Nicolas Sarkozy : approximations, oublis et  complaisances

L’équipe d’Histoire  & Liberté a pris connaissance avec regret et indignation des propos tenus par Nicolas Sarkozy sur l’Ukraine et la Russie dans sa longue interview du Figaro du 16 août 2023. Nous publions ici quelques unes de nos réactions.

Nicolas Sarkozy, ancien Président de la République, vient de sortir sa plume pour préconiser une politique qu’il présente comme « réaliste » en Ukraine et qui  en réalité semble bien avoir été inspirée par les écrivailleurs du KGB.

Son analyse se singularise par d’immenses lacunes : le KGB n’est jamais évoqué ; il n’est jamais mentionné que Poutine et le KGB ont, progressivement depuis 2000, rétabli en Russie un régime totalitaire (non plus sous l’égide du marxisme  mais sous l’égide d’une idéologie impérialiste cette fois) ; ne sont jamais évoquées les alliances internationales que Poutine et le KGB ont conclues avec ces autres pays totalitaires que sont la Chine du Parti Communiste Chinois, l’Iran des Ayatollahs et la Corée du nord des Kim pour former un véritable bloc des pays totalitaires…

Ce bloc des pays totalitaires cherche à se déployer à-travers la planète et a déjà infligé, au cours des dernières années, des défaites successives à la démocratie en Syrie, en Crimée, à Hong Kong, en Afghanistan. Ce bloc des pays totalitaires soutient maintenant l’invasion par Poutine de ce pays démocratique qu’est l’Ukraine et il menace par ailleurs d’envahir cet autre pays démocratique qu’est Taïwan.

Loin de se référer à cet affrontement, pourtant manifeste, entre le bloc des régimes totalitaires et les pays démocratiques, Nicolas Sarkozy reprend à son compte l’argumentaire de Poutine lui-même selon lequel la Russie aurait une sorte de droit historique à replacer sous son joug les populations qui lui ont été soumises par le passé.  Dans la foulée, avec des arguments inacceptables et par des détours tortueux, il propose aux Ukrainiens (et aux pays démocratiques qui les soutiennent) de se résigner face à Poutine. Pas étonnant que Medvedev se félicite bruyamment de cet interview de Sarkozy.

La proposition de Nicolas Sarkozy est à la fois révoltante, atterrante et antipatriotique.

voltante. Nicolas Sarkozy vient donner un coup de poignard dans le dos de la population ukrainienne au moment où celle-ci résiste héroïquement depuis dix-huit mois au projet du KGB visant à s’emparer de leur territoire et à leur rétablir le totalitarisme.

Atterrante. Celui qui vient donner ce coup de poignard à l’Ukraine n’est autre qu’un ancien Président de la République française. Cela intervient après que François Filon (premier ministre pendant cinq ans de Nicolas Sarkozy) eut pactisé avec Poutine. Tout cela déshonore la France aux yeux de nos alliés et de nos amis ukrainiens. On ne peut que s’interroger sur les véritables raisons qui ont motivé Nicolas Sarkozy à écrire un texte qui réjouir aussi bien Poutine, Medvedev et le KGB. Le soupçon surgit que le KGB serait en capacité de faire basculer dans la collusion certains de nos plus hauts dirigeants (tout comme il y a réussi aux Etats-Unis avec Trump). 

Antipatriotique. Si, comme le préconise Nicolas Sarkozy,  on laissait les troupes de Poutine s’emparer impunément d’une partie de l’Ukraine (ou pire encore de sa totalité), ce seraient ensuite la Pologne, les trois pays baltes, la Moldavie, la Roumanie;;; dont les territoires et les institutions se trouveraient immédiatement menacés par Poutine et par le KGB avant qu’ultimement, ce ne soit le tour de l’Europe de l’ouest et de la France.

En Ukraine, ce qui est en jeu, c’est la souveraineté totale des Etats souverains (conformément aux statuts de l’ONU) et c’est aussi la survie de la démocratie sur notre planète. La population ukrainienne mérite le soutien indéfectible de nos pays démocratiques. Et Nicolas Sarkozy et autres influenceurs pro-Poutine ne doivent pas nous en détourner.

Jean Francart, le 19 août 2023

Sarkozy et lUkraine

Je reprends d’abord quelques propos de Nicolas Sarkozy.

