L’article que nous adressé Jean Francart sera diffusé en trois parties, au rythme d’une par jour
H&L
Entre 2016 et 2020 (les quatre années où Donald Trump présidait les Etats-Unis), les géopolitilogues partageaient une grande perplexité devant trois réalités distinctes qui s’imposaient à leur observation mais qui soulevaient la question de leur compatibilité :
** Trump cultivait une grande proximité avec Poutine.
Mentionnons ici deux éléments de preuves qui étaient alors disponibles à ces géopolitologues.
Premier élément : Le 7 octobre 2016, le cabinet du directeur du renseignement national (DNI) (qui représentait dix-sept services de renseignement) déclara dans une lettre commune avec le département de la Sécurité intérieure (DHS), que la Russie était en train d’interférer en faveur de Trump dans l’élection présidentielle américaine de début novembre 2016.
Deuxième élément : le comportement très surprenant de Trump lors de la conférence de presse qui suivit sa première rencontre de chefs d’Etat avec Poutine lors du G20 de Helsinki en 2017, comportement qui l’amena à répondre aux journalistes internationaux qu’il faisait plus confiance à ce que disait Poutine qu’à ce que lui disaient ses services de renseignement. Ce comportement provoqua d’ailleurs de tels remous politiques à Washington que Trump fut très vite contraint à revenir publiquement sur sa réponse initiale.
** Trump s’opposait à Xi Jinping.
Il mobilisait à partir de 2017 les Etats-Unis contre la Chine sur la nécessité de rééquilibrer le commerce extérieur des Etats-Unis à l’égard de la Chine.
** L’alliance entre Poutine et Xi devenait toujours plus manifeste.
Cela était particulièrement le cas depuis 2012 comme en témoignaient les manœuvres militaires conjointes toujours plus significatives entre Chine et Russie ou encore le livre publié en 2018 par Alexander Lukin, un des bras droits de Lavrov, « China and Russia : the New Rapprochment » (le livre exprimait que c’était « une même détestation de la démocratie » à Pékin e à Moscou qui avait conduit à ce rapprochement). Ultérieurement, ce rapprochement fut plus que confirmé : « le communiqué sino-russe du 4 février 2022 » signé par Poutine et par Xi manifestait pour la première fois publiquement qu’une étroite alliance multidimensionnelle était désormais en place entre la Chine et la Russie.
Ces trois observations présentaient la particularité d’être complètement discordantes et faisaient ainsi ressortir une formidable énigme :
Comment, entre 2016 et 2020, TRUMP, qui amorçait une confrontation des Etats-Unis avec la Chine de Xi Jinping, pouvait-il réussir à maintenir une forte proximité avec Poutine alors que celui-ci affichait une alliance toujours plus intense avec la Chine de Xi ?
Autre formulation de la même énigme :
Comment, entre 2016 et 2020, POUTINE pouvait-il faire admettre à Xi Jinping la relation privilégiée qu’il avait instaurée avec Trump alors que le même Trump paraissait amorcer une offensive commerciale et géopolitique de grande ampleur à l’encontre de Pékin ?
Quatre ans plus tard, la réponse que nous proposons à cette énigme des années 2016-2020, repose sur deux points que nous nous proposons de développer successivement :
1 – Face à Pékin, Trump ne fut pas le combattant qu’initialement, il affirmait être face à la Chine. Il fut en réalité très velléitaire dans son offensive contre Pékin.
2 – Trump projette, depuis longtemps, d’instaurer une dictature totalitaire aux Etats-Unis, ce qu’il avait maintenu caché entre 2016 et 2020 mais ce que les évènements postérieurs à l’élection de novembre 2020 ont révélé.
I – Trump ne fut pas le combattant qu’il affirmait être face à Pékin
Citons ici quelques points saillants qui attestent de ce que sa mobilisation contre Pékin était très limitée :
Trump n’a trouvé aucune réponse valable aux provocations répétées de la Corée du nord de Kim, ridiculisant la réputation géopolitique des Etats-Unis et surtout laissant vulnérables et désarmés les grands alliés asiatiques des Etats-Unis, le Japon et la Corée du sud.
