalia, originaire de Biélorussie, qui fut déportée dans le village avec un certain nombre de travailleurs de l’Est, devint domestique au château, et finalement resta en RDA et y fit sa vie car personne ne l’attendait à l’Est, ses parents ayant été déportés au Goulag.
Une autre histoire émouvante, celle de la famille Peters et ses 8 enfants, dont une femme réfugiée de Hambourg prit soin du fait de la mort de leur mère, du départ au front du père, et de l’envoi dans un asile de la fille ainée, Marlène, dont se débarrassa ainsi le régisseur du domaine après l’avoir violée et mise enceinte. La stérilisation puis l’assassinat des soi-disant fous par les infirmiers du centre fait aussi partie de l’histoire tragique allemande. – l’opération T4.
Toutes ces histoires individuelles, symboliques des différentes facettes de l’histoire de l’Allemagne de l’Est – nazisme, communisme…s’entrecroisent dans le roman car chacun s’exprime tour à tour. Elles donnent ainsi une image poignante de la réalité historique au jour le jour. Un livre magnifique.
Florence Grandsenne le 3 novembre 3024