L’échec (le fait que Poutine ne veut plus rien entendre) vient de loin. Il est séculaire.  

Sarkozy ignore donc la rupture radicale de 1917, la naissance d’un nouvel animal historique inconnu jusque là !  

Et je veux ici rendre hommage à Hélène Carrère d’Encausse, qui nous a hélas quittés. Elle a été une grande passeuse de l’histoire russe pendant quarante ans.  

Elle a avoué elle-même n’avoir rien compris notamment à Poutine. La nature de l’URSS (comme de n’importe quel Parti-Etat marxiste-léniniste) et celle de la mafia tchékiste actuelle est fondamentalement différente de la culture russe (comme de la civilisation chinoise, coréenne, cambodgienne, vietnamienne, laotienne, polonaise etc.)

Mais je reviens à votre question. Les Russes sont des Slaves. Ils sont différents de nous   

C’est fou ça ! Sarko croit aussi que les Chinois sont d’une autre espèce que nous ? A l’instar de tant de journalistes, intellectuels et politiciens des années 50 aux seventies ?  Il ignore vraiment à ce point à quels régimes et à quelles menaces nous devons faire face ?  

Je l’avais convaincu (Poutine) de retirer ses chars qui étaient à 25 kilomètres de Tbilissi.  

Il y croit vraiment semble-t-il ! No comment.

Il avait commencé à envahir la Géorgie. Mais dans le même temps, avec Angela Merkel, nous lui avions montré que nous étions conscients de ses lignes rouges. C’est pourquoi nous avions refusé l’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie à l’Otan et ce malgré la forte pression américaine  

Quel aveu ! 

Nous ne voulions pas laisser Poutine dériver vers une paranoïa anti-occidentale  

La même erreur qu’avec l’URSS : Sarko ignore que la paranoïa est une composante essentielle de la psychopathie de Poutine et une composante indissociable de l’essence du système poutinien et de tout système d’inspiration marxiste et/ou nationaliste ; il est vain d’essayer de l’amadouer ou de l’adoucir. Elle ne s’arrête de tuer, de violer, de faire souffrir et de détruire que face à une force et à une détermination supérieures. La peur l’excite, les concessions la font ricaner.

qui est depuis longtemps la tentation des dirigeants russes  

Et de nouveau l’abus du mot “russe” et la mise sur le même plan des tsars et des dirigeants communistes et post-communistes ! Le problème n’est ni russe ni slave, il tient à un système psychopathe dont la 1ère mouture fut installée par Lénine & Co et qui se décline actuellement à-travers Poutine, Xi, Kim etc. Sarkozy semble ignorer que le psychopathe paranoïaque n’est sensible à aucune lumière mais peut faire semblant de l’être, parfois très intelligemment. 

Le complexe d’encerclement du Kremlin est une vieille histoire  

Oui, depuis que la terre est ronde ! 

Sur ce sujet les intérêts européens ne sont pas alignés sur les intérêts américains.  

Ils n’ont jamais été alignés mais ils se rejoignent plus que jamais ! Nous défendons la liberté et les valeurs humanistes, nous avons les mêmes ennemis et, que ça nous plaise ou non, nous Européens sommes toujours incapables de nous défendre sans l’appui américain !  

Trump de retour, c’est la mort de l’Ukraine !

La Crimée était russe jusqu’en 1954. Tout retour en arrière est illusoire.  

En vérité la population ukrainienne a clairement opté pour la création d’une démocratie sociale-libérale non plus trop corrompue, pour l’UE et pour l’OTAN et rejette, maintenant plus que jamais dans sa longue Histoire, la soumission au Kremlin, c’est ce retour en arrière-ci qui serait illusoire ! Tout le contraire de l’assertion de Sarkozy !

Une Ukraine et une Crimée libres, ce serait aussi une fameuse marche en avant pour la démocratie et une défaite significative pour ses ennemis, ce qui aurait des répercussions positives à long terme dans le monde entier !   