Dans sa confrontation avec Pékin, qui se plaçait principalement sur le plan commercial, Trump s’est limité à rechercher un rééquilibrage global du commerce Chine/USA, en se résignant à l’avance à ce que le rééquilibrage, plutôt que de porter sur les produits industriels, consiste en achats massifs de pétrole, de soja, de porcs et autres matières premières que la Chine aurait concentrés sur les Etats-Unis (plutôt que sur d’autres fournisseurs extérieurs) ; il laissait ainsi intact l’énorme excédent en produits industriels de la Chine, cet excédent industriel qui est précisément au centre de la stratégie de Pékin et à la base de son surgissement géopolitique.
Dans cette démarche très limitée, il a d’ailleurs été victime d’un formidable marché de dupes. Le 15 janvier 2020, les dirigeants chinois signent avec Trump un document, « The Phase One Trade Agreement », selon lequel, grâce à une augmentation considérable des importations chinoises de produits primaires américains, Pékin s’engageait à réduire de moitié son excédent commercial sur les Etats-Unis. Mais une discrète note de bas de page stipulait que cet engagement de Pékin devenait « caduc en cas de circonstances exceptionnelles ». Le document fut signé le 15 janvier 2020, quand le monde était déjà alerté quant à l’éclosion du Covid à Wuhan mais quelques jours avant que Pékin ne reconnaisse officiellement l’éclosion de l’épidémie de Covid en Chine. Sans ciller, après avoir enfin reconnu que la Chine était touchée par l’épidémie, Pékin proclama unilatéralement que l’accord laborieusement obtenu par les négociateurs de Trump devenait caduc du fait de circonstances exceptionnelles. Trump, qui se flatte d’être « l’homme des excellents deals », a donc bel et bien été roulé dans la farine par les négociateurs chinois…
De la même façon, tous les géopolitologues occidentaux s’interrogent encore aujourd’hui pour quelles raisons Trump a saboté le dispositif, pourtant assez bien inspiré, de Partenariat Trans Pacifique (PTP) qu’Obama avait mis laborieusement en place et qui consistait à instaurer une zone de libre-échange entre les Etats-Unis et les principaux Etats du Pacifique à l’exclusion notable de la Chine, un dispositif qui aurait sérieusement contrecarré la stratégie de Pékin. Après que Trump eut retiré les Etats-Unis de l’accord PTP, l’accord fut maintenu par des pays tels que le Canada, le Japon ou l’Australie. Et récemment, Pékin a entrepris toutes les démarches pour être admis au PTP. Grâce à Trump, le dispositif se retournerait en boomerang contre les Etats-Unis si jamais Pékin était maintenant admis dans cet accord PTP.
Et Trump n’a pas non plus entrepris d’organiser un embargo sur les exportations, américaines et occidentales, de technologies et de produits technologiques vers la Chine. Au point où en était arrivée en 2016 la dégradation du rapport de forces USA/Chine, il était pourtant devenu indispensable de contrer la Chine au niveau de la technologie. Ce que Biden, lui,a assez bien entrepris dès qu’il fut opérationnel, c’est-à-dire à partir de début 2021.
S’agissant du covid, Trump n’a jamais entrepris, comme il aurait dû, d’accuser publiquement la Chine pour ses responsabilités dans le Covid, pour son éclosion en Chine maintenue trop longtemps secrète par Pékin, pour la contagion de la pandémie intervenue à partir de la Chine, pour le refus de la Chine de coopérer à une véritable enquête internationale sur l’origine du covid...
Enfin et surtout, dans sa confrontation avec Pékin, Trump n’a jamais invoqué la défense de la démocratie contre le totalitarisme, ce qui avait pourtant été l’argument central invoqué par les dirigeants américains successifs pendant les 45 années de leur guerre froide avec l’URSS.
Cette absence de toute référence à la défense de la démocratie n’est d’ailleurs pas un hasard ainsi que va le montrer notre deuxième point.
II – Depuis le 3 novembre 2020, tout prouve que Trump est hostile à la démocratie
Reprenons le fil des évènements. Après le scrutin du 3 novembre 2020, Trump fut ulcéré de ce que les règles démocratiques de la constitution américaine amenaient à l’écarter de la Maison-Blanche. Depuis cette date, Trump n’a jamais accepté de reconnaître sa défaite à l’élection de 2020. A l’opposé de tout politicien respectueux de la démocratie, il s’est alors lancé pendant deux mois dans une campagne intense de contestation des résultats électoraux, une campagne accompagnée de multiples tentatives pour inverser arbitrairement le résultat et pour se maintenir au pouvoir en dépit de la volonté exprimée par le peuple américain.
