Après le retrait de Jo Biden

Nous sommes tous des spectateurs, engagés ou non, dans les affaires courantes, nous le sommes, même si nous essayons d’y échapper, obligés que nous sommes  de voir, d’entendre, et donc de  réagir, à des coups de théâtre politiques qu’honnêtement, nous ne comprenons qu’à peine.  C’est sûrement le cas en cet été américain caniculaire (au propre comme au figuré).

Les endroits les plus « chauds » du globe- Israel-Gaza et l’Ukraine – sont fortement attentifs à l’évolution politique chez nous.  Les Israéliens et les Ukrainiens sont en première ligne dans le combat entre Civilisation et Barbarie. En un certain sens, ils sont les uns et les autres dans la plaine devant Poitiers, en 732, brandissant leurs armes contre l’envahisseur, à l’instar de leur chef.

Qui, en ce siècle, tient le rôle de Charles Martel ? La civilisation occidentale ayant évolué vers la démocratie depuis quelques temps, il faut dire que ni Zelenski ni Nétanyahou ne peuvent compter sur l’adhésion totale et automatique de tous leurs guerriers ni même de tous leurs ministres. C’est ainsi et c’est peut être à porter au crédit de l’idée de démocratie, justement. Liberté, dignité et valeur de l’individu : il faut écouter tout le monde et respecter toutes les opinions.  Et dans ce sens, les Charles Martel de notre époque, les Roland, les Publius Horatius, sont des combattants ordinaires, des types sans prétentions, des types bien, pères de famille, sous-officiers, flics en uniforme, sapeurs-pompiers, comme les instituteurs, les professeurs, les hommes de science et de pensée…  C’est ainsi, je crois, que nous pouvons nous mettre d’accord et c’est mieux ainsi. 

Cette idée et cette perception de la dignité, de la valeur et du respect dus à chacun, évolue depuis longtemps.  Ce n’est pas le moment de disserter sur l’invention de l’individu, face à son Créateur, dans le judaïsme puis dans le christianisme, mais admettons que la chrétienté et ce que nous appelons la « civilisation judéo-chrétienne » sont aujourd’hui triomphantes, désormais sans impérialisme territorial, mais aussi vulnérables car leurs alternatives sont, au contraire, par leur nature, en quête des terres à conquérir.

Ce que l’on a vu cet été chez nous est l’éclatante confirmation que la droite saisit le moment beaucoup plus clairement que la gauche. 

Sans doute, comme c’est l’habitude en démocratie, la droite (comme la gauche d’ailleurs) connait des désaccords internes. L’isolationnisme dans les affaires concernant la sécurité internationale ou le protectionnisme pour ce qui est du commerce avec les Européens, positions défendues par J.D. Vance, suscitent d’âpres iscussions. Mais le parti républicain  approuve le principe de balayer devant sa porte plutôt que devant celle des étrangers , d’autant qu’on y court des dangers qu’on ne doit pas sous-estimer. Ce n’est pas de la xénophobie ( d’ailleurs Vance a épousé une fille de l’immigration asiatique) mais plutôt une manière de défendre les moeurs et la culture américaines que la Droite accuse les Démocrates de mépriser..

Les Européens peuvent raisonnablement craindre que la tendance isolationniste des Etats Unis, amorcée sous le premier gouvernement Trump, soit renforcée si l’ancien président revient aux affaires à l’issue du vote de novembre.  Le choix, pour la vice-présidence,  de James David Vance, jeune (40 ans dans quelques jours) sénateur sans grande expérience d’homme d’Etat (seulement deux années au Sénat ( comme représentant de l’Ohio) semble le confirmer : au contraire de Nikki Haley, de Marco Rubio ou même de Ron de Santis, adversaires de Donald Trump pendant les primaires mais tous plus ou moins dans la mouvance « atlantiste » de la politique étrangère américaine, J. D. Vance, représente à sa façon le rêve américain ou en tout cas la possible ascension sociale : enfant de la pauvreté qui s’en est tiré par son mérite, volontaire en Iraq, il a retenu de son expérience sous l’ uniforme qu’il ne pouvait y avoir trop de prudence en politique étrangère, et il affirme en particulier que les guerres « préventives » de G. W. Bush furent des catastrophes (ce que personne ne nie, la question étant de savoir si la faute incombe aux stratégies adoptées ou à l’idée même d’intervenir ). Il pense aussi que si le régime de Poutine est hors-la-loi, il est juste d’affirmer que son agressivité aurait dû être mieux « traitée » par les alliés, et que même si son sort nous concerne tout particulièrement, l’Ukraine n’est pas notre problème majeur.`

Il faut toutefois nuancer.  Ni Trump ni Vance ne sont poutinophiles; ils savent très bien que le régime en Russie est tyrannique, voire maléfique.  Je crois pour ma part, sans en avoir la preuve, qu’une administration Trump chercherait un cessez-le-feu à la coréenne, sur la base d’une pensée à la George Kennan, le (très) grand diplomate, historien et soviétologue, qui jusqu’a la fin de sa longue vie conseillait l’endiguement (containment) de la puissance russe, mais avec prudence. C’est pourquoi il était contre l’élargissement de l’Otan.  