Néanmoins, avec regret, je crois constater que l’Ukraine ne pourra pas gagner la guerre mais aussi, avec espoir, que l’édifice poutinien a des fondations bien fragiles ; quoiqu’il en soit, il faudra un jour effectivement des pourparlers, des compromis, des concessions de part et d’autre (il y a sans doute des discussions informelles et secrètes) ; mais forcer d’emblée les Ukrainiens à renoncer à leurs droits et à la liberté de choisir leur destin, comme le prône Sarkozy, serait non seulement ignoble mais aussi la manière la plus stupide d’entamer des négociations. 

Affirmer au préalable que l’Ukraine “doit renoncer” à l’UE et à l’OTAN pour être un “trait d’union entre l’Est et l’Ouest” est un non-sens ; peu importe sa situation géographique, toute population a le droit naturel d’être libre, de se développer et de se démocratiser selon sa volonté et non pas comme si elle n’était qu’un conglomérat de territoires que des puissances supérieures déplacent ou sacrifient à leur gré. 

Suggérer qu’un accord international garantisse qu’elle ne court plus aucun risque d’agression me paraît infra-débile face au système poutinien, par nature menteur, destructif et expansionniste. Qu’il suffise de rappeler le mémorandum de Budapest du 5 décembre 1994 par lequel les grandes puissances dont la Russie se portaient garantes de l’inviolabilité du territoire ukrainien et de l’intangibilité de ses frontières contre la cession par l’Ukraine, alors 3e puissance nucléaire mondiale, de toutes ses armes de destruction massive à la Russie ! 

En géopolitique, la force et la détermination, surtout face à des monstres totalitaires, primera toujours le Droit tant qu’il n’y aura pas une instance supérieure universelle dotée de la capacité de faire respecter les traités, accords et conventions, par la force si besoin est. Si l’Ukraine avait conservé son armement nucléaire, peu de doute qu’il n’y aurait jamais eu de guerre d’agression ni d’annexions illégales !   

Pierre Druez  le 20  août 2023

Vous avez dit « Slaves »?

Dans son interview au Figaro, Nicolas Sarkozy adopte une posture qu’affectionnent les anciens Présidents de la République : celle du sage conseiller, qui parle vrai. Mais n’est pas sage qui veut. Sarkozy accumule nombre de banalités affligeantes. J’en relèverai une seule mais elle est d’importance puisqu’elle prétend donner la clef de toute analyse des options politiques de la population russe et de ses dirigeants. La dite clef n’est pas le concept d’empire ni le rappel des 70 ans de communisme ni la référence à la dictature sui generis actuelle avec son bourrage de crâne systématique, son acharnement contre les opposants, les menaces contre ses voisins, ses mensonges éhontés sur son passé et son présent. La dite clef n’a rien à voir non plus avec le KGB et le FSB. Si Poutine est Poutine et la Russie actuelle une ennemie acharnée de la démocratie, c’est qu’ils sont Slaves! Oui : Slaves !Des gens comme les Tchèques et comme les Polonais mais pas comme nous ! Cette conception ethnique de l’histoire eut cours en France au XIX ème siècle, propre par Augustin Thierry. Une conception abandonnée par presque tout le monde mais pas par l’ancien président de la République. Effet du sang des Magyars qui coule dans ses veines? Ces gens-là ne sont peut-être pas comme nous…

Sur une telle conception s’étend l’ombre du Général de Gaulle dont il faudra reconnaître un jour que sa vision du monde n’a pas eu qu’un effet positif sur la vision du monde de nos compatriotes.

De lui, Sarkozy a appris aussi qu’il y avait l’Ouest et l’Est – mélange politico-géographique jamais décrit par le gaullisme en termes de valeurs et de liberté, de démocratie face au totalitarisme ou d’état de droit face aux empires.

A l’est et à l’ouest de quoi, d’ailleurs ?

Sarkozy répond comme par hasard : de l’Ukraine. Ça tombe bien, vous ne trouvez pas, pour proposer la neutralité de ce pays ?

Je ne sais si l’on a besoin des Russes comme eux ont besoin de nous. Ce qui est sûr, c’est qu’on n’a nul besoin de telles approximations – ethniques ou géographiques. Elles masquent seulement les fondements de notre vie politique, ceux auxquels on doit tenir comme à la prunelle de nos yeux : la sauvegarde de la liberté individuelle et la résistance au totalitarisme.

Pierre Rigoulot, 22  août 2023

(photo: Copyright by World Economic Forum swiss-image.ch/Photo by Moritz Hager)

22 Août 2023

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