Phase 1. Dès le 7 novembre 2020, il publiait une grande déclaration par laquelle il refusait de reconnaître sa défaite électorale en faisant remarquer les résultats très serrés dans certains Etats-clés et en alléguant le soupçon d’une fraude à grande échelle. Il s’employa ensuite à toutes sortes de recours judiciaires, locaux ou fédéraux, pour contester les résultats électoraux qu’il jugeait en sa défaveur (tous recours qui sans exception furent rejetés comme injustifiés par les instances judiciaires concernées). En cette matière, le comble de la manipulation électorale sera atteint ultérieurement, début janvier 2021, lorsque, au cours d’un entretien téléphonique qui dura une heure, il s’employa (heureusement en vain) à convaincre Mr Raffensperger (Secrétaire d’Etat Républicain de l’Etat de Georgie), d’ajouter « d’un coup de plume » en Géorgie 11.780 voix supplémentaires au nombre des voix qui avaient été décomptées en sa faveur.
Phase 2. Anticipant sans doute que ces recours n’aboutiraient pas, Trump et son équipe s’activèrent ensuite pour que le Congrès invalide l’élection de Biden. La constitution américaine prévoit que, deux mois environ après l’élection, soit le 6 janvier 2021 cette fois, le Congrès se réunisse pour valider, officiellement et définitivement, qui est le nouveau Président élu des Etats-Unis. Par le passé, il s’est toujours agi d’un moment très formel qui se contentait de confirmer les résultats enregistrés par les Etats fédérés. Trump ne l’entendait pas ainsi. Le 26 novembre 2020, il annonça publiquement qu’il « préparait » le rendez-vous du 6 janvier. Il s’agissait pour lui d’invalider les Grands Electeurs de cinq Etats fédérés (Arizona, Nevada, Géorgie, Pennsylvanie, Wisconsin) qui tous s’étaient prononcés pour Biden, le but étant que le score (306 Grands Electeurs en faveur de Biden contre 232 en faveur de Trump) s’en trouve inversé. Trump s’employa d’abord à démarcher les congressistes du Parti Républicain pour qu’ils se prêtent à son jeu. A l’époque, nombre d’entre eux refusèrent de plier à ses pressions et maintinrent un comportement démocratique ; le leader de la Majorité Républicaine au Sénat, Mitch McConnell, lui-même désavoua publiquement cette démarche de Trump.
Phase 3. Anticipant sans doute que le 6 janvier, les élus républicains ne voteraient pas comme Trump le souhaitait, la campagne post-électorale de Trump change encore de cap. A partir du 28 décembre 2020, on voit les responsables de la campagne de Trump inventer que son vice-président, Mike Pence (Républicain), disposerait d’un pouvoir judiciaire lui permettant d’invalider unilatéralement les Grands Electeurs issus (légitimement) des élections par Etat pour les remplacer par d’autres Grands Electeurs nommés par le Congrès des Etats concernés. Mike Pence se rebiffa et sollicita un juge fédéral qui désavoua cette proposition trumpiste comme clairement anticonstitutionnelle. Pence commença alors à être dénoncé et harcelé publiquement par Trump et ses partisans.
Phase 4. Le 6 janvier 2021. Dans son discours devant la foule de ses partisans qu’il a rassemblés devant la Maison-Blanche, Trump persiste à déclarer à ses partisans : « Si Mike Pence fait ce qu’il faut, nous gagnons l’élection ». Il incite ensuite ses partisans à « marcher sur le Capitole » pendant la réunion du Congrès (présidé par Mike Pence pour le Sénat et par Nancy Pelosi pour la Chambre des Représentants). Mais Pence publie parallèlement un document où il explique qu’il ne fera pas objection à la victoire de Biden puisqu’il n’en a pas les pouvoirs judiciaires.