On peut penser qu’il avait tort; ce qui est sûr, c’est que ni les Américains ni les Européens ne sont enclins à donner le feu vert (et les moyens en armements) aux Ukrainiens pour attaquer la Russie et de vouloir mettre ainsi fin à la guerre.

Le « néo-isolationisme » ou le « national-conservatisme » que Vance exprime dans un langage de penseur, tandis que Trump reste sur sa rhétorique « populiste » (et parfois outrancière), font penser  à l’attitude des Francs du VIII ème siècle, sans doute en position de supprimer la menace sarrasine, mais préférant attendre quelques siècles pour libérer (si c’est le mot…) la péninsule ibérique.  

En échappant de justesse au tir d’un assassin – un Français ne manquera pas de penser au roman de J.-P. Manchette, La Position du Tireur Couché -, Donald Trump non seulement donne de l’Amérique une image qui restera pour toujours – comme celle de Bonaparte au pont d’ Arcole, de la Garde à Waterloo, de la Légion à Camerone, de Davy Crockett à Fort-Alamo, des Marines à Iwo Jima, de Custer à Little Big Horn – et quand, touché à l’oreille, il tombe, se relève, serre le poing et crie : « En avant! » ( fight !), donnant ainsi un exemple de courage, de chef au combat, de chef tout court, bref d’homme fort et courageux, il donne une preuve de plus que l’un des thèmes de son premier gouvernement et de la droite américaine depuis longtemps, est juste: à savoir que le gouvernement permanent (fédéral) est d’une incompétence quasiment dangereuse pour les citoyens.  Il n’a pas manqué, bien sûr, de parler avec émotion du pompier tombé sous un des coups de feu de l’assassin; lui-même n’a condamné personne, mais immédiates furent les réactions dans la presse qui demandaient comment le Secret Service, garde rapprochée des présidents (et d’autres, y compris les candidats) avait pu permettre une telle bavure, le tireur ayant été repéré sur un toit une demi-heure avant l’arrivée de Trump sur l’estrade.  

Nombreux sont les analystes qui disent que l’élection de 2024 s’est jouée en ces quelques minutes; en fait, si les derniers années en Occident ( et pas seulement en Amérique) nous ont appris quelque chose, c’est qu’on ne peut rien prévoir en politique. Toutefois il est vrai que si Biden reste le candidat des Démocrates, ou même s’il est remplacé, et si la campagne de Trump et des Républicains ne sombre pas dans la surenchère provocatrice, la droite aura effectivement du vent dans ses voiles.  

Post-scriptum.  Ma lettre fut, bien sûr, rédigée avant le plus récent des coups de théâtre (ceux-ci, je crois, ne font que commencer), et avant le retrait de Biden qui montre que les Démocrates ouvrent enfin les yeux.  

Il n’est aucunement certain cependant qu’ils les aient grands ouverts. Et peut être sont-ils même surpris par l’air frais, voire froid, qu’ils perçoivent hors de la bulle dans laquelle ils vivaient.  

En premier lieu, si J. Biden admet qu’il n’est pas en situation (physique, mentale. politique) de briguer un second mandat, pourquoi ne pas admettre qu’il n’est pas non plus en état de conduire aujourd’hui la politique des USA ?  N’oublions pas qu’il détient les codes nucléaires…N’oublions pas non plus que les Républicains savent pertinemment que Biden est l’adversaire contre lequel leurs chances étaient les plus grandes. Ils vont donc préparer une offensive contre Kamala Harris, la vice présidente présentée (de façon très maladroite d’ailleurs) par Biden lui-même comme son dauphin (ou sa dauphine) légitime, une offensive qui risque de faire remonter le côté désagréable de D. Trump, alors qu’il venait  juste de montrer un côte presque sage ces jours derniers. Si les Démocrates persistent dans leur fronde contre leur chef officiel pour investir – par exemple – Michelle Obama, qu’arrivera-t-il? C’est sans doute le moment d’utiliser la vielle formule : à  suivre.

Roger Kaplan, 18 juillet 2024

24 Juil 2024

Laisser un commentaire