Faut-il avoir peur de la Corée du Nord?
On parle beaucoup de la Corée du Nord actuellement. Elle lance un satellite espion, tire 200 obus à proximité d’une île sud-coréenne; on annonce dans un avenir proche un essai nucléaire et l’on répète sans fin la formule par laquelle Kim Jong Eun a menacé il y a quelques jours d’anéantir la Corée du Sud.
Les journalistes ne privilégient visiblement pas les paroles rassurantes ou simplement mesurées.
Pourtant, on ne nous en voudra pas de rappeler qu’en 2010 déjà, la même île sud-coréenne avait été bombardée et qu’une frégate sud-coréenne avait même été coulée par le Nord. Le moins qu’on puisse dire est qu’à Pyongyang on manque d’imagination et qu’on nous sert des scénarios éculés de marches à l’abime.
Notons aussi qu’autour de l’an 2000, les relations des deux Etats coréens étaient bien meilleures avant de se détériorer en 2010, puis de s’améliorer à nouveau en 2018 avant de se détériorer à nouveau comme on peut le constater aujourd’hui. Pyongyang semble apprécier la progression sinusoïdale. Peut-être même elle l’amuse, mais elle nous lasse.
La Chine a appelé « les deux parties » ( donc notamment son alliée nord-coréenne) a « faire preuve de retenue » et l’on peut parier ( certes, peut-être, après un nouvel essai nucléaire) que la tension retombera avant de remonter, sans doute.
Derrière les guignolades de la direction nord-coréenne visant à terrifier le monde occidental et ses alliés d’Asie orientale à intervalles plus ou moins réguliers – avant de proposer une réconciliation éphémère, le temps de bénéficier des aides venues du Sud prospère – un peuple vit et souffre au Nord dont on se préoccupe trop peu. Hors la capitale-vitrine du régime, règnent la pauvreté, la disette, et sur tout le pays une dictature totalitaire implacable interdit toute liberté d’expression, d’information et de circulation. Ces conditions de vie sont de plus en plus mal supportées par plus de 25 millions d’habitants bien incapables hélas, pour le moment, d’en finir avec le régime en place.
Quelques informations sortent du pays cependant, qui laissent entendre que le mécontentement croît. Certains organes de presse les recueillent. La revue Géo par exemple y a fait écho dans un article signé Benjamin Laurent dont nous reproduisons ci-dessous quelques extraits. L’article, accessible sur le net, a plus de six mois mais des informations allant dans le même sens sont parfois diffusées, notamment par le Comité américain pour les droits de l’homme en Corée du Nord dont le président, Greg Scarlatoiu, avait participé à un colloque de l’Institut d’histoire sociale en 2019. Les informations quotidiennes fournies par cette ONG sont remarquablement précises et touchent tant au Nord qu’au Sud de la péninsule. Mais laissons parler Géo :
«(…) un document secret du régime dévoilé par Radio Free Asia révèle une information inquiétante pour la dynastie de Kim Jong-Un : excédés par une vie de misère, les citoyens du pays se sont mis à attaquer physiquement la police (…)
« Entre juillet et décembre 2022, des dizaines d’incidents de personnes protestant contre la tyrannie de la police, voire de passages à tabac en guise de vengeance ont eu lieu dans la province de Ryanggang » (dans le nord du pays), dévoile un officiel du pays de manière anonyme pour éviter des représailles (…)
Un habitant (…) interrogé par Radio Free Asia a pu confirmer la situation dévoilée par ce document : « la colère des habitants contre la police, qui utilise toutes sortes de méthodes tyranniques sous le couvert de la loi, est en pleine progression (…) Quand on va au marché, on peut souvent voir des femmes se plaindre et se disputer, ainsi que pointer du doigt les agents de police ». Conduisant parfois à des affrontements entre des marchands et des femmes contre l’autorité, quelque chose « d’inimaginable dans le passé« .
(…) Les exemples dévoilés par le document secret sont nombreux et éclairants. À Hyesan, le chef-lieu de Ryanggang, après qu’un policier a arrêté un homme qui n’avait pas sur lui tous les documents sur le véhicule qu’il conduisait, « le conducteur a renversé avec sa voiture la moto de l’agent et l’a frappé jusqu’à ce qu’il devienne inconscient ».
Le gouvernement, qui a également interdit à ses citoyens de se suicider (!) a fini par imposer des mesures strictes pour contenir cette flambée de violences, allant de séances éducatives sur le respect de la loi à des lois punissant sévèrement la violence contre la police. Mais pour une partie de la population, excédée par des décennies de tyrannie et de misère, un point de non-retour semble être de plus en plus proche.
Sans doute, l’article finit par tomber dans le travers de ceux qui présentent comme très possible dans un avenir proche un affrontement de la Corée du Nord avec celle du Sud. La liberté pour les Nord-Coréens, ce n’est malheureusement pas pour demain. Mais l’auteur a l’intelligence de regarder derrière les coulisses de la scène médiatique dominante et de souligner que la population n’est pas vouée ad aeternam aux souffrances imposées par le régime des Kim. Le totalitarisme nord-coréen tombera malgré ses bombes, ses missiles et ses satellites espions. Après tout, l’URSS s’est effondrée elle aussi, malgré ses milliers de têtes nucléaires.
Pierre Rigoulot
(crédit photo: https://www.flickr.com/photos/f097653195031/51463599251)