Avertis de la position du vice-président, une partie des émeutiers qui partent alors à l’assaut du Capitole entrent en force dans le bâtiment en criant « Pendez Mike Pence ! Pendez Mike Pence ! ». Evacué de la salle du Sénat, Mike Pence échappe de justesse aux émeutiers qui investissent le bâtiment. Durant l’assaut, Mike Pence tweete à 15 h 35 : « Cette attaque contre notre Capitole ne sera pas tolérée et les personnes impliquées seront poursuivies dans toute la mesure de la loi », alors que Trump affiche dans un premier temps son soutien aux émeutiers. Pence condamne fermement l’invasion du Capitole mais ne reçoit aucun coup de fil du président Trump. C’est seulement tard dans la nuit du 6 janvier après que l’ordre eut été difficilement rétabli que Mike Pence put reprendre la séance avec une déclaration solennelle : « À ceux qui ont semé le trouble dans notre capitale, vous n’avez pas gagné, la violence ne gagne jamais, retournons au travail ». Il lit alors les résultats électoraux sans aucune modification, ce qui valait proclamation officielle de Biden comme nouveau Président des Etats-Unis.
Au vu de toutes ces manœuvres successives, il s’avère que Trump mit à profit la période post-électorale pour tenter ce qui fut une véritable tentative de Coup d’Etat. Le but avoué de Trump était bien de faire annuler le résultat des élections pour se maintenir au pouvoir. Et l’opération fut proche de réussir. Il aurait suffi que le vice-président Mike Pence se prête au rôle que Trump voulait lui assigner pour que l’opération réussisse. Il s’agissait donc bel et bien d’une tentative de Coup d’Etat qui n’a échoué que grâce au courage de Mike Pence et de plusieurs congressistes républicains qui refusèrent de s’y prêter.
Son comportement entre le 3 novembre 2020 et le 6 janvier 2021 révèle que Trump ne s’est pas contenté de violer les règles fondamentales de la démocratie ; en agissant sans vergogne et sans se cacher, il a montré au grand public qu’il ne respectait ni les institutions démocratiques ni les partisans de la démocratie.
On aurait pu croire qu’après avoir été désavoué par les électeurs en novembre 2020, après s’être compromis et s’être sali dans sa tentative ratée de Coup d’Etat, Trump prendrait discrètement sa retraite politique. On le sait, cela ne fut pas du tout le cas. Trump a persisté dans son refus obsessionnel d’admettre, même encore aujourd’hui, la victoire électorale de Biden en novembre 2020 et dans sa volonté de faire admettre son mensonge éhonté comme étant la vérité vraie.
On l’a vu annoncer très tôt sa candidature pour s’imposer comme le candidat du Parti Républicain pour novembre 2024. On l’a vu se subordonner totalement, par toutes sortes de manœuvres coercitives, le Parti Républicain, ses élus et son appareil.
En tentant un Coup d’Etat le 6 janvier 2021, Trump a manifesté qu’il était une graine de dictateur. Quatre ans plus tard, il se permet de provoquer la société américaine en se présentant à l’élection présidentielle. Prenons garde : il y a fort à parier que, s’il était élu en 2024, il ne remettrait pas en jeu le pouvoir présidentiel en novembre 2028 ainsi que le prévoit la constitution.
En réalité, Trump a montré qu’il s’opposait à l’idée d’alternance politique qui est le principe central sur lequel repose toute vraie démocratie. Son projet inavoué consiste à reprendre le pouvoir pour le conserver quoiqu’il arrive, pour lui et/ou pour la clique à sa dévotion.
A vrai dire, ce que Trump tente en osant se représenter à la présidentielle en dépit de son comportement clairement antidémocratique et des nombreux délits qu’il a par ailleurs pu commettre, c’est de prouver qu’il y aurait une majorité aux Etats-Unis pour tourner le dos à la démocratie.
Si par malheur, la société américaine lui accordait la victoire électorale en novembre 2024, Trump en déduirait que la société américaine lui donne un blanc-seing pour établir une dictature aux Etats-Unis.
Il y a chez Trump une véritable détestation de la démocratie. Une détestation qui s’exprime en paroles et en actes. Cette détestation est tellement surprenante, tellement viscérale (et tellement inhabituelle aux Etats-Unis) qu’elle nécessite d’ailleurs d’être expliquée.
Quelle explication ? Trump reprend sans doute à son compte l’idée selon laquelle la démocratie affaiblit la puissance géopolitique d’un pays ordinaire (c’est-à-dire capitaliste et non collectiviste) tandis qu’une dictature totalitaire la renforce.
Une idée qui fut émise, en premier lieu dans les années 1930, par Carl Schmitt, le grandjuriste allemand pro-nazi, une idée qui est maintenant reprise par Poutine et ses conseillers après l’avoir été par Xi et par son conseiller idéologique, Wang Huning (qui s’avère être un grand lecteur de Carl Schmitt). Cette conviction ainsi partagée entre Trump et Poutine est sans doute même à la base de la complaisance et de la complicité de Trump à l’égard de Poutine.
Quand il analyse le déclin géopolitique relatif des Etats-Unis (déclin auquel est censé répondre le slogan trumpiste MAGA, Make America Great Again),Trump considère sans doute, à l’instar de Poutine, que c’est la démocratie même qui a nui à l’évolution de la puissance géopolitique relative des Etats-Unis. Il en déduit alors que pour rétablir le rapport de forces en faveur des Etats-Unis face à la Chine et à la Russie, il lui faut faire basculer les Etats-Unis de la démocratie à une dictature, et plus précisément à une dictature totalitaire.
Paradoxalement, il ne faut pas compter sur les milieux d’affaires américains pour s’opposer au projet de Trump. Si ceux-ci, au temps de la guerre froide, s’étaient largement mobilisés aux côtés des gouvernements américains successifs contre la dictature totalitaire de l’URSS, c’était parce que l’URSS avait adopté et maintenu le collectivisme (le modèle économique qui s’opposait mondialement à celui du capitalisme) qu’elle avait conjugué avec le modèle politique de la dictature totalitaire.
Cette fois, ce n’est pas avec le collectivisme mais avec le capitalisme que Moscou et Pékin conjuguent leurs dictatures totalitaires. Et cela représente une différence considérable pour les milieux d’affaires américains : Pékin, une dictature totalitaire à la tête d’un pays capitaliste, présente des attraits indéniables sur les multinationales américaines : Pékin a mis en place depuis les années 1980 un système dual où une forte minorité de la population (les mingongs) subit une sorte d’esclavage économique et constitue pour les entreprises une main d’œuvre ouvrière incroyablement bon marché ; Pékin dispose par ailleurs d’une autre main d’œuvre (prisonniers de droit commun, prisonniers politiques, résistants tibétains ou ouïghours…) à qui elle peut imposer toutes sortes de travaux dangereux tels que ceux qui concourent à la purification du lithium…
On observe en tout cas que beaucoup de chefs d’entreprises américains sont réticents à couper le cordon ombilical avec la Chine en dépit de ce que le gouvernement Biden les y invite. Le plus emblématique d’entre eux est Elon Musk (Propriétaire de Tesla, de SpaceX et de X, ex-Twitter) qui continue à investir physiquement dans sa grande usine de Shanghai et qui s’avère aussi être un soutien notoire de la campagne 2024 de Trump.
Trois raisons viennent à l’esprit pour expliquer cette attitude inattendue de nombreux grands patrons américains :
Les grands patrons américains considèrent que l’Intelligence Artificielle leur ouvre des perspectives financières fabuleuses mais qu’inévitablement, la démocratie américaine leur posera toutes sortes de limites handicapantes tandis qu’une dictature totalitaire qui serait instaurée à Washington y apporterait un soutien massif et inconditionnel comme celui que Pékin et Moscou réservent à leurs grandes entreprises de l’IA.
Ils partagent aussi l’analyse de Poutine (et de Carl Schmitt ci-dessus mentionné) selon laquelle la démocratie libérale handicape la puissance géopolitique tandis que la dictature totalitaire la renforce. Ils en arrivent alors à partager le point de vue de Trump selon lequel mieux vaut que les Etats-Unis renoncent au modèle démocratique et qu’ils adoptent à leur tour le modèle de la dictature totalitaire.
Ils redoutent que la confrontation qui s’est engagée entre les dictatures totalitaires (Chine, Russie…) et les pays démocratiques (les Etats-Unis et leurs alliés) n’aboutisse à une guerre ouverte dont l’issue pour les Etats-Unis resterait incertaine. On observe en tout cas que les milieux d’affaires américains ne se montrent enthousiastes ni à défendre l’Ukraine ni à défendre Taïwan, ni à rompre avec la Chine ni à rompre avec la Russie. A l’opposé, ils semblent envisager favorablement que les Etats-Unis adoptent à leur tour le modèle de la dictature totalitaire : si les très grandes puissances étaient toutes dirigées par des dictatures totalitaires, une négociation pacifique en vue d’instaurer un condominium sur le monde deviendrait beaucoup plus accessible ; il est beaucoup plus facile de pactiser entre camarillas totalitaires qu’entre des régimes totalitaires et des régimes démocratiques.
3-Conclusion
A ce stade, nous avons abouti à deux conclusions partielles : Trump ne fut pas « le combattant anti-Pékin » qu’il affirmait être ; Trump (probablement dès 2016) envisageait sérieusement de faire basculer les Etats-Unis de la démocratie à une dictature totalitaire.
Vient alors la réponse à l’énigme initialement posée :
Trump n’était en réalité pas vraiment motivé à se confronter sérieusement ni avec la dictature totalitaire de Poutine, ni avec celle de Xi Jinping : il considérait sans doute que, le moment venu, quand il aurait imposé, lui, une dictature totalitaire aux Etats-Unis, la Russie et la Chine seraient des partenaires avec qui les Etats-Unis pourraient « traiter valablement ».
Poutine pouvait tolérer les initiatives de Trump contre son allié Xi parce qu’il savait qu’il s’agissait de simples velléités de la part de Trump et surtout parce qu’il devinait que Trump lui-même visait à instaurer une dictature totalitaire aux Etats-Unis et que dès lors un rapprochement deviendrait possible entre les Etats-Unis et la Russie.
Plus généralement, Poutine et Xi ne pouvaient que se réjouirensemblede ce que Trump se proposait de faire basculer les Etats-Unis de la démocratie à la dictature totalitaire. Leur objectif finalconjoint consiste en effet à éliminer de la planète la démocratie et la liberté pour y généraliser leur modèle de dictature totalitaire.Alexander Lukin (ci-dessus mentionné) affirmait même dès 2018 que c’était cette détestation conjointe de la démocratie qui avait cimenté et qui cimenterait toujours plus le lien entre Pékin et Moscou.
En résumé, l’option totalitaire que Poutine et Xi avaient identifiée chez Trump constituait pour eux deux une formidable opportunité à ne pas manquer. Une opportunité tellement inespérée pour ces deux dictateurs totalitaires qu’elle valait bien de tolérer chez Trump son insistance (elle-même largement velléitaire) à rééquilibrer le commerce sino-américain…
Dès lors, on réalise la menace qu’une victoire de Trump à l’élection de novembre 2024 aux Etats-Unis (pour laquelle il est actuellement donné gagnant) ferait peser aux Etats-Unis et dans le monde, sur la survie de la démocratie (et sur la survie des libertés dont elle est la garante).
Il est généralement retenu qu’une élection de Trump en novembre 2024 signifierait le basculement des Etats-Unis dans l’isolationnisme, l’abandon de l’Ukraine à Poutine et l’abandon de Taïwan à Xi Jinping.
L’enjeu est encore plus important qu’il n’est retenu. Aux Etats-Unis, une élection de Trump signifierait avant tout l’abrogation des institutions démocratiques et le basculement dans une dictature totalitaire. Au niveau mondial, elle signifierait un renforcement jamais vu du camp des dictatures totalitaires et un affaiblissement majeur du camp des pays démocratiques.
Jean Francart, le 22 mars 2024
Pour compléter la documentation nécessaire pour analyser le phénomène Trump :
1 En 2022, il fut diffusé un excellent documentaire (accessible par Internet) qui est intitulé « Active Measures » et qui fut réalisé par Jack Bryan. Celui-ci répertoriait tous les coups de pouce financiers que le KGB avait accordés à Trump au cours de sa carrière d’homme d’affaires (bien avant qu’il ne s’intéresse à la politique) puis les coups de pouce électoraux une fois que le Parti républicain l’eut promu candidat à la présidentielle de 2016
Un élément supplémentaire de preuve qu’il existe une proximité, intense et significative, de Trump avec le KGB et avec Poutine.
2 le 26 juillet 2022, le New York Times a accordé une interview à Sergueï Karaganov, un conseiller majeur de Poutine ; dans cette interview, celui-ci se permettait d’adresser un reproche (mais un seul) à Poutine, celui de ne pas avoir envahi l’Ukraine plus tôt, avant la pandémie du covid, c’est-à-dire lorsque Trump était encore à la Maison-Blanche.
Karaganov savait sans doute trop bien que, à la différence du Président Biden, le Président Trump serait resté passif face à l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
(Crédit image: https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Vladimir_Putin_and_Xi_Jinping,_26_july_2018_%281%29.jpg)
